Alors que cela fait 5 ans que Assange est enfermé dans l’ambassade de l’Equateur à Londres – réfugié politique sous la menace d’une arrestation par le régime britannique prets à livrer le journaliste qui est l’un des principaux responsable de wikileaks – l’ONU a jugé que le gouvernement britanique viole les droits de l’Homme en « détenu arbitrairement ». La Suède, qui était la cheville ouvrière d’un dossier d’accusation manifestement vide, vient elle de retirer son acte d’accusation contre le journaliste. Mais les menaces sont toujours importantes : et pour cause, ce qui menace Assange, cela n’a jamais été un procès à Stockolm, mais bel et bien la machine de répression américaine.
La Suède retire son mandat d’arrêt contre Julian Assange, mais il est toujours confronté à un sérieux danger juridique. Par Glenn Greenwald
Les procureurs suédois ont annoncé ce matin qu’ils avaient clôturé leur enquête commencée il y a 7 ans sur Julian Assange pour crimes sexuels, et retiré leur mandat d’arrêt du 20 août 2010 contre lui. La procureure générale Marianne Ny, a déclaré durant une conférence de presse ce matin (voir photo ci-dessous), que les enquêteurs ne sont arrivés à aucune conclusion sur sa culpabilité ou son innocence, mais que, néanmoins, ils retiraient l’accusation car « toutes les perspectives de poursuite de cette enquête dans les circonstances actuelles sont épuisées » et que donc « il n’est plus approprié de garder un mandat d’arrêt contre Julian Assange en son absence ».
Il y a presque 5 ans – en juin 2012 – la Cour suprême du Royaume Uni rejetait le dernier recours légal d’Assange contre son extradition vers la Suède. Quelques jours après, Assange entrait dans l’ambassade d’Équateur à Londres, et deux semaines plus tard, il recevait officiellement l’asile du gouvernement équatorien. Il est resté dans cette petite ambassade depuis lors, sous la menace d’une arrestation immédiate par la police britannique s’il essayait de sortir. Pendant des années, la police britannique a dépensé des sommes énormes pour maintenir autour de l’ambassade une surveillance 24/24, et bien qu’elle ait réduit sa présence en 2015, elle continuait à faire clairement comprendre qu’il serait arrêté sur le champ s’il essayait de sortir.
En février de l’année dernière, un groupe de représentants des Droits de l’Homme des Nations Unies a officiellement conclu que le gouvernement britannique violait les droits d’Assange en le « détenant arbitrairement », et a appelé à sa libération. Mais le gouvernement du Royaume-Uni a immédiatement rejeté les conclusions des Nations Unies et a fait vœu de les ignorer.
La justification de l’Équateur pour garantir le droit d’asile à Assange a souvent été ignorée. Les responsables équatoriens, de même que les soutiens d’Assange, ont toujours insisté sur leur désir de voir aboutir l’enquête suédoise, et promettaient qu’Assange prendrait le premier avion pour Stockholm si la Suède lui donnait l’assurance de ne pas l’extrader aux États-Unis pour répondre aux accusations liées à la publication de documents par Wikileaks. C’est le refus de la Suède de donner de telles garanties – et la peur des Équatoriens qu’Assange finisse par être poursuivi par les États-Unis – qui a été la base de l’octroi du droit d’asile.
Après avoir refusé pendant des années les propositions d’Assange de l’interroger à l’intérieur de l’ambassade, les procureurs suédois ont finalement accepté en novembre dernier. Mais les derniers espoirs de la Suède de faire avancer l’affaire, semblent s’être évaporés le mois dernier, quand le candidat du parti au pouvoir en Équateur, Lenin Moreno, a gagné avec une courte avance sur son opposant de droite, qui avait juré de supprimer le droit d’asile d’Assange.
Avec le nouveau président, qui a indiqué que le droit d’asile d’Assange serait prolongé indéfiniment, il ne restait virtuellement plus rien à faire pour les procureurs. En entendant la nouvelle, Assange, sur son compte Tweeter ce matin, a posté une photo de lui souriant.
Mais cette célébration cache des aspects ironiques. Le plus évident est que le danger juridique qui pèse sur Assange est probablement plus grand que jamais.
Presque immédiatement après la décision des procureurs suédois, la police britannique a annoncé qu’elle arrêterait néanmoins Assange, s’il essayait de quitter l’ambassade. La police a déclaré que Assange était toujours recherché pour « ne pas s’être livré » – c’est-à-dire pour ne pas avoir fourni des éclaircissements après le mandat d’arrêt de 2012, et avoir à la place trouvé refuge à l’ambassade d’Équateur. La police britannique a pris note cependant que ce délit présumé était « bien moins sérieux » que le crime ayant motivé le mandat d’arrêt originel, et que donc, la police ne « consacrera qu’un niveau de ressources proportionné à cette infraction ».
Une présence fortement réduite de la police pourrait éventuellement impliquer qu’Assange aurait la possibilité de quitter l’ambassade sans être détecté ni arrêté. Tous les indices contredisent toutefois cette hypothèse.
