Doug Nicholls représentant du Workers Party of Britain et du mouvement « syndicalistes contre l’UE » (TUEAEU), l’un des leaders du Brexit de gauche. Le Workers Party of Britain et le mouvement des syndicalistes contre l’UE (No2EU) ont mené au printemps 2016 la campagne pour le Brexit de Gauche en Grande Bretagne. Voici la traduction du discours prononcé par Doug Nicholls pour inviter l’ensemble des travailleurs à sortir de l’UE, à prendre exemple du BREXIT de Gauche, lors du 18e congrès du parti communiste de Suède – où le PRCF était également présent – qu’il a bien voulu autoriser Initiative Communiste à donner à lire aux travailleurs de France. En France, les communistes du PRCF mènent à l’occasion des présidentielles campagne pour le FRECSIT, c’est-à-dire la sortie de l’UE avec une Franche Rupture avec l’Europe Capitaliste Supranationale à l’Initiative des Travailleurs.
Camarades,
C’est un honneur de parler ici au nom des « syndicalistes contre l’UE » (Trade Unionists Against the EU). Nous représentons une opinion politique largement partagée – pas un parti politique –, mais la conviction qu’être membre de l’UE, dans quelque pays que ce soit, est mauvais pour les travailleurs.
La dernière fois que j’étais en Suède, c’était pour exprimer notre solidarité avec les ouvriers du bâtiment suédois qui étaient en grève contre la société lettone Laval ; celle-ci essayait alors de contourner le droit du travail suédois en important une main d’œuvre meilleure marché[1].
Cela n’a pas été une surprise lorsque la Cour de justice européenne – une cour unique dans l’histoire du monde puisqu’elle a été établie exclusivement pour défendre le droit du capital à n’être entravé par aucun obstacle – a décidé que la liberté patronale domine et enchaîne celle du travail. L’ensemble du projet européen a été conçu et réalisé dans ce but : pour faire la guerre aux travailleurs ; pour créer un chômage de masse ; pour donner un pouvoir absolu au capital.
Camarades, nous parlons la même langue. Pas l’anglais bien sûr, mais le Communisme. L’amour le plus puissant entre deux êtres, entre parents et enfants, entre amoureux, n’est que le Communisme sous forme embryonnaire. Réfléchissez à la portée de cette idée si elle était mise en œuvre socialement et économiquement de sorte qu’aucun être humain n’en exploite un autre ou ne cherche à nuire à un autre. Nous avons des idéaux élevés et alors que l’UE vacille nous devrions les réaffirmer avec une conviction renforcée.
L’exploitation, l’extraction de la survaleur du travail collectif humain est la chose la plus inhumaine dont les expressions sont : la guerre ; le racisme ; le génocide. Le parasite, le capital financier, est presque parvenu à détruire son hôte.
L’Union européenne a été créée par trois puissances aussi génocidaires qu’inhumaines, les trois pires de l’histoire humaine : Wall Street ; la City de Londres ; et les généraux nazis vaincus. Dit autrement, l’impérialisme allemand allié à ces anciens principaux concurrents. Le Deutschmark domine l’UE, son banquier est la Grande-Bretagne et son garde du corps, à travers l’OTAN, est les États-Unis.
Ces vicieuses puissances génocidaires et leurs prédécesseurs n’étaient pas parvenus à détruire les Soviets au début des années 40. L’inspiration générée par l’Union soviétique guida les avancées sociales à travers toute l’Europe. Les travailleurs haussèrent leurs espoirs à l’intérieur même du cœur historique du capitalisme.
Dans mon pays, les travailleurs ont lutté et obtenu les logements sociaux, l’Etat providence, les conventions collectives, des syndicats puissants, un service public de santé, une éducation de qualité pour tous, le sentiment d’un bien commun, des services publics, des industries nationalisées, des infrastructures contrôlées par l’Etat. Il y avait un véritable élan collectif.
Pensant ses plaies provoquées par les concessions qui leur avaient été imposées par la social-démocratie, Wall Street, la Cité de Londres et Berlin décidèrent de détruire la démocratie et le sentiment de bien public d’une façon originale.
