Révisionisme en Pologne, Comité internationaliste de solidarité de classe et association des Amis d’Edward Gierek appelle à la mobilisation.
Révisionnisme en Pologne :en Haute-Silésie (Pologne) Mobilisation pour sauver le rond-point Gierek
A Sosnowiec, le rond-point « Gierek » du nom de l’ancien n° 1 du Parti ouvrier unifié polonais (POUP) de 1970 à 1980, est menacée de débaptisation dans le cadre de la loi dite de « décommunisation » votée par l’extrême droite polonaise en avril 2016.
Le maire de cette ville de Haute-Silésie d’où est originaire Edward Gierek (1913 – 2001) s’oppose à ce changement de nom. Ce printemps, il écrivait au président de la République Jaroslaw Kaczynski pour lui dire son indignation face à une telle perspective. Dans la foulée, la municipalité organisait une consultation publique auprès de la population. Près de 13 000 habitants y ont pris part. 97, 3 % des votants se sont prononcés pour le maintien du nom « Gierek » toujours aussi apprécié pour son rôle dans le développement de cette région industrielle !
Mineur dans le Pas-de-Calais
Son souvenir reste tout aussi vif dans le Nord de la France, où sa famille a émigré au milieu des années 1920. Mineur de charbon habitant Libercourt puis Leforest dans le Pas-de-Calais, militant de la CGT Unitaire et du PCF, Edward Gierek a été l’un des acteurs de la grève de la fosse 10 de la Société des Mines de l’Escarpelle du 6 au 8 août 1934. L’une des premières grèves au fond d’un puits de mine de l’Hexagone ! Ce mouvement de protestation contre la politique répressive du patronat des Mines s’est soldé par l’expulsion de dizaines de grévistes et l’arrestation des meneurs incarcérés à la prison de Béthune ! Edward Gierek est donc expulsé vers la Pologne en cet été 1934, avant de revenir en Occident, trois ans plus tard. Il gagne alors les mines du Limbourg en Belgique qu’il quitte en 1948, dans le cadre de la politique de rapatriements orchestrés par le gouvernement polonais. Membre du POUP, il gravit les échelons de la hiérarchie du parti dont il prend la tête en 1970. Il a alors le statut d’un chef d’Etat. Toujours sous le coup d’un arrêt d’expulsion, Edwar Gierek revient en France dans le cadre de visite officielle, en 1972 et 1979.
Pétition en ligne
La municipalité de Sosnowiec avait jusqu’à ce 2 septembre pour se plier aux injonctions de l’Institut polonais de la mémoire (IPN) et du gouvernement qui ont placé Edward Gierek sur leur « liste noire » des militants dont il s’agirait d’effacer la mémoire. Refusant de se plier à cette exigence marquée au sceau du révisionnisme et de l’anticommunisme, la municipalité s’expose ainsi à des sanctions financières. C’est au gouverneur de la province de prendre, en dernier ressort, la décision. Le SLD (Sojusz Lewicy Demokratycznej / Alliance de Gauche démocratique) de Sosnowiec, a pris l’initiative de s’adresser au gouverneur de la province via une pétition accessible en ligne (http://www.petycje.pl). Les pétitionnaires assurent que le nom de Gierek reste associé du développement le plus dynamique de la ville depuis 115 ans et sa fondation. La période des années 1970 a offert à Sosnowiec de se doter d’infrastructures (transport, logements, etc.) synonyme de développement et d’amélioration des conditions de vie des habitants. La popularité de Gierek est confirmée par les fleurs et les bougies qui sont déposées sur sa tombe, chaque année, en juillet, mois de sa disparition. Sans sombrer dans l’idolâtrie, les signataires demandent seulement que ses mérites tangibles ne soient pas effacés des mémoires.
Le consul de Pologne dénonce la politique de censure qui touche la mémoire de militants communistes
Le journal La Voix du Nord rapporte :
Il n’y a pas que les associations et élus d’extrême-gauche qui fustigent les projets de censure des rues « communistes » en Pologne. Henri Dudzinski, consul honoraire de Pologne dans la région, a écrit au Premier ministre et au Président de la République pour dire son point de vue sur le sujet. Et plus largement sur la politique menée par le gouvernement ultraconservateur actuellement au pouvoir.
