Les résultats des législatives sont riches d’enseignements, au delà de la propagande médiatique en marche pour le parti de l’UE et du Medef. C’est ce que démontre une analyse d’Aurélien Bernier prenant du recul sur l’évolution des résultats de la gauche de gauche aux premiers tours des législatives depuis 1974. Georges Gastaud souligne lui aussi les leçons politiques de ce scrutin, dans une analyse convergeant avec celle de Aurélien Bernier pour mettre en évidence les potentialités de la situation actuelle, les progrès accomplis et les défis à relever, au premier rang desquels celui de l’indispensable renaissance communiste.
A propos d’un article d’Aurélien Bernier sur les leçons du 11 juin, un commentaire de Georges Gastaud, le 13-06-2017
De l’excellent article d’A. Bernier que reproduit « IC » ci-dessous, deux leçons principales se dégagent.
D’une part , la gauche radicale tend peu à peu à contrebalancer, voire à dépasser le FN, surtout lors de la présidentielle. Tendance très positive, principalement liée à la percée de la F.I., et qui ne demande qu’à être accentuée : car le FN en crise latente va sans doute payer son grand écart entre son souverainisme de parade (la « sortie concertée de l’euro ») et l’attachement irrépressible de toute la grande bourgeoisie française, élites frontistes inclues, à la « construction » européenne : comment les Marion Le Pen, Ménard, Collard et Cie quitteraient-ils de bon gré cette belle Europe blanche, atlantique, germano-centrée, qui garantit les classes privilégiées contre d’éventuelles menées révolutionnaires (inévitables à terme !) des classes populaires de France ?
D’autre part, l’impuissance actuelle de la « gauche radicale » à capitaliser l’acquis présidentiel aux législatives, donc à s’inscrire durablement dans le paysage institutionnel. Cette impuissance est très justement associée par A. Bernier au refus par la direction de la F.I. (et au refus au carré du PCF, plus « euro-béat » que tout le monde !) d’engager clairement une politique de Frexit progressiste confrontant le monde du travail à l’UE atlantique. On l’a vu à l’approche du 1er tour de la présidentielle quand JLM, voulant avant tout rassurer l’électorat boboïsant de Hamon, a « baissé la barre » sur l’UE au risque de brouiller son message patriotico-contestataire en direction des travailleurs (rappelons que 79% des ouvriers ont voté non à l’euro-constitution). Ce fut là un premier choix de classe qui indique quels sont les rapports de forces actuels à la tête de la FI (dommage, soit dit en passant, que les vrais communistes n’aient pas été plus présents et plus pressants ensemble dans le soutien critique à JLM pour peser sur le contenu euro-critique de la campagne et contrebalancer les pressions euro-boboïsantes de la social-démocratie sur Mélenchon…).
Comme par ailleurs, l’étude d’A. Bernier fait apparaître la décrépitude vertigineuse du PCF (elle est idéologique et politique avant d’être électorale : il n’est que de voir les efforts de Hue pour faire voter Macron au 1er tour et du nouveau Hue, P. Laurent, pour rabattre sur Macron au second tour sous prétexte de « barrage antifasciste » (alors que Macron veut inscrire la France dans l’état d’urgence permanent !), les conclusions politiques s’imposent à tout communiste, à tout militant ouvrier et à tout progressiste de bonne foi :
IL FAUT QUE RENAISSE EN FRANCE UN VRAI PARTI COMMUNISTE, centré sur la CLASSE OUVRIERE et les couches populaires, proposant clairement le Frexit progressiste et le socialisme, agissant pour un large front antifasciste, patriotique et progressiste, revendiquant de larges nationalisations démocratiques. Sans cela, il sera difficile de transformer le brillant essai de la France insoumise pour aller, en lien étroit avec le syndicalisme de classe, vers une France Franchement Insoumise (FFI) au grand capital et à l’ensemble de ses institutions nationales (la 5ème république en voie de putréfaction fascisante) et supranationales : euro, UE, OTAN, OMC, TAFTA, FMI, tout-anglais devenant la langue mondiale imposée, etc.
Sans cela, les alliances patriotico-progressistes pencheront encore et encore vers la droite, vers la petite bourgeoisie intellectuelle qui NE VEUT PAS couper avec l’UE, l’euro et le capitalisme, et qui domine « spontanément » dans toute alliance populaire où les communistes, donc la classe ouvrière, ne pèsent pas de façon organisée.
Alors que le PCF-PGE en faillite vogue vers d’ultimes reniements et que la FI cherche visiblement un nouveau souffle, la balle est dans le camp des vrais communistes, y compris de ceux qui sont encore dans le PCF : nul ne reconstruira le PARTI à notre place, et sans le PARTI, les classes populaires ne peuvent pas jouer leur rôle historique : DIRIGER et FAIRE GAGNER la résistance populaire.
Quelles que soient les péripéties internes qui attendent le PCF, ses congrès « refondateurs » à répétition et ses dirigeants mutants parvenus au bout de leurs « novations » bidon, c’est maintenant qu’il faut penser à reconstruire ensemble le PARTI sur des bases franchement communistes, donc marxistes-léninistes et prolétariennes au sens large, en tenant ferme sur le grand legs révolutionnaire et rassembleur à la fois du Parti de la Résistance et du Front populaire.