Ils décrétèrent – se distinguant par là de leurs prédécesseurs bourgeois – que l’Etat-nation avait vécu, qu’il fallait construire une nouvelle superstructure non élue, au-dessus des nations, et laisser les banques et les plus grandes entreprises la diriger sans l’interférence des gouvernements élus. Dit autrement, ils décrétèrent : « mettons la main invisible du marché et du capital directement aux commandes. » Le TTIP et le CETA ne sont que des prolongements logiques de la construction européenne.
Si vous replacez l’élu par le non-élu, si vous remplacez la responsabilité devant les électeurs par la soumission au profit, vous créez une nouvelle forme de fascisme. Vous créez l’opposé de la démocratie, une formation sociale sans dèmos[2]
Dans la Grèce antique, Cratos était le dieu de la guerre, symbole de l’Etat oppresseur. Dèmos, c’étaient nous, la majorité, le peuple qui devraient être en position de contrôle.
L’UE, c’est Cratos sans dèmos. Elle se présente elle-même comme un élément de paix. Mais elle a mené une guerre sauvage contre la Yougoslavie et elle continue à torturer les économies de nombreuses parties de l’Afrique. Slobodan Milosevich, tué par l’UE qui lui a refusé une assistance médicale alors qu’il été emprisonné, a été innocenté des crimes dont il était accusé. L’UE et l’Allemagne en reconnaissant la Croatie étaient les criminels. Et plus récemment, quand l’UE a attisé les flammes fascistes sous l’extrême chauvinisme anti-russe des Ukrainiens, elle est presque parvenue à déclencher une nouvelle guerre.
Après 40 de domination par Cratos, le peuple britannique a dit qu’il s’en libérait et a réaffirmé son indépendance nationale et sa souveraineté. C’est ce que 17,5 millions de personnes ont dit lors de notre référendum.
L’ensemble de l’appareil d’Etat et tous les moyens de la classe dirigeante se sont démenés sans mesure pour nous convaincre de rester dans l’UE : le FMI, la Banque Mondiale, la City de Londres, la BBC, le gros des médias et de la presse, la Banque d’Angleterre, les principaux groupes patronaux, la majorité des grandes entreprises, le Parti conservateur, le Parti travailliste, le Parti national écossais, le Congrès des syndicats (Trade Union Congress)[3], JP Stanley, Goldman Sachs, la plupart des libéraux de « gauche ». Même le président des États-Unis est venu en Grande-Bretagne nous mettre en garde contre la catastrophe qui résulterait de notre séparation de l’UE.
Les gens n’ont pas écouté. La classe ouvrière industrielle en particulier a voté pour le Brexit. C’était le début très poli de notre lutte de libération nationale. Cela a scindé des familles et certaines communautés. Mais c’est une décision en passe d’être acceptée au niveau politique. Notre parlement a voté, avec seulement 89 voies contre, pour invoquer l’article 50[4] en janvier 2017.
C’est une décision contre laquelle l’establishment et l’élite ont lutté 24 h / 24. Je n’avais jamais encore, de toute ma vie, fait l’expérience d’une telle haine envers la classe ouvrière de la part des libéraux de gauche et la bourgeoisie. Ils ont dit que seuls des idiots racistes avaient voté pour quitter l’UE. Certains ont même prétendu que seuls les « gros lards » avaient voté pour le Brexit. D’autres ont expliqué le vote par un sentiment d’aliénation vis-à-vis du système.
La vérité est que la majorité a choisi de quitter l’UE pour regagner notre contrôle sur notre pays, pour reconstruire notre industrie, notre agriculture, notre pêche, nos services publics. Les politiciens bourgeois qui aiment tant l’UE nous avaient trahis et nous le savions. Les parlementaires s’étaient trop éloignés des gens en devenant les esclaves de bureaucrates bruxellois.
L’Etat était particulièrement actif pour étouffer et supprimer les voix progressives comme celle des syndicalistes contre l’UE. Comme nous l’avions anticipé, nous n’avons pas été invités par les principaux médias, mais nous avons eu un rôle prépondérant sur les lieux de travail, les marchés, là où se trouvent les gens.
