Qui doit l’hommage au képi doré de Pétain ?
Philippe Pétain s’est complètement déshonoré en 1940, en commettant le crime de haute trahison pour lequel, en un procès équitable, il a été condamné à mort et à l’indignité nationale ; la non exécution de la sentence de mort n’a pas effacé la condamnation !… Pourtant, Emmanuel Macron vient de tenter de réhabiliter la mémoire de Philippe Pétain, en réduisant son déshonneur à des « choix néfastes » !
Par cette réduction, il s’efforce de faire oublier la condamnation ; il est Président de la République : il n’en a pas le droit ! Réduire la haute trahison de Philippe Pétain à « des choix néfastes » est, de sa part, une infamie !…
Cela étant dit, quels sont les faits qui constituent la haute trahison de Philippe Pétain ? Tous se résument à ceci que Philippe Pétain a choisi le fascisme contre les progrès que la Révolution française a ouverts à notre peuple, à notre pays, contre les progrès qui résultaient des luttes ouvrières et paysannes du début du vingtième siècle, contre la loi de séparation des Églises et de l’État, contre la laïcité de nos institutions, contre la liberté de penser et d’écrire sa pensée entre autres libertés, contre l’égalité en droits de tous les citoyens, contre le droit de vote des femmes, …
Philippe Pétain a choisi le fascisme : quand a-t-il fait ce choix ?
Depuis 1904, il était colonel, professeur adjoint à l’École de guerre ; il était donc membre de la Haute Armée que l’affaire Dreyfus nous avait révélée parcourue d’un courant antisémite de quelque importance, que ne contrecarrait pas l’influence de la Haute Église, laquelle dominait traditionnellement le corps des officiers français…
Au sein des corps d’officiers, ceux qui servaient aux colonies développaient leurs habitudes de pensée à partir des inégalités propres aux sociétés coloniales, qui étaient leur quotidien ; ces observations se mêlaient dans leur esprit à leur pratique de la hiérarchie militaire, du commandement et de la discipline, dont le règlement, rédigé au milieu du dix-neuvième siècle, précisait que « tout subordonné doit exécuter l’ordre qu’il reçoit immédiatement, sans hésitation ni murmure », ce qui est une autre façon de dire que le subordonné doit à son supérieur une « obéissance de cadavre », règlement que l’on trouve dans les armées allemandes d’alors, et qui est strictement repris de la règle donnée par (saint) Ignace de Loyola à l’ordre des jésuites. Ces habitudes de la discipline de stricte obéissance se mêlent aux conditions dans lesquelles vivent alors les officiers servant aux colonies ; ces conditions sont celles d’une société d’inégalité dont tous les cadres, civils et militaires, veillent jalousement à maintenir les inégalités ; les rapports adressés à l’État-major par les inspections des troupes déployées aux colonies faisaient nécessairement état de cette mixture spirituelle ; examinons sa logique, nous y trouverons les idées fondamentales des idéologies fascistes et nazies.
En 1914, le colonel Pétain, qui développait à l’École de guerre le concept de la guerre défensive, va très vite bénéficier du « limogeage », comme on dit depuis lors, des généraux du haut commandement opérationnel : en guise de sanction pour les graves défaites subies au début de la guerre par l’armée française, ils ont été affectés à Limoges sans mission de combat ; ils auraient trop cru dans la théorie selon laquelle l’offensive conduirait nécessairement à la victoire lorsqu’on la mène jusqu’à l’outrance !… Pétain devient général de brigade le 31 août, de division le 14 septembre, de corps d’armée le 20 octobre 1914, puis d’armée en juin 1915 ; en février 1 916, il reçoit la mission de commander les troupes engagées à Verdun, puis, en 1 917, devient le commandant en chef de l’armée française. Il est élevé à la dignité de Maréchal de France en novembre 1 918.
L’idéologie qui domine la France lui attribue la victoire de Verdun : mais il ne faut pas se leurrer sur sa contribution à cette victoire : elle n’est pas le fruit de la science militaire des généraux français, qui ne surpassait pas celle des généraux allemands : la victoire de Verdun, comme la victoire finale, est avant tout le résultat de ce que le gouvernement français pouvait envoyer dans la fournaise des effectifs de soldats beaucoup plus grands que ceux de l’Allemagne, dont les liaisons maritimes était coupées par la marine britannique, et qui de ce fait ne pouvait recevoir aucun renfort de ses colonies…
La réputation du général Pétain d’avoir été particulièrement économe des soldats confiés à son commandement est en réalité très surfaite ; sa contribution à la victoire réside bien plutôt dans la terreur qu’il a inspirée aux soldats français en rendant publique l’activité des conseils de guerre et en multipliant les fusillades pour l’exemple.
Quant à notre peuple, qu’a-t-il gagné à cette victoire ?
Quantité de morts que nous comptons chaque année sur les monuments aux morts de nos communes, et quantité de blessés, et encore quantité de morts dont les corps n’ont pas été identifiés, ou même simplement retrouvés !
Pour la population travailleuse, une insondable misère avec tout son cortège de maladies très souvent mortelles : rappelons-nous l’épidémie de « grippe espagnole » !
