Edward Gierek dirigea la Pologne populaire de 1970 à 1980. Comme des dizaines d’autres figures du mouvement ouvrier tant polonais qu’international, il a été placé, par la Droite « nationale-catholique » au pouvoir, sur une « liste noire » de militants dont le souvenir doit être banni de l’espace public… Tant la popularité dont il jouit ne se dément pas, les réactions se sont multipliées en Pologne mais aussi en France où il passa sa jeunesse. Le 13 juillet 2018, Freddy Kaczmarek, le maire communiste d’Auby (Nord), a ainsi inauguré une rue à son nom.
Par nos confrères de Investig’action : https://www.investigaction.net/fr/paradoxale-consequence-de-la-decommunisation-en-pologne-les-hommages-a-edward-gierek-se-multiplient/
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Jacques Kmieciak pour Investig’Action
En 2016, sous prétexte de combattre la « promotion du communisme », une loi est votée par le Parlement polonais, à l’initiative du parti Droit et Justice (PiS) de retour aux affaires. Elle vise à débaptiser les rues, places et autres équipements publics rappelant notamment la Pologne populaire (1944 – 1989). A Sosnowiec, au cœur du bassin de Dąbrowa dans le sud de la Pologne, où Edward Gierek (1913 – 2001) repose désormais, un rond-point porte son nom depuis 2002. Contre l’avis de la municipalité et des habitants qui, consultés, s’étaient prononcés pour le statu quo, le voïvode (préfet de région) décidait en décembre 2017 d’imposer un changement de patronyme.
Cette décision, confirmée par le tribunal administratif de Gliwice en mai dernier, fait réagir l’association Les Amis d’Edward Gierek. Basée dans le nord de la France, elle s’oppose depuis plusieurs mois (1) à ce révisionnisme historique …
Et pour cause ! Edward Gierek a, dans l’entre-deux-guerres, vécu et travaillé comme dans le Nord-Pas-de-Calais (2). « Il y a débuté une carrière de mineur en 1926. En 1934, il va faire l’objet d’un décret d’expulsion pour avoir participé à une grève à la fosse 10 de Leforest (Pas-de-Calais). Les travailleurs, polonais pour la plupart, y ont occupé le fond durant trente-six heures. A la remonte, 77 grévistes font l’objet d’un décret d’expulsion, dont Edward Gierek. Il était membre du Parti communiste et de la CGT Unitaire », souligne volontiers l’association Les amis d’Edward Gierek.
Après un passage en Belgique, il retourne en Pologne en 1948 à l’appel d’un gouvernement soucieux d’assurer le redressement d’un pays exsangue et la polonisation des terres arrachées à l’Allemagne vaincue en vertu des accords de Yalta et de Postdam. Homme fort de la Silésie, Edward Gierek accède à la tête du Parti ouvrier unifié polonais (PZPR) au pouvoir, à la faveur des événements de la Baltique de décembre 1970. Il devient alors l’équivalent d’un chef d’État. En 1980, il est emporté par la vague de contestations impulsée par le syndicat Solidarnosc.
Une rue « Edward Gierek » à Auby
Dès décembre 2017, alerté par les amis d’Edward Gierek, Christian Musial, le maire socialiste de Leforest, proteste contre ce projet de débaptisation qui affecte le plus célèbre des Leforestois à Sosnowiec. Puis, en juin dernier, les conseils municipaux de Bully-les-Mines, Grenay et Courrières (Pas-de-Calais) adoptent des motions de protestation. Point d’orgue de cette mobilisation : l’inauguration, le 13 juillet 2018, d’une rue « Edward Gierek » à Auby (Nord) à l’initiative de Freddy Kaczmarek, le maire communiste.
Comme un pied de nez aux pratiques de falsification historique imposées par le PiS et l’Institut de la Mémoire nationale (IPN) à son service ! La cérémonie se déroule en présence d’Adam Gierek, le fils d’Edward, aujourd’hui député européen, et de Wilhem Zych, président du conseil municipal de Sosnowiec. Invité, l’ambassadeur de Pologne en France n’a pas daigné faire le déplacement. Ni même s’excuser.
Elle offre l’occasion aux amis d’Edward Gierek de rappeler qu’ « Edward Gierek a été expulsé de France pour s’être battu pour sauvegarder le droit des ouvriers, améliorer leurs conditions de travail. Il incarnait les valeurs de solidarité et d’engagement désintéressé propres au mouvement ouvrier progressiste. En octobre 1972, de retour en France à l’invitation du président Georges Pompidou, Edward Gierek aura les honneurs de la République alors qu’en vertu du décret d’expulsion, il y était toujours interdit de séjour. Pour infraction à la législation, il aurait dû être jeté en prison. Plutôt cocasse comme situation ». Quelle revanche sur le sort !
« Un geste de solidarité internationale »
« En l’occurrence sur toutes les photos qu’on retrouve lors de son retour en France en 1972, et bien on y voit mon papa en tenue de mineur faisant l’interprète même si Edward Gierek parlait très très bien français. Je suis ici pour rendre hommage à un syndicaliste et au syndicalisme en général. Les débaptisations en Pologne sont un recul de la démocratie », affirme pour sa part Christian Musial avant qu’Adam Gierek ne se déclare « très ému par l’intérêt que vous portez à la mémoire de mon père. Il faisait partie de votre communauté. Comme toute ma famille a résidé ici, souvent on parlait de la ville de Leforest. Mon père, avec ses camarades français, a lutté pour la sauvegarde des droits des travailleurs polonais et français. La mémoire de ce que mon père a créé ne va pas se perdre, au moins ici à Auby.
