À travers un recueil de poésies, l’écrivaine belge Barbara Y Flamand revient sur l’épopée de la Révolution d’Octobre à l’occasion du centenaire de la grande révolution russe. Barbara a confié à www.initiative-communiste.fr la publication en ligne et en plusieurs épisodes de cette épopée.
Cette épopée se décompose en plusieurs parties qui seront publiées chaque mercredi matin, jusqu’au 4 novembre, date du Meeting international du centenaire de la Révolution d’Octobre, à Paris (cliquez ici pour retrouver toute les informations)
Synthèse
Il a atteint son sommet
Et l’étoile n’a autant de reflet
Que son nom
Sur les yeux qui le pleurent.
Ne le pleurez pas! Mais jetez à ce monde si vieux
Les pulpes de vos semailles.
Ne le pleurez pas!
Il est au commencement
D’un siècle qui bondit de son arbalète.
Son nom se plaque sur l’horizon.
Ton nom se plaque sur l’horizon.
Dans l’éblouissante lame d’acier
Dans la force électro-motrice
Dans le fleuve détourné,
Entre les deux solstices
Et sur la ligne haute tension
se plaque ton nom.
Dans Stalingrad sa stratégie
La mort engloutie dans un vivat
Dans la terre gelée
Et les lambeaux vivants soudés en amas
De bronze
Espoirs sur les moignons de la Ville Rouge
Se plaque ton nom.
Chaque pouvoir populaire
Se plaque ton nom
Fascisme ne passera pas!
Se plaque ton nom.
Ceux qui l’usurpent ceux qui l’enterrent
Ou se dérobent à ton commandement révolutionnaire
Que l‘Histoire les pende haut et court!
Mais qu’importent leurs détours!
Car tu es au commencement
Et ton nom se plaque sur l’horizon
Aussi sûrement que la violette suggère le printemps
Que la lune découvre la nuit
Que le cri atteste la vie
TON NOM EST L’HORIZON.
Première version de novembre-décembre 1967 (50 ans de l’URSS) Version entièrement revue en 2017 (100 ans de la Révolution d’Octobre)
Sommaire :
Hommage à V.I. Lénine
Elle-même spirituelle et frondeuse
À l’intelligence de ton œil flatteuse :
Ta casquette. Et ton sourire… narquois bonhomme.
Quelle puissance fécondait la chair de cet homme ?
A regarder Vladimir Ilitch Lénine ta fascinante tête
Au sens du mot génie je m’arrête.
Qui peut répondre quand l’ordinaire au surhumain mêlé
Se découpe un homme que l’histoire n’oublie jamais.
Préférait-il la pomme à l’orange ?
Quand il pleuvait voyait-il le ciel pervenche ?
Je vous le demande est-ce génie
Dans la mémoire trouver encore vie
Alors que le visage avec le tombeau se confond
Et que le fleuve emporte vagues et goémons ?
1- L’EXIL
Le chant de Kroupskaïa
Ilitch ? les bruits se sont tus.
Les hommes vont vers leur sommeil têtu
Qui ne veut qu’oublier.
Le jour se console dans la nuit
Du geste irréfléchi
Mais consacré.
Ainsi se lestent de plomb les ans, les décennies,
Les âmes .
Et ta plume court, griffe et condamne
Cette solennelle idée
Que le monde, dès son origine
Et selon Dieu , à travers défaites, conquêtes, famines,
Fut en deux parts divisé :
Celle du bas pour manants et gueux,
Celle du haut pour seigneurs et maîtres.
Et ta plume court fore et fait chanceler
Les trônes et les soubassements des cités.
Petrograd reçoit – à défaut de manger –
Les flèches d’encre qui s’en vont armer
Les mains
Pesantes d’humble docilité, au tsar
Aliénées.
Jusqu’à l’aube au moins repose-toi !
Repose ce cœur qui bondira
A la fête ardente
Quand le peuple te sacrera père de sa première conquête
Du Pouvoir, ce pouvoir légitime d’où le socialisme triomphera.
,Enfin restituée à son principe d’égalité
La Vie !