Un consul qui prend la parole pour critiquer la politique du pays qu’il représente ? On ne voit pas cela tous les jours. Henri Dudzinski a choisi de sortir de sa réserve diplomatique pour dire ce que lui inspire la politique menée par le gouvernement ultraconservateur du PiS, au pouvoir depuis deux ans en Pologne.
Une position d’autant plus intéressante que cette politique a des répercussions jusqu’ici, dans le bassin minier : depuis le début de l’année, de Sallaumines à Auby, des associations et élus locaux protestent contre la censure qui menace la mémoire de militants et résistants du Nord – Pas-de-Calais, au motif qu’ils étaient communistes. Qu’en pense Henri Dudzinski ? « Je déplore tout à fait ce qui se passe actuellement en Pologne. Soixante-quinze ans après, toucher à cette mémoire, ça fait forcément des dégâts. Ceci étant dit, il faut avoir une vue globale des événements. Quand je vois, dans le Douaisis, des élus et militants communistes rebaptiser l’A21 autoroute de la liberté, je ne suis pas d’accord. Entre 1945 et 1990, ce n’était pas la liberté en Pologne ! »
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Henri Dudzinski juge extraordinaire le travail mené à Walbrzych par Bogdan Krol. Cette figure de l’amitié franco-polonaise, bien que n’étant lui-même pas communiste, se bat depuis des mois pour défendre la mémoire de militants et Résistants d’extrême-gauche.
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« Aujourd’hui, je vois les projets du gouvernement, avec la repolonisation des médias, la réforme contestée de la justice et j’ai décidé de réagir. J’ai écrit au Premier ministre et au Président de la République, pour exprimer ma surprise et donner mon point de vue. Je sais que d’autres consuls en France ont également réagi »Le consul de Lille a reçu une réponse officielle. Mais il refuse d’en dévoiler le contenu. Un choix diplomatique, pour le coup.
Il serait plus que nécessaire que la présidence de la république et le gouvernement s’exprime enfin publiquement contre le révisionnisme historique qui frappe actuellement en Pologne avec le soutien de l’Union Européenne, et ce jusqu’à des résistants ayant combattu sur le sol français pour libérer notre pays du joug nazi.
Révisionnisme en Pologne : les enjeux mémoriels de la « décommunisation »
Dès 1989 et la restauration du capitalisme outre-Oder, les dirigeants polonais prenaient des mesures dites de « décommunisation » visant à revisiter l’histoire de la Pologne populaire (1944 – 1989) et ainsi délibérément gommer de la mémoire collective les indéniables avancées sociales dont elle était porteuse.
Changement de noms de rues et places évoquant le mouvement ouvrier et progressiste, lois de lustration (1) de 1997 et 2007 visant à interdire l’accès à la fonction publique d’anciens « collaborateurs du régime » ou à obtenir leur révocation, tentative d’interdiction des symboles communistes en 2009…
Depuis 2015 et le retour au pouvoir du parti Droit et Justice (PIS) (2) de Jaroslaw Kaczynski, classé à l’extrême droite, cette campagne s’intensifie. En septembre 2016 entrait ainsi en vigueur une loi interdisant toute référence au communisme dans l’espace public. Un idéal que le régime assimile au « totalitarisme ».
De Varsovie à Walbrzych, de Gdansk à Torun, des centaines de rues ou d’équipements publics portant le patronyme d’opposants aux régimes dictatoriaux d’avant 1939, de brigadistes internationaux en Espagne, de héros de la lutte de libération nationale, d’intellectuels progressistes du monde entier, de résistants antinazis sont susceptibles d’être concernées.
