Entre coups bas et coups tordus macroniens, quel avenir pour la France insoumise?
Une analyse d’Aymeric Monville (dernier ouvrage paru, Les Jolis Grands Hommes de gauche, éditions Delga, 2017)
NDR : Invité le jour même des perquisitions sur le plateau de RT international puis ce mardi 30 octobre pour un débat à la librairie Tropiques (Paris 14e) afin de commenter l’actualité autour de la France insoumise, Aymeric Monville souhaitait développer par écrit l’ensemble des réflexions que lui inspirent, depuis deux semaines, le déclenchement de l’affaire et son contexte. La rédaction d’Initiative communiste est heureuse de lui fournir un cadre médiatique permettant l’expression de tous les camarades.
Résumé :
L’émergence de la France insoumise lors de la dernière élection présidentielle a permis de rassembler 19,58% de l’électorat, soit plus de 7 millions de personnes, dont une majorité d’ouvriers et d’employés. Elle a aussi rompu les amarres avec le PS sur une question essentielle comme celle de l’appartenance à l’OTAN et a écrabouillé « de gauche » ce même PS, ce qui a constitué à signal extrêmement positif, a fortiori dans une Europe dont les peuples sont tentés par les impasses de droite et d’extrême droite. Elle a également permis à un espace politique populaire, progressiste et relativement euro-critique de continuer à agir dans notre pays, contrairement par exemple à la situation de l’Italie. Cela rappelle que notre pays a encore de solides ressources contestataires, même si cet essai demande à être transformé. Certes, depuis quelque temps, une certaine force d’inertie se faisait sentir au sein du mouvement des insoumis et tendait notamment à enterrer le « plan B » de sortie de l’UE et de l’euro. Stendhal disait qu' »il faut secouer la vie sinon elle vous ronge ». Heureusement le pouvoir s’en charge, et après l’inquiétude générale de voir JLM accepter le rôle d’adversaire et non d’ennemi qu’Emmanuel Macron lui avait proposé à Marseille en septembre dernier, force est de constater que M. Mélenchon se retrouve désormais dans une configuration sans retour possible où, comme le dit le Cyrano d’Edmond Rostand, « on n’abdique pas l’honneur d’être une cible ».
En l’état actuel des choses, et deux semaines après les perquisitions, nous noterons les trois phénomènes suivants :
1) Même s’il y a bien un « système » juridico-médiatique à l’oeuvre capable de bien des coups tordus, il ne s’agit pas d’une affaire aussi dévastatrice que l’affaire Fillon. La France insoumise peut même à terme sortir renforcée de ce bras-de-fer.
2) La chute de JLM dans les sondages avait précédé son fameux coup de colère, lequel était, quoi qu’on en pense, nécessaire pour remobiliser autour de sa personne et éviter un éparpillement de ses partisans.
Le procureur Molins, qui avait classé sans suite les plaintes d’Anticor contre La République en marche, a mobilisé une centaine de policiers dans le cadre d’une simple enquête préliminaire. Pour des faits identiques en matière d’assistants parlementaires concernant le Modem, François Bayrou, Françoise de Sarnez et leurs amis, n’avaient subi aucune perquisition.
Les perquisitions contre la France insoumise ont été principalement commentées dans le cadre institutionnel du manque flagrant d’indépendance du parquet vis-à-vis de l’exécutif, comme dans l’Affaire Fillon.
Il faut aussi bien sûr parler des perquisitions réalisées au siège de simples syndicalistes, y compris pendant les 5000 perquisitions réalisées durant l’état d’urgence, et pour des résultats peu probants contre la menace islamiste, dont les complices autoproclamés siégeaient au Quai d’Orsay (cf. Fabius « Al Nosra fait du bon boulot » et les récentes déclarations de M. Sergueï Lavrov au sujet de ce dernier).
Il faut imaginer la souffrance de ces familles ouvrières et populaires perquisitionnées dont personne, même à gauche, ne parle. On peut se représenter la rage au ventre de ces syndicalistes qui jouent leur boulot, leur famille, leur vie et se voient humilier par la police devant leurs propres enfants. JLM a eu raison de rappeler l’inviolabilité des parlementaires, qu’il est d’autant plus justifiée d’invoquer quand ledit parlementaire va, comme il l’a fait, en première ligne prendre et donner les coups. Mais il faut aussi rappeler que c’est au nom d’une cause non moins sacrée que cela se fait, celle de la défense du peuple.