Rends-toi s un instant seulement à ma gardé !
Mais ta fièvre à mon bon sens donne tort.
Freiner ta plume ? J’en aurais remords
Comme si
Je trahissais l’oracle des pythies
Et je me tais.
Simple comme l’ABC ta plume trace
Le visage héroïque de l’an 1 de grâce.
la Russie explose
Face aux sceptres, aux lorgnons, aux gloses
Et son soleil
Allume partout l’étincelle sous les lambris
Européens.
Ilitch, jamais les hommes n’oublieront
D’associer au siècle ton nom.
Mais lisant ta phrase, trouveront-ils
Dans le creux des syllabes, ta peine en l’exil ?
Ce mal
Que tu n’imprimeras jamais, que tu portes muet
Sous le pli de ton front…
Ils oublieront devant ton visage de pierre
– ne gardant de toi qu’un orbe visionnaire-
L’angoisse chevillée à l’homme qui entre dans l’histoire
Et se dépouille de tout sans souci de gloire.
Comprendront-ils qu’une pensée
Est nerf et sang, qu’enfantée
À contre-courant des concepts honorés
Elle blesse l’homme par son aride témérité
Et le dévore
Dans un appétit de pureté.
T’aider par ma tremblante attention
Qui scrute sur ton visage les frappes de ton obsession
D’où la pensée sourd et s’embarde puis vrille
Jusqu’au profond des espoirs inarticulés…Etrille
Saccage
Les reliques et les vestiges du Moyen Age !
Accuser ton verbe de pouvoir destructeur… !
Les grandes tendresses se libèrent en fureur.
Soudée au cœur, la raison unifie l’homme
Et le porte au paroxysme des ardeurs.
Démolir
Dans la passion qui transgresse le présent
et construire l’avenir.
Devant ta vision ma vue s’épanouit.
Dans le ciel flamboie une apothéose.
Le peuple, les mains déliées
Sculpte la stature de la nouvelle ère..
Comme son père
Il te reconnaîtra.
Et sous le marbre tu seras toujours
Celui qui révéla aux humbles
Leur pouvoir et leur génie.
À Petrograd…
Le Prêche
-La souffrance est d’essence divine.
O vous enfants ! qui avez ouverts vos poitrines
Au baiser du Christ à l’humanité
Restez contre la violente insanité
Qui dresse l’homme contre son destin
Les enfants du Saint Empire
Et contre délire conservez la bonté
Qu’en ses élus seuls, Dieu insère
Tel un barrage contre l’assaut des misères.
Enfants du profond dessein du Maître des vies
Gardez sainte votre foi et sainte la Russie !
Ecoutez… les ondes sonores de vos âmes
Appellent-elles l’or ? Ou cette flamme
Intérieure, en écho à la voix de Jésus
Eternellement promu
Roi
Au-dessus des rois.
Egalement fils du Tout-Puissant
Le tsar et son peuple enfant.
Les visages effilés à la lame des faims
À la lame du pouvoir, à la lame des chagrins
Les cœurs zébrés de pleurs
Zébrés d’humiliation tour à tour acceptée et refusée
Visages cœurs et haillons
Figés dans une interrogation
Au monde. L’homme ou Dieu ?
Lequel est suprême ? Ooooh être heureux…
Les disicples
Peuple de hardes essoufflées
D’estomacs rabougris
Au front doux de patience tassée
Inquiet et indécis
Entre le passé qui tenaille
Et l’avenir qui s’insinue.
Une convulsion pince tes entrailles
Et ta misère crue.
Ton front fébrile hèle le savoir.
A ta puissance rétractée
A ta bonté inutile il faut un exutoire,
Peuple de hardes essoufflées.
En toi sommeillent tous les Potemkine
A venir et s’immortalisent les Pouchkine
L es Gogol et les Tchernychevski.
Lis! Lis donc ce que Lénine écrit!
Peuple par Dieu dévoré et dévorant Dieu
L’homme est seul maître sous et dessus les cieux.
Tissée dans la fibre populaire
Une pensée nouvelle déchire tes voiles funéraires.
