Dans cette troisième partie de cet ouvrage «Les élites françaises entre 1940 et 1944», Annie Lacroix-Riz porte également à notre connaissance des documents originaux, authentiques, croisés, par lesquels est prouvé que, après avoir misé sur l’Ogre nazi, pour, à la fois, nourrir une cupidité sans bornes et pour pouvoir frapper toute la résistance sociale, à commencer par la communiste, celles et ceux qui ne mettent jamais leurs œufs dans un seul et même panier se sont tournés vers le futur maître de la France, l’État fédéral des USA, lequel l’est toujours – toujours plus ? Entre la bureaucratie, les élites, de l’État colonial européen, les USA, et celle de notre pays, il s’est donc trouvé des fanatiques du fascisme qui ont su, à temps, retourner leur veste, et d’autres qui soutenaient tous les régimes sous tutelle allemande et/ou américaine, pourvu qu’ils soient engagés sur le Front de l’Est, qui étaient donc souples à adopter, selon les circonstances, une attitude «adaptée», «rassurante», tant pour le tuteur d’outre-atlantique que pour eux-mêmes.
La collaboration entre Pétainistes, européiste et le capital US
Dans cette dernière partie du livre, ALR donne à connaître des échanges, négociations, décisions, prises par ces deux parties : les Pétainistes et l’État fédéral américain. Tel le sujet dans l’Allégorie de la Caverne, ALR vous force, spectateur par essence passif du «grand spectacle» politique et économique, à découvrir, à la lumière des faits, les véritables acteurs des projections publiques, les hommes derrière les ombres – les Hommes de l’Ombre dans la Lumière. Comme un Bottin mondain de l’époque, mais établi par une marxiste, qui ne travaille pas pour Forbes et autres Who’s who, elle réveille des fantômes dont certains n’ont jamais été envisagés dans la conscience nationale, parce qu’ils furent des hauts fonctionnaires «sans histoire», d’autant plus quand, à la Libération, personne ne leur a fait la moindre «histoire» de leurs engagements et de leurs actes. Par exemple, comment savoir qu’un ambassadeur nommé à Washington, le sieur Gaston Henry-Haye, était un «pro-hitlérien notoire», «intime de Laval, Abetz» ? ! Alors que la bataille d’Angleterre était en train d’être perdue par la Lutwaffe, «Laval se plaignit à Abetz d’une », disait-il «anglophilie croissante, même de la part des membres de son gouvernement extérieurement les plus antianglais». En fonction du vent, ces acteurs actifs orientaient leur comportement général. De son côté, pour Washington, Pétain, pour commencer, ne posait aucun problème. «(…) l’amiral Leahy, nommé ambassadeur en décembre 1940 et installé à Vichy en janvier 1941, aussi antibolchévique et germanophile que son prédécesseur, William Bullit, reçut de Roosevelt mandat d’établir », selon les termes présidentiels, «des relations aussi étroites que possibles». Dans ce monde de diplomatie, on garde le maximum de cartes et d’options. On le sait, pour Washington, toute une clique de généraux français faisaient l’affaire, et de Gaulle moins que les autres, en raison de son caractère imprévisible, indépendant, mauvais, le moins intéressé et porté aux affaires. Au fur et à mesure de l’évolution des circonstances, ils ont donc adapté leurs choix et leurs actions. Dès la fin de l’année 41 (et donc plus d’un an avant Stalingrad), ces très-bien-informés disposèrent de nombreuses informations sur la situation réelle du «front de l’Est». Dès ce moment, les prudents prirent en compte cette probabilité élevée – alors qu’un Mitterrand, arrivé à Vichy à l’été 42, se fait remettre la Francisque en avril 43, et reste à Vichy jusqu’à la fin de cette année 43, et, comme d’autres, il sert deux «maîtres», en attendant que les événements décident de l’avantage donné à l’un des deux. L’analyse et la recommandation d’un Doyen (le général) furent entendues et partagées : «Nous ne devons surtout pas perdre de vue que l’Amérique reste le grand arbitre d’aujourd’hui et de demain, et qu’il est pour nous d’un intérêt vital de ne pas nous aliéner