Alors que l’on est désormais à moins de 70 jours du premier tour de la présidentielle, Georges Gastaud, porte-parole national du PRCF décode la situation politique actuelle, et appelle les travailleurs à l’action auprès du PRCF, dans un entretien qu’il a accordé à la rédaction d’Initiative Communiste.
Initiative Communiste : Comment le PRCF regarde-t-il les dynamiques politiques que dessine l’actuelle campagne électorale ?
Georges Gastaud : Tout d’abord, la vigilance antifasciste et antiraciste doit s’exercer en permanence. Le ressentiment que suscitent le bilan honteux de Hollande et la nauséeuse affaire Fillon ne peut que nourrir la démagogie du FN. Des millions de Français de milieu populaire (47% selon certains sondages) ne « savent pas encore pour qui voter » et nous ne sommes pas à l’abri d’une énorme surprise, y compris au 1er tour. Attention, amis et camarades, car de plus en plus la nature fascisante du projet FN s’affiche crûment comme l’annonce le glacial slogan « la France en ordre » brandi par le « rassemblement bleu marine ». D’autant que MLP tend ouvertement la main aux députés LR en les invitant, sur ce thème menaçant pour le mouvement ouvrier et pour la jeunesse populaire, à former une majorité de gouvernement. Or Fillon réagit à la concurrence FN en soutenant aveuglément « la police », alors que de vrais républicains devraient condamner sans appel les actes barbares commis contre Théo et Aminata.
Et pour cause, tous ces faux patriotes ne rêvent que de mater la CGT, que de quadriller militairement les quartiers populaires, que de « gouverner par ordonnances » pour dézinguer les libertés syndicales, couper court aux « parlotes » parlementaires, brider les quelques médias indépendants qui subsistent tant bien que mal (comme l’a fait Bolloré), museler l’internet, et j’en passe.Les progressistes qui, ici ou là, mégotent sur la candidature Mélenchon au lieu d’ouvrir les yeux sur la galopante fascisation en cours, doivent ouvrir A TEMPS les yeux sur les dérives, non seulement de certains états-majors politiques, mais d’une bonne partie de l’opinion, y compris de l’opinion ouvrière déboussolée : rien d’étonnant à cela alors que depuis près de trente années, l’appareil du PCF se fait gloire d’avoir abandonné l’idée, et plus encore, la pratique du « parti d’avant-garde » éclairant les consciences et l’action populaire sur la base du marxisme-léninisme !
D’autant que la fascisation ne concerne pas que le FN, qui en constitue la pointe émergente. Sans épiloguer sur les pratiques liberticides de Valls/Cazeneuve (1000 procès politiques en cours contre les manifestants CGT du printemps 2016, état d’urgence à perpète, tentative d’interdire des manifs inter-confédérales, 49-3 à répétitions…), il faut regarder de près le programme des « LR » : Fillon est si « thatchérien », si revanchard par rapport aux conquêtes du CNR et de la Révolution française, qu’il ne pourra jamais se déployer sans le renforcement sans précédent de l’Etat policier. Quand on enverra en taule les gosses de seize ans (puis de quatorze ans ? puis de dix, comme dans les sacro-saints « Pays anglo-saxons »…), quand un citoyen sur 100 en âge d’être incarcéré croupira en taule chez nous comme c’est déjà le cas dans la « libre » Amérique d’Obama et de Trump, qu’aurons-nous obtenu d’autre qu’un mixte détonant de dictature policière et de poudrière sociétale ?