Peuple des usines-cauchemars
En Lénine Marx vit
En toi en la graine qui mûrit en l’étendard
En Lénine Marx vit!
Le blé même t’es blessure et l’acier.
T’es mains marchandises
À vil prix valent moins que le pédigrée
D’un épagneul ou une friandise
Le pain la terre!
C’est le moins que tu puisses prétendre
Tu vaux par tes gloires elles sont de ton ventre.
La terre…
Prends-la!
Soulève-toi aux folies qui bâtissent
Des chemins de granit.
Crée ton monde et crée ses normes
De la beauté les nouvelles formes
Crée tes poètes crée tes savants!
Comme un fauve bondis! Peuple… c’est ton temps!
1914
Les chefs de l’Internationale approuvent la guerre. Ils votent les crédits militaires en Allemagne, en France, en Belgique.
Ils disent ,,Patrrrrie!”
Et tout est dit.
Ils disent ,,Marrrchez!”
Le sol lui-même s’ébranle.
Des mots imprégnés d’encens
Ancrés dans la veine populaire
Comme les dix commandements.
Quand vient le moment des liturgies sanglantes
Le peuple se tait
Et accomplit le rite. Honteux de ne pas y mettre son âme
il jette en hoIocauste sa vie. -Et puis c’est pour. . .
Au fait…? C’est pour qui?
Première ballade du soldat
Moi, Aliocha, soldat de l’armée de Nicolas
Honoré de la défense de toutes les Russies
Je rampe sur le champ des héros qu’on oublie.
Mais qui crie encore mon nom? Le vent de par-delà…?
Peut-être de l’Oural? Peut-être de Sibérie? Frère…
Ecoute… Il roule dans sa gorge les sanglots de ma mère.
Qu’elle ne pleure pas! Je suis Aliocha
Héros de la grande armée de Nicolas.
Tu as froid? Si nous avions chaud
Nous serions moins glorieux. Chantons comme chez nous
A cœur dénoué. Par-dessus nos maux
Déploie ta voix déploie ton cœur jusque chez nous.
Parfois je me demande quand une note accroche la lune
Si elle porte à Dieu le message de nos infortunes.
Si tu savais ce que je me demande…. Aux bruissants
Mystères qui oppressent ma tempe, à cœur battant
Je me demande: notre père n’est-il autre
Que le tir diabolique qui secoue la tranchée?
Est-il quelque part? Est-il seulement aux pauvres?
Dans le spasme qui foudroie père et mère, sommes-nous déjà
damnés?
Le peuple est ignorant et je suis son fils.
Je suis simple et me cogne au nœud des artifices.
Je hurle de son mal et saigne de sa blessure
Quand il chante sa plainte, je bats la mesure.
Crie-moi crie-moi quel secretJe dois voler au monde pour creuser en ma terre
Des rigoles de lait.
Dis-moi l’acte qui ôtera le fruit amer
De notre cœur… Je suis soldat du tsar.
On me dit: Marche! je fonce dans une puissance tartare.
L’isba ou le front? Je reste un fétu sous la meule.
Ne va pas croire, frère, que j’ai l’âme veule!
Seulement une douleur
Avec ce vent qui roule les sanglots de ma mère
De ne pas savoir à qui vendre mon honneur.
Oooh éclaire-moi! Et je serai de fer.
II –PREMIER EBRANLEMENT
Lénine ‘’… une propagande révolutionnaire systématique en faveur de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile au moyen d’une action révolutionnaire de la masse ouvrière contre son gouvernement et sa bourgeoisie et au moyen de la fraternisation des soldats.
”Liebknecht: « le principal ennemi est à l’intérieur de notre propre pays”.
Deuxième ballade du soldat
Aux chantres du clairon, aux chauvines hystéries,
Lénine répond que cette guerre est impie.
Ma baïonnette est fourbue
D’avoir crevé tant de têtes pointues,
Girouettes au vent des drapeaux,.
Des frères pourtant, eux comme moi égaux
Sous le hurlement des sirènes
Qui ordonne chaque jour de reprendre la peine.
Petrograd chauffe sous le gel
Des boulets ivres de lendemains cruels.
