Au cœur du mois d’août, le tragique effondrement du pont Morandi à Gênes a frappé les esprits. Révélant à tous la valeur de ce patrimoine public essentiel au fonctionnement de nos sociétés que sont les infrastructures de transport. Que se passerait-il pour l’économie de la région parisienne si un des ponts sur la seine, par exemple le viaduc de Saint-Cloud rejoignant l’A13 au périphérique, un ouvrage d’art en béton précontraint comme le pont Morandi, s’effondrait ? On imagine bien les conséquences dramatiques pour l’économie avec les bouchons qui s’en suivraient, au-delà du nombre de victimes que cela pourrait causer. C’est bien ce drame qui frappe la ville de Gênes actuellement. Un drame qui révèle toute l’ampleur des dégâts causés par les politiques d’austérité imposées par l’Union Européenne dans toute l’Europe.
Les dégâts de l’euro-austérité
Partout les mêmes politiques ont été conduites dans la zone euro pour respecter les critères de Maastricht des 3% de déficit public. Partout les mêmes privatisations des parties les plus rentables des routes, chemin de fer, ports ou aéroports, le reste restant à la charge des États ou des collectivités. C’est comme cela qu’en France le régime Macron est en train de privatiser la SNCF après avoir vendu les autoroutes et une partie des aéroports. Il s’apprête à finir le travail avec les autoroutes non concédées, mais également aéroport de paris, les grands ports maritimes tandis que pour se financer, Voies Navigables de France se vend à la découpe…
Pour les parties privatisées, la priorité est au profit, et pas aux lourdes dépenses d’entretien, encore moins à la surveillance. C’est bien ce que révèlent les chiffres concernant le pont Morandi. Pour les parties publiques, les coupes sombres dans les budgets reportent sans cesse les opérations d’entretien ou de renouvellement : le budget consacré à l’entretien des ponts est de 50 000 € par kilomètre de pont contre 80 000 € par exemple au Royaume-Uni. Pire, les coupes dans les effectifs détruisent les compétences indispensables d’ingénierie publique nécessaire pour gérer les réseaux de transport. Si la France a été épargnée de grosses catastrophes routières pour le moment, les catastrophes ferroviaires qui se multiplient à mesure que la privatisation de la SNCF s’accélère devraient alerter. S’agissant des ouvrages d’art, l’ingénieur Virlogeux, le père du viaduc de Millau passé par le SETRA, souligne la destruction de ces compétences en France. « Il faut de l’argent et de la compétence. Mais je pense qu’on a moins de moyens humains qu’on en avait il y a une vingtaine d’années » alerte-t-il au micro de France 3. En effet, si sous l’effet de la crise médiatique la ministre Borne annonce une rallonge de 100 millions d’euros pour l’entretien du réseau routier national – sans que rien ne garantisse que ces fonds ne soient pas pris en déshabillant d’autres programmes d’infrastructures – le tout n’est pas seulement d’avoir de l’argent à dépenser. Mais bien de pouvoir le dépenser correctement. Le service public de l’équipement, exsangue après avoir vu ses effectifs fondre de plus de moitié en dix ans, est fragilisé comme jamais.
Les infrastructures de transport en France : un patrimoine que l’on doit au service public
Très longtemps, la France a pu s’enorgueillir d’un réseau de transport, tant ferroviaire, fluvial, portuaire et routier, à la pointe de la qualité dans le monde. Un savoir faire reconnu, qui fait encore aujourd’hui de la France l’un des leaders mondial dans le domaine du BTP. C’est que l’ensemble de ces infrastructures sont l’héritage de longue date de la Nation, issu de la structuration des services publics de la Nation remontant très loin. Par exemple, suite aux inondations dramatiques de la Loire et à l’état catastrophique des ponts du royaume, Colbert crée en 1669 le corps des commissaires des ponts et chaussées et multiplie par trente le budget des ponts et chaussées. En 1747, pour créer un vrai réseau routier national, est créée l’école des Ponts et Chaussées. Plus récemment, à travers le ministère de l’équipement ce sont les ingénieurs, techniciens et personnels du service public qui assurent la reconstruction de la France.
