Aux grands hommes
par Dominique Mute
Robespierre, Saint-Just, Couthon, Lebas
Tous je les aime, ceux que l’on abat
D’un mot crapuleux, d’un œil odieux.
Oui, j’aime chez eux l’airain de leurs yeux,
Leur front plein d’orgueil, l’absolu des vues
Malgré leurs défauts, malgré leurs bévues.
J’aime ces hommes terribles, immenses
Qui ont mis dans la funeste balance
Du destin le lourd peson du bonheur,
De la liberté contre le malheur,
Vieille laisse mise à l’affreux collier
De l’hydre poussant l’enfant à mendier,
La mère à pleurer son lait, et le père
A ressentir la dent de la misère.
D’autres, il est vrai, dans l’encens des messes
Parfumaient l’âme nue de leurs bassesses
Et s’offusquaient, dans le sel des salons
Que l’on pût oser relever le front.
J’aime ces parias remplis de grandeur
Qui voulaient que le manant fût acteur
Dans une pièce longtemps mal jouée,
Qu’en coulisses un Dieu avait huée
En vain. Ils ont du levier de l’idée
Levé un cœur de morale ridée,
Et pourfendu les haineux préjugés,
Ouvert la pensée comme un fruit mangé
Doucement, avec lenteur et amour.
Oui, ces Prométhée voués aux vautours
Savaient que vertu vraie n’a d’éclat que
Dans l’exemple, que de l’étoile antique
Où brille l’esprit du grand Démosthène
Devait naître le phare qui y mène.
Oui, au risque de choquer l’opinion
Veule, l’esprit vil suivi de minions,
J’aime de leur vœu adressé à Dieu
L’audace d’esprit d’antiques aïeux.
Ils ont labouré la très vaste et sombre
Plaine du sommet de la Tribune, ombres
Pleines de clartés guidées par le rêve
Dans le cauchemar des combats sans trêve.
Voyez-vous, j’aime la Révolution,
Ses Montagnards, œil de la Nation,
Ses Girondins et le verbeux Vergniaud,
Roland, Barnave et Brissot, faux agneaux,
Ses Hébertistes et ses Dantonistes,
Danton et Hébert, tous antagonistes,
L’Ami du Peuple, le Père Duchesne,
Tous attachés à une longue chaîne.
Je les prends tous, n’en déplaise aux racleurs
De fond d’encrier en retard d’ailleurs
Sur l’Histoire et bien qu’il soit de bon ton
De nier cette ruade, admettons
Donc alors que cet avenir, le nôtre
Est sorti de ce passé qui est vôtre,
Grands hommes nobles, combien magnifiques,
Dont l’esprit bouillait de rêves épiques.
Oui, j’aime tous ces Christophe Colomb
De l’humanité, avec cet aplomb
Du grand courage et des fortes vertus.
Ils ont fait saisir à ces fronts obtus
Que de la terre où s’accroche l’ortie
Au chardon, des fleurs aux pâleurs d’hostie
Pouvaient pousser et ont joué dans l’antre
Et la caverne de Platon les chantres
De la conscience. Que vous êtes beaux.
Vous allumez le feu des idéaux.
Seul l’âne broutant toujours l’âcre foin
Obscur et moisi ne peut pas au loin
Voir dans la sombre glèbe l’étincelle
Que vos forts esprits ont jetée pour celles
Et ceux dont les yeux perdaient la lumière.
Oui je les aime et salue Robespierre.