À lire de toute urgence : le dernier ouvrage de notre camarade J.-P. Page, ancien responsable au département international de la CGT, essentiel pour comprendre les débats qui traversent la CGT actuellement :
- Pourquoi le syndicat de lutte que nous aimons tant, et qui joue un rôle essentiel dans la mobilisation ouvrière au plan national, s’enlise-t-il dans des alliances contre-nature avec les anciens syndicats de guerre froide comme la CSI (pilotée par l’AFL-CIO) ou encore la CES (bras armé de Bruxelles)?
- De quel droit certains dirigeants de la CGT osent menacer les partisans du Frexit dans les manifs, lorsqu’il est évident que le syndicat de Frachon, Séguy, Krasucki n’aurait jamais approuvé l’arrimage de la centrale au camp atlantico-bruxellois?
- Pourquoi ne suit-on pas l’exemple de ces Fédés qui résistent et continuent d’adhérer à la FSM?
- Comment a-t-on pu arriver au scandale d’un Bernard Thibaut jouant un rôle peu recommandable comme observateur du travail au Qatar pour le compte de l’OIT?
- Bref, comment peut-on replacer la CGT dans les luttes contre le capitalisme à l’échelle internationale?
Autant de questions qui vont marquer le débat interne à la CGT avant son 52e congrès de Dijon en 2019.
Pour la réflexion et l’analyse de tous ceux qu’intéresse l’avenir de la CGT et du mouvement social en France, de la FSM et du rapport des forces capital/travail dans le monde, www.initiative-communiste.fr se devait de publier la réponse que Jean-Pierre Page, ancien responsable international de la CGT, vient d’adresser au journaliste Michel Noblecourt (Le Monde).
Alors que s’affirment les aspirations irrépressibles d’un grand nombre de militants syndicaux à rompre avec les pratiques perdantes du syndicalisme d’accompagnement européen, le débat sur l’avenir de la CGT intéresse tous ceux qui veulent briser l’offensive thatchérienne de Macron-MEDEF et de l’UE supranationale contre l’héritage du CNR et relancer la lutte anticapitaliste pour la République sociale, souveraine et fraternelle.
REPONSE DE J.P. PAGE A MICHEL NOBLECOURT
Cher Michel Noblecourt,
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt votre article et vos commentaires sur ma contribution aux débats dans la CGT. L’objectif de mon texte comme de mon livre n’est pas de les faire circuler sous le manteau. Tout au contraire. Si mes positions sont connues, et si on y accorde un certain intérêt, je crois pour ma part utile de m’exprimer sur un sujet que je connais un peu, tout comme sur une période de l’histoire de la CGT dont j’ai été un témoin et un acteur. Il n’est pas dans mes habitudes d’avancer masqué comme d’autres qui semblent faire le choix d’une déclaration « anonyme ». Au regard des enjeux dans la CGT, cette attitude me semble bien dérisoire. Je suis pour la transparence et pour donner aux militants de la CGT les éléments qui leur permettent de réfléchir de manière critique sur la signification du prochain Congrès Confédéral. Ceux-ci, auront à déterminer l’avenir de la CGT.
C’est pourquoi, ma démarche se veut résolument constructive et responsable. Elle, est cohérente avec ce qui devrait être la culture du débat, dans une organisation syndicale comme la notre ! La direction de la CGT devrait l’encourager, ce n’est pas le cas! Je le regrette!Je ne suis pas pour un syndicalisme d’apparence, qu’il soit radical ou autre, par contre je suis pour défendre les principes qui ont forgé l’identité de la CGT. En quelque sorte à la manière d’Henri Krasucki, qui disait:” «Nous insistons sur le caractère absolument indissociable des caractéristiques qui ensemble définissent la CGT.
Elle est tout à la fois : de classe, de masse, démocratique, unitaire, indépendante. On apprend à l’école la composition chimique des corps.
