Gilets jaunes et colère populaire, armée européenne et OTAN, crise de l’Union Européenne avec les tensions entre la commission et le gouvernement italien, remous à la France Insoumise… c’est autour de ces sujets d’actualité brûlants que la rédaction d’Initiative Communiste a pu s’entretenir avec Georges Gastaud, secrétaire national du PRCF ce 22 novembre 2018.
Comment interpréter les différends sérieux qui ont opposé Trump et Macron le 11 novembre dernier ? Ne faut-il pas une « armée européenne » pour équilibrer l’agressif impérialisme américain ?
Georges Gastaud – Les rivalités inter-impérialistes entre le camp protectionniste étasunien emmené par Trump et le camp libre-échangiste conduit par Clinton pour les USA et par Merkel-Macron en Europe, ne sont pas feintes. L’euro fort, aligné sur le Deutsche Mark, fut initialement conçu comme une monnaie crypto-protectionniste destinée à sécuriser la grande industrie allemande, à lui assurer des débouchés captifs en France et en Europe du sud (veto sur les dévaluations compétitives en Europe), sans pour autant concurrencer le dollar faible en tant que monnaie mondiale, qui garantissait à Wall Street, adossé à l’US Army la domination mondiale. Bref, au départ, un accord inter-impérialiste gagnant-gagnant pour Washington et Berlin aux dépens de l’Europe du Sud et de cet « homme malade » de l’Occident qu’est devenue la France. Cet accord inter-impérialiste a été déstabilisé, d’une part par la montée en puissance hautement prévisible de la Chine et des Brics, d’autre part par l’écroulement économique de l’Europe du Sud étouffée par l’euro-endettement, et par l’épuisement de la France, que l’euro-austérité a appauvrie, désindustrialisées et rendue incapable d’absorber autant qu’avant le Made in Germany. La BCE sise à Francfort a donc fait tourner à fond la planche à billets – sans desserrer l’étau austéritaire sur l’Europe de l’Est, sur l’Europe du sud et sur la France –, elle a sciemment affaibli la valeur de l’euromark et, devenus moins chers à l’exportation, les produits allemands ont inondé le marché américain jusqu’alors protégé. D’où la remise en cause des accords de libre-échange (type TAFTA) par Trump, qui les veut uniquement à sa main.
Cependant, ce qui rassemble les impérialistes occidentaux est plus fort que ce qui les oppose : malgré la guerre commerciale qu’ils se livrent, l’Europe allemande et les USA devront défendre ensemble leur hégémonie mondiale contre les Brics, et d’abord contre la Russie et la Chine. En outre l’armée européenne strictement arrimée à l’OTAN ne peut qu’être un supplétif de l’US Army. Le principal bénéficiaire de l’armée européenne serait Berlin, qui obtiendrait ainsi un droit de regard sur la force de frappe française et qui lorgne ouvertement, sous couverture européenne, sur le siège français au Conseil de sécurité de l’ONU. Les principaux perdants seraient la paix mondiale, car l’armée européenne accélèrerait les préparatifs de guerre antirusse sous pilotage américain, les peuples, car l’augmentation des budgets militaires européens va se traduire par double ration d’austérité sur les salaires et sur les services publics civils, et par un abaissement sans précédent de la France dont la servitude volontaire envers Berlin est apparemment sans limite. Souveraineté européenne, armée européenne arrimée à l’OTAN, transformation quasi-officielle de l’Alsace en communauté autonome tournée vers la RFA (c’est ce que signifie la fusion des deux départements alsaciens en violation du référendum qui s’était prononcé contre), abandon d’Alsthom à Siemens, fédéralisation du territoire français à l’allemande (c’est le « pacte girondin »), substitution galopante de l’anglais managérial au français en tous domaines (des cours, non pas d’anglais, mais en anglais dès l’école primaire pour « faire de l’anglais une langue native en France » sont annoncés par Blanquer, et toute la gauche, y compris radicale et « anti-impérialiste » la boucle de peur de passer pour « nationaliste »), Macron, suivi par la droite pseudo-patriotique, et accompagné par la gauche européiste, ne sait plus quoi faire pour détruire l’héritage républicain de notre pays. Et dire qu’il y a eu des dirigeants de la gauche « radicale » dans notre pays, y compris certains députés « socialistes », « insoumis » et « communistes » pour proclamer la « légitimité » de Macron dès le 6 mai 2018, alors que cet homme est le destructeur déterminé des acquis sociaux, de la défense nationale, de la langue française, des acquis sociaux et de la patrie républicaine ! Mais en République, seul le peuple souverain est légitime, et quand un homme est missionné pour dissoudre son pays, briser le monde du travail, déclasser la langue nationale en violation de la Constitution, s’apprêter à saccager la loi de séparation de l’État et des Églises, étouffer la plus vieille institution démocratique du pays (les communes de France, dont l’alliance alors progressistes avec les rois capétiens a construit la France dès le onzième siècle !), tout républicain digne de ce nom doit se souvenir de ce droit à l’insurrection que proclamait haut et fort, sur demande de Robespierre, la première constitution républicaine de notre pays, dite de l’An I !