Il y a seulement quelques semaines, le directeur de la CIA de Trump, Mike Pompeo, a prononcé un discours violent et menaçant à l’encontre de Wikileaks, avançant que « nous devons reconnaître que nous ne pouvons pas plus longtemps permettre à Assange et à ses collègues la possibilité d’utiliser les valeurs de la liberté d’expression contre nous ». Le directeur de la CIA a promis de mettre sa menace à exécution : « Leur laisser l’espace pour nous briser avec des secrets malhonnêtement divulgués est une perversion de la finalité de notre grande Constitution. Cela suffit à présent. »
Quelques jours plus tard, le procureur général Jeff Sessions a fortement suggéré que le Département de la Justice poursuive Assange et Wikileaks pour espionnage, en lien avec la publication par le groupe de documents confidentiels. Les fonctionnaires de Trump ont alors commencé à lâcher à des chaînes d’informations comme CNN que « les autorités américaines préparaient des accusations aux fins d’arrêter le fondateur de Wikileaks Julian Assange. »
Pendant des années, le Département de Justice d’Obama a étudié dans tous les sens la possibilité de poursuivre Wikileaks et Assange, et même de convoquer un grand jury qui citerait de nombreux témoins. Alors que le Département de la Justice d’Obama a refusé de dire s’ils avaient clôturé l’enquête – ce qui fait que l’Équateur a continué à avoir peur de poursuites – les fonctionnaires d’Obama ont fermement indiqué qu’il n’y avait pas moyen de poursuivre Wikileaks sans poursuivre également les organes d’information qui ont publié les mêmes documents, ou au moins sans créer un précédent qui mettrait en danger le Premier amendement sur la liberté de la presse. Comme le rapportait le Washington Post en 2013 :
D’après des fonctionnaires américains, le Département de la Justice a quasiment conclu qu’il ne porterait pas d’accusations contre le fondateur de Wikileaks Julian Assange pour la publication de documents classifiés, en raison de l’avis des légistes du gouvernement qu’il ne pourrait pas le faire sans poursuivre aussi les organes d’informations et les journalistes américains.
Le même article notait que « les fonctionnaires insistent sur le fait qu’aucune décision officielle n’a été prise, et qu’un grand jury enquêtant sur Wikileaks n’est toujours pas constitué ». Il semble que sous Obama, la poursuite en justice était hautement improbable. En fait, le mois dernier, en réponse à ma dénonciation de la menace de Pompeo et le danger qu’elle faisait courir à la liberté de la presse, l’ancien porte-parole du Département de la justice d’Obama, Matthew Miller, a tweeté ceci :
@ggreenwald c’est vide aussi. Le département de la Justice sait qu’il ne peut pas gagner un procès contre quelqu’un qui a juste publié des secrets
— Matthew Miller (@matthewamiller) April 13, 2017
Mais l’administration Trump – si du moins quelqu’un croit en ses nombreuses menaces et déclarations – ne semble pas entravée par ces problèmes. Elle apparaît déterminée à poursuivre Wikileaks, qui a publié cette année un grand nombre de documents secrets piratés de la CIA .
Les groupes pour la liberté de la presse, de même que les ACLU et certains journalistes, tels que Margaret Sullivan, du Washington Post, ont averti sur les graves dangers que de telles poursuites poseraient aux médias à travers le monde. Mais cela semble un obstacle peu convaincant pour une administration qui a fait comprendre qu’elle considérait la Presse comme une ennemie.
Poursuivre Wikileaks créerait un dangereux précédent que l’administration de Trump utiliserait sûrement pour cibler les entreprises de presse. https://t.co/mlih1bcyR1
— ACLU National (@ACLU) April 21, 2017
En effet, Sessions lui-même a refusé d’exclure la possibilité que la poursuite d’Assange puisse conduire à la poursuite pénale d’autres organes d’information qui publient des documents confidentiels.Le principal candidat deTrump pour remplacer James Comey au poste de directeur du FBI, Joe Lieberman, appelle depuis longtemps à la poursuite non seulement de WikiLeaks, mais aussi des médias tels que le New York Times, qui publient les mêmes informations confidentielles. Et des sources anonymes ont récemment affirmé au New York Times que lorsque Trump a rencontré Comey au début de son mandat, le nouveau président des États-Unis a expressément posé des questions sur la possibilité de poursuivre les organes de presse.
La fin des poursuites suédoises est, en un sens, une bonne nouvelle pour Assange. Mais il est douteux que cela change sa capacité à sortir de l’ambassade dans un avenir proche. Au contraire, étant donné l’apparente détermination de l’administration Trump à le mettre dans une cellule de prison aux États-Unis pour le « crime » d’avoir publié des documents, sa liberté semble plus lointaine encore qu’en 2010, au moment où l’affaire suédoise a commencé.
Photo du haut : Julian Assange à l’ambassade d’Équateur à Londres le 2 mai 2016.
Source : Glenn Greenwald, The Intercept, 19-05-2017
traduction les-crises.fr