Appuyé sur la manœuvre de fausse concertation « Programme Action Publique 2022 » (PAP 2022) et ses « chantiers de discussion », qui ne pouvaient tromper que ceux qui voulaient bien l’être, le gouvernement avance à grand pas dans son objectif de destruction de la Fonction Publique et de ses statuts.
par Benoit Foucambert, PRCF
Action Publique 2002 (AP 2022) : l’euro destruction de la fonction publique En Marche
Dans le cadre du chantier « Dialogue social » de la concertation Action Publique 2022, il a présenté le 25 mai aux organisations syndicales représentatives ni plus ni moins qu’un projet de « suppression du paritarisme » afin de faciliter une « déconcentration managériale » de la Fonction publique. Ce projet propose la suppression du paritarisme, l’abolition des CAP en ce qui concerne les mutations et l’avancement, l’élargissement des sanctions disciplinaires sans contrôle des recours, la suppression des CAP par corps…
Ces propositions fracassantes sont le premier étage d’une fusée qui en compte quatre, avec la substitution du recrutement par concours par celui via le contrat (chantier n°2), l’instauration du salaire au mérite (chantier n°3) et enfin la multiplication d’abandons de missions et de privatisations couplées avec un plan de départs volontaires, en réalité un plan d’expulsion de la Fonction publique (chantier n°4).
Ce serait ici l’application à marche forcée dans la Fonction publique de ce qui s’est passé, sur deux décennies, à France Télécom ou à La Poste avec les désastres humains que l’on a connus tant au niveau du service aux usagers que pour les personnels, avec souffrance au travail et suicides.
Sans oublier la fusion des Comités d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT) dans les Comités techniques, déclinant dans la Fonction Publique les ordonnances Macron permettent dans le privé de liquider les CHSCT en les intégrant aux comités d’entreprise.
Dans le même temps, les menaces se précisent concernant le recrutement local des personnels. Comme l’explique par exemple le ministre de l’Education : « Mon objectif est simple : des établissements avec des équipes unies, partageant un projet éducatif fort. Dans ce cadre, oui, il est logique que le chef d’établissement ait un rôle à jouer en matière de recrutement. Cela se pratique d’ailleurs dans les lycées français à l’étranger et participe à leur rayonnement. ».
Au final, c’est tout bonnement l’architecture générale de la Fonction Publique basée sur les statuts de 1946 qui est menacée d’éradication.
Statuts de la fonction publique : qu’est ce que c’est ?
Un statut qui n’est pas né par hasard au sortir de la seconde guerre mondiale dans le sillon du CNR, grâce à l’activité du vice-président du Conseil de l’époque, Maurice Thorez (auteur également du statut des mineurs dans le cadre de la nationalisation du Sous-Sol), et à une forte implication syndicale. Il s’agissait de mettre en place une Fonction publique autour de trois principes :
- D’abord, le principe d’égalité avec la règle : c’est par la voie du concours, si possible national et anonyme, à partir d’un niveau de qualification ou de diplôme nationalement reconnu, que l’on entre dans la fonction publique.
- Ensuite, le principe d’indépendance du fonctionnaire vis-à-vis du pouvoir politique comme de l’arbitraire administratif que permet le système dit de la « carrière » où le grade, propriété du fonctionnaire, est séparé de l’emploi qui est, lui, à la disposition de l’administration. Cela permet de protéger le fonctionnaire contre l’arbitraire et le régime de faveur, de lui permettre l’exercice de ses fonctions dans le seul intérêt du service, à l’abri de toute pression. Sans cela, aucune indépendance vis-à-vis des pressions des notables locaux, des exigences du patronat, de l’intrusion des cultes ; bref, le statut ne protège pas que le fonctionnaire, en protégeant le fonctionnaire, c’est le public, l’égalité et la liberté de penser de chacun qui sont garantis par l’Etat ;
- Enfin, le principe de responsabilité qui confère au fonctionnaire la plénitude des droits des citoyens et reconnaît sa source dans l’article 15 de la Déclaration des droits de 1789, lequel indique que chaque agent public doit rendre compte de son administration ; conception du fonctionnaire-citoyen opposée à celle du fonctionnaire-sujet que Michel Debré définissait ainsi dans les années 1950 : « Le fonctionnaire est un homme de silence, il sert, il travaille et il se tait ». Il n’est pas étonnant par ailleurs que l’exigence d’un statut fort des agents publics ait été portée par le gouvernement issu du CNR, sachant que sous Vichy, les fonctionnaires sans statut avaient dû cautionner, voire exécuter le pire.
