par Jean Pierre Page, syndicaliste et ancien responsable international de la CGT
Ce qui se passe devrait d’abord être vu à partir d’une vision plus large des choses. C’est-à-dire les stratégies mises en œuvre principalement par les USA, la Chine, l’Inde pour contrer les ambitions des uns ou des autres. La partie d’échecs dans cette région du monde si historiquement et culturellement complexe est décisive, elle va déterminer l’ordre du monde dans les 20 ans qui viennent, elle peut aussi déboucher sur un conflit mondial.
Il est intéressant de noter les événements qui ont lieu simultanément à ceux de Birmanie. Comme d’habitude on découvre, pourtant ne faut-il pas réfléchir également sur les suites des 30 ans de guerre au Sri Lanka et le rôle de plate forme politico-militaire que les américains veulent faire jouer à ce porte-avion naturel depuis que l’impérialisme a obtenu un changement de régime, ceci vient d’être confirmé par la récente conférence internationale tenu à Colombo et dont parle excellemment Tamara Kunanayakam dans un récent discours ou l’article de Lasanda Kurukulasurya. À cela il faut compléter par les événements et la confrontation entre la Chine et l’Inde à la frontière du Bouthan dont personne ne parle, il est vrai qu’il s’agit de l’Hymalaya. On peut rajouter la situation de crise permanente dans la péninsule coréenne, les revendications territoriales en mer de Chine, les multiples provocations militaires US, des ambitions indiennes conjointes avec les USA et le Japon pour concurrencer La route de la soie avec une soi-disant « route de la liberté » entre l’Asie et l’Afrique..,les prochaines et pour la première foi manœuvres militaires conjointes US et Sri Lanka à Trincomalee le plus grand port en eau profonde de l’Asie que la 7e flotte voudrait récupérer, que les USA avaient négocié avec les terroristes du LTTE mais en vain….On peut ainsi multiplier les exemples. La période présente en Asie est propice à ça , il faudrait l’étudier plus sérieusement, suivre les événements et ce qu’ils annoncent bien que pourtant le renouvellement stratégique des USA inauguré par le « Pivot Asia »d’Obama ne soit pas nouveau. Nous en sommes depuis quelques années aux travaux pratiques, et ce n’est qu’un début.
Venons-en à la Birmanie, il faudrait d’abord regarder une carte de géographie avant de faire certains commentaires.
C’est ce que me disait François Plaisant, ambassadeur de France à Pékin en regardant l’ancien planisphère dans son bureau pour parler de la Russie et de la Chine auquel disait-il ses collaborateurs ne comprenaient rien, du fait de l’étendue de ces pays et dans le cas de la Chine de sa population. Voyez-vous me disait il » les chinois sont nombreux , très nombreux » si vous comprenez ça vous comprendrez la Chine. Que nous dit la carte de géographie: la Birmanie a deux grands voisins, la Chine, l’Inde.
La Chine a toujours eu historiquement des relations étroites avec la Birmanie. Elle a d’ailleurs été fort critiquée pour son soutien aux militaires. Mais l’Inde n’est pas en reste.
Cette région a été marquée par la colonisation britannique, son pillage, ses massacres et en cadeau le ‘diviser pour régner ‘des oppositions entre ethnies et religions différentes qui vivaient ensemble jusqu’à l’arrivée de l’empire dans une relative intelligence. Qu’on se rappelle l’indépendance de l’Inde avec la partition et ses millions de morts, La situation aujourd’hui au Kashmir en est l’héritage, les pogroms anti-musulmans et anti-tamouls au Sri Lanka ont précédé 30 ans de guerre. On peut continuer ainsi, la liste est longue des horreurs léguées par la colonisation. La Grande-Bretagne n’a d’ailleurs pas l’exclusivité en ce domaine.
Donc la Birmanie proche de la Chine. Le problème pour les occidentaux dont les américains qui ont financé à bout de bras( via le NED, Soros, toutes ces ONG comme HRW ou Amnesty…) leur protégée La Grande prêtresse prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi est que dès qu’elle a pris le pouvoir, elle a tourné ses jolis yeux vers Pékin.
Sa rencontre il y a un peu plus d’un an avec les dirigeants chinois au plus haut niveau, qui avaient déroulé le tapis rouge pour l’occasion . Elle était venue discuter entre autres d’un projet pharaonique qui doit alimenter les besoins énergétiques de la Chine : le controversé barrage de Myitsone qui sera évidement financé par la Chine. Bon il y a aussi quelques petits problèmes armés frontaliers, qui devraient pouvoir se régler. Il y a aussi des infrastructures portuaires comme celles que la Chine a fait construire dans le passé et qu’il faut compléter , la situation est identique au Sri Lanka et aussi bien sûr du pétrole… .
Cette rencontre n’est pas passée inaperçue tant du côté US que du côté Indien. Il faut donc mettre la pression sur la nouvelle dirigeante hier alliée et qui aujourd’hui devient plus pragmatique surtout quand il s’agit de financer le développement de son pays et tenir compte des réalités géo-politiques dans cette région où l’influence économique mais aussi politique et militaire ne fait que grandir, presqu’irrésistiblement. Trump a beau s’agiter pour le moment, il n’a pas beaucoup de parades, sauf bien sûr la guerre.
Quant à l’Iran elle est soucieuse de l’avenir de son accord signé sur le nucléaire avec Obama et très critiqué par Trump. L’Iran voit là une opportunité pour se rappeler aux bons plaisirs de Washington dans l’espoir que l’on sache renvoyer l’ascenseur.
Il faut donc observer ces événements dans ce contexte, certes prendre en compte le désastre humain que représente l’exode de populations entières, les massacres, ce sont toujours les mêmes qui payent. Mais aussi analyser les faits concrets , être lucide sur les causes et les responsabilités si l’on veut comprendre les conséquences. C’est tragique mais c’est malheureusement le coût humain que l’humanité paye à la voracité capitaliste et aux ambitions folles de domination impérialiste, en Birmanie et malheureusement ailleurs. Il suffit de lire la presse voir la manière dont les grands médias internationaux orientent l’information pour être édifier. Il faut sortir les mouchoirs et surtout ne pas voir le fond des choses.
Cette région du monde est capitale. Les USA viennent d’affirmer qu’ils sont et resteront une puissance de l’océan Indien et du pacifique( lire à ce sujet les articles de Tamara K. et Lasanda K.) et les déclarations d’Alice Wells, sous-secrétaire d’État qu’elle vient de faire à Colombo il y a deux semaines, s’ il le fallait en déstabilisant la Birmanie. 80% du trafic mondial de containers et 50% du trafic pétrolier naviguent dans cette région , on comprend que cela attise les appétits. Depuis la guerre en Yougoslavie et même avant, l’enjeu des corridors, particulièrement maritimes, est décisif, on ne le répétera jamais assez.
Pour la petite histoire, la Birmanie partage avec la Thaïlande et surtout le Sri Lanka qui en est le centre « pontifical »une même vision du bouddhisme, il est vrai très conservateur, le bouddhisme Theravada………
Jean Pierre Page