Le sais-tu? Petrograd appelle ses soldats
A quitter le front pour un autre combat.
Le 15 mars 1917 la révolution éclate en Russie. Comme l’avait prévu Lénine, le pouvoir passait à la bourgeoisie libérale. Kérenski devenait ministre du gouvernement provisoire.
Nicolas
Le monde dérive au large de l’obscur.
Comme filé de bure
L’air s’épaissit dans une spire ,
Il m’enroule.
Chavire ma sérénissime autorité.
Basculant, titubant
tombent comme des mouches
Les aigles
Sous la faux de la roture.
L’ordre se disjoint, la laideur se dégrafe,
Le dogue se veut un cou de girafe
Et lointain le sigle de Dieu…
Ma laque, est-ce ce que Lénine veut
Contre le pet du peuple? Qu’il nourrira
jusqu’à répugnance.. jusqu’à bouffissure…
Le monde dérive au large de l’obscur.
Demain se lèvera
Miteux
Huileux de graisse populaire.
Une épaisse trogne taillée dans la serpillière
Epanouira son rire plénipotentiaire
devant mon trône, et sur le silence tragique
Des Romanov crachera sa bave de parjure.
Bouffon dans sa grandeur illusoire.
O piètre Russe, tu m’offres une hallucinante foire !
La superbe ne s’acquiert point
De naissance elle nous vient
Comme le bleu dans l’œil
Que je ferme devant l’écueil
De ce millénaire. O mon trône,
Puissance amie ,,, Donne-moi un dernier accueil,
Couvre-moi de ton éclat avant la mort de la Russie.
La Russie meurt un jour de carnaval populaire
Un jour flambant de haine vulgaire
Où les démons supraterrestres
Brouillant l‘ombre et la lumière
Couronnèrent le péché, l’abominable.
L’œil populacier lubrique pervers
Attend
La reddition définitive catégorique irréversible
De la dernière majesté
Des majestés.
Voilà, Messieurs je signe
Face au monde stupéfié.
A déposer le pouvoir suprême je me résigne.
Le retour
Lénine, par d’habiles manœuvres, parvient à regagner la Russie. Il croit entrer à Pétrograd incognito mais ses amis lui ont préparé un accueil triomphal. Il entre la nuit dans la Gare où sont massés les ouvriers, les soldats et les matelots de Cronstadt
Tous ces visages d’une même pâte labourée, écorchée
D’une même griffe
Et perpétuellement tendres. _
Tous ces visages en son regard fusionnent
Une seule face de la nuit jaillit :
La Russie! Le ciel cisaillé de phares, de bras, de mains…
Choc de l’inattendu!
Des galbes, des fleurs… des harmonies
Surhumaines surgissent
Ruisselantes de prémices.
La révolution est en fleur. _ ‘
–Je vous le dis c’est pour demain !
Une haie : Matelots ouvriers soldats femmes
Il entre dans l’artère du peuple comme une flamme
—0 hommes à qui je dois parler. ..
Laissez-moi le temps
De capter sur ce sol que je retrouve
L’effluve de votre écorce
Et la larme rouge
Qu’y versa mon frère
Quand il se fit pendre en sa jeunesse austère.
Ma poitrine si longtemps comprimée par l’angoisse
A votre exubérance
Ne pourrait faire face
Sur-le-champ
Sur ma lèvre l’écume du cœur
Dans ma tête le vertige du fumeur
A sa première pipe.
0 nuits de mon rugueux exil
Je vous oublie déjà pour ce nouveau péri l:
Equarrir sans une faille
L’ordre nouveau à la taille de ce retour.
Le peuple est vaste.
Qui n’a promené son regard qu’à sa surface
N’a pas senti son âcre haleine de soufre
Qui purifiera l’histoire jusqu’en ses soutes.
Dans ma joie qui se perle d’inquiétude
je suis toi peuple! jusqu’à l’usure…
Bonheur! Tu entres en moi comme un bistouri.
Je découvre a ton revers comme un saignement.
Doux et amer
Amer et doux.. .
je veux des joies totales!
Sur ton front, peuple, le poli des pétales.