Si l’on retire ou ajoute un seul de ses éléments constitutifs, on change la nature du corps. Il en est de même pour la CGT : si l’on retire une seule de ses caractéristiques fondamentales, ce n’est plus la CGT, c’est une autre organisation ». Je crois que ces principes nous aident à y voir plus clair sur l’état du monde, à anticiper pour agir en conformité avec ce qui doit être le rôle d’un syndicat, à savoir défendre en toutes circonstances les intérêts des travailleurs, en France et dans le monde !Vous me présentez comme quelqu’un qui ne s’est jamais résigné au départ de la CGT de la FSM. Je ne vous cache pas que cela m’a fait sourire! Pourquoi ? Mais tout simplement parce que dans la CGT et à l’extérieur on m’a parfois reproché exactement l’inverse, c’est-à-dire d’avoir été celui qui contribua à son départ. Curieux retournement de l’histoire ou alors réécriture de celle-ci.
Clarifions donc ce point !
C’est au nom de la direction confédérale que je fus chargé au début
90 de représenter la CGT dans les réunions de la FSM afin de chercher comme nous l’avions proposer d’adapter celle-ci aux bouleversements du rapport des forces international qui était intervenu. Puis à la demande de la FSM et toujours en accord avec la CGT je fus également celui qui rédigea les propositions d’orientation du Congrès extraordinaire de Damas. Louis Viannet disait à cette époque “s’ il existe une chance de sauver la FSM, nous y contribuerons »Nous avons donc défendu nos idées au grand jour à commencer dans les propres rangs de la CGT où une minorité de dirigeants souhaitaient une rupture immédiate. Cette manière de voir fut écartée par la commission exécutive confédérale. Nous avons dû le faire également auprès de plusieurs confédérations affilées à la FSM pour les convaincre de changer rapidement les pratiques, les activités dans un sens plus concret et revendicatif, ainsi que le mode de fonctionnement de la FSM qui n’était plus possible compte tenu du contexte et de ce qu’étaient devenues ses ressources. Nos efforts furent vains, nous ne fûmes pas suivis par une majorité des délégués du Congrès de Damas en 1994.
Pourtant dans la FSM, le poids du conformisme et des habitudes mettaient en péril son existence même, cela aurait dû contribuer à une prise de conscience, ce ne fut pas le cas ! C’était ainsi ! Comme nous l’avions annoncé, nous ne pouvions demeurer dans une organisation dont l’action était totalement handicapée par les décisions prises, et par une utilité relative. Il nous restait à en tirer les conséquences, nous avons donc décidé de mettre un terme à une affiliation d’un demi- siècle d’histoire. Ce ne fut pas une décision facile ! J’ai voté notre départ, je l’ai assumé et je l’ai fait à partir d’une analyse objective et d’un constat qui s’imposait. On ne saurait être membre d’une organisation syndicale internationale pour des raisons émotionnelles, mais pour que cela soit utile à quelque chose, à la solidarité, à l’action comme à une vision.Il n’est pas sans intérêt de noter que 10 ans plus tard, à son congrès de La Havane, la FSM s’est finalement rangée aux recommandations qui avaient été celles de la CGT, mais avec un retard qu’elle a dû combler. Je constate que si cela pouvait apparaître comme une gageure, ceci ne fut finalement pas sans résultats. Le militantisme, une grande présence sur le terrain, l’abandon de toute bureaucratie, le principe de compter sur ses propres forces, l’indépendance, la simplicité de son secrétaire général Georges Mavrekos ont redonné du souffle à cette organisation ! Le nier ou l’ignorer serait de l’aveuglement, voir une forme de sectarisme. Que la FSM puisse aujourd’hui représenter de nouveau une alternative, oui je suis d’accord. Face aux perspectives d’un tsunami économique et social, il est évident que le syndicalisme européen et international témoigne à travers les orientations suivies par la CES et la CSI d’une crise profonde comme d’une vision syndicale sans perspectives. Il se complaît dans une impasse faisant preuve d’une totale incapacité à faire face. Dans ces conditions, on peut considérer qu’il existe un espace de développement pour une organisation résolue et de principes, qui fait le choix de confronter non seulement les conséquences, mais les causes même du système hégémonique. Que cela soit possible est une chose que cela se concrétise automatiquement est une autre chose.
