A propos du sectarisme à esprit de géométrie variable de certains camarades
Nos camarades de la section PCF du 15e arrondissement de Paris, depuis longtemps opposés à la mutation-liquidation du PCF initiée par Robert Hue, viennent de publier un texte en forme de bilan d’étapes, après le premier tour. Leur souci premier, et nous ne saurions les contredire sur ce point, est de réussir la renaissance communiste, d’un vrai Parti communiste, qui manque tant au monde du travail. Néanmoins la stratégie proposée pour y arriver nous semble bancale et au-delà, c’est sans doute sur le contenu de ce parti à renaître que nous aurions des divergences.
Tout d’abord, les camarades du 15e annoncent en incipit que « le capital a gagné sur toute la ligne », entérinant ainsi une sorte de nihilisme électoral rétrospectif, inconscient du contexte actuel et des bons résultats de la France Insoumise. C’est penser qu’on peut se payer le luxe, en pleine fascisation du pays (le FN escompte 20 à 60 députés aux futures législatives), en plein « il n’y a pas d’autre alternative » macronien, de négliger le test, en partie réussi, qu’a représenté la candidature de M. Jean-Luc Mélenchon, soutenue par une bonne partie du monde du travail. Ce serait même mentir aux travailleurs que de leur faire croire que la renaissance des luttes sur le terrain, condition sine qua non à la reprise d’un vrai rapport de forces avec le capital, pourrait se faire sans signal positif dans les urnes. On ne peut imaginer les grèves de Mai-36 sans la victoire du Front populaire, c’est-à-dire la victoire d’une alliance « impure » avec des communistes avec la SFIO et le parti radical, ni sans doute la grève de masse de 68 sans la presque victoire contre De Gaulle de l’union de la gauche portée par le PCF (22% des voix) aux législatives de 1967.
L’anti-mélenchonisme primaire, pour compréhensible et véniel qu’il soit de la part de nos camarades, rencontre ici de graves limites quant à la cohérence interne du discours révolutionnaire. En rabattant, par exemple, de façon polémique la position de Jean-Luc Mélenchon en 2011 à propos de la Libye sur celle de N. Sarkozy, les camarades du 15e oublient :
1) que la position première de JLM à cette époque, assez typique de la sociale-démocratie en effet, avait été précisément contrée par sa propre base et notamment par les communistes
2) que ce rétropédalage l’a depuis amené jusqu’à prôner la sortie définitive de l’OTAN et que, sur la Syrie et l’Ukraine par exemple, JLM détone complètement avec les va-t-en-guerre Hollande, Macron et Hamon.
Dans un contexte de recrudescence des tensions bellicistes, il n’est pas anodin que La France Insoumise ait balayé la candidature Hamon avec notamment ce point essentiel, et a fortiori pour tout communiste, de la guerre et de la paix.
Avoir définitivement arraché au PS son masque jaurèsien n’était pas une mince affaire. Et cela, n’en déplaise aux camarades les plus « identitaires », concerne directement l’identité communiste.
Venons-en donc à cette identité. Pour nos camarades du 15e, elle se définit avant tout par l’appartenance au Parti. Polémiquant avec les jésuites et le parti fanatique espagnol, Blaise Pascal se moquait de la vérité qui devenait soudainement erreur au-delà d’une ligne arbitraire qu’étaient les Pyrénées. Ici, la ligne arbitraire est définie par la carte de membre du PCF-PGE, dirigé par M. Pierre Laurent. Au-delà du Parti, tout mélenchoniste est un chien. En-deçà, tout le monde est beau et gentil, y compris les membres de la section économique du PCF, connus pour leur eurolâtrie, à qui le texte du 15e fait ici un très voyant et très étrange appel du pied en forme de profession de foi. (« Je respecte pleinement les dirigeants du Parti qui ont défendu, face à l’alignement sur Mélenchon, un point de vue « identitaire », très différent du mien, se référant aux orientations du PCF et du PGE et les assume (sic). »)
Si l’opportunisme et le dogmatisme sont certainement les deux écueils auxquels aucun communiste ne doit céder, il est illusoire de penser qu’on peut compenser son extrême sectarisme à l’extérieur du Parti par un extrême opportunisme à l’intérieur (ou l’inverse!). Rappelons en effet que la section économique du PCF s’est démarquée DE DROITE de Mélenchon en s’en prenant violemment à son « indépendantisme français » et à sa position critique, pourtant bien insuffisante, sur l’euro et l’UE. Le fond de cette position pseudo-identitaire de la section économique marquée par des années de dérives social-démocrates et européistes (notamment, par la substitution des « nouveaux critères de gestion », par la « mixité public-privé » et par la « bonne utilisation de l’argent » à la position marxiste classique : la socialisation des moyens de production, la planification démocratique et le pouvoir de la classe travailleuse) consistait dans une défense totale, pseudo-internationaliste, de la monnaie unique et de la « construction » européenne. Bref, en un acte d’allégeance publique au Parti de la Gauche Européenne dont le chef de file est Gregor Gysi, liquidateur de la RDA, et le vice-président Pierre Laurent (qui rabat sur Macron après avoir tenté de rabattre Mélenchon sur Hamon). Belle « identité communiste » en effet !
