« C’est l’un des droits absolus de l’Etat de présider à la constitution de l’opinion publique » écrivait en son temps un Ministre à l’Education de peuple et à la propagande, nommé Joseph Goebbels.
En sommes-nous donc revenus là ? L’Histoire scolaire doit-elle donc être mise au service du pouvoir ? Est-ce que c’est ce que vous – Association des professeurs d’histoire-géographie – préconisez en nous envoyant ce communiqué – nommons le plutôt une injonction – dans lequel vous vous prétendez attachés à la liberté d’expression, à l’esprit critique, du côté de la démocratie, de la raison et de l’intelligence » ? Est-ce ainsi que les professeurs, dont certains n’ont plus honte de dire aujourd’hui qu’ils votent Front National, doivent pratiquer leur métier ? En se prétendant « de bons Français qui aiment avant tout leur patrie », ils pourraient appeler en classe à voter pour tel représentant(e) ? Ne sentez-vous pas là les terribles et nauséabondes effluves d’un temps qu’on aurait pu espérer rejeté pour toujours dans le passé ?
Afin que votre discours soit convaincant et indépassable, incritiquable – pensez-vous – vous l’enrobez de mots-kleenex galvaudés « démocratie, raison, liberté, égalité, tolérance »… De quelle démocratie et de quelle tolérance est-il question quand vous associez sans vergogne, comme vous le faites, « les extrêmes », mêlant ainsi, comme dans les programmes d’histoire qui nous sont imposés depuis des années faisant du communisme et du nazisme des jumeaux identitaires, la Gauche (des Insoumis) et l’extrême droite (du Front National) ?
Puis-je me permettre, à ce propos, de vous rappeler ou peut-être de vous apprendre que le terme de Front National ou Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France, fut le mouvement de la Résistance intérieure française créé par le Parti communiste français (PCF) vers mai 1941 pour irriguer les différentes composantes de la société française dans un bel esprit d’ouverture si bien que la reprise de cette dénomination par le FN est une pure usurpation ? Parlons d’ailleurs de nos intellectuels – non pas de BHL allons !!! Rappelez-vous ! C’est dès novembre 1940 que Georges Politzer, philosophe et membre suppléant du Comité central du PCF avant la guerre, a le courage inouï de mettre en place une presse clandestine L’Université Libre (la nôtre l’est-elle encore aujourd’hui : libre ?). En décembre 1940, un appel était lancé « Aux intellectuels français » à constituer des « comités de résistance » pour combattre « la grande offensive de l’obscurantisme contre la culture française ». « L’esprit critique, l’indépendance intellectuelle, écrivait Politzer, ne consistent pas à céder à la réaction, mais à NE PAS lui céder ».
Qu’en est-il aujourd’hui de la culture française ? Nos élèves ne sont plus, dans leur grande majorité, capables d’écrire un texte sans le bourrer de fautes d’orthographe dans une langue fort éloignée de celle que nous avons apprise en classe il y a 50 ans ! Nos humanités ont disparu de leur pseudo-culture. Et aujourd’hui, la seule langue reconnue comme indispensable c’est le globish… cette langue nécessaire à la recherche du plus modeste emploi. Pensez-vous réellement que, telles qu’elles sont enseignées aujourd’hui, l’Histoire et la Géographie ont encore pour objectif de donner les clés pour comprendre le monde actuel comme les programmes officiels le prétendent ? Ne voyez-vous pas qu’il s’agit plutôt désormais de faire accepter l’absence d’alternative à notre monde tel qu’il est, et tel qu’il avance ? Hors l’Union européenne, nous enjoint-on d’enseigner, point de salut ! Et ceux qui osent dire le contraire sont considérés comme des dangers pour cette République… qu’on assassine en fait chaque jour davantage…
Concrètement, cette fameuse politique éducative globale consiste à faire en sorte que l’école publique n’enseigne plus que “l’essentiel” aux masses – à savoir les “3I“ suivant le sigle italien « Internet, inglese, impresa » (« Internet, anglais, entreprise »)
Et qui nous a menés à un tel niveau de délabrement de notre culture et de notre esprit critique si ce ne sont les gouvernements précédents dont a fait partie celui que vous avez appelé de vos vœux et dont les promesses mensongères ont ruiné notre belle culture ? Nous non plus nous ne voulons pas être les valets de nos oppresseurs comme l’écrivaient les intellectuels de la Pensée Libre en 1941 ! Tout comme eux, nous voulons défendre et affirmer notre héritage national dans ses dimensions culturelles, combattre la perte d’identité de notre pays dans cette euro-dissolution imposée contre la volonté du peuple français. (référendum de 2005).
