Loic Chaigneau, philosophe et Clément Brault, journaliste, viennent de publier un ouvrage » L’imposture présidentielle » passant au crible les programmes des différents candidats à la présidentielle. Ils ont bien voulu faire profiter en répondant aux questions de la rédaction les lecteurs d’initiative communiste de leur analyse détaillée des programmes des candidats.
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<< Le programme d’Emmanuel Macron s’inscrit dans la lignée de celui de François Hollande >>
Initiative Communiste ; Les candidats Macron et Hamon, notamment, tentent-ils par leur absence de programme de camoufler le fait qu’ils aient eux aussi contribué aux politiques d’austérité de ces cinq dernières années ?
Loïc Chaigneau / Clément Brault : Les deux ont effectivement participé à la politique menée par François Hollande. Le programme d’Emmanuel Macron s’inscrit dans la lignée de celui de François Hollande, notamment en ce qui concerne la volonté de rester dans le cadre actuel de l’Union Européenne. Il ne propose en aucun cas de rompre avec la situation de dumping social et fiscal entre les pays membres de l’U.E. Quant à Benoît Hamon, il propose une renégociation des traités de l’U.E. Il a rédigé avec Thomas Piketty un projet de traité alternatif. Mais sa volonté claire de s’en tenir à une simple renégociation rappelle effectivement la politique menée par François Hollande. En cela oui, les deux anciens ministres ne rompent pas avec ce qui s’est fait ces cinq dernières années. Il s’agit là d’une imposture, d’une non posture claire et nouvelle, puisqu’il n’y a pas de vraie rupture avec la politique menée par le Parti Socialiste.
IC : Peut-on dire qu’il y a chez les principaux candidats un camp qui va de M. Hamon à Mme Le Pen, et l’autre, plutôt du côté de M. Mélenchon, limité certes, mais qui s’oppose à la continuité de ces politiques, notamment en matière économique et sociale ?
Loïc Chaigneau / Clément Brault : Oui, c’est assez clair. De M.Hamon au Front national, on reste dans le cadre institutionnel et économique et social de ce qui se fait en France depuis trente ans. La vraie rupture que voulait apporter Benoît Hamon, à savoir le revenu universel d’existence, qui aurait pu incarner quelque chose de nouveau, n’a en fait plus grand-chose d’un revenu universel dans la mesure où le candidat a largement amendé ses propositions. Nous le montrons dans le livre de façon factuelle. MM. Macron et Fillon, quant à eux, veulent même aller plus loin encore dans la casse-sociale et la précarisation des travailleurs. Pour Marine Le Pen, sur le plan économique, il n’y a pas non plus de rupture. Prenons l’exemple de Loi Travail, que Marine Le Pen propose d’abroger. Il s’agit seulement d’un effet d’annonce, puisque, dans le même temps, elle propose de faciliter les accords au sein de l’entreprise et de la branche, et non plus au niveau national. En revanche, sur la question de l’immigration, de la désignation de l’étranger comme un bouc-émissaire, il y a là une vraie rupture. Une rupture dangereuse et inquiétante que l’on ne doit pas perdre de vue, malgré la tentative de dédiabolisation que le Front national essaie de mettre en place depuis 2012. En revanche, il semble assez clair que Jean-Luc Mélenchon veut incarner une rupture. Tant sur le plan institutionnel, avec l’instauration d’une sixième République, que sur le plan économique. Ses propositions sur le retour à la retraite à 60 ans avec quarante annuités, l’augmentation du salaire minimum, pour ne citer que ça, incarnent un renouveau. A condition de les appliquer, bien entendu
FREXIT : << l’Union Européenne l’une des questions centrales de cette campagne, ce qui est révélateur d’un moment historique qui est en train de se jouer >>
L’U.E publie chaque année des GOPE qui s’apparentent à des diktats vis-à- vis des États membres. Peut-on voir dans cette élection deux types de candidats, ceux, prêts à s’y soumettre, et ceux qui s’y opposent ?
Loïc Chaigneau / Clément Brault : En effet, le clivage entre les « europhiles », et les dits « euro-sceptiques » ou « critiques » est central dans cette élection présidentielle de 2017. Il faut songer au fait que neuf des onze candidats présents au premier tour semblent proposer une franche renégociation des traités voire de sortir a priori de l’Union européenne. C’est sans précédent.
Néanmoins, et c’est ce que nous essayons de montrer à plusieurs reprises dans le livre, là-encore l’imposture des principaux candidats en lice tient au fait que les « europhiles » se plaignent aussi de « cette Europe », il suffit de songer aux programmes de « refondation de l’Europe » souhaités par MM. Macron et Fillon. Puis de l’autre, certains euro-critiques demeurent très flous. Ce flou entretient l’ambiguïté et notamment une ambiguïté qui n’est pas sans risques entre la candidate du Front national et celui de la France insoumise. Or, si la première et ses acolytes n’ont eu de cesse de modifier leur propos au sujet de l’U.E : tantôt il est dit de renégocier, tantôt qu’ils ne souhaiteraient ni sortir de l’U.E, ni de l’euro, tantôt qu’il y aurait un référendum… De l’autre, Jean-Luc Mélenchon et les insoumis affirment une « désobéissance » des traités et prônent, seulement comme une menace très peu claires malheureusement, un « frexit » qui soit progressiste, à l’inverse d’une sortie dont on ignore sur quoi elle déboucherait comme c’est actuellement le cas au Royaume-Uni.