Mais, ignorer ce fait n’aide en rien le syndicalisme à sortir de l’ornière dans laquelle il se trouve.Cette opportunité, la FSM peut s’en saisir si elle poursuit avec audace sa rénovation. Une FSM qui si vous la connaissiez, témoigne à travers la diversité de ses affiliés qu’elle n’est certainement pas communiste, pas plus, dirait-on de la CES/CSI qu’elle est social-démocrate. Dans le mouvement ouvrier il y a toujours eu au moins deux visions et bien des approches différentes en particulier dans la CGT. Par contre ce qui est certain, c’est que l’une défend des positions anticapitalistes et anti-impérialistes et l’autre s’en accommode. La caricature n’aide jamais la démonstration, seul comptent les faits.
S’agissant de la FSM je ne m’explique pas comment un journaliste si bien informé comme vous continue à donner des informations inexactes.
Ainsi le Président de la FSM n’est pas un Syrien comme vous l’écrivez.
Depuis le congrès de Durban en 2016 il s’agit de Michael Mzwandile Makwayiba qui est le Président de la NEHAWU, la plus importante fédération des services publics de la COSATU d’Afrique du Sud. Quant à l’état d’organisation de la FSM elle revendique 92 millions d’affiliés sur les 5 continents y compris aux USA et en Australie comme dans 126 pays, ce qui comparé au à peine 20 millions du milieu des années 90 est un indiscutable progrès. Il est vrai qu’en Europe son implantation reste faible, mais un mouvement s’opère dont ce qui se passe dans la CGT est significatif, d’autant qu’il annonce de prochaines décisions d’affiliations d’organisations très représentatives.Avant notre départ de la FSM, nous avions défendu l’idée d’une « rénovation du syndicalisme international ». Nous le faisions à partir d’une critique argumentée des pratiques et des orientations de la CISL, de la CMT et bien sur de la FSM. Cette lucidité de la CGT n’était pas nouvelle, elle est toujours actuelle. Le problème, c’est que la CGT a renoncé à mener ce combat !
Pour ma part je ne retranche rien à cette position qui conduisait logiquement au choix de l’indépendance syndicale au plan international dans des formes inédites qui restaient à concevoir. Cela supposait pour la CGT un important travail bilatéral et multilatéral, des coopérations et des échanges sans exclusive avec toutes les organisations disposées à agir en faveur d’un syndicalisme international plus concret, moins institutionnel et bureaucratique, plus combatif et sans corruption. Dans les années 90 c’est cette façon de voir et de faire qui mise en oeuvre par le département international de la CGT avait conduit au congrès de 1995 à la participation sans précédent dans l’histoire de la CGT de 110 délégations étrangères de toutes affiliations internationales dont pour la première fois plusieurs organisations de l’AFL-CIO. Plus tard, cet objectif de rénovation donna lieu à la Conférence du Caire en mai 1996 que nous avions organisé avec la COSATU d’Afrique du Sud, les Syndicats Égyptiens, la CGTP du Portugal, le CITU de l’Inde et d’autres pour réfléchir à donner une impulsion et une visibilité à ce qui représentait à nos yeux une alternative. Malheureusement, la direction de la CGT fit ensuite le choix de se désengager de cette ambition. Je continue à penser que cette orientation était correcte et de l’avoir abandonné a non seulement pénalisé la CGT, mais aussi le syndicalisme international dans son ensemble. Vous le voyez, je demeure éloigné des schémas anciens qu’évoquent certains. Le conservatisme syndical n’est pas du côté que l’on voudrait faire croire! Nous avons à travailler avec tout le monde ou ce que nous disons sur la mondialisation des relations internationales n’a aucun sens. Comme vous, j’assiste aux bouleversements qui vont influencer considérablement l’état du monde dans ces prochaines années et donc le monde syndical. C’est d’ailleurs déjà le cas! Je ne dis pas adhérons à la FSM, quelle prétention aurais-je à le prétendre ! Les organisations de la CGT sont assez grandes pour décider ce qu’elles doivent faire, mais si elles le décident, pourquoi pas ! Je trouve pour ma part plus de compatibilité d’idées et de principes avec celle-ci qu’avec la CES/CSI. Sauf bien sûr si l’on fait le choix de ce syndicalisme que préconise la déclaration « anonyme » que vous évoquez. En dernière analyse, j’ai la faiblesse de penser que c’est aux syndiqués de la CGT d’en décider, d’autant que je doute de l’unanimité de leur soutien de la CES, à la dérégulation et à ce « leurre » de l’Europe dite sociale.Prenons en compte les réalités, Cessons de parler du «nous et les autres», finissons avec cette arrogance toute occidentale, ce « white man’s burden » qui pourrit notre vision du monde. Qu’est-ce qui interdit à la CGT de travailler avec les affiliées et la FSM ou avec des organisations non affiliées internationalement comme les syndicats chinois si ce ne sont des préventions d’un autre âge, une mentalité de guerre froide et le respect tatillon des consignes de la CES et de la CSI. Qui peut aujourd’hui prétendre seul résoudre les problèmes auxquels le syndicalisme doit faire face. Ce qui est le bilan de celui-ci devrait encourager à plus de modestie, de discernement et moins de jugement de valeur. Où voyez-vous le conservatisme dans tout cela ?