ses sympathies». C’est certain : ils ne perdirent pas de vue…, et se virent ! Pour les milieux d’affaire, les intérêts étaient protégés, parce que placés, ici et là. La Banque Worms, pourtant au fondement de la Synarchie, à l’œuvre dans la collaboration, s’adaptait à l’évolution des rapports de force entre le Nord et le Sud de la Méditerranée et entendait se soumettre à son maître américain en Afrique du Nord, dès lors qu’il y aurait mis les pieds et pris le contrôle. «Le 5 décembre 1941, Lemaigre-Dubreuil», porte-parole de la Banque Worms, mari d’une «Lesieur», la famille des Huiles, «fournisseur de l’Armée Rommel » et qui «circulait librement dans la France et dans l’Empire», rencontrait, «à Alger», «Murphy», le représentant du gouvernement américain, pour revendiquer auprès de lui son «américanophilie de toujours, son soutien à Weygand depuis l’installation du général en Afrique (…) une anglophobie égale à sa germanophobie » et il proposa «un plan, dépendant du soutien (…) américain, d’établissement d’un gouvernement provisoire français d’Afrique indépendant de Vichy». Pour certains, manger à tous les râteliers, n’est, non seulement pas un problème, mais une nécessité – et un plaisir. » La farce Giraud amusa ceux et celles qui, connaissant les coulisses et les manœuvres, avaient le temps de se divertir et de ne pas s’inquiéter d’une bombe ou d’une balle. L’olibrius, à peine «échappé» de sa prison allemande dorée, «vint», 15 jours à peine après sa «fuite» «à Moulins» «faire allégeance à Abetz», parce qu’il «était prêt à faire une déclaration publique d’approbation de la politique de Laval». Plutôt que de garder dans les pattes un comique échappé surtout du 19ème siècle, il fut mandaté et envoyé en Afrique du Nord pour «affaiblir De Gaulle et assurer l’avenir américain des chefs de «certains services allemands».
On ne dira pas un mot sur la partie d’un chapitre, intitulé «Les perspectives de récupération de Vichy – Tout Vichy intégrable, Laval et Pucheu inclus», parce que son titre donne son importance, à la fois sur ces collaborateurs, prêts à, et sur la volonté américaine et de faire des affaires, avec des gens «responsables», et d’avoir à leurs côtés des «anticommunistes» absolus. Et c’est «à dater du 8 Novembre 1942» que «le reste des élites françaises s’occupa de son avenir américain.» Il s’agissait, tout de même, pour «la grande bourgeoisie», laquelle, après la défaite allemande à Staligrad, ne croyait «plus à la victoire» et qui « compte (…) sur l’Amérique » de «lui éviter le bolchévisme». Et pour lui éviter, on pouvait compter sur des collaborateurs zélés, habiles, remarqués parce que «remarquables», comme Bousquet, sur lequel il faut lire le passage qu’ALR lui consacre sous le titre «Bousquet, le révélateur d’une situation générale» : «En haut lieu policier, pointait l’heure des précautions, dont Bousquet constitue un révélateur par sa perfection dans «le double jeu»». On sait, mais on sait mal, comment cet homme si haut placé dans la hiérarchie des organisations criminelles du régime de Pétain a réussi à passer entre les mailles du filet de l’épuration, sauf l’évidence, que les mailles étaient très larges et laches.
Le lecteur de cet ouvrage de près de 500 pages doit s’habituer à la forêt des foules disparues, et, dans celles-ci, de quelques figures qui suscitent tout autant l’envie de vomir que le dégoût pour ces si peu «belles personnes», mais, une fois habitué à ce jeu d’ombres et de lumières, il est saisi par l’évidence qu’il s’agit là d’une sélection très partielle de cette engeance, qui a tant contribué aux malheurs et aux souffrances, à la mort même, de millions d’hommes, de femmes et d’enfants, puisqu’ils ont soutenu un régime capitaliste criminel, par sens de leur «classe». La prise en compte de l’étendue et de la profondeur de ce marigot dévoile également à quel point les «récits nationaux» sur la période et la France de ce temps sont superficiels, et c’est un euphémisme, les manuels scolaires étant eux à un niveau encore plus…