Ce qui reste intéressant c’est donc bien de voir que l’U.E a été l’une des questions centrales de cette campagne, ce qui nous semble révélateur d’un moment historique qui est en train de se jouer.
La Paix : << seuls deux candidats parmi les onze proposent une réelle sortie de l’OTAN : Jean-luc Mélenchon et François Asselineau >>
IC Ce clivage est-il aussi présent dans les choix que souhaitent mener ces principaux candidats, en terme de politique étrangère ? Je pense notamment à ceux qui proposent de sortir de l’OTAN et les autres.
Loïc Chaigneau / Clément Brault : La question de la politique étrangère est aussi très intéressante. En effet, là-encore on perçoit un clivage entre a priori les pro-atlantiste et ceux qui souhaitent se démarquer de la tutelle de l’OTAN en s’employant à développer une réelle politique étrangère indépendante. Dans le livre, là-encore, nous montrons bien, dans le détail, la confusion qui est entretenue à ce sujet. Dans les faits, seuls deux candidats parmi les onze proposent une réelle sortie de l’OTAN : Jean-luc Mélenchon et François Asselineau. En revanche ce n’est pas le cas de Mme Le Pen par exemple, malgré ce qu’on peut entendre. Le Front national, en effet, demande seulement une sortie du « commandement intégré », mais pas de l ‘Organisation dans son entier. Aussi, nous continuerons dans ce cas à être dépendants de la politique impérialiste et belliciste des États-Unis, dont Trump nous a récemment montré qu’elle n’était pas prête de cesser. D’un autre côté vous avez un candidat comme François Fillon qui prétend « dialoguer avec tout le monde » et notamment la Russie, mais qui souhaite dans le même temps créer une « Europe de la Défense » et poursuivre au sein de l’OTAN la politique étrangère que nous connaissons et à laquelle il a contribué en tant qu’ancien première ministre de Nicolas Sarkozy. Là-encore, l’imposture règne et le discours s’adapte seulement en fonction de l’auditoire.
Nous détaillons tout cela très précisément dans le livre.
<< MM. Macron, Fillon et Mme Le Pen, sont l’envers et le revers d’une même médaille >>
IC : On voit dans les programmes de Macron, Fillon et Le Pen une sorte de course à la restriction de libertés et de casse-sociale. N’est-ce pas le symbole d’une fascisation en marche ?
Loïc Chaigneau / Clément Brault : Il nous apparaît clairement qu’une fascisation de notre société est en cours. Du point de vue économique et social, MM. Macron, Fillon et Mme Le Pen, sont en effet l’envers et le revers d’une même médaille malgré les apparences. Il faut constater notamment, que le programme de M. Fillon est à bien des égards au moins aussi dangereux que celui du Front national et tout aussi tourner vers des querelles identitaires, ethniques et religieuses. Le rapprochement entre Les Républicains et le F.N se ressent plus que jamais après la lecture des programmes pour cette élection de 2017. D’ailleurs, il est intéressant de constater que si Marine Le Pen arrivait au pouvoir, en tenant compte des institutions de la cinquième république, il lui faudrait une majorité à l’assemblée nationale pour gouverner. Or, pour cela il faudrait sans aucun doute que le F.N face alliance avec les Républicains. Ainsi, que ce soit M. Fillon ou Mme Le Pen, le résultat serait plus ou moins le même sur le plan économique, social, et sociétal. Dans le livre, preuves à l’appui, nous montrons aussi que Marine Le Pen n’entend ni maintenir les 35 h de durée légale hebdomadaire de travail, ni conserver le système de retraite actuel, ni augmenter le Smic, ni sortir de l’U.E, ni sortir de l’OTAN…
Par ailleurs, M. Macron est l’expression d’un capitalisme qui tente de se réformer pour ne pas s’effondrer. Aussi, dans la poursuite de la loi qu’il a pu mettre en place en tant que ministre, il entend déstructurer complètement les « conquis sociaux » et le code du travail, en proposant une forme d’économie qui exclut les conquêtes de la classe ouvrière et en créant un capitalisme sans salariés et donc sans protection juridique et sociale, prêts à travailler de jour comme de nuit.
Aussi, comme bien des associations, partis, ou personnalités indépendantes, nous avons choisi d’apporter un soutien critique au candidat qui nous semble le plus à même de freiner l’extension de ces politiques, à savoir Jean-Luc Mélenchon. Ce soutien n’est pas pour autant une adhésion inconditionnelle, d’autant que M. Mélenchon reste lui aussi assez flou sur les questions européennes et lutte pour une forme de capitalisme industriel contre un capitalisme financier, par une politique de relance proprement keynésienne. Néanmoins, il a su porter le débat sur des questions économiques et sociales qui n’étaient plus soulevées depuis des années et entend aussi maintenir et élargir les acquis sociaux, contrairement aux autres candidats en tête dans les sondages.