Le Grand Paris pour qui et contre qui ?
«Ce nouvel exemple d’expansion métropolitaine au service de l’attractivité et de la compétitivité porte en lui sa logique de dévastation sociale et écologique : spéculation foncière et immobilière, gentrification des quartiers populaires, élaboration de projets aberrants et nuisibles, partenariat public-privé, disparition des terres agricoles, etc. »
Jean-Pierre Garnier, « Le Grand Paris, dévastation métropolitaine », 20 février 2014
Le Grand Paris est un projet global visant à transformer la Capitale et ses environs en une grande métropole à l’américano-européenne, sous prétexte d’améliorer le cadre de vie des habitants et autres fadaises qu’on nous sert. Imaginé et promu par l’ancien président Nicolas Sarkozy en 2007 avec la consultation d’architectes internationaux pour développer une vision d’ensemble de l’aménagement francilien la Loi du 3 juin 2010 institutionnalise réellement le projet. Le projet est connu surtout par ses deux versants : le Grand Paris express et la Métropole dite du Grand Paris.
La loi sur le Grand Paris prévoit la mise en place de contrats de développement territoriaux, notamment sur l’aménagement d’une vingtaine de zones stratégiques en matière économique, urbaine et sociale, à l’instar du biocluster (1) de Sanofi à Vitry-sur-Seine. C’est ensuite la loi MAPTAM (2) qui va vraiment lancer le nouveau type d’intercommunalité fort du GP : la métropole.
Parlons un peu de la politique du logement (3). Dernièrement, selon deux pointures de l’immobilier, Century 21 et Guy Hoquet, le prix des transactions immobilières pour Paris sont repartis à la hausse (5%) (4). Rappelons qu’en 2012, pour Paris intra-muros, 140 000 demandes de logements sociaux ont été faites et moins de 12 000 d’entre elles ont été satisfaites. Quand bien sûr certaines familles n’ont pas été obligées, tout simplement , de s’exiler en banlieue, comme le reconnaît le « communiste » Ian Brossat, chargé de cette question, auprès de la mairie de Paris.
La loi sur le GP avait fixé un objectif de construction annuelle de 70000 logements supplémentaires. Seulement, une question nous taraude : pour qui ?
Essentiellement les jeunes diplômés, les cadres supérieurs et ingénieurs attirés par la métropole, ce que semble confirmer Century 21 et Guy Hoquet : 83,6 % des acheteurs parisiens sont soit cadres supérieurs ou personnes exerçant une profession libérale, soit cadres moyens. Cependant la proportion d’acquéreurs parmi les ouvriers et les employés tombe à 16, 4 % pour Paris (5). En effet, les divers projets coûteux aux architectures XXL encouragent la spéculation immobilière et foncière, ce qui entraîne aussi pour certaines villes de la petite couronne un processus d’embourgeoisement -ou de gentrification comme certains le disent – accompagnant les opérations de rénovation urbaine et réservant l’accès au plus proche de la Capitale aux aisés (6). Alors certes on nous rétorquera que des politiques sont mises en place pour éviter au moins le trop grand développement de ce phénomène en Petite couronne (7), mais le fait est là, les prix sont en hausse et ce phénomène commence déjà à s’instaurer. Et à la vue de la politique globale qui gouverne la France, si aucun coup d’arrêt n’est porté efficacement contre cette politique, les classes populaires vont se retrouver au fin fond de la région, dans des villes dortoirs, dont les populations pourront tout de même venir travailler sur Paris grâce au Grand Paris express.
Bref, la politique du logement actuelle trahit surtout une politique au profit d’une classe.
Mais des emplois, nous dira-t-on, vont être créés, donc de quoi vous plaignez-vous ? Oui, d’accord, mais lesquels ? On nous annonce (mais c’est fluctuant) la création de 250000 emplois d’ici 2030. Ces emplois ne seront pas pour les couches populaires sans qualification, mais plutôt des activités tertiaires, souvent aussi parasitaires que bien qualifiées. À titre d’exemple, prenons le quartier de la Défense, qui attire les sièges sociaux des grands groupes comme Saint-Gobain, Total ou RIE. Le groupe canadien CGI implanté là-bas annonce recruter 1300 collaborateurs, en l’espèce des consultants et des experts. Et ces collaborateurs font travailler promoteurs designers et services RH qui leur offrent tout le confort matériel qu’ils veulent dans leur espace de travail (8). Et cela va créer notamment du travail dans le domaine médical : en effet, les futurs salariés des entreprises de La Défense pourront dans leur espace aménagé travailler partout et tout le temps, même en pause, ce qui va créer forcément des situations de tensions, voir des risques de maladies psychiques. Or, Psya, un cabinet de conseil spécialisé dans la prévention des risques psychosociaux a emménagé à la Grande arche (9) …
À côté de ça, toutes les méga-constructions et autres projets architecturaux vont détruire certains emplois, notamment tous les petits commerces existants, à l’instar du projet Europacity à Gonesse, de la destruction de zones agricoles à Rambouillet ou de l’urbanisation de l’espace boisé du bois Grignon à Orly.
Au final ce projet de Grand Paris montre la relation entre la concentration du capital et la concentration urbaine, qui attire tout à elle, les hommes et les richesses. Qui centralise toutes les décisions, pendant que tous les espaces aux alentours sont subordonnés.
Les JRCF et le PRCF de la région parisienne sont opposés à ce projet funeste pour les classes populaires et plus généralement contre l’histoire révolutionnaire de Paris. Nous demandons l’arrêt des destructions organisées au nom de ce projet, aussi bien la destruction prochaine des départements de la Petite couronne que les destructions d’emplois organisées.
Repensons autrement la ville et ne laissons pas le capitalisme transformer notre territoire d’habitation au gré de ses fantasmes.
http://jrcf.over-blog.org/2018/04/le-grand-paris-pour-qui-et-contre-qui.html
- Un cluster, terme à la mode (dont le plus connu est celui de Saclay), désigne un bloc urbain dont les activités sont homogènes. On pourrait remplacer se mot par « quartier ».
- Loi n°2014-58 du 27 janvier 2014 sur la modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation de la métropole.
- Pour plus de détail sur les précédentes années, voir l’article de Jean-Pierre Garnier cité plus haut.
- « Immobilier : les prix parisiens repartent nettement à la hausse. » Les Echos.
- Ibid.
- Pour une description du phénomène de gentrification, voir « Globalisation, métropolisation, gentrification… faire la ville en régime capitaliste » de Jean-Pierre Garnier.
- « Valorisation ou spéculation ? » de Julien Descalles, Grand Paris développement n°22, hiver décembre 2017.
- « La Défense se plie en quatre pour séduire ses futurs salariés », Le Parisien, 19 janvier 2018.
- Ibid. Note : c’est l’article qui présente cette situation comme positive…
Juste un détail supplémentaire : en embourgeoisant Paris, en chassant les classes populaires par une pratique des prix exorbitante, on évite à tout jamais qu’elle redevienne une ville révolutionnaire comme elle le fut en 1789, en 1830, 1848, 1871, 1944 et 1968 !