– Lénine! Lénine! Lénine!
-Me voilà! Hélas je ne puis être tendre
Il faut un verbe qui cingle
Qui raidisse la mâchoire, le bras.
Serrez votre arme soldats!
Vox Populi
Hé oui! Kérenski est au pouvoir .
Et vous avez cru comme moi à la fin des déboires.
Qu’il n’oublie pas ce Monsieur gommé
Qque le dos de la rue l’a hissé au faite du Palais.
J’attends encore ses décrets
Qui nous assureront de sa loyauté.
Et la paix? Nous attendons la paix!
Faire la révolution et porter dans l’estomac
Le même creux,
Frissonner encore et blasphémer la vie…
Est-ce vrai qu’elle ne puisse être amie?
Les bolcheviks ont de ces mots. .. !,
Qui taillent l’espoir au couteau.
Ces soldats ces matelots ces déterrés
Des tranchées, c’est le ciel qu’ils veulent manger!
Moi aussi, citoyen Kérenski! je fais fi de vos décrets
Que d’ailleurs vous ne céderez jamais.
J’ai mes cheveux blancs à venger et ma ride précoce
Et jusqu’à ma nuit de noce
Que j’ai passée sur une paillasse.
Je n’ai jamais eu de lit !
Si j’ai eu chaud parfois
C’est au feu de mon âme que je le dois.
Car j’ai pris le temps d’aimer
Pour n’être tout à fait bête de trait,
Furtivement délicieusement comme un vol.
Rude hirsute échoué dans une rigole
L’amour est encore l’amour, nobles demoiselles
Qui battez des paupières en tourniquant l’ombrelle.
Le pain! La terre! La paix!
Et tout le pouvoir au Soviet!
Voilà ce que je hurle,
Corps de nantis, face à votre insulte.
Et chaque sanglot avalé. . .
Vous me le paierez!
Nihil
je peux mourir demain…? Même cette nuit,
Ma bouche mordant encore ton pubis.
Ainsi Lils me trouveraient… Dans une stase, placide,
Rompu, déjà rendu au vide,
l’âme en lambeaux déjà,
Ils n’auraient qu’à parfaire le trépas.
Est-ce ainsi que vient la mort? Divisée en contraires,L’un vous tirant par-devant, l’autre par derrière
Jusqu’à déchirure profonde et irrémédiable?
L’un voulant Dieu et l’autre le Diable…
Réponds! éphémère compagne, au lieu de rire!
Est-ce que tu ris? Est-ce que tu délires?
Quel semblant quelle farce quel drame?
Dans ma dérive, jette-moi donc une rame!
Réponds! J’ai besoin d’un mot qui fixe ma semelle
Au sol. Ha toi! A qui il suffit d’être belle…
Oui, il se pourrait. . . cette nuit. . .
L’iris de ton œil en serait-il terni?
En aurais-tu moins d’amants?
J’ai vingt ans.
L’ennui à toutes les latitudes je connais
Et j’ai plus de vices sous la peau que d’or dans mon gousset,
Arrogant par naissance autant que par goût ,
Vivant par jeu et jouant par dégoût.
Je sais je suis mal né ,
La tombe bée sous mon pied.
Chante haut! Tu ne peux assourdir l’écho
De la faux qui approche et vise mes os.
J’ai peur. Pourtant rien ne valait un pleur ou un rire
Et je n’ai rien aimé hors ce soupir
Echappé de mon sang opaque et blanc
Qui étoile ta chair en firmament.
Et toi? A demi-nue sur ton sofa
Qui parais ne devoir jamais finir.
Imagine… Imagine le pire!
Pense: tout fut et plus rien ne sera.
Pourras-tu corrompre le bras
Qui voudra te frapper dans ta noce?
Vois où on te jettera! Vois la fosse!
Avilie ta lustrale blancheur.
Dans la galerie canaille aux fortes odeurs
De suif, qui reconnaîtra encore dans ta nuque profanée,
Le parfum de rose s’épanchant dans tes nuits enfiévrées.
III –OCTOBRE
Octobre
Tendus comme des archets
Une seule vision: Le Palais.
