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11 octobre 2017 – Jacques Nikonoff est président du Pardem
Jamais, dans l’histoire de l’Organisation des Nations unies, un chef d’État ne s’était comporté comme vient de le faire le président américain le 19 septembre. Son discours prononcé devant ceux qui sont normalement, en droit international, ses pairs, constitue une menace grave et immédiate pour la paix mondiale. Alors qu’il s’exprimait pour la première fois à la tribune de l’ONU, ses propos ne pouvaient qu’être interprétés comme la présentation de sa vision du monde. Chaque mot devait être pesé.
Donald Trump a bien mesuré ce qu’il avait à dire, mais en contradiction totale avec son appel à la « souveraineté », répété 21 fois, qui apparait comme un double langage manifeste. Il s’est livré à une série d’insultes et de menaces grossières à l’encontre de plusieurs pays souverains. Le président américain a nettement battu le record de son prédécesseur, George Bush Jr qui, en 2002, en réponse aux attentats du 11-Septembre 2001, avait dénoncé l’ « axe du mal » constitué de la Corée du Nord, de l’Irak et de l’Iran. Selon cette « doctrine », les États-Unis, dépositaires et gardiens du « Bien » par une attribution divine, auraient un droit naturel (divin) de formuler des exigences aux pays qui feraient le « Mal ». Bien sûr, les critères permettant de définir ce qu’est le « Bien » et ce qu’est le « Mal » ne seraient que de la responsabilité de l’Oncle Sam. Si des pays ne se conforment pas à ces exigences, les États-Unis peuvent alors choisir à leur convenance, unilatéralement et en toute illégalité, l’option militaire directe (invasion), indirecte (élimination des dirigeants) ou différentes sanctions notamment des blocus économiques.
Trump est apparu pire que Bush fils.
Il a largement « arrosé » plusieurs pays, les menaçant de différentes turpitudes.
Menaces de « destruction » de la République populaire démocratique de Corée
C’est la situation la plus grave pour la paix. L’irresponsabilité du président américain rend en effet plausible un conflit nucléaire. Il a déclaré, dans son discours à l’ONU, que « si l’Amérique doit se défendre, elle et ses alliés, nous n’aurons d’autre choix que de détruire complètement la Corée du Nord ». Ce pays serait dirigé par une « bande de criminels », qui « affame son peuple », « emprisonne et tue les opposants ».
On présente régulièrement les dirigeants nord-coréens comme « cinglés ». La réalité est très différente, car ils mènent en réalité une politique parfaitement rationnelle qui est tout simplement la défense de leur intégrité territoriale.
À d’autres occasions, récemment, Donald Trump et différents responsables des États-Unis avaient tenus des propos similaires :
- Trump a envoyé un tweet disant que Kim Jong-un « ne serait pas dans les parages encore bien longtemps ». Cela a été pris comme une déclaration de guerre par Pyongyang qui a répondu que la Charte des Nations unies lui donne « le droit d’abattre les bombardiers stratégiques des États-Unis même s’ils ne se trouvent pas encore dans l’espace aérien de notre pays ».
- Le général McMaster a déclaré « Nous espérons éviter la guerre avec les Nord-Coréens, mais on ne peut pas écarter cette éventualité ».
- Le général Mattis a parlé « des options pour frapper la Corée du Nord sans mettre Séoul en danger ».
- Trump : « ceux qui font des affaires avec les Nord-Coréens ne pourront plus en faire avec nous ».
Certes, le régime nord-coréen n’est pas celui que l’on peut souhaiter pour notre pays. Cette évidence ne doit cependant pas nous aveugler et nous empêcher de distinguer correctement les responsabilités des uns et des autres.
Distinguer correctement les responsabilités des uns et des autres.
Il est reproché à la République populaire démocratique de Corée (RPDC – appelée Corée du Nord) d’avoir effectué le 3 septembre son 6e essai nucléaire, tandis que 22 tirs de missiles balistiques avaient eu lieu cette seule année. Ce dernier essai, en effet, comme le survol du Japon par un missile balistique nord-coréen, doit être condamné car contrevenant au Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) de 1968. Certes, la RPDC n’est pas (plus) signataire du TNP. Sur un plan strictement juridique, seuls les signataires qui n’appliqueraient pas le traité sont donc condamnables.
