Philippines – L’arrivée du populiste Duterte au pouvoir à Manille – avec la relance du processus de paix – avait pu susciter quelques espoirs. Des espoirs déçus avec la brutale volte face du président philippin. Dans une tribune publiée par Telesur, Jose Maria Sison, figure internationale du mouvement progressiste philippin analyse la situation, dont www.initiative-communiste.fr vous propose la traduction depuis l’anglais.
Le projet de dictature fasciste de Duterte
Par Jose Maria Sison, 19 décembre 2017 Telesur
Par sa politique étrangère pseudo-indépendante, Duterte essaie de transformer les Philippines en un condominium des puissances impérialistes.
Les groupes de négociation du gouvernement de la République des Philippines (GRP) et du Front national démocratique des Philippines (FNDP) étaient sur le point de tenir la cinquième ronde de pourparlers de paix à Oslo lorsque le président philippin Duterte a proféré, tous les jours à partir du 18 novembre 2017, une série de diatribes anticommunistes, édictant ensuite la Proclamation 260 pour mettre fin aux négociations de paix avec le FDNP, et la Proclamation 374 pour étiqueter comme « terroristes » le Parti communiste des Philippines (PCP), la Nouvelle armée populaire (NAP) et leurs partisans et financeurs présumés.
Ironie de l’histoire, les deux groupes de négociation étaient sur le point d’accomplir la plus grande avancée dans le processus de paix, en mettant au point et en ébauchant les termes de l’amnistie générale en vue de la libération de tous les prisonniers politiques recensés par le FDNP, de la première partie de la réforme agraire et du développement rural et de la seconde partie de l’industrialisation nationale et du développement économique de l’Accord global sur les réformes économiques et sociales (CASER dans le sigle anglais) ainsi que les cessez-le-feu unilatéraux coordonnés (préludes à un accord de cessez-le-feu bilatéral).
Les groupes de négociateurs s’attendaient à ce que le CASER soit prêt à être signé au premier trimestre 2018 par les responsables et que l’Accord global sur les réformes politiques et constitutionnelles (CAPCR dans le sigle anglais) soit négocié et établi, en coordination avec les procédures du Congrès du GRP pour la révision de la Constitution de 1987, pour éventuellement parvenir à un consensus de toutes les forces politiques importantes sur ce qui devrait être un mode fédéral de gouvernement. Mais à l’évidence, Duterte avait toujours voulu empêcher et exclure le FNDP de ce qui apparaît maintenant comme son projet de dictature fasciste sous prétexte de fédéralisme.
Dans le but de compléter les ébauches citées plus haut en vue de leur discussion par les groupes, Duterte avait permis à son groupe d’inviter celui du FNDP à des consultations parallèles en octobre 2017 à Utrecht et dans des rencontres bilatérales en sous-commissions à Manille de septembre à novembre 2017. Mais il a brusquement changé d’avis et mis fin aux négociations de paix. La pirouette a fait suite à ses longues discussions avec le président américain Trump, qui lui aurait assuré un soutien politique et militaire pour un plan de répression du PCP et de la NAP visant à les achever avant la fin de 2018.
La dictature fasciste de Duterte a besoin de l’arrêt des négociations de paix
Bien que le plan soit trop ambitieux et presque impossible à réaliser, Duterte a besoin de mettre fin aux négociations et de diffamer le PCP et la NAP en leur collant l’étiquette de « terroristes ». Il s’agit de préparer la voie à une future prorogation de la loi martiale dirigée contre ces organisations, à Mindanao pour toute l’année 2018 et enfin de l’étendre à tout le pays. C’est dans la lignée du projet de Duterte d’imposer sa dictature fasciste aux Philippines.
Avant même que la première prorogation de la loi martiale à Mindanao ne soit annulée à la fin de 2017, Duterte se vantait d’avoir vaincu l’Islamiyah de Dawlah (les groupes Maute et Abu Sayyaf) dans la ville de Marawi et que donc il n’avait plus besoin de la loi martiale à Mindanao. Mais il a trouvé dans l’extension de la loi martiale un moyen de prendre le PCP et la NAP comme cibles dans une autre extension à toute l’année 2018 en saisissant l’occasion de mettre fin aux négociations de paix et d’accuser le PCP et la NAP de faire monter la violence et de mettre en danger la sécurité publique.
