www.initiative-communiste.fr est le lieu de débat pour tous les communistes. C’est pourquoi ces pages sont ouvertes pour porter les idées et propositions des communistes, alors qu’une partie d’entre eux est concernés en ce moment par la préparation du 38e congrès du PCF. C’est dans ce contexte qu’Aymeric Monville, philosophe, revient dans une tribune sur la tache qui attend les communistes. Non pas pour s’intéresser de façon polémique sur tel ou tel élément de stratégie circonstancielle et de court terme, mais bien pour inviter à ne pas oublier ce que peut et doit apporter l’analyse marxiste et inviter à ne pas la mettre de coté dans la pratique
De la visée communiste à la visée communiste ou quand bonnet rose remplace rose bonnet au PCF
Par Aymeric Monville (dernier ouvrage paru « Les Jolis Grands Hommes de gauche », Delga, 2017)
La mise en minorité, le 6 octobre 2018, d’un texte de la direction nationale du PCF tient à la fois du sensationnel et du non-événement. Il s’agit à la fois d’une première, qui va susciter à ce titre quelques illusions durables, mais également d’un non-événement, vu que le regroupement hétéroclite qui a repris le dessus (à 42% des voix) est porteur d’un programme qui recèle en soi autant d’innovation que lorsque Marie-George Buffet avait succédé à Robert Hue ou Pierre Laurent à cette dernière.
En effet, si l’on compare les deux textes, celui dit de la « base commune » proposé par la direction et celui qui a emporté la majorité (« Pour un Manifeste du Parti communiste du XXIe siècle »), on ne voit rien de nouveau sous le soleil éteint de la « mutation », qui accéléra la liquidation du grand parti de masse et de classe marxiste-léniniste que fut le PCF. Avec peut-être même une dégradation, que je me contenterai de relever avec un grain de sel, espérant ainsi susciter une prise de conscience autour de la question du marxisme, qui semble aujourd’hui brandi comme un fétiche identitaire au sein du Parti mais plus vraiment compris.
En relisant la base commune qui vient d’être mise en minorité, et dont je serai le dernier à déplorer la déroute, je me rends compte que celle-ci avait au moins le mérite (d’un mal profond peut naître un bien partiel) de rendre compte de certaines objections, reléguées dans une rubrique « en débat » :
« Certain·e·s pensent que nos choix stratégiques désignés par le terme d’ «expérience » de rassemblement n’ont en fait jamais été révisés depuis le 30e congrès du PCF à Martigues et que l’abandon du socialisme au profit d’une visée communiste nous prive des moyens de répondre aux questions que se posent des millions de gens.«
Au moins la direction faisait l’aveu d’un désaccord au sein du PCF. Ce qui était bien sûr tout à fait limité et partiel, car ce sont en fait toutes les caractéristiques du « parti de type nouveau » créé à Tours pour en finir avec les ingérences bourgeoises et les compromissions sociales-démocrates qui ont été peu à peu liquidées : dictature du prolétariat (1976), pensée marxiste-léniniste et internationalisme prolétarien (1979), référence à la classe ouvrière et centralisme démocratique (1994), puis enfin la marche vers le socialisme au congrès de Martigues (2000) sans oublier, évidemment, la pratique militante qui va avec et la vision du monde qu’elle porte en soi. Sans parler de dérives pratico-stratégiques telles que l’acceptation par le PCF du principe de la construction européenne et son arrimage subséquent au mythe social-impérialiste de l’ « Europe sociale » ainsi qu’au carcan institutionnel structurellement supranationaliste qu’est le PGE.
Mais enfin, ledit Manifeste qui vient d’obtenir la majorité n’est, lui, revenu sur rien de tout cela et n’a même pas eu la velléité de pointer les énormités que recèle cette idée de « visée communiste » et le terme au combien flou de « dépassement du capitalisme », à savoir le renoncement aux réquisits essentiels du socialisme : la prise de pouvoir et la destruction de l’appareil d’Etat bourgeois et ce que Marx appelait les « incursions despotiques dans le droit de propriété » dans un certain… Manifeste. D’un Manifeste l’autre, rien ne se crée, rien ne se transforme mais tout se révise. Exit en tout cas l’idée même de nationalisations en dehors desquelles l’ « appropriation sociale » est privée de toute effectivité, de tout ancrage national et de tout lien possible avec les luttes.
Devant pareils abandons, on peut s’étonner de la volonté des rédacteurs dudit Manifeste de prôner ce qu’ils appellent un « marxisme vivant ». Et d’abord pourquoi « vivant »? Quel est celui qui est mort?