Vue de l’extérieur, la situation en Grande-Bretagne peut sembler compliquée et contradictoire. Elle l’est ! Mais prenez en compte les éléments suivants : la bourgeoisie britannique a toujours été divisée sur l’appartenance à l’UE ; son parti principal, le Parti conservateur, a reflété cette division avec une aile acquise aux entreprises multinationales pro-UE et une aile antie-UE soutenant les entreprises dont l’activité était principalement locale. Cette situation reflète la division entre capital financier parasite et capital industriel.
Le Parti conservateur s’est encore montré digne de son statut de parti le plus « solide » de l’histoire britannique et a géré cette division en menant à la fois la campagne officielle pour le « oui » et celle pour le « non » ! C’était assez impressionnant. Mais en fait, les gens n’ont été sensibles ni à l’une ni à l’autre. Même le gouvernement a dépensé 9,4 millions de Livres – prises dans la poche du contribuable – pour imprimer et distribuer un tract dans chaque foyer ; mais cela n’a touché personne. Nous avons distribué des millions de tracts lors de nos conversations avec les travailleurs, mais souvent ils n’avaient pas besoin de tracts dans les régions ouvrières, leur décision était prise depuis déjà longtemps..
Le Parti travailliste a été dominé par de lâches supporters de l’UE pendant des années, son dirigeant actuel Jeremy Corbyn a quant à lui été opposé à l’UE pendant toute sa carrière politique. La jeune génération qui le soutient a des positions moins claires sur l’UE. Certains d’entre eux pensaient même qu’elle pouvait être réformée.
Le Parti national écossais, qui domine l’Écosse, est un parti national-chauvin qui pense de façon absurde que l’indépendance écossaise sera mieux réalisée à l’intérieur de l’UE et de l’OTAN et qu’au lieu d’être responsable devant le parlement britannique à Westminster, il est mieux d’être contrôlé par Bruxelles et le Pentagone et que l’Euro vaut mieux que la Livre. Il semble oublier que 90 % du commerce écossais se fait avec l’Angleterre !
De façon similaire, le Sinn Fein[5] qui était à une époque claire dans sa revendication d’indépendance nationale pour l’Irlande considérée comme un seul pays, pense étrangement à présent que cet objectif a plus de chance d’être atteint en perdant sa souveraineté – en tant que membre de l’UE – et en n’ayant même pas sa propre monnaie. Quelle ironie de voir une telle analyse développée et défendue à l’occasion du centenaire du soulèvement irlandais de 1916 !
Le gros de la gauche auto-proclamée en Grande-Bretagne n’est en fait constitué que d’héritiers du libéralisme bourgeois du 19e siècle. Elle est très anticommuniste, anti-classe ouvrière et chrétienne dans sa perspective. Cette partie de l’élite représentée par des gens comme Owen Jones, Ken Loach, Paul Mason, Polly Toynbee et d’autres s’est trouvée renforcée par des capitalistes européens comme Yanis Varoufakis, fils d’un grand industriel de l’acier, qui a aidé l’UE dans son œuvre en Grèce et qui pensait qu’il serait bon d’apporter ses lumières à ces braves paysans britanniques. Aucun ouvrier n’a écouté ces gens. Même les dizaines de milliers de mots déversés par un journal anti-travailleur comme le Guardian n’ont eu aucun effet. Personne ne s’est occupé de ces gens et c’est leur rage arrogante d’être ignorés qui est maintenant risible. Ils ont perdu toute crédibilité.
Par ailleurs, une bonne part de la prétendue gauche britannique a perdu de sa superbe internationaliste avec ce référendum. Soutenir les désirs du capital ne vous rend pas populaire auprès des travailleurs..
Une partie de cette pseudo-gauche a refusé de voir l’évolution de la situation en Grèce, au Portugal et en Espagne.. Elle n’a pas voulu voir que ces trois pays, qui les derniers s’étaient libérés du fascisme, étaient les principales victimes de la revanche allemande.