Mais une simple approche juridique ne peut suffire, il faut aussi une approche politique. Faire survoler un État souverain (le Japon) par des missiles balistiques est totalement inacceptable, signature ou pas du TNP. Rappelons cependant pourquoi la RPDC est sortie du TNP. La RPDC s’était dotée de technologies nucléaires civiles tout en signant le traité de non-prolifération nucléaire (TNP) en 1985. La chute de l’URSS à partir de 1989, qui avait accompagné sa nucléarisation, l’obligera à maîtriser la filière. Kim Il-sung, le grand-père de l’actuel dirigeant, a proposé à George H. Bush d’ouvrir des discussions pour remplacer l’armistice qui mit fin à la guerre de Corée (1950–1953) par un traité de paix en bonne et due forme (il faut savoir que juridiquement la RPDC et les États-Unis sont toujours en guerre !). Il a essuyé un refus. Il a donc tiré son premier missile en 1993 (sortie du TNP). Il faut dire aussi que l’Inde, le Pakistan et Israël sont non-signataires et possèdent l’arme nucléaire car ils invoquent des « raisons de sécurité ».
Néanmoins, la communauté internationale doit prendre acte du fait nucléaire nord-coréen. Tout le monde doit accepter cette réalité : la Corée du Nord est aujourd’hui une puissance nucléaire capable d’atteindre les États-Unis. On ne peut plus demander à la Corée du Nord de renoncer à l’arme nucléaire sans garanties sérieuses concernant sa souveraineté et sa sécurité. Ce serait non seulement complètement irréaliste mais dangereux.
Il est impossible que la Corée du Nord accepte de dénucléariser unilatéralement, se serait signer son arrêt de mort. Car elle conçoit l’arme atomique comme une protection contre toute tentative américaine d’agression. Tout le monde a compris, après que les États-Unis aient renversé ou tenté de renverser plusieurs régimes non-nucléaires (Afghanistan, Cuba, Irak, Libye, Syrie, Venezuela), que la bombe atomique était le seul moyen, paradoxal, de rester en paix.
Les Nord-Coréens ont bien compris que si Kadhafi avait été éliminé, c’est bien parce qu’il avait renoncé à son programme nucléaire…
Si la crise se poursuivait, elle déboucherait presque certainement sur un échange nucléaire. Celui-ci aurait des conséquences tragiques sur une grande partie du monde, y compris les États-Unis. N’oublions pas que la RPDC a des frontières communes avec la Chine et la Russie, et qu’une frappe nucléaire américaine sur ce pays aurait des retombées sur ces deux pays…
Que faire pour éviter cela ?
Il faut prendre acte du fait nucléaire nord-coréen et convaincre les dirigeants de ce pays de ne pas aller au-delà en échange d’un traité de paix et d’une aide au développement économique. La politique des sanctions n’a donné aucun résultat et n’a pas permis d’améliorer le sort de la population. Elle n’en donnera pas plus à l’avenir.
En échange du démantèlement de leurs installations nucléaires, les Coréens du Nord obtiendraient un traité de paix avec les États-Unis qui inclurait l’établissement de relations diplomatiques et la dénucléarisation de la péninsule coréenne, un accord international avec la Russie et la Chine garantissant la sécurité du régime et du pays, et un retrait américain de Corée du Sud.
Il est stupéfiant d’observer la nonchalance avec laquelle la classe politique française réagit à cette menace.
Rien de sérieux n’est entrepris pour encourager la voie diplomatique et rapprocher les deux protagonistes.
Menaces de nouvelles sanctions contre l’Iran
Pour Trump, l’Iran est un « État voyou », « une dictature corrompue sous le masque de la religion », un « régime meurtrier » qui soutient le terrorisme de l’Irak au Yémen, le régime d’Assad en Syrie et le Hezbollah au Liban. Les États-Unis lui reprochent de transférer des fonds et des armes aux houtistes du Yémen, au Hezbollah libanais, au Hamas palestinien, son soutien aux milices chiites en Syrie et en Irak, son « expansionnisme régional » (les États-Unis ont leurs gendarmes locaux, l’Arabie saoudite et Israël), le programme de missiles balistiques. L’accord sur le nucléaire conclu en 2015 est « un embarras pour les États-Unis ». Le président américain ose affirmer que « Nous ne pouvons pas respecter un accord s’il sert à couvrir l’éventuelle mise en place d’un programme nucléaire », alors que l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) assure que le régime iranien respecte ses engagements.
Les seuls pays à soutenir ouvertement le président américain sont les pays qui appartiennent probablement à l’ « axe du Bien », selon les critères états-uniens, les très renommées démocraties que sont Israël et l’Arabie saoudite.
Sera-t-il possible de sauver l’accord sur le programme nucléaire iranien, arraché à Téhéran par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne en juillet 2015 après près de plus de 10 ans d’âpres négociations ?