Prenons en compte la diversité des histoires, des pratiques et travaillons ensemble. Débattons, échangeons et décidons! Je refuse le maniement de la rhétorique autant que le sectarisme d’où qu’il vienne parce qu’il fige les positions.
Mais permettez-moi de clarifier un autre point !
Précipitamment à la fin des années 90, le choix a été fait de rompre avec ce qui étaient les orientations de la CGT. L’arrivée d’un nouveau secrétaire général permettait cette révision. Dorénavant, la négociation et la proposition devant prévaloir sur l’action. Ce fut le choix du concept de « syndicalisme rassemblé ». Il signifiait en d’autres termes un rapprochement stratégique avec la CFDT et ses conceptions. Louis Viannet en fut l’initiateur ! 20 ans après le Congrès de Grenoble ce n’était pas la première tentative, celle-ci à l’époque avait été repoussée, cette fois-ci fut la bonne ! Cela s’accompagna d’une forme d’exorcisme déprimant! La suite logique et les péripéties que ce « recentrage a provoqué, a conduit la CGT à ne plus très bien savoir dans quelle direction aller. Vous admettrez, que c’est là un fait difficilement contestable !
Les années 2000 qui suivirent le congrès de Strasbourg ont été marquées par les incohérences et les crises successives, la perte de crédibilité de ses dirigeants ! Aujourd’hui, la CGT est en panne d’orientation, de stratégie et incapable d’anticiper, sans vision, tirée à hue et à dia par les événements. Les décisions mises en œuvre par Macron, le patronat, Bruxelles appellent une autre détermination et une appréciation correcte des objectifs recherchés, il s’agit de déconstruire socialement la France, imposer un modèle libéral dans tous les domaines, et nous en connaissons les ravages, les inégalités qui se creusent, la pauvreté de masse qui s’étend. L’intégration européenne en est une suite logique souhaitée d’ailleurs par la CES.
Comment peut-on imaginer un seul instant que les bonnes intentions, la « réunionite » et la magie des propositions vont soudainement convaincre non pas ceux qui sont des partenaires comme le prétend la CES mais ceux qui sont des adversaires de tout progrès social. C’est parfaitement illusoire ! Que dans de telles circonstances inédites, il faille rassembler toutes les forces du progrès social, les fédérer dans un puissant mouvement revendicatif et donc également à dimension politique est une exigence incontournable, par ailleurs parfaitement conforme à ce que disait la Charte d’Amiens qui continue à inspirer le syndicalisme CGT. La remarquable combativité des cheminots, des énergéticiens et de beaucoup d’autres comme les travailleurs des EPHAD ou de Carrefour, le 14 avril à Marseille, la déclaration commune et le programme d’action d’un certain nombre de Fédérations et d’Unions départementales de la CGT, puis le 5 et le 26 mai ont contribué à élargir la mobilisation, aider la construction d’un rapport des forces. Lors de ces actions et initiatives, la frilosité pour ne pas dire plus de la part de la direction de la CGT est illustrée par le document « anonyme » auquel vous faites référence. Ceci démontre que sans volonté et sans stratégie réelle pour gagner, il est vain de penser pouvoir inverser le cours des choses, sauf à vouloir s’y adapter comme le préconise la CFDT. Si c’est le cas, alors disons-le franchement !La lucidité commanderait d’en tirer les conséquences et d’ouvrir un débat sans préalable. Ce n’est pas le choix qui est fait et ce texte partisan auquel vous faites allusion, outre son soutien à Philippe Martinez et son allégeance triste à la CES montre s’il le fallait une volonté de persévérer dans cette voie de l’échec. Je note que les conditions du départ de Thierry Lepaon donnèrent lieu aux mêmes types de déclarations, sans doute des mêmes d’ailleurs !