I. Ne demandez pas le programme
Un article remarqué de l’avocat Régis de Castelnau, écrit à chaud après les perquisitions mais s’appuyant sur une bonne connaissance des affaires, et intitulé non sans humour « Demandez le programme » annonçait qu’on devait s’attendre, vu le contexte répressif, à une cascade de « révélations » comme dans l’Affaire Fillon.
Il est certes probable que cette affaire, telle qu’elle se présente, débouche sur l’ouverture d’une information judiciaire et la saisine d’un juge d’instruction et aussi, comme le remarque l’avocat :
« des mises en examen spectaculaires avec des qualifications sonores, de celles qui enjolivent les manchettes, « escroqueries en bande organisée, détournement de fonds publics en réunion, blanchiment de fraude fiscale etc. etc. ». Soit pour des gardes à vue fatigantes dont les durées seront fonctions des qualifications et pourront aller jusqu’à 96 heures… Nouvelles perquisitions bien sûr chez les mêmes, avec des écoutes téléphoniques tous azimuts.«
Mais si l’on peut lui savoir gré à l’avocat d’avoir montré la réalité d’un système médiatico-judiciaire, pour ce qui est du fond des affaires, comparaison n’est pas raison.
Pour l’instant, même si l’on voit aux thématiques abordées que les médias n’ont reculé devant aucun procédé, la pêche est mince.
Les fuites dont se sont servis les enquêteurs de Mediapart ont eu vent d’une caisse de proportion équivalente à celle d’une buvette de grand parti après une fête de l’huma, 12 000 euros, soit, comme l’a noté un journaliste, 1/5 d’un costume de Fillon payé par Robert Bourgi.
L’obsession de Mediapart – et M.Edwy Plenel l’a redit dans une video postée avec lui et son équipe -, est que révéler des détails d’ordre intime permettrait d’aboutir à un conflit d’intérêt. Si cela est avéré et si cela est même prouvable à moins de tomber dans des procédés de presse de caniveau, on voit mal comment la requalification du tandem militant Chikirou/JLM en couple Chikirou/JLM changerait tant la donne que cela.
Rappelons qu’il s’agit d’une des campagnes les plus longues et les moins chères et que Mme Chikirou est une spécialiste en communication respectée à l’étranger et à des tarifs parfois inférieurs à ses concurrents. Certes on peut regretter – sans perdre de vue que des professionnels apportent un savoir-faire différent des amateurs – un certain manque d’égalité de traitements entre simples militants et prestataires, mais c’est surtout la France insoumise dans son ensemble que cela regarde.
Rappelons que dans l’affaire Fillon, il y avait tout au contraire soupçon de travail non produit.
Sur les colonnes de Sputnik, Jacques Sapir, dont nous ne partageons pas les orientations politiques générales mais dont nous pouvons apprécier le caractère informé de ses articles, a récemment bien fait de souligner qu’il s’agit là de dérives dans l’interprétation des lois de 1988-1990 sur le financement de la vie politique dont la vocation est de contrôler la réalité des dépenses et de vérifier qu’elles ne sont pas minorées afin de ne pas excéder le plafond autorisé. L’esprit de la loi n’a jamais consisté à contrôler la manière dont un parti dispose de fonds. De plus, contrairement à la campagne de Macron il n’apparaît pas qu’il s’agirait de dons interdits.
Et M. Sapir d’ajouter, quant à l’affaire des assistants parlementaires :
« Les assistants, et tout le monde le sait, travaillent pour des députés européens qui sont membres de partis. Il est logique et naturel qu’ils aient aussi des attributions dans les partis pour lesquels ils travaillent en définitive. Nous ne sommes pas là dans le cas reproché à François Fillon, ou la réalité du travail peut être mise en doute. De plus, les députés européens sont élus au scrutin de liste et non au scrutin uninominal d’arrondissement. Cela implique un engagement du parti qu’ils représentent bien plus important que pour les députés de l’Assemblée nationale. »
Il faut donc rappeler l’article 4 de notre constitution sur la liberté d’organisation des partis politiques. D’autant que, entre-temps, l’ensemble des documents internes, les fichiers des adhérents et des donateurs ont été confisqués en toute « légalité ».
II. Les raisons de la colère
Cette colère peut nuire – et encore – à une certaine croissance du mouvement, momentanément, mais permet d’assurer une cohésion autour d’une personnalité fédératrice.
Le mot de Mélenchon, « pourrir les journalistes », en pleine affaire Khashoggi est certainement de trop. Mais pas, ce qui pourrait s’apparenter à une étude du « champ » bourdieusien du journalisme en France. M. Mélenchon a toujours posé là une bonne question. On sous-estime toujours les ronds-de-jambes qu’il faut faire pour complaire à ce milieu. Cette attitude frontale, qu’on eût préféré moins comminatoire pour la rendre plus efficace, est néanmoins la bonne.
