Par Floréal, PRCF, Décembre 2017
D’authentiques marxistes se doivent de lire ce livre qui paraît refléter fidèlement ce que pensent les hauts gradés. Il faut lire Servir, pas seulement parce que le marxisme n’a rien à voir avec l’antimilitarisme plat*, et encore moins avec l’antipatriotisme de parade cher aux bobos*. Pas seulement non plus parce que P. de Villiers a fait montre de dignité en démissionnant après les propos injustes et discourtois de Macron sur la gestion des crédits militaires. Mais d’abord parce que, de manière simple, précise, et manifestement sincère, l’ex-chef d’état-major des Armées rend compte honnêtement à partir, naturellement, du point de vue de classe et de métier qui est le sien :
- De l’état réel de la conflictualité mondiale; et le tableau est fort angoissant comme le montre l’énumération des « sept D » qui caractérisent les conflits en cours : durcissement, durée, délais, dispersion, déshinibition, dissémination, digitalité… Quand de sombres irresponsables comme Trump (mais pas sûr du tout que la Clinton eût été moins agressive à l’international !) attisent les braises en reconnaissant Jérusalem comme capitale d’Israël, quand ils relancent comme jamais les budgets militaires, quand ils somment les Européens (qui obtempèrent aussitôt !) d’augmenter leurs dépenses affectées à l’OTAN (des dépenses ouvertement tournées vers la préparation d’un conflit avec la Russie), quand ils promettent d’ « araser la Corée du Nord » (qu’habitent, non pas des cloportes mais 25 millions d’humains !), quand au surplus, revenant à l’ « unilatéralisme » de Reagan et des deux Bush, les États-Unis se retirent pas à pas de l’ONU et de l’UNESCO, comment ne pas voir qu’à nouveau, comme à l’apogée de la seconde guerre froide (ces années 83/85 qui virent Reagan, suivi par Thatcher, Kohl et Mitterrand, mettre l’URSS en demeure de se soumettre ou de cesser d’être !), comment refuser de voir que la marche à la guerre mondiale – ou plutôt, à la mondialisation des guerres – est déjà enclenchée ?
- De la faiblesse relative de l’armée française qui, certes, porte un « modèle militaire complet », mais avec des moyens de plus en plus chancelants, notamment en matière de logistique et d’aéroportage. Une armée de plus en plus américano-dépendante (notamment pour le renseignement et les drones), surexposée et sur-occupée (au point de ne plus pouvoir s’entraîner correctement, tant elle est sans cesse sur le terrain !). Bien entendu, le général ne se pose aucune question sur la professionnalisation totale de l’outil militaire, qui tient le peuple à distance de sa défense, et encore moins sur l’intégration de nos armées à l’OTAN et à la « défense européenne » ; bien entendu, le général croit fermement que la bienheureuse « Europe » nous met définitivement à l’abri de l’Allemagne et des États-Unis. Sauf que ces derniers ne sont des « alliés » que pour autant que la France reste solidement arrimée au capitalisme euro-atlantique. Qu’émerge une France Franchement Insoumise à l’UE capitaliste et ces « alliés » de l’Axe Washington-Berlin se comporteraient aussitôt comme ces monarques européens cousins de Louis XVI qui tentèrent d’étrangler le peuple français en révolution… Bref, il y aurait lieu de s’interroger d’une manière beaucoup plus approfondie que ne peut le faire M. de Villiers sur l’orientation même d’une « défense » qui est plus à même de se projeter sur l’Afrique et sur le Proche-Orient à la suite de décisions typiquement néocoloniales (comme l’ingérence grossière de la France officielle en Syrie, ou comme le bombardement de la Libye par Sarkozy, avec tout ce qu’elle a comporté de déstabilisation ultérieure pour l’Afrique francophone…) qu’elle ne l’est d’accomplir sa mission première : défendre le territoire national quel que soit le régime en place…
On peut aussi s’interroger sur la « perception » et sur la désignation même de l’ennemi qu’exprime M. de Villiers : aucune interrogation sur le camp occidental et le système capitaliste, dont les responsabilités en matière de déclenchement des guerres sont pourtant accablantes, aucune critique de la manière dont les manigances impérialistes ont déstabilisé le Proche-Orient, ont même financé Daesch par pétromonarchies interposées, ont attiré la foudre terroriste sur Nice et Paris (ce qu’avaient su éviter, reconnaissons-le, Chirac et Villepin) ; aucun sens critique véritable non plus sur les prétendues responsabilités des « États-puissances » (en clair, la Chine et la Russie) dans la montée des tensions géopolitiques. Il suffit pourtant de regarder la carte des implantations militaires US pour constater que le territoire états-unien n’est pas, comme le sont les territoires russe et chinois, encerclé de bases russo-chinoises : c’est bien Washington qui entretient des troupes dans d’ex-Républiques soviétiques (de Riga à l’Ouzbékistan !), qui soutient un gouvernement pronazi en Ukraine, qui a « cherché la bagarre » avec la Russie en Syrie, qui torpille les accords existants avec l’Iran, qui s’évertue par tous les moyens à couper les approvisionnements maritimes de la Chine ; comme ce fut hier Washington qui initia TOUTES les étapes de la course aux armements nucléaires contre l’URSS, qui créa l’OTAN (bien avant la naissance du Pacte de Varsovie, auquel d’ailleurs l’OTAN a survécu, phagocytant au passage tous les ex-pays socialistes), la « petite Europe » de ces grands « pacifistes » qu’étaient Monnet et Schuman, qui mit en place la RFA atlantique bien avant que ne fût proclamée la RDA, et qui refusa constamment les deux mesures simples que proposait Moscou : interdire partout les armes nucléaires et en attendant, s’engager solennellement à ne jamais user de l’arme nucléaire en premier. Mais peut-être M. De Villiers n’a-t-il pas ouï parler d’Hiroshima, lui qui parle sans rire de la « fin de la menace communiste »*** ?