Malheureusement, il est de plus en plus difficile de se souvenir de ses réalisations dans mon propre pays ». Wilhem Zych est à ses côtés, le temps d’espérer que « le personnage d’Edward Gierek et la rencontre d’aujourd’hui seront le symbole parfait de notre coopération future ». Puis Monika Karbowska, au nom du Parti communiste polonais (KPP) dont les militants sont aujourd’hui en proie à la répression d’État, de se féliciter de ce « geste de véritable solidarité internationale. Edward Gierek est resté dans la mémoire de tous les Polonais comme le dirigeant qui a le plus contribué au développement industriel et technologique du pays et à la prospérité de ses habitants. Nous continuerons toujours notre combat pour la Justice sociale et le maintien de la mémoire d’Edward Gierek et des autres bâtisseurs de la Pologne populaire. »
« Edward Gierek est partout chez lui ! »
Puis Freddy Kaczmarek, visiblement ému, de dire n’avoir jamais imaginé « qu’un jour, je devrais inaugurer une rue à son nom parce qu’il est maintenant banni dans son pays d’origine. Je vais vous le dire en vérité, Edward Gierek est partout chez lui et ce qu’il a été, rien ni personne ne pourra jamais l’effacer. Oui Edward Gierek était communiste. Et alors ? Depuis quand une nation qui se prétend démocratique peut-elle interdire à quelqu’un de penser autrement ? De penser qu’il peut se construire une société différente que ce que nous offre le capitalisme ? ». Et le premier magistrat, faisant référence à la répression politique qui affecte le KPP de rappeler que « ceux qui aujourd’hui en Pologne rêvent d’une autre société mènent un combat difficile. Ils sont menacés par un régime autoritaire aux antipodes des idéaux de la démocratie. Pour eux, tu es un symbole. Nous espérons que ce geste leur donnera la force nécessaire pour mener à bien le combat engagé. »
Recueillement en Silésie
Une quinzaine de jours plus tard, en écho à l’initiative française, un hommage était de nouveau rendu à Edward Gierek à Sosnowiec cette fois. Chaque année depuis sa disparition en juillet 2001, ses partisans se réussissent près de sa tombe. L’heure est au recueillement. Ce samedi 28 juillet 2018, en ce 17e anniversaire, en présence d’une délégation française des amis d’Edward Giereek, Maciek Gadaczek y prend la parole au nom notamment de la Commission historique municipale « Génération ». Il énumère les réalisations impulsées en Silésie sous l’ère Gierek : les lotissements, les routes, le Spodek ou le Parc régional de culture et de loisirs de Katowice, les écoles, les jardins d’enfants. En quoi « devrions-nous avoir honte de notre passé ? » se demande-t-il.
Attaché à transmettre cette mémoire aux plus jeunes, Maciek Gadaczek s’inquiète de la volonté des autorités polonaises de vouloir effacer le souvenir de cette période de redressement tant économique que social. Puis, vient le tour d’Adam Gierek d’exprimer toute sa reconnaissance à ceux qui, dans l’Hexagone, « font connaître les réalisations de mon père et les combats politiques qu’il a menés tant en France qu’en Belgique».
Environ 200 personnes sont rassemblées autour de lui. Dans la foule, des délégations venues de tout le pays (Gdańsk, Varsovie, Częstochowa, Zabrze, Katowice, Rzeszów, Rudy Slaski, Bytom, Sosnowiec, Będzin). Les gerbes s’amoncellent alors sur la tombe avant qu’ Adam Gierek ne donne rendez-vous à ses hôtes pour un meeting dans la ville voisine de Dąbrowa Górnicza au cœur de cette Silésie « rouge » de réputation, en raison de la combativité légendaire de sa classe ouvrière.
Statu quo à Sosnowiec
A Sosnowiec, la plaque « Edward Gierek » domine toujours le rond-point situé à proximité du centre-ville. «Des élections municipales se dérouleront cet automne, et personne n’ose, pour l’instant, y toucher », se félicite Tomasz Niedziela, élu d’opposition de l’Alliance de la Gauche démocratique (SLD) à Sosnowiec. Il est bien décidé à maintenir la pression sur l’État polonais. Ici, comme dans le nord de la France, tous espèrent que le rapprochement franco-polonais amorcé en juillet, soit le prélude à de futures coopérations. Au nom de « l’amitié franco-polonaise et de l’internationalisme prolétarien », imaginent les amis d’Edward Gierek.
Notes :
(1) Un ouvrage faisant état d’un an de mobilisation en France contre les débaptisations en Pologne (autour du cas Gierek, mais pas seulement) vient de paraître : Pologne, « J’écris ton nom… Liberté », par Jacques Kmieciak. Éditions Nord Avril, 12 euros. Rens. : patrice.dufosse@wanadoo.fr ou 03.27.90.54.90.
(2) Sur la jeunesse française d’Edward Gierek, lire « Edward Gierek, le galibot devenu chef d’État », par Jacques Kmieciak. L’Humanité, 15, 16 et17 juin 2018.
Source : Investig’Action