Et savez-vous quel « bénéfice » technique cette guerre a rapporté à notre agriculture ? Le fil de fer barbelé !…
Ce sont les impérialismes français et britanniques qui ont raflé la mise, en mettant la main sur les colonies de l’empire allemand et en se les partageant…
1918 : Philippe Pétain a atteint la plus haute dignité militaire, celle de Maréchal de France ; depuis le premier jour de la guerre, il sait que les fonctions des officiers généraux sont politiques : Pétain entend bien manifester ses sympathies politiques.
Aussitôt que Bénito Mussolini commence d’agiter les « Arditi » italiens et de regrouper avec eux ses « faisceaux », Philippe Pétain lui manifeste une sympathie active.
Depuis 1919 au Maroc, Abd el Krim al Khattabi commence à réunir les tribus du Rif en une république indépendante dans les territoires incontrôlés (par l’Espagne ou par la France) : aveuglés par le mépris du peuple marocain, le commandement des armées espagnoles stationnées au Maroc laisse ses unités traverser le territoire jusque-là incontrôlé, que la République du Rif revendique : telle est la cause de la bataille d’Anoual, en 1921, dans laquelle les Rifains infligèrent de très lourdes pertes à l’armée coloniale espagnole.
La République confédérée des tribus du Rif est proclamée en 1922.
Ces événements survenus sur le territoire que l’Espagne réservait pour sa colonie inquiètent aussi le sultan du Maroc, le résident général de France Hubert Lyautey et le gouvernement français, à cause bien sûr du risque de contagion.
Il s’agit désormais pour les deux gouvernements coloniaux de réprimer et d’anéantir la République du Rif : Philippe Pétain se joint au résident général Lyautey et au capitaine général espagnol Miguel Primo de Rivera pour penser et organiser la répression. Côté espagnol, Miguel Primo de Rivera s’éloigne bientôt du problème marocain pour fomenter un coup d’État par lequel il réussit en 1923, grâce à la complicité du roi Alphonse XIII, à instaurer sa dictature, pendant que côté français, Pétain prend officiellement en 1925 la direction de la guerre d’anéantissement de la République du Rif : au cours de cette guerre, les aviations française et espagnole font un grand usage de bombes à gaz moutarde (ou ypérite) ; en 1927, la République du Rif n’existe plus.
De retour en France, Philippe Pétain ne cache pas ses sympathies pour Benito Mussolini ; il donne sa caution au mouvement des « Croix de feu » dans lequel le colonel de la Roque tente d’embrigader au moins idéologiquement les anciens combattants au service de l’instauration en France d’un régime autoritaire, pour lequel milite déjà tout ce que la France compte d’antisémites, ainsi que les ligues fascistes, dont un groupe réactionnaire clandestin, le CSAR, ou Comité Secret d’Action Révolutionnaire, autrement appelé la Cagoule, est armé et abondamment subventionné par les capitalistes propriétaires de nos plus grandes industries.
Le six février 1 934, les ligues et mouvements fascistes, Camelots du Roi, Action française, Jeunesses patriotes, Francistes,… tentent avec les Croix de Feu une manifestation violente contre la Chambre des Députés ; cette manifestation est contenue par la garde républicaine et par la gendarmerie mobile, dont plusieurs membres sont blessés, et qui ne pourra se dégager qu’en ouvrant le feu.
C’est également le six février que Gaston Doumergue devient président du conseil des ministres et appelle au gouvernement des personnalités connues pour leurs opinions politiques réactionnaires (de droite) et quelques « radicaux » ; il confie le ministère de la guerre à Philippe Pétain.
La riposte populaire à l’émeute du six février est immédiate : le neuf février a lieu un important défilé de protestation et de lutte antifasciste organisé par le parti communiste SFIC ; le douze février, la CGT et la CGTU appellent à une journée de grève générale, et le parti socialiste SFIO et le parti communiste SFIC organisent deux défilés distincts ; ces deux défilés convergent et se mêlent en une grande manifestation d’unité antifasciste.
Aussi bien l’agitation fasciste que la riposte populaire ne sont pas des événements seulement parisiens ; la même succession de tentatives fascistes et de contre-manifestations populaires se produit aussi en province.
Tout cela débouche aux élections législatives de 1936 sur l’élection d’une majorité de Front Populaire, sur les grandes grèves revendicatives et sur les « accords Matignon » imposés au patronat capitaliste par la puissance des grèves.
C’est aussi en 1936 que Pierre Laval et Philippe Pétain prennent contact avec Francisco Franco, pour lui faire savoir qu’« ils étaient disponibles pour gouverner », dans la perspective de provoquer l’échec du Front populaire.
En 1939, le président du conseil des ministres Daladier nomme Philippe Pétain ambassadeur de France en Espagne, auprès du Caudillo Francisco Franco.
Nous pouvons conclure de tout cela qu’en se mettant au garde-à-vous devant le képi doré de Philippe Pétain, Emmanuel Macron rend l’hommage que la grande bourgeoisie propriétaire des plus gros capitaux de France doit à l’un des chefs militaires qui ont le mieux mérité de l’impérialisme français !
Mais notre peuple ne doit aucun hommage à Philippe Pétain.
par Jean-Pierre Combe