C’est une stratégie éprouvée que de décréter morts ceux qu’on veut tuer. Auparavant pour tuer son chien, on l’accusait de la rage. Aujourd’hui on dit qu’il est déjà mort. Et c’est d’autant plus cocasse que le texte du nouveau Manifeste s’évertue à qualifier de « nouveaux » les vénérables critères de gestion, qui, n’en déplaise à la commission économique dont les travaux ne sont pas tous à négliger, n’ont jamais rien apporté de fondamental à la nécessité de l’appropriation socialiste des grands moyens de production et d’échange, inséparable de la conquête du pouvoir par la classe ouvrière et ses alliés, en clair, de la révolution socialiste.
Comme on le voit, penser par slogans publicitaires et sirupeux, comme s’y prêtent tous ces actuels textes de congrès aussi émollients et rébarbatifs que les autres (si l’on excepte le texte du 15ème arrondissement, qui ne propose aucune stratégie mais qui conserve une tonalité communiste), ce n’est pas seulement se soustraire à l’analyse théorique. C’est subir la théorie des autres, en l’occurrence les théoriciens de la mutation qui travaillent, hélas, depuis quarante ans sur le sujet, avec les terribles résultats pratiques que l’on sait pour les idées communistes, pour la classe travailleuse et pour l’avenir de la nation.
A commencer par Lucien Sève, dont la « visée communiste » a été conçue précisément pour combler le vide laissé par la disparition de la dictature du prolétariat. Vide conceptuel qui a dû se payer, chez Lucien Sève, d’une manifeste déstructuration de la cohérence de sa propre – et pourtant riche – pensée, qui s’est traduite par :
– une surestimation très exagérée (déjà eurocommuniste) des particularités nationales
– un déni non motivé des lois objectives, fussent-elles tendancielles, de la marche au socialisme et des contradictions générales du mode de production capitaliste
– un recul dans la conception de la dialectique qui cesse d’être l’étude de la contradiction « dans les choses mêmes » (Lénine) mais est renvoyée du côté du sujet connaissant (primat du gnoséologique sur l’ontologique).
C’était payer un peu cher un modus vivendi avec la pensée universitaire qui qualifie depuis cent ans le marxisme de « précritique » (au sens de pré-kantien) sans comprendre que le marxisme procède en partie de la critique hégélienne du criticisme kantien, c’est-à-dire d’un criticisme au carré car matérialiste et dénué de concessions à l’agnosticisme régnant.
C’était aussi ne pas comprendre que le marxisme n’a pas cette kantienne « tendresse pour les choses » dont parlait Hegel. Et si Marx voyait la dictature du prolétariat comme conséquence inéluctable des contradictions du mode de production capitaliste, ce ne sont pas toutes les innovations gnoséologiques, personnalisantes etc. qui y changeront quoi que ce soit. Au contraire, c’est être une arrière-garde que de ne pas voir la nécessité et l’urgence du passage au socialisme et la nécessité de reprendre cette bataille de fond au sein des masses alors même que nombre de citoyens prennent conscience que la logique capitaliste poussée jusqu’au bout mène à la mort de l’humanité.
Le débat tourne essentiellement autour de l’universalité et de la nécessité de la pensée de Marx, a fortiori quand le capital pousse le degré d’affrontement de classes jusqu’aux bords d’une IIIe guerre mondiale et/ou d’une perte de contrôle généralisée sur les conditions environnementales d’existence de l’humanité. Sur ce terrain de l’universalisme, malgré des avancées scientifiques notoires de Sève :
– l' »excentration de l’essence humaine » qui définissait un humanisme marxiste plénier qui brisait les étroitesses de l’humanisme chrétien
– les réflexions profondes sur la dialectique marxiste de l’universel et du singulier dans le marxisme à partir de l’Introduction de 1857
– et enfin une grande campagne de discussion avec les scientifiques autour de la dialectique, qui balayait les atermoiements d’Althusser à ce sujet,
Sève termine son parcours, comme l’atteste son dernier ouvrage sur Lénine et 17, en disant que, malgré ses mérites passés, il faut abandonner le léninisme car nous vivons une époque « autre ». Pourquoi cette époque est-elle « autre »? On ne le saura pas. Et personne n’explique cela nulle part dans les deux textes, interchangeables, de congrès. Nous savons juste qu’on visera le communisme en se partageant la « gestion ». La gestion du système?