Oseriez-vous prétendre que ceux qui refusent de choisir entre la peste xénophobe et le choléra néo-thatchérien et atlantiste sont des « anti-Français » ? Oseriez-vous mettre sur le même pied ceux qui se sont battus, les armes à la main (les «extrêmes » communistes) contre l’envahisseur nazi et ses valets collaborateurs français, ces courageux résistants, comme Léon Landini, [Président de l’Amicale des Anciens FTP-MOI de la région Rhône-Alpes – Officier FTP-MOI – Grand Mutilé de guerre suite aux tortures endurées pendant son arrestation par la Gestapo et en particulier Klaus Barbie – Officier de la Légion d’Honneur – Médaillé de la Résistance – Décoré par l’Union Soviétique] qui a voté « rouge » en mettant un bulletin rouge dans l’urne ce dimanche 7 mai et ceux qui ont voté « bleu marine » ? Quelle insulte pour ce jeune vieillard de 91 ans et tous ses camarades qui continuent à se battre en œuvrant à faire baisser les voix ouvrières du FN dans ces banlieues ou le beau jeune représentant de la République et ses ainsi-dits « helpers » ne mettront plus jamais les pieds maintenant qu’ils sont en place (beurk !), avec la feuille de route de l’Union européenne et du MEDEF fixée à leur agenda.
Parce que ces gens-là ont refusé de donner leur voix à celui qui veut ubériser la société et contre lequel ils ont battu le pavé durant des mois l’an passé, ils deviendraient des antirépublicains, des gens sans raison, sans intelligence (qualités dont vous vous targuez en toute modestie !!!). De quel côté sont l’intelligence et l’amour de l’égalité quand on sait que le nouveau président de la République souhaite aller plus loin que la Loi travail en matière de flexibilité, via notamment un allègement considérable du Code du travail et qu’il compte mettre en œuvre sa réforme dès cet été, par ordonnances afin d’éviter les débordements de la rue (re-beurk !) et les « discutailleries » du parlement fraichement élu, avec engagement pris par chaque député « REM » de soutenir les réformes présidentielles (ah la belle séparation des pouvoirs que voilà en vérité!) ?
Depuis des années nombre de professeurs d’histoire-géographie, matraqués de ces sempiternels discours creux et pseudo-empathiques (novlangue), connaissent un tel bourrage de crâne, non seulement médiatique mais culturel, qu’ils n’arrivent plus à démêler le vrai du faux et qu’ils veulent, tout comme vous, rester au creux de la rivière, au risque de périr noyés, croyant ainsi éviter les « extrêmes » : il est de si bon ton d’être « politiquement correct ».
L’assimilation nazisme/communisme est tellement entrée dans les esprits ces trente dernières années qu’elle a permis d’idéaliser “les démocraties”, occultant ainsi à la fois leur contenu de classe capitaliste de plus en plus assumé et leurs responsabilités dans la montée du fascisme – mot qui a par ailleurs disparu du vocabulaire de nos manuels au profit du confusionnel « totalitarisme » qui permet de renvoyer dos à dos les constructeurs du camp d’Auschwitz (les nazis) et ses libérateurs (les Soviétiques)… Ainsi aujourd’hui, nos gouvernants, « intelligents, raisonnables, démocratiques, épris des valeurs de liberté, d’égalité, de tolérance » n’ont-ils donc, comme leurs prédécesseurs des années trente, aucune responsabilité dans la montée du Front National ?
Dans un tel climat d’anticommunisme et d’antisoviétisme à retardement, une politique antisociale comme celle qui est menée depuis maintenant des années ne peut que conduire à son renforcement : il est trop tard pour crier au loup quand il est dans la bergerie ! voilà qui vous rappelle quelqu’un je présume ? A force de nier toute démocratie sociale, alors même que leur bouche dégouline de ce même mot « démocratie », ces « bons Républicains » ont hissé à des sommets le parti d’extrême droite, qui, comme ses ancêtres, sait promettre tout et son contraire et profiter de la faiblesse de la pensée devenue unique pour contaminer le monde du travail massivement menacé de déclassement social.