Exit l’écrivain pacifiste Henri Barbusse, le dirigeant socialiste Salvador Allende, le fondateur de la Pologne populaire Boleslaw Bierut ou le héros de la Commune de Paris Jaroslaw Dambrowski. Bienvenue aux cléricaux Jean-Paul II ou Stefan Wyszynski, au dictateur-maréchal Jozef Pilsudski, au politicien antisémite Roman Dmowski ou encore au général Wladyslaw Anders, croisé de l’antisoviétisme… Ce sont les collectivités locales qui ont la charge de statuer sur ces changements de noms et d’en suggérer d’autres.
Haro sur les antinazis
Ainsi à Walbrzych (Basse-Silésie), dont l’essor industriel a été assuré à la Libération par les mineurs polonais rapatriés de France, la municipalité doit notamment se prononcer sur le cas de la rue Burczykowski du nom d’une famille de résistants de Sallaumines (Pas-de-Calais) décimée pendant la Seconde Guerre mondiale. Joseph, le père, est mort en déportation en Allemagne suite à la grève des mineurs de mai-juin 1941. Deux de ses fils Félix et Grégoire ont été fusillés à la citadelle d’Arras et un troisième Edwin abattu par la police.
Internationaliste dans l’âme, ces résistants communistes combattaient au sein des Francs-tireurs et partisans (FTP) « pour votre et notre liberté ». « Peu m’importe qu’ils étaient ou non communistes. Ils luttaient contre l’Allemand », souligne Bogdan Krol, l’âme de la communauté francophone de Walbrzych, qui tente de convaincre la municipalité de s’opposer à ce changement de nom.
De Walbrzych à Varsovie, de Katowice à Gdansk, les propositions formulées par les collectivités locales devront être avalisées, au plus tard cet été, par l’Institut de la mémoire nationale (IPN). Outil de propagande au service de l’Etat, l’IPN se conduit comme un « ministère de la Mémoire », selon la terminologie empruntée à l’univers orwellien.
L’IPN travaille à la réécriture de l’histoire de la Pologne dans un sens nationaliste et clérical. Ces pratiques révisionnistes s’accompagnent, en dépit des accords liant la Pologne à la Russie, de la destruction des monuments à la gloire des 600 000 soldats et officiers de l’Armée rouge qui ont libéré la Pologne du nazisme… Ou encore de la criminalisation des propos des militants du Parti communiste polonais (KPP). (3)
Jacques Kmieciak
Notes:
1) Ce terme désignait dans l’Antiquité des cérémonies de purification de personnes ou de lieux.
2) Le Parti droit et justice (Prawo i Sprawiedliwość, PiS) a été fondé en 2001 par Jaroslaw et Lech Kaczynski. Ultranationaliste, clérical et eurosceptique, le PIS accède au pouvoir de 2005 à 2007 et Lech Kaczynski exerce comme président de la République polonaise de 2005 à 2010. Le PIS revient aux affaires en 2015. Après l’élection d’Andrzej Duda à la tête de l’Etat en mai de cette année-là, il remporte les élections législatives de l’automne suivant.
3) Sur ce dossier, voir Jacques Kmieciak, « Pologne : intensification de la campagne anticommuniste », Investig’Action, 23 juin 2016, http://www.investigaction.net/pologne-intensification-de-la-campagne-anticommuniste/
4) Le Parti ouvrier unifié polonais (Polska Zjednoczona Partia Robotnicza, PZPR) est né en décembre 1948 de la fusion du Parti ouvrier polonais (Polska Partia Robotnicza, PPR) et du Parti socialiste polonais (Polska Partia Socjalistyczna, PPS). Il s’est autodissous en 1990.
5) Née dans les années 1990 sur les décombres du PZPR, l’Alliance de la gauche démocratique (Sojusz Lewicy Demokratycznej, SLD) est notamment composée d’anciens communistes convertis à la social-démocratie. Le SLD exerça le pouvoir de 1993 à 1997 et de 2001 à 2005 ; son leader Aleksander Kwiasniewski assumant la présidence de la République polonaise de 1995 à 2005.
6) Le PPR est créé en 1942 par des militants communistes polonais.