Se faisant les porte-parole d’une profession en première ligne pour constater ce qui est la réalité de la situation des travailleurs dans l’entreprise, un collectif d’inspecteurs du Travail de Loire Atlantique – retraités et donc libres de parole, viennent d’écrire une lettre ouverte à la présidente du parti présidentiel. Ils dénoncent l’atteinte aux droits fondamentaux des travailleurs qui est la réalité du contenu des ordonnances Macron visant – en applications des ordres de l’UE et du MEDEF, à supprimer rien moins que des pans entiers du Code du Travail, et ainsi effacer des droits fondamentaux des travailleurs, résultats de décennies de luttes des classes, de 1936 à 1968. Oui, avec Macron, la régression sociale est en Marche. À moins que les travailleurs ne se mobilisent pour stopper la destruction de leurs droits.
Michel Audoin, Pierre Daumas, Paul Debat
Bernard Grassi, Alain Leduc, Joël Tessier,
Annie Touranchet
C/ Bernard Grassi 10 rue Baptiste Marcet
44230 Saint Sébastien sur Loire
Tel 0681318383
à
Mme Catherine Barbaroux
Présidente de La « République en marche »
BP 80049
94801 Villejuif
Madame la Présidente,
Le nouveau Président de la République a fait connaître son intention de modifier certaines dispositions du code du travail. La motivation avancée de cette réforme est de donner plus de liberté aux entreprises pour favoriser l’emploi.
Nous sommes un groupe d’anciens inspecteurs du travail de Loire Atlantique. Forts de notre expérience de l’application du droit du travail et de notre connaissance des relations du travail, des entreprises et du monde du travail nous voulons vous faire connaître nos sentiments sur ce projet.
Sans nous attarder sur le fait que toutes les expériences politiques antérieures conduites dans ce domaine, expériences que nous avons personnellement vécues et mises en œuvre, n’ont eu strictement aucun effet sur l’emploi, il serait grave que le code du travail ne soit vu que comme une variable d’ajustement pour des effets escomptés aussi hautement aléatoires
Nous voulons vous rappeler que derrière les dispositions du code du travail que l’on veut modifier il y a des outils de protection de la dignité du travailleur et par voie de conséquence de la protection de sa santé, qui méritent attention.
Sur les dispositions relatives à la négociation collective, votre projet du primat de la négociation d’entreprise nous apparaît en contradiction avec le lent et constant travail du législateur depuis la Libération pour assurer l’indépendance des négociateurs salariés face à l’immense pouvoir de pression des employeurs. Ce n’est pas pour rien que notre constitution rappelle que c’est par l’intermédiaire de ses délégués que tout travailleur participe à la détermination des conditions de travail. Cette référence exhaustive aux délégués avait pour objet d’assurer l’indépendance des négociateurs salariés, mais il convient de se souvenir que ce n’est que dans les années 1980 que la coordination de la volonté du législateur avec la détermination de l’inspection du travail et de la justice pénale a réussi à mettre un terme à la pratique scandaleuse des « syndicats maisons » dont tout le monde savait qu’ils étaient le fait de l’employeur. Il faut cependant humblement reconnaître qu’encore aujourd’hui la négociation d’entreprise est de fait soumise à un déséquilibre inhérent à sa nature, auquel les efforts du législateur et l’action de l’inspection du travail n’ont pu remédier. Le poids de la négociation d’entreprise portée par votre projet, expose les salariés à devoir accepter sous la contrainte des conditions de travail insupportables avec toutes les conséquences sur la santé mentale qu’il est loisible d’imaginer.
Sur les dispositions relatives à l’indemnisation du licenciement abusif. Il convient en premier lieu de rappeler que ce n’est qu’en 1973 que cette protection a été mise en place malgré de longues années de protestations des travailleurs, de leurs syndicats et de la plupart des juristes et des observateurs de la réalité sociale. Cette situation que nous avons vécue faisait naître un immense sentiment d’injustice dans le monde du travail. Rappelons que le salarié pouvait alors être licencié sans raison, voire sans motif et sans aucune forme à respecter. Cette loi de 1973 est le résultat d’un engagement pris par le gouvernement en 1968. La durée de gestation de cette loi (5 ans !) est le résultat d’une concertation étroite avec les partenaires sociaux dans laquelle les concessions de part et d’autres ont été nombreuses. C’est le cas du montant de l’indemnisation du préjudice lié au licenciement abusif pour lequel déjà, les syndicats ont accepté que le mode d’indemnisation déroge au principe général de la réparation de notre droit afin de satisfaire aux exigences du patronat et permettre de trouver un accord. Quoiqu’il en soit cette loi a eu un effet considérable sur la situation du salarié dans l’entreprise. Enfin l’exercice des libertés dans l’entreprise n’était plus automatiquement synonyme de licenciement immédiat. Cette loi a été longue à entrer en vigueur et il a fallu un engagement de plusieurs années de l’inspection du travail pour aboutir à son effectivité. Mais nous, inspecteurs du travail pouvons témoigner du souffle de liberté qu’elle a produit dans les entreprises où jusque là le pouvoir de l’employeur était omnipotent et dictatorial. Remettre en cause le montant de l’indemnisation du licenciement abusif et permettre aux entreprises d’en provisionner le montant pour le banaliser, c’est insulter cette mémoire, en revenir à une situation où la raison du plus fort est érigée en dogme et où le salarié doit ravaler sa dignité s’il ne veut pas en être victime et en outre vivre avec ce déni, facteur là aussi de troubles pour la santé mentale du travailleur.
Pour toutes ces raisons nous vous rappelons que derrière les dispositions que l’on veut amender il y a des droits fondamentaux qui assurent la protection de la dignité et de la santé des travailleurs qu’il serait souhaitable que l’on n’oublie pas, en particulier face à des gains escomptés en matière d’emploi qui sont rien moins qu’hypothétiques.
Souhaitant que le bon sens l’emporte, nous vous présentons nos meilleures salutations
PO Bernard Grassi
Copie à Ouest France, à Mediapart et à l’AFP