À travers ces exemples, chacun voit bien que ces infrastructures essentielles au fonctionnement du pays ne peuvent être distinguées de l’existence des services publics, et avec eux des statuts des fonctionnaires qui les font vivre. Détruire le service public de l’Équipement, c’est détruire une partie vitale de la France.
Il est utile ici de rappeler que le démissionnaire ministre de l’écologie, l’animateur de télé et vendeur de shampoing Nicolas Hulot, avait entre autres la charge avec son ministère des infrastructures de transport, au côté de sa ministre des transports Borne. Sous sa charge pourtant, les effectifs ont continué de fondre. Et les attaques contre les services d’ingénierie tels ceux du CEREMA (regroupant les ex-centre d’études techniques de l’équipement en région – CETE – et l’ex- SETRA service d’études des transports routes et autoroutes) se multiplier à tel point que l’existence même de cet EPA qui regroupe une bonne partie de ce qui reste de l’ingénierie des ponts et routes en France est menacée. Dans le même temps, le même n’a rien fait pour empêcher la mécanique de privatisation des DIR et avec elles des dernières routes nationales.
Ponts : les chiffres du ministère de l’écologie révèlent un état catastrophique du réseau routier national
La rédaction d‘Initiative Communiste a pu mettre la main sur les derniers chiffres des résultats des inspections des ouvrages d’arts menées par les services d’ingénierie et d’exploitation des routes du ministère de l’écologie et des transports. Les résultats de ces inspections sont compilés depuis 1996 à travers la méthode Image de la Qualité des Ouvrages d’Art (IQOA) qui classent en 10 catégories l’état des ponts et murs de soutènement du réseau routier national non concédé.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est chiffres sont inquiétants. Et ce même si les données publiées par le ministère sont expurgées de la catégorie S, classant les ouvrages présentant un danger pour les usagers, et que les seules données de 2015 et 2016 sont rendues publiques, ne permettant pas de vérifier la tendance d’évolution de l’état des ponts du réseau routier national non concédé.
- 5% des ponts n’ont pas été évalués, et même 15% en Île de France et jusqu’à 39% en Guyane ! Preuve criante du manque de moyens humain des services des Directions Interdépartementales des Routes. En Guyane, au début des années 2010, c’est le principal pont du département reliant Cayenne à Kourou, le pont du Larivot qui s’est partiellement effondré, provoquant une grave crise.
- 11,7% des ponts sont classés en catégorie 3 traduisant un altération de la structure de l’ouvrage, et pour 122 ouvrages en catégorie 3U qui traduit des désordres graves portant atteinte à la capacité portante de l’ouvrage, c’est-à-dire en danger d’effondrement.
- 34% sont classés en catégorie 2E, c’est-à-dire présentant des désordres dont l’absence de traitements urgents conduira rapidement au classement en catégorie 3
- pour près de la moitié de la surface des ponts (47%), des travaux sont donc préconisés, traduisant un état dégradé du patrimoine.
Ces chiffres, très inquiétants, ne concernent que le réseau routier principal, celui des routes nationales et autoroutes dont les DIR ont la charge. On peut sans difficulté imaginer ce qu’il en est de la situation des routes nationales décentralisées en 2003 auprès des départements, ou des routes communales dans les campagnes.
Bref, les leçons de la catastrophe de Gênes doivent être tirées. Il y a urgence à cesser de détruire les services publics de l’Équipement, mais au contraire à la renforcer. Si leur destruction ne se voient pas à court terme, il sera trop tard pour s’en inquiéter quand la dégradations de nos routes et de nos chemins de fer, déjà bien visible, se traduira par la multiplication des catastrophes à travers le pays.
JBC pour www.initiative-communiste.fr
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