Il faudrait aussi parler de Macron. Il est incroyable de voir tant d’intellectuels effrayés par Le Pen et Fillon se jeter aveuglément dans les bras de cet enfant gâté des banques, des médias et de l’oligarchie mondiale. Cet individu a ouvertement déclaré le cursus électoral indispensable jusqu’ici pour briguer la présidence ; comme Fillon il veut sabrer les dépenses publiques hormis celle de la police et de l’OTAN ; comme Le Pen, il cultive le slogan « ni droite ni gauche » cher aux fascistes de toutes les époques ; comme eux, il dissimule son programme de casse sociale (une loi Travail puissance 10 !) ; s’asseyant par avance sur les obligations de la fonction présidentielles, il court à Berlin s’adresser en anglais à l’élite européenne dans le cadre d’une élection française, et il prétend rassembler le peuple sur le charisme dégagé par son avantageuse personne : en quoi Macron serait-il « moins pire » que Fillon ? En quoi d’ailleurs cet ex-ministre des finances de Hollande, ex-commis de Rothschild, qui a donné des milliards d’euros publics au MEDEF, est-il plus « moral » qu’un candidat LR qui, certes, a minablement gavé ses proches d’argent public, mais en dilapidant des sommes bien plus modestes que celles du « pacte de responsabilité » cher au MEDEF ?
Attention, car à notre époque la fascisation n’emprunte plus seulement les habits usurpés de la Nation (« front national »), de la République (les « LR ») ou de la « laïcité » (Valls), elle peut prendre aussi le visage, non moins violent, d’une euro-mondialisation néolibérale cachant une énorme violence antipopulaire derrière des envolées « christiques » et des gadgets sociétaux d’apparence « libérale-libertaire » : en clair, Macron est l’homme d’un gigantesque plan d’ajustement structurel, celui qu’exige l’UE atlantique pour dissoudre définitivement la France de 1789, de 1905, de 36 et de 45 dans les « eaux glacées du calcul égoïste » dont parlait Marx !
Initiative Communiste : comment la campagne électorale française s’inscrit-elle dans les enjeux internationaux actuels ?
Georges Gastaud : Un énorme danger est sciemment occulté dans cette campagne électorale : d’Obama à Trump, la politique de guerre du bloc euro-atlantique contre la Russie ne cesse de se durcir. Des armes et des soldats américains affluent en Pologne et dans les très russophobes Etats baltes. En Ukraine les hostilités appuyées par l’UE-OTAN ont repris contre le Donbass. Or, à l’iniverse de Mélenchon, les Fillon, Macron et autre Hamon soutiennent l’OTAN. Hamon, que des plaisantins présentent comme un nouveau Jaurès, est d’accord à la fois pour un gouvernement de la zone euro (donc pour un pas supplémentaire dans la dissolution de la France dans l’Europe allemande) et pour accorder 2% du PIB français aux dépenses d’armement dans le cadre d’une « défense » européenne intégrée au sein de l’OTAN. En clair, pour remettre à Berlin et à Washington les clés de la force nucléaire française dans le cadre d’une confrontation hyper-dangereuse avec la Russie. Il est inimaginable que donc, la question de la guerre et de la paix ne soit pas plus centrale dans la campagne européenne. Savoir si Valls ou El Khomri seront ou non soutenus par Hamon aux législatives est certes une question importante, mais clamer haut et fort qu’aucun rapprochement avec un parti, le PS, qui est engagé jusqu’au cou dans la marche à la guerre continentale, est encore plus décisif pour que se développe le soutien populaire à une France franchement insoumise à l’UE/OTAN. Comment d’ailleurs sortir de l’OTAN sans sortir en même temps de l’UE, voilà une question que nous posons très fraternellement aux « Insoumis » qui sont pour négocier avec la première alors qu’ils veulent sortir d’emblée de la seconde ? Or l’UE a signé un « partenariat stratégique » avec l’OTAN, si bien qu’il serait illogique de sortir de l’une sans sortir aussitôt de l’autre ! Les dirigeants du PCF qui font campagne en sous-main pour rabattre la candidature Mélenchon vers Hamon et le PS (au nom d’une « union de la gauche » sans contenu) doivent d’autant plus être questionnés sur cette question : comment un parti qui se réclame de Jaurès et de la Colombe de la paix, à défaut de se reconnaître encore dans Lénine, peut-il chercher désespérément l’alliance avec un parti « socialiste » qui affiche fièrement sa double allégeance à l’UE et à l’OTAN ? Le PCF-PGE actuel a bel et bien tourné le dos à la campagne que mena Jacques Duclos en 1953 contre la C.E.D. pour stopper le réarmement de l’impérialisme allemand dans le cadre de l’OTAN !