-C’est la nuit, camarades, du prodige!
L’univers retourné sur l’endroit
Pour le pain, la terre, la paix et puis. . . quoi ?
Si j’ai le vertige
C’est que moi moujik ignare
Et toi prolétaire et toi tartare
C’est nous maintenant qui signerons les décrets
Tout le pouvoir tout le pouvoir au Soviet !
Attente bond attente bond victoire!
La ride se défait au front blafard
Glaces marbre et or du Palais
Froids dans l’ivresse.
Ha! C’est ici qu’ils siégeaient
Les traîtres!
Tsar, permettez tsar que je pose mon derrière
Où Kerenski après vous, en prière
Implora le ciel ses fifres et voix d’outre-tombe
Pour que le pouvoir aux mains du vulgaire jamais ne tombe.
Moi ici? Toi nous. .. le populaire
Avec sous les ongles la crasse des faubourgs.
Le fusil s’est tu. La main s’ébahit
D’avoir étranglé le pouvoir en son nid.
-Ne te saoule pas toi! Nos morts refroidissent
Des mains pieuses demain doivent rendre l’office,
Et ne pleure pas toi! Demain le pain la terre notre loi!
Toi Russie mon âme ma mère ma femme!
Enfin sainte je te vois et je baise au front tes douleurs fières
Et ce que je suis je t’offre, bras ouverts _
Ingénument comme un gosse. Ce que je suis ?
Rose des vents? Une comète je suis
Ou un obus qui pète, frère de tous
Et maître. ]usqu’aux trous
De ma capote je te les livre
En souvenir de cette minute ivre.
Chorus
Les voyez-vous tenant une plume
Les loqueteux plumeurs de tsar?
Devant un registre les voyez-vous
Reniflant leur morve tuant leurs poux?
Ah laissez-nous rire! De Londres à Berlin
De Berlin à Paris, rions mes amis!
Lénine a plongé ses hordes dans une mare
Ils ne sont pas canards
Bien que bêtes et affreux.
M’étonnerait mon cher
Qu‘à la vase ils puissent se soustraire.
Laisserons-nous ces bornés
Le droit de dicter la paix?
Ils comptent encore sur leurs doigts.
Pas de dossiers pour s’exercer au métier
Des affaires. Nous les avons mis en sûreté.
Nous devrions, mon cher, nous lancer
Dans une étourdissante propagande .
Ici l ‘ encre et le papier -Dieu soit loué! –
Sont encore notre propriété .
Allons-y! Pour Kérenski !
« Frénétiques sanguinaires sataniques
Des hors-la-loi pillent et saccagent ta terre ,
Russe! Kérenski et ses cosaques te sauveront
Si tu veux bien acclamer son nom.
“ Kérenski fut définitivement mis. en déroute par le de Petrograd.
Le 3 mars 1918 était signée la paix de Brest Litonsk
Mais les socialistes-révolutionnaires poursuivent la contre-révolution.
Deuxième attentat contre Lénine. Gorki qui jusque-là s‘était tenu dans une attitude critique envers le nouveau gouvernement, se convertit.
Gorki
– Par cette rafale
Deux balles qui te clouent au lit
La lumière chasse le discrédit
Dans lequel je renais ton intransigeance.
Je reviens, pécheur
Fourvoyé dans le scintillement des aubes factices.
Celle que tu m’offres
Mise à bas farouche
Celle-là seule peut répondre
A la recherche d‘un sens supplémentaire .
Le monde que tu projettes
Porte dans son quotidien la justification
L’être né homme.
La pureté sur terre tangible
l’amour ayant l’autre pour cible,
Sans plus le chercher au ciel.
]e suis le fils prodige qui veut
A ton chevet soumettre les quêteurs d’ impossible
Qui ne savent pas que la quête du vrai
Justifie l’espoir.
Vous confrères! Vous lancez à l’art
Votre appel incantatoire.
La beauté incorporelle vous hallucine
Aux heures de fièvre et d’inspiration divine.
Regardez donc la terre!