La stratégie dite populiste de gauche a pu par le passé constituer une remobilisation face à l’apathie sociale-libérale, mais est manifestement à la traîne face à un retour évident d’une problématique de luttes des classes, nationale et internationale, beaucoup plus proche des préoccupations marxistes et communistes.
III. Les communistes et la France insoumise
Ce qu’il faut c’est une dynamique de rupture. Ce dont ont été incapable des forces résolument anti-UE mais capitalisto-conformes comme celles de M. Asselineau qui refusent de s’appuyer sur la réalité nationale de notre pays dont M. Asselineau a pourtant conscience puisque c’est au principalement nom de cela qu’il souligne que la France ne s’y retrouve pas dans l’UE (poids de l’Etat dans son histoire, hypersensibilité à la domination états-unienne, relatif consensus sur la nécessité des politiques « sociales »). M. Asselineau persiste à vouloir réconcilier le capital et le travail, comme si l’UE n’était pas l’une des forteresses du Capital, la garantie même, comme l’avait rappelé Alain Madelin, contre le marxisme.
Certes, une autre stratégie se dessine dans le reste de la mouvance communiste. Néanmoins la récente « révolution de palais » au PCF portée, entre autres, par des identitaires antimélenchonistes, débouche sur les actuelles rencontres entre Ian Brossat et Benoît Hamon (en vue d’une candidature commune aux européennes?), sur une probable liste unique aux municipales à Lens. Quant au principal représentant du nouveau cours, André Chassaigne, celui-ci s’était distingué en appelant fin 2016 à contourner le vote des adhérents PCF pour poser sa candidature et rallier directement Arnaud Montebourg alors pressenti vainqueurs aux primaires. Bref, rien ne change par rapport à l’attitude pusillanime de Pierre Laurent, qui s’explique avant tout par la nécessité de maintenir un certain nombre de circonscriptions en accord avec le PS.
Mais la différence entre l’actuel PCF et la France insoumise est que les couches moyennes se sont notabilisées au PCF et donnent complètement le ton depuis ladite mutation et rêvent de s’allier avec les hiérarque du PS, alors qu’à la France insoumise elles sont en recherche, entraînées par le primum movens qu’est le « big bang » de la rupture avec le PS.
Faire campagne pour le boycott aux prochaines européennes est la meilleure manière, pour une force d’avant-garde, d’avancer la nécessité d’un plan B dans le contexte actuel.
NB : A l’heure où nous bouclons ce texte, nous apprenons sur le blog de Mme Brigitte Pascall un rapprochement inattendu mais d’autant plus significatif de celle-ci vers François Ruffin pour la défense du programme « L’avenir en commun », une plus grande démocratisation de la FI et le retour sur le devant de la scène de l’économiste Jacques Généreux. Reste à savoir si ce passage, chez M. Ruffin, d’une stratégie de médiatisation plus personnelle que politique à une stratégie plus réfléchie de défense de la démocratie interne, est de nature à s’imposer comme alternative globale à la direction actuelle. Il est certain en tout cas qu’elle peut entraîner un changement de ligne drastique de la part de celle-ci.
NB2 : Nous apprenons également ce jour même un dépôt de plainte pour vol contre X (mais visant clairement Mme Chikirou) par la direction de la web télé Le Média. Ces événements ne sont pas de nature à changer l’appréciation actuelle que nous portons sur la capacité de résilience de la FI et, dans une certaine mesure, de sa direction. Si la concomitance des plaintes avec les récentes perquisitions, s’explique aussi en partie par un agenda dicté par les menaces de liquidation qui pèsent sur Le Média, elle atteste en tout cas d’une véritable rupture entre la FI et ce qui semblait au départ, peu ou pro, sa web télé. Rupture de plus en plus brutale et qui peut s’interpréter de deux façons : soit comme une attaque contre une dérive de la FI, soit comme une attaque contre la FI elle-même. Les militants apprécieront.
NB3 : Une possible rupture entre M. Mélenchon et le Grand Orient de France, annoncée ces jours-ci, si elle atteste toujours de l’ampleur de l’offensive contre la FI, n’est pas de nature à infléchir notre avis général sur la résilience de la FI et le déport à gauche de sa direction, bien au contraire. On se souviendra de l’importance de ladite « 22e condition » (la rupture avec la franc-maçonnerie) dans les conditions d’émergence du PCF. Ces ruptures avant tout symboliques peuvent en partie avoir un impact positif sur les classes populaires.