Les communistes qui, pour cause de divergences électorales, refuseraient de faire campagne ensemble contre la guerre impérialiste qui vient à l’occasion de cette présidentielle hors-sol, porteraient aussi une lourde responsabilité, d’autant plus que politique de guerre et euro-austérité sont directement liées. Des crédits pour l’emploi public, la protection sociale, le logement, la santé, l’éducation, pas pour provoquer le peuple russe ! Souvenons-nous de la dette que nous avons tous, communistes, non-communistes et même anticommunistes, à l’égard du peuple russe. C’est le Général De Gaulle qui, en 1966, déclarait lors de son voyage historique à Moscou : « les Français savent que la Russie soviétique a joué le rôle principal dans leur libération ».
Initiative Communiste : Quelle appréciation le PRCF porte-t-il sur la campagne de Jean-Luc Mélenchon ?
Georges Gastaud : Le PRCF maintient sans frilosité son soutien « critique, mais dynamique et constructif » à la candidature Mélenchon. Tout en diffusant prioritairement aux entreprises son propre programme de « Frexit progressiste », de nationalisations démocratiques et de rupture révolutionnaire avec le capitalisme, le PRCF appelle les vrais communistes à s’y mettre tous ensemble et en même temps : il faut contrer les manigances conjointes du PS et de l’appareil du PCF-PGE pour « prendre en sandwich » la candidature Mélenchon, faire place nette au PS, sauver l’ « union de la gauche » en faillite, fermer l’espace euro-critique à gauche (qu’ouvre la position de J.-L. M., « l’UE, on la change ou on la quitte ! »), rejeter au second plan la question de la guerre et de l’OTAN, tout cela dans le but de sauver à la fois le PS et le Parti de la gauche européenne dont P. Laurent est le vice-président. Pour ces deux appareils vassalisés par l’UE, l’objectif est de sauver les députés sortants PCF et du PS – y compris cette majorité de députés PS qui ont tout voté : Traité de Lisbonne, Loi El Khomri, CISE et Pacte de responsabilité, contre-réforme hospitalière, contre-réforme du collège, et qui comme Hamon, persistent dans la politique néocoloniale et social-impérialiste caractérisée de Hollande-Fabius-Ayrault en Libye, en Ukraine, au Mali ou en Syrie.
En tant que marxistes, nous voyons et nous disons depuis le début les limites de la candidature Mélenchon. Quand il le faut, nous disons haut et fort nos critiques léninistes sur le « mouvementisme » de Mélenchon, sur la question de l’électronucléaire, sur la nécessité absolue de reconstruire un parti communiste de combat dans notre pays ; et nous ne cessons d’enfoncer le clou : la classe sociale décisive à laquelle il faut s’adresser, sans bien entendu sacrifier les classes moyennes, c’est la classe ouvrière : la question centrale est en effet celle du rapport capital-travail, du produire en France, de la lutte contre l’euro-austérité, des services publics, des retraites et de la Sécu ; et pour cela, il faut ouvrir sans frilosité le débat sur le Frexit progressiste et sur la défense de la paix. C’est ainsi que Mélenchon se démarquera décisivement de Hamon qui est un chantre de l’UE et de l’OTAN et qui préfère à la ré-industrialisation du pays une sorte d’assistanat généralisé que paieraient en définitive, non pas les capitalistes, mais les travailleurs déjà surexploités. Quel mépris pour la jeunesse que de lui proposer, en réalité, une situation analogue à celle de la plèbe romaine : du pain et des jeux disait-on à l’époque, « revenu de base pour tous et légalisation du cannabis », lui propose aujourd’hui le « novateur » Hamon alors que, pour prouver ce qu’ils savent faire, s’accomplir dans la Cité, devenir des acteurs de l’histoire, les jeunes aspirent dans leur masse à travailler pour changer le monde et la société : ils en ont grand besoin tous deux !