Par conséquent et comme je l’ai expliqué plusieurs fois et comme je le montre dans mon livre[1] ce n’est pas le départ de la FSM qui a conduit la CGT à ses affiliations à la CES et à la CSI mais la révision stratégique des principes et des fondamentaux auxquels elle a procédé à la fin des années 90. D’ailleurs faut-il ajouter que la réorientation de ses activités internationales était une parmi les 4 conditions conditionnant l’accord indispensable de Nicole Notat et de la CFDT pour que celle-ci avalise l’affiliation de la CGT à la CES. La direction de la CGT les accepta ! Les organisations de la CGT n’en furent jamais informées ni consultées et pour cause ! À la surprise des délégués du Congrès de Strasbourg l’intronisation du nouveau secrétaire général de l’époque se fit en présence de Nicole Notat, Emilio Gabaglio secrétaire général de la CES et d’un dirigeant de la CISL la future CSI. Sans commentaires !
Pour ma part, je suis pour que la CGT en finisse avec cet héritage de conventions syndicales, héritage d’une autre époque à laquelle la CGT a cru bon de se rallier tout comme aux idées reçues qui tiennent plus à l’air du temps qu’à de sérieuses analyses. Franchement, elles ne sont plus de mises face aux enjeux, il est urgent d’en prendre conscience ! Surtout quand par ailleurs cela s’accompagne d’une méconnaissance inquiétante des rapports de forces en France comme internationalement. Telle est ma position, je la crois lucide et je ne vois pas en quoi, elle serait si « radicalement » excessive !
Enfin vous accordez à Philippe Martinez le bénéfice d’une position centriste, « entre radicaux et réformistes ». Je récuse une telle approche. Le problème ne se réduit pas à des problèmes de personnes, à des conflits de chiffonniers ou à des batailles picrocholines d’appareil. Par contre il existe un constat légitime et simple qui est exprimé par de nombreuses organisations de la CGT : aujourd’hui le type de fonctionnement de la CGT est devenu un obstacle. Faut-il en tenir compte ? Pour ma part, je pense que oui ! Cela s’accompagne d’une exigence : faisons un bilan, un état des lieux, du prix que la CGT a dû payer à cette révision, revendiquons pour cela un droit d’inventaire, mettons tout sur la table y compris les problèmes de direction jusqu’au choix des dirigeants. Pourquoi le craindre, pourquoi faudrait-il parler d’autre chose quand ce sont ces problèmes dont débattent les militants de la CGT !
La direction de la CGT a pour mission d’assumer cette exigence de discussion. Les syndiqués, les syndicats ont eux le pouvoir de décider de l’orientation à suivre. Il n’y a pas ceux qui décident et ceux qui appliquent ! Ceux qui se sont trop longtemps tus doivent prendre la parole. C’est l’enjeu de ce prochain Congrès de la CGT. Pour ma part et comme adhérent à la CGT depuis presque 50 ans au même syndicat et comme le dit la formule à jour de mes cotisations, j’entends y contribuer !
