Par Jean Lévy, adhérent à la CGT depuis 1944, ancien Délégué National CGT au Crédit du Nord, ancien responsable du syndicat parisien des banques et membre du Bureau fédéral des Employés (qui groupait, les Banques, les assurances, le Commerce, la Sécurité Sociale dans cette période).
Quelques heures avant que ne débute le défilé syndical, à Paris, le 13 juin, Bernard Thibault, au nom du Bureau confédéral, tirait déjà le rideau de la saison revendicative. S’exprimant sur France Inter, le secrétaire-général de la CGT annonçait une manifestation « moins forte, voire beaucoup moins forte que celle du 1er mai dernier ».
Il ne s’est pas trompé : l’échec a été total.
C’est le résultat d’une stratégie mûrement réfléchie de la CGT, visant à empêcher l’affrontement de classe que les salariés espéraient.
En effet, depuis le début de l’année, la mobilisation du monde du travail allait crescendo et, le 19 mars, des millions de manifestants dans toute la France, étaient descendus dans la rue. Les travailleurs, dans de multiples entreprises, passaient à l’action contre leurs patrons. Ce fut l’époque des « Conti », des salariés de Caterpillar, de Molex et de bien d’autres, le temps des hauts cadres « séquestrés », de manifs offensives et déterminées.
Le Medef et le pouvoir sarkozyen s’inquiétaient de cette poussée de fièvre, qui enflait au long des jours : allait on assister à un nouveau « mai 68 » ?
Mais Chérèque faisait son boulot habituel et Bernard Thibault veillait lui-aussi.
Au lieu d’accélérer le mouvement, de proposer des modes d’action répondant à la situation, le secrétaire général de la CGT, soutenu par les instances confédérales, freinait des quatre fers, remettant à six semaines la prochaine démonstration, la plaçant le 1er mai « pour éviter les grèves », s’en tenant à un programme revendicatif, vide de tout mot d’ordre rassembleur, sans objectifs chiffrés, vague à souhait pour démoraliser les plus actifs des militants.
Thibault s’en tenait – et s’en tient toujours – à l’unité au sommet entre les huit organisations syndicales, formule magique à ses yeux, permettant de remettre toujours à plus tard, une véritable mobilisation populaire en suivant le pas de ceux qui ne jurent par l’unité que pour mieux rejeter l’action.
Ce qui devait arriver arriva le 13 juin : des cortèges squelettiques, sans mots d’ordre et sans illusions. Thibault pouvait ainsi tirer complètement le rideau revendicatif : « rendez-vous après les vacances ». On connaît la musique : réunion des huit centrales, programmée fin septembre, remise en octobre pour appeler, en novembre, à une nouvelle et grande manifestation, choisie de préférence, un jour de congé (le 11 novembre, par exemple, pour décréter un « armistice social » ?).
La comédie, la tragédie devrait-on dire, va-t-elle durer encore longtemps ?
Le chômage atteint, semaine après semaine, des sommets. Les fins de mois deviennent un casse-tête pour des millions de familles. La violence de l’exploitation patronale explose dans les entreprises. Les patrons font régner la terreur dans l’industrie comme dans les services. Le vent de la spéculation souffle à nouveau sur toutes les bourses. Le CAC 40 reprend des couleurs. Les profits s’entassent pour une petite minorité de privilégiés. Le fossé s’accroît entre les riches, qui deviennent encore plus riches et les pauvres, de plus en plus pauvres.
Serions-nous, sinon « à la fin de tout », du moins à la « fin de l’histoire » …sociale ?
Nous ne le croyons pas.
Au contraire, peut-être, nous sommes au commencement d’un affrontement de classe d’une ampleur jusqu’ici, inconnue. Les contradictions n’ont jamais été si vives entre ceux qui possèdent et ceux qui ne possèdent rien.
Certes, l’attitude totalement négative des confédérations syndicales complique la tâche, contrarie le développement des luttes. Mais celles-ci, non seulement vont se poursuivre, mais, compte tenu du contexte social, s’amplifier… sans les États-majors confédéraux, englués dans la collaboration de classe, et contre eux certainement, car leur orientation et leur comportement constituent un obstacle de taille à la bataille de classe qui s’annonce.
La CGT tient son congrès confédéral en décembre prochain.
La FSU réunit le sien début 2010.
C’est l’occasion rêvée de rassembler tous les militants pour changer la donne.
Il faut que les Centrales syndicales se positionnent clairement en faveur d’un changement de société et qu’elles adoptent une stratégie d’affrontement avec le Capital et les forces politiques qui en sont l’expression.
Cela suppose un changement d’équipe à la tête des Confédérations, de la CGT comme de la FSU.
C’est l’enjeu la bataille interne qui s’ouvre au sein de ces organisations.
« C’est la lutte finale qui commence… »
PS. Le bureau confédéral de la CGT s’est immergé totalement dans la campagne européenne en préconisant un vote massif des syndiqués et des salariés. On sait ce qu’il en est advenu !
« Fenêtre sur cour », mensuel du SNUipp, le syndicat du primaire de la FSU, consacre six pages à la « nécessité d’enseigner l’Europe ». N’est-ce pas l’expression d’un syndicat intégré dans l’idéologie dominante de collaboration de classe ?