Les siècles culbutés dans notre passé amer…
Ramassez dans cette fusionnante matière
Ecartelée aujourd’hui en débris et lumière
La glaise et le cristal
Et trempez votre œuvre dans la houle
Déferlant au cœur des foules.
La croisade
La contre-révolution s’organise sérieusement. Autour du noyau constitué par l’église orthodoxe russe, les anciens officiers tsaristes, les bourgeois et propriétaires terriens, une partie des socialistes révolutionnaires, se groupent: les Japonais,Français Anglais, Tchécoslovaques…
Nous les preux
Galons d’or haine de feu
Allons entre deux cognacs et deux cottes retroussées
Noblement selon tradition de l’armée
Sauver la Russie sombrée
Sous unjoug barbare
Et de sainteté privée.
Lénine: ”ce qu’il faut, c’est des dizaines de milliers d’ouvriers d’élite, dévoués au socialisme, inaccessibles à la corruption, capables de former des phalanges de fer…”
Alors
Ceux qui avaient entrevu
Le temps d’une étoile filante
Clignoter la liberté,
Qui veillaient les façades les édifices les ponts
Comme la mère son nouveau-né,
Qui avaient pris possession de leur être
Dans le courant de la multitude,
Qui griffaient à la terre
De quoi ne pas mourir,
Ceux des montagnes, des plaines, des usines, des mines,
Ils ceinturèrent leurs défroques
Et partirent parfois sans capote sans bottes,
La volonté nouée au ventre
Avec leur faim,
Leurs paupières piquées de fièvre.
lls marchèrent ,
Ecoutant dans le pas de l ‘autre
L’écho multiplié de leur cœur.
Ils marchèrent
Leur longue solitude rompue au mot camarade.
La terre reçut les secousses de leur corps
Et les renvoya à l’infini
Unissant dans un même cantique ses hommes et sa sève.
–Camarade, celui qui trouve la mort
Comme moyen à ta liberté,
Meurt-il vraiment?
En toi n’est-il pas continué?
Ils tombèrent et d’autres les remplacèrent i
Irradiés par la même étincelle.
Ils virent leurs enfants mendier,
Hurler et mourir.
Les thésauriseurs offrirent aux enfants
Une larme d’encre d’imprimerie,
Ils appelèrent leur père bourreau
Et renforcèrent leur blocus.
Ils tombèrent et d’autres les remplacèrent.
L’ennemi comprit qu’il avait perdu la bataille.
Il regarda effrayé se redresser
Le spectre de la Russie qui recouvrait sang et chair
La guerre civile se termina à la fin de l’année 1920
Maintenant…
Tout est possible
Dans le champ dévasté mûrit le blé
Du haut fourneau s’élança la flamme
L’écolier épela l’ABC
La femme accoucha paisible sans alarme
Dans un lendemain de pain assuré.
Sur un canevas de douleurs dépassées
Le tournesol fleurit, se défrichèrent les forêts
Et à travers roches et fleuves endigués
Se brodèrent les promesses
Qu’ils lancèrent par-devant eux
Dans un tournoiement de faulx, de grues, de pieux
D’éclats d’une conscience enfantée dans la rudesse.
-Agé d’un demi-siècle apprendre à lire!
Qui l’eût cru qui eût pu le prédire?
Qui eût cru à cette efflorescence
Quand on avait de la rose perdu l’essence?
Mais de quel lien est filé notre matière
Pour qu’à travers supplices et martyres
L’homme se relève encore et reconsidère
Dans les ruines de son corps et de sa terre
Son devenir?
Est-ce sa fibre animale
Qui projette cet Idéal?
Ou parcelle d’un Feu Universel
Qui brûle à son insu au fond de sa prunelle?
–C’est, mon frère que, hissé sur l’aile d’une pensée profond
Il n’a mis tant de rage Jamais à être au monde
A être ce tourbillon qui renverse la vapeur
Et de sa foi le maître et le serviteur.
—-Peut-être est-il mystère cet énergumène…?
Pour donner à boire à celui qui viendra
Saigner sa propre veine. . .!
Mais telle n’est pas notre loi?