Bien cordialement à vous,
Jean-Pierre Page
Réformistes et radicaux s’affrontent à la CGT – Le Monde
Ce sont deux textes, que le Monde s’est procurés, qui circulent sousle manteau à la CGT en vue du 52ième congrès confédéral prévu en mars2019 à Dijon, où Philippe Martinez briguera un nouveau mandat desecrétaire général. Ils présentent deux visions antagonistes dusyndicalisme que devrait incarner à leurs yeux la centrale deMontreuil. L’un, collectif et anonyme, « pour des raisons liées à nosmandats électifs » expliquent les signataires, défend brièvement uneligne réformiste. L’autre, signé par le seul Jean-Pierre Page, anciensecrétaire général de l’union départementale de la CGT du Val-de-Marne(19769-1990) et ancien responsable de 1991 à 2000 du départementinternational de la confédération, est un long plaidoyer pour unsyndicalisme radical « de classe et de masse ».Intitulé « la CGT en avant! », le texte des réformistes émane de «dirigeants » et « militants » de l’organisation qui jugent qu’« il esttemps que la CGT reprenne l’offensive en ce qui concerne sa nécessaireévolution ». « Il ne peut s’agir, écrivent-ils, de »continuer la CGT» ou de »défendre la CGT » comme si le paysage n’avait pas évolué »mais de ne pas « rester au milieu du gué des changements nécessaires». Habilement, les signataires ne se présentent pas en opposants àPhilippe Martinez et se référent même à une déclaration qu’il a faitedevant un comité confédéral national (CCN) où il proclamait que lacentrale n’incarnait pas « un syndicalisme dogmatique ou idéologique». Mais ils proposent une orientation qui se démarque en tous pointsde celle du secrétaire général.« Oui, écrivent les réformistes, dans cette économie mondialisée lemonde du travail a besoin d’un syndicalisme fort parce que moderne etrassemblé, force de proposition et à l’offensive dans lesnégociations. Plus que jamais nous devons agir pour cette Europesociale que d’aucuns appellent de leurs voeux sans jamais soulignerles pas en avant qui sont faits. On ne fera pas progresser les droitspour les salarié-e-s en campant sur des positions stérilesd’opposition ». Ils plaident pour le dialogue social qui peut «permettre des avancées » et ils fustigent la stratégie adoptée «depuis l’épisode de la loi travail » : « pour quel résultat si cen’est des journées de grève perdues, un goût amer dans la bouche desmilitants et au final une loi qui passe quand même. Et ons’apprêterait à reproduire en 2018 ce qui a échoué en 2016 et 2017? »Les signataires critiquent aussi la participation de la CGT avec LaFrance insoumise à la « marée populaire » du 26 mai : « Quand certainsvoient la solution dans un alignement sur les partis politiques ou desjournées fourre-tout pompeusement appelées »convergence des luttes »,nous pensons avec notre secrétaire général [encore une fois récupéré]que nous devons »cultiver notre jardin syndical » et nous en tenir àla défense stricte des revendications exprimées sans vouloir fairedire aux luttes ce qu’elles ne disent pas. Nous devons aller plus loinet plutôt que de camper dans un isolement sectaire reprendre ledialogue avec les autres confédérations avec le souci d’aboutir etd’avancer ».Se posant en défenseurs de la Confédération européenne des syndicats(CES) et des « avancées » qu’elle a obtenues dans l’Union européenne(UE), ils s’en prennent à ceux qui s’en tiennent à la « rhétorique dela lutte des classes » ou qui « rêvent d’un retour en arrière dans uneFSM enfermée dans des schémas anciens ». La CGT avait quitté en 1995cette Fédération syndicale mondiale, l’Internationale syndicalecommuniste, mais plusieurs fédérations y sont restées(agro-alimentaire), y sont revenues (chimie) ou envisagent d’yretourner (commerce). « Force est de constater aujourd’hui, concluentles réformistes, que la CGT recule quand elle campe sur des positionsdoctrinaires et qu’au contraire elle progresse quand elle sait être unpartenaire social force de propositions réalistes ».La contribution de 30 pages de Jean-Pierre Page est en totaleopposition avec le texte des réformistes. L’ancien responsable dudépartement international de la CGT ne s’est jamais résigné au départde la FSM et ne cesse de plaider pour un rapprochement avecl’Internationale syndicale communiste. Intitulé « la CGT, l’Europe etl’Union sacrée », son texte qui se situe essentiellement sur leterrain international est un réquisitoire au vitriol contre ladirection de la CGT accusée d’« européisme » et contre la CES. Sonargumentaire