Ces représentants de la Nation ont oublié qu’ils n’en sont que les représentants justement et non les maîtres ! Est-il vraiment démocratique de donner la « parole » périodiquement, après un bon matraquage médiatique, au moment d’élections, puis ensuite, de renvoyer les citoyens à une non-existence, puis de faire ce que bon leur semble pendant ces intervalles, sans aucun compte à rendre, si ce n’est à la commission européenne et aux usuriers des marchés financiers ?? De quels moyens les citoyens disposent-ils lorsque ces représentants élus les trompent ou ne tiennent pas leurs engagements ? Aucun. Une seule Constitution avait prévu ce manquement aux devoirs de nos représentants, celle de 1793 – élaborée en grande partie par Robespierre (le terroriste tyran sanguinaire ? Voilà un bon titre pour un nouveau documentaire d’M6 dans le style « Staline, le tyran rouge », non ?) – et qui n’apparaît JAMAIS dans nos programmes – et pour cause puisqu’elle déclare dans l’article 35 :
– Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.
Songeons au sort de nos représentants pour peu qu’existe un système similaire à celui de 1793…
Assimiler ceux qui se sont battus pour plus d’égalité sociale, qu’ils soient Montagnards de la Convention nationale, défenseurs de la Commune de Paris ou Résistants des bataillons des FTP-MOI (Francs-Tireurs et Partisans de la main d’œuvre immigrée – morts pour la France- bataillons nommés Marat, Carmagnole, Liberté) à ceux qui n’ont de cesse de s’enrichir et de jeter à bas les acquis de nos ancêtres est tout simplement ignoble et qu’on soit aujourd’hui résistant ou pas, historien ou pas, c’est faire injure à tous ceux qui ne partagent pas VOS convictions que de vouloir les leur imposer en les traitant de gens sans raison ni intelligence ! Sans doute sont-ils tout simplement, comme l’écrivait le poète René Char, « des gens clairvoyants ».
Le but fondamental de l’engagement résistant d’hier et d’aujourd’hui est le même que celui défini par le programme du Conseil National de la Résistance intitulé Les jours heureux : la création d’un monde meilleur. D’un monde où les mots liberté, égalité, fraternité, solidarité et respect de la laïcité (tout autre chose que consensus et euro-formatage anticommuniste et contre-révolutionnaire) ne seraient plus de vains mots inscrits sur les frontons des bâtiments publics entre deux drapeaux européens aux couleurs du manteau marial.
En espérant contre toute espérance, les résistants, restent convaincus que les hommes et les femmes de notre pays pourront bénéficier d’une vie, telle que l’avait définie le Général de Gaulle lorsqu’il déclara qu’il fallait : « Que les biens de la France profitent à tous les français, que sur ces terres, pourvues de tout ce qu’il faut pour procurer à chacun de ses fils un niveau de vie digne et sûr. Il ne doit plus se trouver un homme ni une femme de bonne volonté qui ne soit assuré de vivre et de travailler dans des conditions honorables de salaire, d’alimentation, d’habitation, de loisirs, d’hygiène, qui ne puisse faire instruire ses enfants ». Et ce n’est pas ce que nous propose celui pour lequel vous nous avez appelés à porter nos voix !
Gilda Guibert,
Gilda est la fille de Léon Landini, résistant FTP MOI
auteur de Le Fil Rouge
La lettre de l’APHG pour le second tour des présidentielles
Paris, le 3 mai 2017.
L’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie (APHG), attachée au pluralisme, n’a pas vocation à prendre position dans une élection présidentielle en soutenant le projet de tel ou tel candidat. Pour autant, parce que l’Ecole n’est pas dissociable de la société et de ses débats, et parce que les professeurs qui la servent ne peuvent en ignorer les enjeux ni éviter d’en subir les effets, notre association ne peut rester silencieuse au lendemain du premier tour du scrutin qui a vu la qualification de la candidate présentée par le Front national.
Depuis toujours du côté de la démocratie, de la raison et de l’intelligence, l’APHG affirme avec vigueur, au nom des valeurs républicaines, son refus des extrêmes et invite chacune et chacun à prendre toute la mesure des conséquences qu’aurait pour la Nation la victoire de la démagogie, du repli et de l’intolérance.
Très attachée à la liberté d’expression, à l’esprit critique, elle rappelle aujourd’hui et pour demain l’importance de nos disciplines, l’Histoire et la Géographie, pour enseigner les valeurs émancipatrices de liberté, d’égalité, de tolérance, ainsi que le rôle des femmes et la laïcité.
Le Président Franck Collard et le Bureau national de l’APHG.