Dans cette faible stratégie consistant à penser qu’on a toujours raison parce qu’on sauve le Parti, même sous sa forme actuelle de coquille vide, voire de parti-tampon entre PS et « insoumission », c’est sans doute la définition de l’identité communiste qui interroge. Poser comme préalable et comme objectif final la simple reconstitution à l’identique, comme si l’histoire « repassait les plats », du parti marchaisien, avec toutes ses contradictions qui ont conduit à la mutation-dénaturation, n’est pas un objectif crédible. Le parti marchaisien jouait encore son rôle de parti de masse et de classe de par la force d’inertie héritée du passé et de par son implantation dans les entreprises (qui a été liquidée depuis) et l’on voit mal comment lui redonner aujourd’hui une impulsion, un primum movens, à partir de la seule nostalgie des militants, hélas vieillissants comme tout le monde, ayant connu cette époque. Au minimum faudrait-ils qu’ils fassent la critique de tous les abandons qui furent consentis bien avant R. Hue (abandons successifs de la dictature du prolétariat, du marxisme-léninisme, de l’internationalisme prolétarien, du centralisme démocratique, de la référence au marxisme, au socialisme et à la classe ouvrière, toutes choses qui ont préparé l’avènement de Hue) Dans les faits, le Parti de l’ère Marchais était gangrené par les deux plaies que sont l’antiléninisme méthodique (depuis le XXIIe congrès) et l’eurocommunisme (c’est-à-dire le désapparentement du PCF d’avec le camp anti-impérialiste et progressiste mondial et son ralliement à la « construction européenne », dans la foulée du PC italien). C’est le léninisme qui a fondé le PCF, et lui seul peut rebâtir le communisme en France. Il implique donc la constitution d’un noyau révolutionnaire aguerri, capable de mener de façon cohérente une politique d’alliance de classes (stratégie front populaire, CNR) ou d’opposition de classes (classe contre classe si la nécessité se présente), sans rien renier de ses principes et objectifs. Et cela passe, non pas par un bloc de fait avec la direction du Parti ou telle de ses fractions (sous le prétexte formel qu’on a la même carte qu’elle, une carte d’ailleurs purgée de la faucille et du marteau et ornée du sigle PGE), mais par l’unité d’action avec les communistes qui se sont organisés à l’extérieur en attendant et en préparant la réunification des « rouges » du dedans et des rouges du dehors dans une organisation totalement séparée des réformistes socialo- et euro-dépendants de la direction. Bref, réunir les communistes et les séparer des réformistes et non pas courtiser certaines convergences superficielles avec des réformistes flamboyants et mépriser tous ceux qui se battent à l’extérieur de ce parti aussi désorienté que désorientant.
Nous invitons donc les camarades soucieux de renaissance communiste à ne pas faire de la possession de la carte du PCF-PGE un bizarre préalable, à ne pas faire reposer leur espoir de renaissance communiste sur l’illusion d’un étiolement tel du Parti qu’ils pourraient le refonder sur des cendres, mais à s’inscrire dans une dynamique qui passe nécessairement par un dialogue entre communistes et sur ce qu’est le communisme et sur ce que nous voulons. C’est urgent, car en période de fascisation, de course à la guerre mondiale et d’euro-dissolution de la France, la renaissance du véritable parti communiste devient proprement vitale pour le monde du travail.
Aymeric Monville, 27 avril 2017