Pas question pour autant pour les communistes de ricaner sottement à propos de l’engagement d’hommes et de femmes, les militaires de métier qui, à la différence des parties réellement dirigeantes de leur classe, PDG, rentiers, actionnaires, innombrables parasites people et autres de l’oligarchie, respectent encore la langue française, aiment sincèrement leur pays, respectent (à leur façon, gravement amputée****…) son histoire… et sont prêts à mourir pour ce qu’ils croient sincèrement être « la » nation. Mais plutôt…
- a) Appel à redoubler d’activité pour défendre la paix mondiale de moins en moins assurée par la faute de l’impérialisme, dont la dimension exterministe est de plus en plus flagrante.
- b) Refus total de l’augmentation des dépenses militaires tant que la France n’est pas sortie de l’OTAN, ce qui ne signifie nullement refus de principe de la défense NATIONALE, et tant qu’elle ne sort pas de l’engrenage de la défense européenne dont le terme évident sera la remise des clés nucléaires à Berlin, et aussi du siège français au Conseil de Sécurité à « l’Europe », c’est-à-dire également à l’Allemagne étant donné les rapports de forces politiques, économiques et, de plus en plus, militaires, entre Paris et Berlin. Oui à la défense de la nation, non au financement de sa dissolution euro-atlantique ou à l’utilisation de la force armée contre d’autres peuples !
- c) Acceptation provisoire de la force de frappe nucléaire, tout en œuvrant à l’idée d’un désarmement universel, nucléaire pour commencer, tant qu’une France franchement progressiste et révolutionnaire n’a pas reconstruit les moyens d’une défense nationale de son territoire national par le peuple en armes (aidé, instruit et encadré, faut-il le dire, par des militaires de métier instruits dans l’esprit républicain) car les communistes ne sont pas des néo-munichois qui promettent la révolution sans se doter des moyens de la défendre ; dans cet esprit, refus des expéditions néocoloniales pseudo-humanitaires, notamment en Afrique
- d) Politique internationale radicalement nouvelle, en rupture totale avec l’euro-atlantisme débridé actuel, avec le soit-disant « droit d’ingérence » des grandes puissances dans les affaires des pays dominés, rapports détendus avec les « BRICS », solidarité politique avec les travailleurs et les peuples en lutte pour l’indépendance, le progrès social et le socialisme, etc. (rappelons la phrase de Robespierre : « les peuples n’aiment pas les missionnaires armés »).
- e) action pour que la France sorte au plus tôt du broyeur euro-atlantique qui détruit sa production nationale, ses services publics, ses acquis sociaux, ses institutions territoriales, sa souveraineté politico-militaire et jusqu’à sa langue sacrifiée au tout-anglais « transatlantique ». Un euro-broyeur si peu « protecteur » pour notre pays que les critères de Maastricht, sur lesquels la Banque de Francfort fonde la gestion de la zone euromark, sont la source permanente de l’austérité sans fin imposée aux militaires comme aux agents civils de la Fonction publique*****…
Alors enfin on pourra parler, comme le souhaitait Jaurès, de défense NATIONALE sans l’opposer à l’engagement internationaliste pour une coopération mondiale et intercontinentale.
NOTES
* … du moins en dehors des périodes d’ « union sacrée » : car quand la grande bourgeoisie et ses médias leur mettent vraiment la pression, ces « antimilitaristes » de pacotille se mettent subitement, comme Renaud, à « embrasser un flic »… ou à claquer des talons devant les képis étoilés).
**Rappelons qu’Engels, fondateur de la réflexion marxiste sur la guerre et la paix, était affectueusement appelé « le Général » par Karl et Jenny Marx…
***Ce Vendéen apparenté à Philippe de Villiers veut montrer son ouverture d’esprit (il accepte le drapeau tricolore, « en usage depuis Louis XVI », et se réfère plusieurs fois à la République : ouf !) quand il dit avoir pris l’habitude, en Vendée même, de « trinquer au rouge et au blanc aux Bleus et aux Blancs » (aux soldats de la République, les « Bleus », comme aux Chouans défenseurs du Roy, les « Blancs »). Mais pas aux Rouges qui pourtant, démontrèrent leur patriotisme ardent sous la Commune (en refusant de livrer Paris aux Prussiens) ou durant l’Occupation, et qui, jusqu’au début des années 80, représentaient 1/5ème des Français… Au passage, que les défenseurs du français mesurent ce que signifie l’actuelle évaporation des liaisons en termes de sens : sans la liaison « aux Bleus-z-et aux Blancs », le toast du Général devient inintelligible et le jeu de mots disparaît !
****Le général n’aime pas les conflits sociaux et trouve naturel que le gouvernement puise dans les réserves pétrolières de l’armée pour briser la grève des raffineurs… Et toutes ses citations historiques proviennent d’hommes politiques de droite ou de généraux passés. De leur côté, les communistes ne dédaignent pas citer De Gaulle, Bonaparte ou Jeanne d’Arc, mais en matière d’écrits et de hauts faits militaires, on peut aussi citer Saint-Just, Rossel, Dombrowski, Tillon, Max Barel, Rol-Tanguy, Epstein, pour ne citer que des jacobins, des communards ou des FTP communistes décédés…
******De ce point de vue, M. de Villiers ne tombe pas dans le poujadisme si fréquent à droite d’une opposition entre armée et Éducation nationale. Même s’il met en valeur – c’est sa fonction ! – les sacrifices importants – en réalité scandaleux ! – que l’on exige des militaires en matière de conditions d’emploi, le général semble avoir conscience de ce que subissent les autres services publics en voie d’euro-dépeçage.