Il y avait aussi le UKIP. Les socialistes comme nous avaient appelé à un référendum sur, et fait campagne pour, la sortie de l’UE, de façon continue pendant deux décennies avant que UKIP apparaisse. UKIP a exploité l’aliénation du lumpenprolétariat, des commerçants et de certains millionnaires sans voix dans la bulle métropolitaine, au parlement ou à la chambre des Lords ; il a exploité la peur bien réelle des membres de la classe ouvrière. Mais il n’a aucune solution a proposer pour la Grande-Bretagne ; il a attisé le racisme en blâmant les migrants plutôt que la libre circulation du travail et le capitalisme. Il représente un curieux mouvement anti-establishment au sein même de celui-ci.
En ce qui concerne les syndicats, trois en Grande-Bretagne et un en Irlande du Nord avaient des positions claires [pour le Brexit] : le syndicat des boulangers, celui des employés du rail, celui des chauffeurs de trains et, en Irlande, celui des fonctionnaires. Parmi les 62 syndicats restants, 12 sont affiliés au Parti travailliste et ont naturellement appelé à rester dans l’UE, le reste adoptant une position neutre. En dépit d’une campagne aussi frénétique qu’inefficace menée par le Congrès des syndicats (TUC) pour nous convaincre que hors de l’UE nous perdrions nos droits, la plupart des syndiqués, comme la majorité de la population a voté pour quitter pour l’UE. Nous pouvons en être certains, car nous avons été très actifs dans cette campagne. Malheureusement, le soutien à l’UE apporté par certains syndicats et par le Congrès des syndicats, a éloigné encore plus les travailleurs du mouvement syndical et nous avons dû décupler nos efforts pour que les gens retrouvent confiance dans le syndicalisme.
Nous ne devrions pas être surpris du soutien bancal que certains syndicats ont apporté à l’UE. Les syndicats sont des organisations de défense qui des années durant en Grande-Bretagne se sont cramponnées à la perche de l’UE avec l’illusion que cette dernière était préférable à Tatcher ou Blair.
Malgré tout cela, la puissance du vote en faveur du Brexit a été reconnue, comme il a été accepté que refaire un vote ou contester celui-ci sérieusement nuirait fortement à la stabilité du pays.
Nous allons donc quitter l’UE. Cela a été une longue lutte, certains d’entre nous au Syndicalistes contre l’UE ont fait campagne pendant 40 ans.
Quitter l’UE signifie quitter le marché unique. Cela signifie que nous allons choisir notre futur en association et en paix avec le reste du monde.
La plupart des pays qui se sont déclarés indépendants de la machine néo-libérale dominée par les États-Unis ont été attaqués d’une façon ou d’une autre. Les cas iraquien, libyen et syrien représentent un extrême ; les pays plus forts comme la Chine ou la Russie constituent un autre extrême. Qui sait comment la Grande-Bretagne sera attaquée sur son chemin indépendant et opposé à la mondialisation et à la domination étrangère ?
Nous sommes prêts à affronter ces attaques, inspirés par l’exemple de Cuba et de Fidel : la liberté ou la mort !
Traduction CP pour www.initiative-communiste.fr
[1] Voir l’article du Front Syndical de Classe (http://www.frontsyndical-classe.org/article-l-europe-sociale-et-le-mouvement-syndical-107986614.html) : « Dans le cas Laval, une entreprise Lettone a remis en cause les termes d’une convention collective suédoise en embauchant des travailleurs lettons moins chers afin de travailler sur un chantier suédois.[…] Dans les deux cas, les syndicats concernés ont lancé des actions de grève afin de défendre leurs conventions et leurs conditions. Et dans les deux cas, la CJE [Cours de justice européenne] a décidé que l’article 43 (liberté d’établissement) et l’article 49 (liberté à offrir des services) du Traité CE étaient plus fondamentaux que le droit de grève. »..
[2] Dans sa première acception, le dèmos représente la totalité des membres de la communauté civique dans la cité grecque. (Wikipédia).
[3] Organisation fédératrice des syndicats britanniques.
[4] Du traité de Lisbonne.
[5] Le Sinn Fein est présent aussi bien en Irlande du Nord qu’en Eire (Irlande « du Sud »). L’Irlande du Nord ne fait pas partie de la Grande-Bretagne – Angleterre, Pays de Galles, Écosse et quelques iles – mais elle fait partie du Royaume-Uni et ses habitants ont donc voté au référendum..