Il a déjà beaucoup été écrit et dit sur l’affaire Benalla qui fait sur bien des aspects tomber le masque du régime Macron et de sa profonde dynamique fascisante accompagnant son offensive anti-sociale. L’une des révélations de cette affaire est que le jeune Benalla catapulté responsable de la sécurité du président de la République malgré ses nombreuses casseroles, non par un recrutement républicain, mais par le choix du Prince était chargé de faire voler en éclat l’institution en charge de la protection du président de la République. En République, les fonctionnaires chargés de la protection du président sont issus d’un recrutement sélectif, exigeant, au sein des effectifs de fonctionnaires de la Police Nationale et militaire de la Gendarmerie, pour former le GSPR. Il ne s’agit pas d’un recrutement discrétionnaire, permettant de garantir tant la sécurité du président que la sécurité des institutions de la République. De fait, Macron avait ordonné à Benalla de supprimer cette institution pour instituer une police privée parallèle directement recrutée par son homme de main. Une réforme devait avoir lieu à la rentrée, mettant sous tutelle de Benalla les fonctionnaires de police… Ce qui peut apparaitre comme un épiphénomène est pourtant une petite partie révélatrice de l’ensemble du projet politique de Macron. Un projet politique visant à supprimer la fonction publique, ou plus exactement le recrutement sous un statut des fonctionnaires, permettant de leur garantir une certaine indépendance afin de leur permettre de respecter les lois et principes de la République. Un statut rédigé par un certain Maurice Thorez à la Libération. L’affaire Benalla montre ce qui se passera en tout domaine lorsque la plupart des fonctionnaires sera recrutée sous contrat de droit privé et aux ordres des barons politiques locaux ou nationaux.
Ce que signifie l’affaire Benalla au regard des principes de la fonction publique
Le feuilleton de l’affaire Alexandre Benalla a promis de durer tout l’été : au-delà de la personnalité non seulement d’un homme mais de tout un groupe d’individus qu’il animait, caractérisé par leur goût de la violence et leur sentiment d’être au-dessus des lois, ainsi que de la réaction des autorités françaises qui cherchent à protéger le chef de l’État, il est utile de réfléchir à ce que signifie la place qu’avait prise Alexandre Benalla dans l’appareil d’État au regard des principes de la fonction publique.
Premier constat : Alexandre Benalla usurpait de fait des fonctions dévolues à un groupe spécifique de fonctionnaires, les membres du groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR), formé de gendarmes et de policiers d’élite. Le concours garantit un principe de sélection suivant les compétences, et aussi (dans le cas des forces de l’ordre) des aptitudes psychologiques à faire face à certaines situations qui exigent sang-froid, rigueur, retenue. Dépourvu de ces qualités, en aucun cas officier de gendarmerie comme il a pu l’être suggéré au début de l’enquête, Alexandre Benalla était logiquement en conflit avec les personnels du GSPR : contractuels de droit public, il avait réussi à maquiller l’usurpation de ses fonctions de fait derrière un emploi de cabinet auprès du chef de l’État.
Deuxième constat : son exemple est symptomatique d’une certaine dérive des emplois de cabinet. Ayant (et il n’est pas le seul) comme seule expérience les réseaux tissés dans les milieux politiques, Alexandre Benalla s’est élevé au sommet de l’État par relations et, disons-le, clientélisme, en parvenant à bénéficier de tous les avantages matériels liés à sa proximité avec le chef de l’État. Cela porte un nom : être un parvenu. Rapidement, il a manifestement tenté de consolider sa position sociale et de pouvoir en tentant de se faire nommer dans un corps de fonctionnaires, celui des préfets et sous-préfets – en vain. Si cette information est avérée, derrière l’ambition d’un jeune homme pressé, combien occulte-t-elle de vraies nominations par le fait du prince dans les plus hauts corps de l’État d’anciens membres de cabinet, qui n’avaient pas toujours la formation ou l’expérience pour intégrer ces corps ? Nous avons ici le symbole de la dérive des exceptions posées au principe d’accès à la fonction publique par concours, seul gage d’égalité et de compétence dans l’accès aux emplois publics.
Troisième constat : l’acceptation par le Président de la République et son entourage que des fonctions éminemment régaliennes soient occupées par des contractuels.
Le statut de fonctionnaire, incluant des droits et des obligations, correspond à la volonté que les missions de service public se basent sur les mérites et les talents, conformément à la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Ces principes constitutifs du pacte républicain sont bafoués par le Président Emmanuel Macron, qui était (et est peut-être toujours) un intime d’Alexandre Benalla dont il a couvert les fautes, tout en sachant pertinemment que des fonctionnaires étaient chargés des missions régaliennes que s’auto-attribuait son ami Alexandre Benalla. Mais comment ne pas rapprocher cette situation de fait de sa politique de diminution du nombre de fonctionnaires et de leur remplacement par des contractuels, recrutés hors concours et dans des conditions incertaines ? L’affaire Benalla est révélatrice d’une certaine conception non seulement de l’État républicain, mais aussi de la fonction publique.
Alors, de quoi Alexandre Benalla est-il le nom ? Officiellement, il avait été membre du service d’ordre de partis politiques qui ont été au pouvoir. En réalité, il était l’animateur de forces para-policières, hors-la-loi au regard du droit français (qui interdit les ligues et les milices) et européen. Le SAC avait connu les mêmes dérives, mais peut-être en pire (l’enquête nous le dira) dans le cas de ce que nous appellerons – faute de mieux – le groupe Benalla. Le SAC a été dissous, après (déjà) des enquêtes y compris parlementaires : il doit en être de même pour le groupe Benalla, dont il faut prendre le temps d’identifier les membres, les activités et les réseaux de pouvoir et d’influence. Il en va de la garantie de l’État de droit, au-delà des hommes et des femmes pouvant être impliqués dans cette affaire qui, compte tenu de sa gravité, doit dépasser les clivages partisans et les velléités de protection des intérêts d’hommes et de femmes de pouvoir, toujours soumis à la tentation d’utiliser leur place au sein de l’appareil d’État pour défendre leurs places.
Benoît Quennedey, ancien secrétaire national chargé de la fonction publique du Parti radical de gauche.