AU TEMPS DES GUINGUETTES
Peuple, tu as tes palais, tu as tes progrès.
Pour Champs-Elysées, tu as l’étang où l’yeuse
Balance ses vertes chevelures au gré
Des cadences de la rame langoureuse.
Dans la luzerne haute, la grenouille aura
Pour t’accompagner d’éclatants chants populaires,
Le soleil lancera ses orgues d’opéra.
Mieux qu’au cou blanc étincelant des mégères,
Le rustique liseron orne de blasons
Celui bruni par les amères fatigues
De ces mères qui ont enfanté des Lisons
Et des Lisettes, fleurs sublimes qu’irrigue
La musique des faubourgs, des accordéons.
Peuple, tu danses seul sur les barricades
Bien des polkas et des javas que l’Odéon
Ignore, aveuglé par les rodomontades
Des torses à médailles, des esprits hâbleurs.
Tes quadrilles à toi sont des carmagnoles
Furieuses pour ta sombre peine et ta douleur
Et ton champagne a l’âpre goût de la gnole.
La Nature est ton berceau, le ciel ton pardon.
Loin du marbre et du porphyre hypocrites,
Tu enlaces, comme la pensée un vaste front,
Ton idéal qui a les yeux des clématites
Qui enroulent leurs tendres feuillages autour
Des roseaux flexibles, des douces tonnelles,
Volières de verdure où roucoule l’amour.
Peuple, ton bras antique soutient la belle
Fille République qui a pour Fantine et
Gavroche et Cosette, enfants de Robespierre,
Sa grandeur pour vêtement, pour bonté son lait.
Tes parquets cirés, souliers vernis, cuillères
De vermeil, les voici sur le rude plancher
Des guinguettes que ta savate crevée foule,
Dans ton bock morne et sombre comme l’œil de Fouché,
Et tes lumignons illuminent la poule
Et la cocotte aussi bien que le chandelier
Satinant le bras parfumé des hétaïres.
Ta barque, poussée d’un geste de gondolier,
S’enfonce dans l’onde galante quand la ire
Du jour s’éteint dans la nuit au lustre géant
Dont les vives pampilles d’étoiles infinies
Versent des laques profondes dans l’œil aimant.
Peuple, lorsque tu sens ton âme démunie
Devant le mal, l’injustice, l’humiliation,
Retrouve dans le doux et fraternel rire
Des compagnons la grande aura de la Nation
Parmi la Nature et les roseaux de sa lyre.