Duterte était assez confiant qu’il obtiendrait l’extension de la loi martiale à Mindanao grâce à sa « super-majorité » dans son Congrès godillot. Il a également une majorité stable d’au moins huit des juges de la Cour suprême (il en a récemment nommé quatre et cinq ont été désignés par Gloria Macapagal Arroyo) pour confirmer sa proclamation de la loi martiale de la même manière qu’ils ont pu rejeter le cas de pillage contre Aroyo et autoriser l’enterrement de Marcos dans le Libingan ng mga Bayani [le cimetière des héros, NdT] grâce à l’alliance hyper-corrompue de Duterte avec les dynasties avec les dynasties de Luzon, Marcos, Arroyo, Estrada et d’autres célèbres pilleurs.
Duterte est déterminé à réaliser son plan de réimposer une dictature fasciste au peuple philippin en révisant et en supprimant la Constitution de 1987 sous le prétexte d’adopter un système fédéral de gouvernement. L’astuce est similaire à celle de Marcos, qui a prétendu opter pour une forme parlementaire de gouvernement dans le but d’abolir la Constitution de 1935 et d’installer une dictature fasciste sous couvert de dispositions transitoires.
Le fédéralisme, prétexte pour imposer la dictature fasciste de Duterte sur le peuple
Duterte ne désire pas vraiment d’établir un système fédéral de gouvernement mais plutôt d’instaurer une sorte de dictature présidentielle unitaire très centralisée sur les gouvernements régionaux dirigés par les dynasties, y compris des seigneurs de guerre et les capitalistes bureaucrates les plus corrompus, comme lui. La grande alliance de l’Etat des propriétaires compradors soumis au capitalisme monopoliste étranger restera intacte sous son régime.
Pour satisfaire son appétit de pouvoir autocratique, Duterte estime absolument nécessaire d’appliquer la loi martiale à tout le pays dans une tentative hystérique et futile d’intimider et de supprimer le mouvement révolutionnaire armé, la contestation et l’opposition en général. La suspension du décret d’habeas corpus fournit une couverture et un permis efficaces pour enlever, déposséder, torturer et assassiner les révolutionnaires et tous ceux qui s’opposent à lui. Même maintenant, il ne peut pas attendre qu’un tribunal approuve sa désignation du PCP et de la NAP comme « terroristes ». Il a demandé à plusieurs reprises à ses sbires armés de les tuer à vue.
La Résolution bicamérale No 8 du 17e Congrès, portant le titre « Constituer le Sénat et la Chambre des représentants », en une « Assemblée constituante par l’adoption d’une forme fédérale de gouvernement et à d’autres fins » est déjà sur les rails et sera adoptée lorsque les sessions reprendront en janvier 2018. Duterte et ses troupes seront seuls à déterminer le contenu de la pseudo-charte fédérale. Il est déjà prévu de la ratifier lors des élections barangay du 18 mai. Le Kilusang Pagbabago, l’armée de trolls de Duterte et les hackers pro-Duterte dans la presse écrite et les médias électroniques sont tout disposés à encenser la ratification.
Avant même que Duterte puisse obtenir une nouvelle Constitution pour ses objectifs despotiques, le peuple philippin s’est familiarisé avec sa propension aux massacres et sa tromperie à Oplan Tokhang. Si on combine cela avec la suspension de l’habeas corpus sous la loi martiale, on peut s’attendre à une catastrophe bien pire que la dictature fasciste de Marcos en termes de meurtres et de troubles.
En l’absence de toute transformation révolutionnaire, le pays aura encore plus des mêmes familles dirigeantes de grands compradors, propriétaires fonciers et capitalistes bureaucrates à tous les nouveaux du gouvernement. La corruption continuera de sévir en plus des dépenses excessives pour la mise en place et l’installation d’un niveau de gouvernement régional. Les grandes entreprises américaines et autres sociétés multinationales continueront à piller et à dévaster les ressources humaines et naturelles des Philippines.