Loi et ordonnances Travail, réforme du lycée, casse du Bac, sélection à l’Université, réforme ferroviaire et attaque contre les statuts de la fonction publique : même bataille
Les annonces récentes confirment s’il en était besoin la volonté du pouvoir de ramener les droits des fonctionnaires des décennies en arrière, comme pour l’ensemble de la jeunesse et des travailleurs de ce pays. Elles s’inscrivent dans les politiques néolibérales imposées depuis des années et s’appuient en particulier sur l’absence de la notion de services publics dans les traités européens. Ceux-ci promeuvent à l’inverse la marchandisation généralisée et les « services au public » à l’anglo-saxonne, pouvant être réalisés par des entreprises privées et/ou par le recours massif aux contractuels directement sous la coupe des pouvoirs locaux. Sur le fond, cette « modernisation » revient même sur des acquis liés à la Révolution française qui avait aboli la marchandisation des charges et offices. Imagine-t-on les horreurs auxquelles peut donner lieu la précarisation générale des fonctionnaires à une époque où la chasse aux migrants est ouverte, où le communautarisme s’étend, où le MEDEF prétend superviser les cours d’économie, où les campagnes médiatiques bousculent quotidiennement l’école, où l’évasion fiscale des très riches est énorme, où les lobbys interfèrent sans cesse avec les administrations ? Voilà la « modernisation » de Macron en forme de retour à l’Ancien Régime, où Macron piétine la loi de séparation laïque en prétendant « réparer » le prétendu « lien » de l’Etat avec la hiérarchie ecclésiastique ?
Dans le même temps, la casse du statut national, le recrutement et le contrôle local accompagne le « Pacte girondin » (sic) voulu par Macron (et le MEDEF) et qui vise à en finir avec le cadre national et l’égalité républicaine pour promouvoir des euro-régions directement connectées sur Bruxelles et Francfort, ayant le droit de recourir à des lois « locales », autrement de mettre en concurrence entre eux les territoires à l’intérieur même de la République et de briser les solidarités nationales. La volonté du Ministre de l’Education nationale d’aller vers des recrutements et des formations » des enseignants pensées et organisées au niveau des grandes régions va par exemple tout à fait dans ce sens.
Le Régime Macron UE MEDEF veut supprimer les statuts de la fonction publique
Macron l’affirmait pendant la campagne des présidentielles, « les statuts de la FP sont inadaptés ».
Inadaptés à « l’économie de marché ouverte sur le monde où la concurrence libre et non faussée » (Traité de Maastricht) entre les travailleurs, c’est évident et c’est pourquoi le pouvoir avance dans sa marche arrière contre les fonctionnaires en même temps que contre l’ensemble des conquêtes sociales. Bref, une fois de plus, la cohérence macroniste néolibérale se confronte à la cohérence républicaine, humaniste et laïque issue du CNR. On le voit déjà à la SNCF où à l’avenir, un conducteur de train précaire et sans statut ne pourra pas stopper un train pour raison de sécurité sans craindre pour son emploi ! Et ne parlons pas des agents EDF dont le statut protecteur est aussi une protection pour tous les Français dans le cas où une anomalie grave dans le fonctionnement d’une centrale nucléaire serait constatée par lui : qu’en sera-t-il demain si ce statut est mis en extinction et que des travailleurs précaires doivent gérer ces anomalies sous la pression de la hiérarchie acquise à la rentabilité capitaliste (comme ce fut le cas à Fukushima, voire à Tchernobyl, où la dé-planification de l’économie a joué un rôle énorme dans la baisse des conditions de sécurité) ?
Adaptés en revanche aux besoins de la population, aux exigences de la société d’aujourd’hui et de demain pour faire avancer l’égalité, la solidarité, les logiques non-marchandes, l’intérêt national, le souci de la sécurité et de l’environnement, c’est aussi une évidence et c’est pourquoi il est si important de défendre la Fonction Publique, ses statuts et ses agents.