Ajoutons pour finir que face à Macron, dont la mission historique est de mener à bien l’euro-dissolution finale de la France et des acquis du CNR, il y a URGENCE.
L’étude d’Aurélien Bernier. Législatives : les résultats cachés du 11 juin 2017
Aurélien Bernier est essayiste. Il a publié publié plusieurs ouvrages dont La gauche radicale et ses tabous : pourquoi le Front de gauche échoue face au Front national (Seuil, 2014) et plus récemment La démondialisation ou le chaos (Utopia, octobre 2016).
Les commentaires sur le premier tour des élections législatives du 11 juin se concentrent souvent sur les éléments les plus visibles du scrutin, à savoir le taux historique de l’abstention et la large victoire de la République en Marche du président Emmanuel Macron. Mais la comparaison historique nous livre d’autres enseignements, moins spectaculaires mais bien plus importants pour la suite.
L’évolution des rapports de forces électoraux aux législatives depuis 1974
Fin 2013, je réalisais pour mon livre La gauche radicale et ses tabous, paru en janvier 2014, le tableau ci-dessous, qui s’arrêtait évidemment aux scrutins de 2012. Je le reproduis ici, complété des résultats les plus récents.
L’expression des données en pourcentage des inscrits permet de comparer les évolutions du rapport de force entre la gauche radicale et le Front national et, au sein de la gauche radicale, de comparer le poids de chaque tendance.
Que disent ces chiffres ?
Premièrement, on observe depuis 2002 un phénomène très net de perte de voix entre la présidentielle et l’élection législative suivante, tant pour la gauche radicale que pour le Front national. En 2002, la gauche radicale passait de 9,55 % des inscrits en avril à 4,82 % en juin. En 2012, elle passait de 9,99 % à 4,44 %. En 2017, la chute se confirme, de 16,15 % à 6,91 %. Mais le Front national suit le même chemin : de 13,28 % à 7,69 % en 2002, de 13,95 % à 7,66 % en 2012, de 16,14 % à 6,43 % en 2017. Les mouvements « antisystème » percent à la présidentielle avant de reculer à l’élection législative, ne parvenant pas à mobiliser leur électorat, qui se replie en partie dans l’abstention.
Deuxièmement, le rapport de force entre le Front national et la gauche radicale s’est rééquilibré en 2017. Alors qu’il était d’environ 60/40 en 2012 et qu’il avait même bondi à 75/25 en 2014 pour l’élection européenne, il s’est établi à 50/50 en 2017, avec même une légère avance pour la gauche radicale. Ce résultat est suffisamment nouveau pour être souligné, car depuis 1988, le Front national dominait systématiquement la gauche radicale aux élections présidentielles et la plupart du temps également aux élections législatives.
Troisièmement, au sein de la gauche radicale, la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon rassemble 92 % des voix à la présidentielle d’avril 2017 et 76 % aux législatives de juin. Les trotskistes sont très faibles à cette présidentielle (1,32 % des inscrits) et totalement marginalisés aux législatives (0,37 %). Quant au Parti communiste français, il réalise le 11 juin le pire score de toute son histoire : 1,29 % des inscrits. C’est moins qu’en juin 2007 (2,54 % des inscrits) et encore en dessous du résultat de Marie-George Buffet à la présidentielle deux mois plus tôt (1,59 % des inscrits). Pourtant, c’est cette multiplication des candidatures qui permet au Front national de terminer second de l’élection d’avril et troisième de celle de juin, alors que son nombre de voix est dans les deux cas inférieur à celui réuni par la gauche radicale.
Ces éléments, nous devrons les garder à l’esprit lors des futures discussions sur l’avenir de la gauche radicale, qui ne pourront pas se limiter à enfoncer des portes ouvertes. Oui, il y a bien eu une offensive médiatique quasi-militaire pour soutenir et faire gagner Emmanuel Macron. Oui, les législatives de juin 2017 montrent à quel point les partis dominants et, plus globalement la classe politique, sont délégitimés. Et oui, la meilleure nouvelle de la séquence de 2017 est que le Front national n’est plus la principale force politique « antisystème ».
Mais nous devons aussi avoir conscience que le bon résultat de la France insoumise résulte quasi- exclusivement d’un transfert de voix du Parti socialiste vers elle. Le pari de mobiliser les abstentionnistes n’a pas été réussi. La tâche est évidemment très difficile, il n’y a aucune recette miracle pour y parvenir, mais une chose est certaine : le grand écart ne fonctionne pas. On ne peut pas à la fois rassurer des classes moyennes craignant les conséquences d’une rupture avec le système économique et redonner espoir à des classes populaires massacrées par la mondialisation. Pour la gauche radicale, le débat à tenir d’urgence ne porte pas sur la structuration d’un nouveau parti ou sur des questions d’alliances. Il est programmatique. Il est de choisir entre un programme de régulation néo-keynésienne qui rassure les classes moyennes et un véritable programme de démondialisation qui parlerait aux classes populaires. Un choix, d’ailleurs, que le Front national n’a pas lui non plus réussi à faire.
Aurélien Bernier 12 juin 2017