Et si naturelle pourtant
Que toi et moi nous chantons maintenant.
Nous chantons et les tombeaux sont encore frais .
Oh nous avons du respect
Mais nos morts réclament de nous
Que de joie nous soyons armés.
Puissante vigoureuse fécondante .
Que leur immense rêve fou
Cogne au cœur des bouleaux et rôde avec nous
Dans chaque mot dans chaque geste partout
Implacable exigeant dur.
Frère! que notre acte soit sans bavure !
Nous voulions du pain… Bien sûr l’estomac…
L’homme qui est toujours dieu à demi
A ravi le pain pour mieux nourrir l’esprit.
Neufs nous serons dans notre bonté retrouvée.
Qui péchera… ?
Qui pourrait ?
Lui, qui à chaque étape, à chaque bond avait fait résonner son mot d’ordre, regardait ce peuple tentaculaire faire mûri r ses moissons. Mais déjà Il ne parlait plus qu’en lui-même.
j’ai atteint mon sommet
Monde raviné
Brasse de contraires
De loin je te vois avec tes deux faces
L’une terreuse encore et d’épaisses crevasses
De sang
L’autre de séminales senteurs
L’assurance des hommes qui savent pourquoi le labeur.
Pourquoi ?
Oh à la question finale
Suit encore un blanc
Et ma chair qui se décompose
Sait mieux que tout autre
la force qui la reprend.
Elle l’appelle mort. On ne peut nommer autrement…
On ne peut nommer
L’avant l’après.
Mais entre, ces deux départs inopinés
Entre ces deux aléas je sais
Ce que l’homme est
Ce que dans la société il peut
Et c’est grand
Et c’est suffisant
D’ôter la lame au couteau qui vous dépèce
et de poser un rire sur deux fossettes.
C’est grand déjà
De nommer le malheur
De le barrer à d’autres. . .
Après. . . ils verront ce qu’ils peuvent.
Mais qu’ils s’assurent aujourd’hui
De la faillite de l’ennemi.
La voix sépulcrale qui m’appelle
Se tait sous l’hallali
Qui sonne sonne sonne à l’Est triomphant.
Je me rappelle. . .
Nuit tu m’as pris tant forces
Quand la fatigue pliait mon corps
Et que ma volonté criait encore!
j’aimais les marches à travers bois
Face au ciel rire aux éclats.
Fusant de l’infini, la vie…
Et l’homme n’avait d’yeux que pour son abcès.
L’éclater! L’éclater!
Ce fut passion.
Ce fut. . .
Avant après
Peu importe!
j’ai atteint mon sommet.
Synthèse
Il a atteint son sommet
Et l’étoile n’a autant de reflet
Que son nom
Sur les yeux qui le pleurent.
Ne le pleurez pas! Mais jetez à ce monde si vieux
Les pulpes de vos semailles.
Ne le pleurez pas!
Il est au commencement
D’un siècle qui bondit de son arbalète.
Son nom se plaque sur l’horizon.
Ton nom se plaque sur l’horizon.
Dans l’éblouissante lame d’acier
Dans la force électro-motrice
Dans le fleuve détourné,
Entre les deux solstices
Et sur la ligne haute tension
se plaque ton nom.
Dans Stalingrad sa stratégie
La mort engloutie dans un vivat
Dans la terre gelée
E t les lambeaux vivants soudés en amas
De bronze
Espoirs sur les moignons de la Ville Rouge
Se plaque ton nom.
Chaque pouvoir populaire
Se plaque ton nom
Fascisme ne passera pas!
Se plaque ton nom.
Ceux qui l’usurpent ceux qui l’enterrent
Ou se dérobent à ton commandement révolutionnaire
Que l‘Histoire les pende haut et court!
Mais qu’importent leurs détours!
Car tu es au commencement
Et ton nom se plaque sur l’horizon
Aussi sûrement que la violette suggère le printemps
Que la lune découvre la nuit
Que le cri atteste la vie
TON NOM EST L’HORIZON.
Première version de novembre-décembre 1967 (50 ans de l’URSS)Version entièrement remaniée pour octobre 2017 (100ème anniversaire)