part de l’idée que « ce n’est pas la CGT qui a changé laCES mais c’est bien la CES qui a changé la CGT », cette dernières’étant « ralliée aux conceptions du syndicalisme réformiste en Europeet ailleurs ». Cette « mise en conformité de la CGT aux normes dusyndicalisme réformiste européen, écrit l’ancien dirigeant duVal-de-Marne, permettrait de régler ce qui est perçu comme un obstacleà la réalisation d’une unité durable avec la CFDT, comme à la mainmisedéfinitive du réformisme sur le mouvement ouvrier de notre pays« .Jean-Pierre Page reproche à la direction de la CGT de fuir le débatsur la présence de la CGT « dans cette galère », à savoir la CES maisaussi la Confédération syndicale internationale (CSI). Celle-ci a étécréée en 2006, avec le concours actif de Bernard Thibault, alorssecrétaire général, à la suite de la fusion de la Confédérationinternationale des syndicats libres (CISL) et de la Confédérationmondiale du travail (CMT). La CGT en est membre depuis l’origine, avecla CFDT, FO et la CFTC, une hérésie pour Jean-Pierre Page qui y voitle marqueur de la dérive « réformiste » de son syndicat. Un choix qui,à ses yeux, « affecte sa cohésion, son unité et sa crédibilité » et atransformé la confédération en « une coquille vide, laissant auxfédérations le soin de se préoccuper des revendications quotidiennesdes travailleurs ».Pour Jean-Pierre Page, « le carcan européen est devenu insupportableaux peuples du vieux continent. Mais le syndicalisme européen secomporte comme les trois singes de la sagesse chinoise. Il n’entendrien, ne dit rien, ne voit rien ». S’étendant longuement sur lesdiverses crises internationale, il juge que la CGT va être enferméedans une « union sacrée », guidée par « la recherche du compromis »,avec la CES et la CSI pour « sauver l’Europe et donc le capitalisme »: « Toute la question pour la CGT est de savoir si elle va faire cechoix ou faire celui d’une autre voie, celui du syndicalisme declasse, démocratique, de masse et indépendant, un syndicalisme deluttes de classe qu’il faut mener jusqu’au bout ». « Dans laperspective du prochain congrès de 2019, souligne Jean-Pierre Page,cela implique que les militants de la CGT et les syndiqués se mettenten mouvement pour véritablement peser sur les décisions qui devrontêtre prises. Ils doivent le faire en se réappropriant les valeurs etles principes du syndicalisme de classe qui doit demeurer celui de laCGT ».Jean-Pierre Page plaide de nouveau pour un rapprochement avec la FSMqui incarne « l’anticapitalisme et l’anti-impérialisme » et déplore la« ségrégation inacceptable » dont elle fait l’objet. Il dénonce aupassage la stigmatisation par la CGT des « positions souverainistesqu’elle assimile au racisme, à la xénophobie, à l’extrême droite »,allant « même jusqu’à interdire dans les manifestions la présenced’organisations qui contestent l’euro et se prononcent pour une sortiede l’UE ». Il assure que la FSM – qui siège à Athènes et dont leprésident est un syndicaliste syrien et le secrétaire général unsyndicaliste grec, Georges Mavrikos – « se renforce régulièrement »avec « prés de 100 millions d’affiliées pour 125 pays ». Des chiffresdonnés au congrès de Damas en 1994 et qui semblent largementsurévalués même si elle a connu un regain dans le Tiers Monde aprèsson congrès de 2005 à La Havane. Elle regroupe des organisations deCorée du Nord, du Japon, du Vietnam, d’Afrique du Sud, de Cuba, duPérou, de Syrie, de Palestine, d’Inde et d’Iran…La contribution de Jean-Pierre Page se conclue par une adresse auxmilitants : « Le temps est venu pour tous ceux et toutes celles quiont conscience du danger que de tels blocages représentent,d’intervenir hardiment dans le débat du congrès pour mettre un coupd’arrêt à cette spirale qui menace l’avenir même de la CGT« . Un thèmeque l’on retrouve dans l’appel du 20 juin d’une vingtaine de syndicatsCGT des Hauts-de-France (dont le syndicat Goodyear) qui reprochent àla confédération de « freiner » les luttes et réclament uneorientation « révolutionnaire ». Lors du CCN de mai, Philippe Martineza réaffirmé « une bonne fois pour toute » l’affiliation de la CGT à laCES et à la CSI. Mais il s’est bien gardé de s’en prendre à sesfédérations ou à ses syndicats qui regardent avec insistance du côtéde la FSM… Entre des réformiste bon teint et ceux qui campent sur uneligne « moins révolutionnaire que moi tu meurs », le secrétairegénéral pourra toujours choisir une voie en apparence médiane pourassurer sa réélection.