1
Le Che est réapparu chez moi
ainsi qu’au fin fond du Mexique
au Chili et au Nicaragua.
Sa photo est posée sur mon bureau
entre le globe terrestre
et la vieille machine à écrire
made in USA.
Le Che est venu s’installer chez moi
avec son regard de gamin rebelle
provocateur d’étincelles
et sa barbe d’adolescent
Et il sourit
malgré la fièvre et l’asthme
et les contradictions de l’histoire.
Le Che rit de bon cœur
heureux et pur comme un matin
quand l’eau du maté se met à bouillir
dans le camp des guérilleros
encerclé par la brume
Christ combattant d’implacable douceur
Étoile du Sud
Ange complètement terrestre
d’un amour sans pardon
Il fume le cigare
et les cendres qui tombent de sa barbe tropicale
malgré les pluies, malgré les années
mettent le feu à la montagne.
2
Sur le ciel bleu passé de la carte
l’Amérique du Sud
a un corps torturé de pendu
et des plaies ouvertes que lui laissent ses bourreaux
tombent des enfants-lumière.
Che est un enfant tombé sur cette terre
Et – après qu’il eût marché
par les chemins de la souffrance humaine
sur le dos du continent perclu –
l’enfant fugueur
a ramassé sa trousse de médecin
et il a pris les armes.
3
Dans la Sierra Maestra
du temps de la guerre révolutionnaire
(Ceci est tiré de la Légende dorée des Saints
sanglants parfois de la Révolution)
harcelés, les guérilleros traversent la montagne à marche forcée
Che
que l’asthme empêche d’avancer
dit à Fidel :
« Laisse-moi, je vais vous retarder »
mais Fidel refuse de l’entendre.
4
« La beauté n’est pas fâchée,
disais-tu,
avec la Révolution. »
5
Che,
camarade ministre
tu conduis un tracteur et tu joues
tu tiens à la main la machette
des combattants de la zafra
des guerilleros de la production
mais même la terre de Cuba
si légère
colle aux pieds
et le ciel se fait lourd.
« L’économie socialiste
dis-tu –
sans la morale communiste
ne m’intéresse pas ».
La route à peine ouverte
il te faut repartir.
6
Che
tu n’auras pas connu
la honte de vieillir
de prendre du ventre
de t’accommoder
des petits honneurs
et des grandes misères.
Tu n’auras pas connu
le goût cendré
de la résignation.
7
Trahi par ceux
pour qui tu combattais
tu t’es perdu
dans le froid et le vert
sur les chemins d’un pays austère
mais les errements
le désastre militaire
l’isolement et la défaite
dans la nuit de la terre
et dans le cœur obscur des peuples
comme par enchantement
se sont transformés
en source de lumière.
8
Che
tu es réapparu chez moi
et dans les rayons des supermarchés
sur les étals des magasins
sur les pochettes des CD
imprimé sur des T. Shirts
ou sur le chrome des zippos
nouvelle icône à vendre et à acheter
super produit gagnant
du grand concours de beauté
des martyrs et des révoltés.
Le capitalisme fait ventre
de toutes les rébellions
et se nourrit
même
de ce qui le détruit.
Che
tu es le rêve inguérissable
d’un monde sans rêve
et sans révolution
un rêve qui réveille au milieu du sommeil.
9
Comandante Che
ce soir
devant ma machine à écrire
un cigare aux lèvres
au milieu des plantes vertes
je me demande qui a dit :
« La Révolution est une bicyclette ;
si tu t’arrêtes
de pédaler
tu tombes. »
Francis Combes
http://franciscombes.unblog.fr/2017/10/16/elegie-pour-le-che/
(publié dans Cause commune, éditions Le Temps des Cerises)