Pour obtenir la bénédiction des Etats-Unis et des autres puissances impérialistes, la nouvelle Constitution pseudo-fédérale se débarrassera des conditions de nationalité et des limitations aux investissements étrangers, violant la souveraineté économique et le patrimoine national par la simple insertion de la phrase « sauf disposition contraire de la loi ». Les précieuses ressources limitées pour le développement économique, encore mieux pour une planification centralisée et régionale, seront dilapidées par des transferts de fonds et le rapatriement de leurs capitaux par les entreprises monopolistiques étrangères, la corruption des bureaucrates et l’augmentation du personnel bureaucratique, militaire et policier aux niveaux central et régional du gouvernement.
L’aggravation constante de la crise du système dominant semi-colonial et semi-féodal continuera d’accrpoître la division des classes réactionnaires, l’intensification de la lutte anti-impérialiste et de classe, la montée du mouvement révolutionnaire armé, l’insatisfaction des peuples autochtones et des minorités nationales et le renforcement des courants séparatistes chez les Bangsamoro.
Dépasser Marcos comme meilleur recruteur et pourvoyeur de la révolution armée
Duterte est voué à surpasser Marcos comme le meilleur recruteur et pourvoyeur de la révolution armée, comme destructeur involontaire de son propre régime et de son système de domination et comme créateur d’un terrain toujours plus fertile pour la croissance de la révolution démocratique à travers la guerre populaire. Duterte n’a cependant pas autant d’années devant lui que n’en avait Marcos lorsqu’il a imposé sa dictature fasciste en 1972. Son discours et son comportement aberrants révèlent son état de santé mentale et physique.
Sa propension à monopoliser le pouvoir politique et le pillage bureaucratique et sa capacité à diriger le gouvernement réactionnaire dans un style mafieux finira par se retourner contre lui à cause de ses propres infirmités personnelles et de classe et, plus important, à cause de la crise systémique et des coups mortels que lui infligeront le mouvement révolutionnaire et le peuple. Ses promesses non tenues pèseront bientôt lourdement sur lui. Les masses populaires l’accusent déjà de ne pas parvenir à résoudre le problème des drogues illégales, d’avoir détruit toute la ville de Marawi et d’avoir mis fin aux négociations de paix avec le FNDP.
Avec sa politique étrangère pseudo-indépendante, Duterte essaie de transformer les Philippines en un condominium des puissances impérialistes. Il pense pouvoir obtenir de ces puissances, gratuitement, sans condition, du matériel militaire et des prêts illimités pour développer sans limite des infrastructures afin de soutenir l’économie et se maintenir au pouvoir. Il a en fait permis à la Chine de piétiner les droits souverains des Philippines dans l’ouest de la mer des Philippines en vertu de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer.
Il aggrave le statut semi-colonial des Philippines ainsi que le caractère sous-développé, agraire et semi-féodal de leur économie. Ce type d’économie est toujours tributaire de l’exportation de matières premières bon marché, de produits semi-finis et de main-d’œuvre bon marché, de l’importation de produits manufacturés pour la consommation et d’un recours désespéré à des montants croissants de prêts étrangers et de capitaux spéculatifs et à des augmentations d’impôts pour couvrir les déficits commerciaux et budgétaires.
Les masses populaires sont en colère aujourd’hui contre la récente réforme fiscale pour l’accélération et l’inclusion (TRAIN dans son sigle anglais) en cours. Elle fera grimper les prix des biens et des services de première nécessité et provoque de l’inflation en augmentant les impôts indirects (taxes d’accise, sur les ventes et sur la valeur ajoutée) uniquement pour compenser les baisses d’impôts et les exonérations en faveur des classes supérieures et faire financer les dépenses contre-productives et le service de la dette par l’Etat. Les taux de chômage et d’inflation, quoique sous-estimés par les statistiques officielles, sont en fait la cause de l’augmentation de la pauvreté et de la misère à grande échelle.
Contrairement aux assurances de ses conseillers économiques néolibéraux, aucune augmentation du taux de croissance du PIB ne pourra sauver Duterte. Plus le taux de croissance est élevé, plus grands sont les profits des entreprises multinationales, des grands compradors et des capitalistes bureaucrates et plus les conditions de sous-développement, de chômage de masse et la pauvreté frappant les masses populaires sont dures. En dernière analyse, le grand problème pour le régime de Duterte téléguidé par les Etats-Unis est que le peuple opprimé et exploité a un mouvement révolutionnaire armé pour entreprendre des changements importants en termes de libération nationale et sociale.