Alors que les créanciers d’Athènes sont parvenus à un compromis pour débloquer un nouveau « plan d’aide » tout en temporisant une fois encore sur la question de l’allègement de la dette, un autre débat de fond agite Bruxelles loin des caméras : faut-il distribuer des bons d’alimentation ou bien de la nourriture pour gérer la pauvreté grandissante en Grèce (et ailleurs) ?
Comme le rapporte EurActiv, plusieurs États membres ont demandé à la Commission européenne l’autorisation de donner des bons d’achat aux pauvres, solution jugée moins coûteuse et plus digne que la distribution de nourriture et de vêtements. Une requête exprimée depuis 2014, notamment par la Grèce et la Roumanie.
Le Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD) est un programme de l’UE créé en 2014 censé assister les États membres dans le secours matériel aux perdants de la mondialisation et des politiques d’austérité (ce n’est pas ainsi que Bruxelles les considère…). En principe, les capitales sont libres de choisir les modalités de l’aide. Mais la Commission européenne s’oppose à la distribution de bons d’achat, arguant que ceux-ci s’apparentent à des « moyens financiers », alors que, selon ses statuts actuels, le FEAD ne doit fournir que des aides en nature.
L’exécutif affirme que les « bons ne peuvent être considérés, ni en substance ni en termes fiscaux, comme de l’aide non financière ». EurActiv, qui s’est procuré la réponse que la Commission a envoyée aux États membres concernés, en conclut : « Les autorités nationales doivent donc continuer à acheter les denrées et biens elles-mêmes, et à les distribuer à leurs partenaires, ou à financer directement des organisations ad hoc pour qu’elles accomplissent elles-mêmes les achats. »
La Commission européenne est décidément inénarrable. Non seulement elle impose les mesures d’austérité qui sont directement responsables de l’augmentation de la pauvreté, mais elle se permet en plus de contester la façon dont les États membres organisent la distribution des produits de première nécessité. L’exécutif a une priorité indéniablement noble : faire respecter à la lettre les statuts du FEAD, un programme de l’UE dont le budget provient exclusivement… des États membres (il n’y a pas à proprement parler d’ « argent européen »).
La Grèce et la Roumanie assurent de leur côté que le recours aux bons est à la fois plus efficace et économique. Elles mettent aussi en avant la dignité, qui serait davantage préservée avec ce système. On peut postuler qu’Athènes, qui compte près de 20 000 personnes enregistrées comme « bénéficiaires » de programmes d’aide, pense aussi à son importante activité touristique et ne souhaite pas que les files de nécessiteux soient exposées à la vue des vacanciers (les distributions ont lieu tous les mois dans quinze lieux de la capitale).
La municipalité d’Athènes a adressé une lettre à la Commission dans laquelle elle affirme que les coûts opérationnels et la logistique lourde l’ont contrainte à ne distribuer que des denrées déjà emballées, alors que le FEAD est censé fournir des produits frais. Si la ville a plaidé en faveur des bons d’achat, c’est aussi parce que ces derniers avantageraient les supermarchés locaux, ce qui profiterait à l’économie et à l’emploi dans la capitale grecque.
Aucune des parties n’a l’indécence de s’interroger sur les causes de cette pauvreté proliférante, chacune étant absorbée par des considérations techniques sur la gestion courante de l’indigence. Débattre de l’administration de la misère plutôt que de son éradication… Le postmodernisme bruxellois se porte bien.