Tous les 90 jours, le président américain est tenu d’indiquer au Congrès si l’accord nucléaire avec l’Iran est respecté. La prochaine date est le 15 octobre où Trump doit décider de « certifier » ou non, auprès du Congrès, le bon fonctionnement de l’accord de Vienne. S’il refuse la certification, les parlementaires auront alors deux mois pour décider ou non de le suivre et de réimposer à l’Iran les sanctions qui avaient été levées.
Encore une fois, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), le gendarme mondial du nucléaire, est formelle. Elle affirme que l’Iran respecte ses engagements. Mais le problème, pour Trump, n’est pas là. Il est de contrer l’influence grandissante et déstabilisatrice (pour l’ordre américain) de l’Iran au Moyen-Orient. Pourtant l’accord de Vienne a ralenti la marche de l’Iran vers la bombe atomique en imposant des limites à son programme nucléaire civil surveillé par l’AIEA.
Si l’Iran, encouragé par l’hostilité américaine, décidait de s’affranchir de cet accord, ce pays se sentirait libre de reprendre la militarisation à grande vitesse de son programme nucléaire.
Ce ne serait que la confirmation que pour ne pas se faire envahir par les Américains il faut la bombe atomique.
Des vociférations contre Cuba, le Venezuela, la Russie et la Chine
Cuba serait « un régime corrompu, déstabilisateur ». Des relations diplomatiques ont pourtant été établies par Barack Obama.
Le Venezuela serait l’exemple du « socialisme fidèlement appliqué », où le « dissolu » Nicolas Maduro « a détruit un pays prospère, défié son propre peuple et mis à terre ses propres institutions ». Les États-Unis se tiennent « au côté du peuple », leur « but étant de les aider à regagner leur liberté et à restaurer leur démocratie ». « Nous ne pouvons pas rester sans rien faire ». « En tant que voisins et amis responsable nous devons avoir un but » : que les Vénézuéliens puissent « récupérer leur liberté, remettre le pays sur les rails et renouer avec la démocratie ». Il se dit prêt à « de nouvelles actions ». Mais en quoi tout cela regarde les USA ?
La Russie menacerait l’Europe de l’Est (« annexion » de la Crimée) et le Proche-Orient.
La Chine développerait ses menaces en mer de Chine du Sud où elle manifesterait une volonté d’hégémonie maritime.
Un budget militaire qui « explose »
En ligne avec l’agressivité du président Trump, le Sénat américain vient d’adopter un budget de la défense de 692 milliards de dollars pour 2018. La hausse est de 100 milliards de dollars sur 2016 ! Ces sommes gigantesques doivent servir à :
- Recruter 60 000 hommes supplémentaires pour l’Armée de Terre, portant ses effectifs à 540 000 hommes.
- Ajouter 78 nouveaux bateaux et 50 000 marins supplémentaires à l’US Navy, portant le total à 350 navires et 380 000 hommes.
- Renforcer l’US Air Force d’une centaine d’avions de combat et de 40 000 aviateurs supplémentaires, portant le total à 2 000 aéronefs et 360 000 hommes.
- Accroître le corps des Marines de 12 000 soldats, portant le total à 194 000.
Pour ne prendre qu’un exemple témoignant de la supériorité militaire absolue des Etats-Unis, la Chine, pourtant deuxième armée du monde, ne possède que 500 chars modernes (Type 99) contre 8 700 pour les États-Unis (M1 Abrams). Sur les 8 400 hélicoptères de combat dans le monde, 6 400 sont américains. L’US Navy possède 10 porte-avions, soit autant que tous les autres pays réunis. Les États-Unis possèdent 800 bases dans le monde et des contingents dans 177 pays. Qui peut en dire autant ? La Corée du Nord ? Cuba ? Le Venezuela ? L’Iran ? Ou même la Chine et la Russie ?
Il est temps, dans chaque pays, et aussi à l’échelon international, de prendre des initiatives pour la paix et de stopper l’agressivité américaine.
La démondialisation, c’est aussi la lutte contre la mondialisation des armements, notamment nucléaires. C’est la lutte pour la paix, la lutte pour le désarmement, la reconnaissance de la souveraineté de chaque État quel que soit son régime politique. En cas de crise grave, il revient à l’ONU de jouer son rôle de maintien de la légalité internationale, aucun gendarme du monde auto-proclamé n’est acceptable.
Que fait l’Union européenne ? On nous dit et rabâche : « l’Union européenne c’est la paix ». Mais où est l’Union européenne au moment où la paix est menacée ? En réalité, liée aux États-Unis dont elle est le vassal, l’Union européenne s’apprête à suivre son maître dans ses aventures en Corée et en Iran. L’Union européenne, c’est la guerre !