C’est sur cela que nous intervenons à la porte des usines et c’est à cela que devraient s’appliquer des militants communistes dont le rôle ne peut pas être de ruminer ad vitam aeternam sur l’absence de candidature PCF. D’abord parce que jamais dans cette campagne une candidature authentiquement communiste n’a clairement été sur la table, celle de Chassaigne n’ayant jamais eu d’autre but que, selon ses propres termes, de « faciliter le rassemblement de toute la gauche ». Ensuite parce qu’aujourd’hui, l’inaction et la rumination ne conduisent à rien d’autre qu’à faciliter par omission, non pas une candidature PCF qui n’a jamais été autre chose qu’un élément transitoire de pression sur le PG et le PS, mais une candidature PS qui torpillerait l’une des rares choses positives qui puisse sortir de cette élection biaisée : que le PS soit dépassé sur sa gauche par une force euro-critique, même inconséquente ; le pire étant qu’au final, avec l’aide de l’appareil du PCF-PGE – qu’il est de plus en plus surréaliste de prétendre « remettre sur les rails du combat de classe » – l’aile Macron et l’aile Hamon de la social-démocratie aidées par Laurent réussissent leur mission au service du capital : écraser la gauche insoumise, parachever le discrédit du mot « communiste » en classe ouvrière, préserver le primat de la social-démocratie provisoirement divisée sur le camp populaire, enterrer la problématique euro-critique à gauche… tout en abandonnant à l’extrême droite, qui le dévoie, le thème de l’indépendance nationale !
Dire tout cela ne nous rend pas une seconde irresponsable à l’égard des législatives. Dans notre lettre ouverte à JLM, nous avons proposé haut et fort que la France insoumise retire ses candidatures face aux PCF sortants. Non pas parce que, sauf quelques exceptions, comme celle du successeur de Georges Hage dans le Nord, ces députés se seraient comportés en révolutionnaires (ils ont voté comme un seul homme l’état d’urgence liberticide, qui a ensuite servi à museler notre peuple), mais parce que mettre des « insoumis » face aux sortants PCF ne peut que faire élire… le PS ou la réaction déclarée.
Pourquoi diable, et nous le répèterons jusqu’à ce que certains soient obligés de répondre, ne pourrions-nous dire tout cela ensemble et en même temps à la porte des usines ? La « concurrence libre et non faussée » entre groupes communistes doit-elle empêcher une campagne communiste commune sur un programme communiste commun ? Doit-elle empêcher d’appeler les travailleurs à mettre la pression sur cette élection bourgeoise délétère pour les appeler à engager sans retard le combat de classe pour l’emploi, les salaires et les services publics ? En 2017, alors que nous allons fêter le 100ème anniversaire de la Révolution prolétarienne d’Octobre, comment se réclamer de Lénine et ne pas s’unir dans l’action, sans s’enfermer dans le PCF socialo-dépendant, pour aller ensemble aux usines et créer la dynamique nécessaire pour reconstruire un véritable parti de classe ? Cela nous devons le faire PAR NOUS-MEMES, nous autres militants franchement communistes, sans nous défausser de notre responsabilité (et de notre attentisme !) sur les insuffisances de la « France insoumise » dont les limites de classes sont objectives. C’est au contraire si nous, les « rouges », passons devant avec notre programme, si nous intervenons ensemble sur le lieu décisif : non pas tweeter et les hologrammes (si indispensable que soit l’utilisation des technologies nouvelles), mais l’usine et l’entreprise, que nous pourrons transformer la France insoumise en France Franchement Insoumise (FFI !) à l’UE, à l’OTAN et au capitalisme ! Donc, ne pleurnichons pas sur ce qui n’est pas, agissons sur ce qui peut advenir si, tous ensemble et en même temps, nous « montons au paquet » comme on dit en Ovalie !