Et que pour y parvenir, on n’aura besoin ni de parti communiste, ni de rôle dirigeant du prolétariat, ni de sortir de l’Europe atlantique, ni de nationaliser le CAC-40 et les autres secteurs stratégiques, juste d’une « culture issue de Marx ». Bref, en feignant de dépasser par la gauche le socialisme (« Nous, « marxistes vivants, faire une si pauvre chère ? Le communisme sinon rien ! »), on en revient au bon vieux réformisme à la papa, à celui qui se fait fort (les mots ne coûtent pas cher) d’accumuler du « communisme » au sein même du mode de production capitaliste. Et c’est comme ça qu’avec un petit coup d’union de la gauche pour faire passer et aller de temps à autre dans un gouvernement social-européiste, le pas à pas vers le communisme se transforme sous nos yeux depuis trente ans en cauchemar de toutes les régressions… A l’adresse des jésuites, Pascal appelait déjà cette démarche, toute de jonglerie verbale, « purifier les intentions pour sauver les actions ». Il ne croyait pas si bien dire s’agissant de l’usage actuel de ce dernier mot…
En 1990 au sein du PCF ou du moins dans sa revue théorique La Pensée, on pouvait encore débattre au cœur de la théorie marxiste et affirmer, comme le faisait Georges Gastaud devant le physicien Cohen-Tannoudji (qui relayait le recul « gnoséologique » de Lucien Sève), que devant la fusion en cours de la physique des particules et de la cosmologie, le concept de matière et la catégorie de matière, que Lénine avait légitimement distingué, pouvaient se rapprocher tendanciellement, ce qui entérinait plus que jamais l’idée d’une ontologie dia-matérialiste de plein droit, laquelle trouve son mode d’exposition dans la classification dynamique des sciences. Cela tranchait par là le débat ontologie/gnoséologie qui avait tant occupé la philosophie soviétique, laquelle n’avait pas le caractère monolithique qu’on lui prête et était en cela certainement plus « vivante » que tout ce dont rêvent les actuels textes de congrès. Ce faisant, le marxisme occidental, dont la caractéristique première avait été de découpler Marx de Engels et de refuser l’idée de dialectique de la nature et du matérialisme dialectique s’avérait pour ce qu’il était : une hypothèse soit audacieuse soit malveillante (selon les buts visés) mais en tout cas désormais insoutenable. Depuis les livres de Gastaud se sont étoffés, jusqu’à 3000 pages pour le dernier, « Lumières communes ». Mais il n’apparaît plus sur les radars des camarades épris de marxisme « vivant ». Comme l’attestent les débats de l’Huma, la tendance actuelle est à la dés-ontologisation, comme l’y incite le marxisme « poststructuraliste » de la chaire. Laquelle surinvestit le sujet au détriment de l’objectivité, de Badiou jusqu’aux théoriciens du populisme à la Laclau qui croient qu’on peut « inventer » un peuple à coups de slogans ou qui, à l’instar de Toni Negri, se refusent à étudier les contradictions objectives du MPC pour mieux nous refaire le coup de « l’hyper-impérialisme » à la Kautsky.
Long détour épistémologique qui revient à dire que, aux yeux de nos innovants sans rivages, le marxisme n’a que faire des lois universelles d’une dialectique de la nature (c’est très vilain, c’est « ontologique » et « précritique »), encore moins des lois de l’histoire, donc du matérialisme historique (mais quel réductionnisme « mécaniste » !), moins que moins encore à faire des lois universelles de passage du capitalisme au socialisme-communisme (quel dogme affreux !).Si bien que pour finir, ce marxisme bien propre sur lui et qui n’en finit pas de « viser le communisme » tout en n’apportant que des défaites, a toute licence pour l’essentiel aux yeux de nos chers parlementaires : « rassembler toute les forces de gauche » (surtout Hamon et surtout pas ce « nationaliste-populiste » de Mélenchon qui – très insuffisamment certes – parle encore de « plan B » pour sortir de l’UE ?). Avec en prime « identitaire », la sanctification des européennes derrière l’adjoint « communiste » au maire d’Hidalgo…). Vite, vite pour fêter tout ça, de grandes manifs « unitaires » où surtout, on n’appellera pas à chasser Macron (pour lequel TOUS les députés du PCF ont appelé à voter au second tour au nom du « barrage antifasciste ») et moins encore, à contester radicalement l’UE…
Marxisme vivant? Chiche! Mais pour cela, il faut commencer par être marxiste… et par ne pas enterrer l’expérience issue d’Octobre 17 en la qualifiant « d’échec ». Il n’est jamais trop tard pour s’y mettre.
Aymeric Monville, 6 octobre 2018.