Comment briser l’étau politique qui broie les peuples européens entre les euro-fédéralistes atlantistes, type Macron-Merkel, et les nationalistes fascisants, type Orban ou Salviani ?
Georges Gastaud – Le pire serait de se situer dans l’alternative complètement bidonnée que l’on voudrait nous imposer : soit soutenir des admirateurs proclamés de Mussolini, comme Salviani, du régent Horthy (comme Orban), des nazis (gouvernements ukrainien, balte, voire autrichien !) ou de Pétain (y compris l’actuel président français travesti en antifasciste par la fausse gauche française !), soit de voter pour les partisans de l’UE néolibérale dont la politique antipopulaire nourrit la fascisation du continent. On peut et on doit condamner les diktats de Bruxelles contre l’Italie, on peut être du côté du PEUPLE italien contre Macron, sans pour autant se laisser séduire par l’alliance populiste à l’italienne que d’aucuns, qui renient l’idée même de gauche, voudraient tant promouvoir en France. C’est pourquoi nous, PRCF, nous proposons un Front antifasciste, patriotique, populaire et écologiste (chaque adjectif compt !) alliant le drapeau tricolore au drapeau rouge du prolétariat de manière à « mettre le monde du travail au centre de la nation » comme y appelait ouvertement le CNR. Cela signifie que, patriotes ardents, nous n’en tirerons jamais prétexte pour fricoter avec des fachos ou pour leur trouver quelque vertu patriotique que ce soit, et cela d’autant plus que ni Salvini, ni Le Pen ni Orban ne veulent sortir de l’UE-OTAN ; à l’inverse, jamais l’antifascisme et l’internationalisme ne conduiront des progressistes dignes de ce nom à accorder le moindre soutien à l’UE supranationale du capital, cette monstrueuse prison des peuples dont la « construction » ne laissera pas pierre sur pierre de nos pays respectifs.
Lors des prochaines européennes nous avons une occasion majeure de briser l’étau, ou de l’affaiblir fortement, en militant pour le boycottage de cet euro-parlement dont le seul rôle réel est de peinturlurer d’un vernis rose, bleu ou bleu marine le « saut fédéral européen », l’ « armée européenne », bref, l’euro-dissolution de nos pays et de nos acquis sociaux respectifs. Mais nous refusons de faire une croix sur le Non populaire violé du 29 mai 2005 et d’aller voter comme si de rien n’était. Des millions d’ouvriers, d’artisans, de jeunes précarisés, de petits paysans, d’employés ubérisés boycotteront à coup sûr ce scrutin postiche et ce faisant, ils alimenteront la juste aspiration à l’insurrection citoyenne contre l’Empire européen, pour que renaissent des pays souverains, égaux, coopérant avec tous les continents, rouvrant la perspective aujourd’hui obturée par le totalitarisme européen néolibéral d’une marche au socialisme pour le peuple français.
Le mouvement des gilets jaunes ne prouve-t-il pas qu’il est devenu vain de vouloir reconstituer un parti prolétarien d’avant-garde et un grand syndicalisme de classe ?
Georges Gastaud – On nous avait déjà expliqué avec la France insoumise que l’idée de parti d’avant-garde était « obsolète ». On a vite vu, malgré les vrais mérites de ce mouvement dont nous avons bien fait de soutenir le candidat aux présidentielles (sans cacher nos points de désaccord), que sans un vrai parti communiste de combat, non sectaire mais affichant clairement des objectifs révolutionnaires appropriés à chaque étape de la lutte, la France insoumise est livrée à d’intenses contradictions qui en font une proie relativement facile pour les provocations macronistes d’une part, pour la social-démocratie européiste et pro-socialiste de l’autre. Notons que ce n’est pas la constitution d’une véritable France Franchement Insoumise qui nous effraierait, nous militants franchement communistes, car il est bien clair qu’il faut regrouper tous les progressistes euro-critiques pour balayer l’UE-OTAN et faire renaître la République sociale, souveraine et internationaliste. Il faut marcher sur deux jambes, comme l’a toujours fait le grand PCF à l’époque de Thorez, Duclos et Frachon, à la fois organiser fortement le parti prolétarien de combat ET construire, selon les époques, le Front populaire antifasciste ou le Conseil national de la Résistance avec le souci d’isoler le grand patronat et la réaction.
Quant aux Gilets jaunes, nous léninistes n’avons aucun problème avec ce type de soulèvement populaire. C’est une grossière caricature que d’affirmer que les communistes seraient accros au « parti-guide » dictant du dehors leurs orientations aux masses populaires hébétées. Lénine a au contraire expliqué qu’il fallait combiner la spontanéité populaire et l’organisation révolutionnaire du prolétariat : les soviets de paysans et ouvriers ont été une grande création populaire, que les bolcheviks ont accompagnés et aidés à se structurer, mais ils ont aussi construit un grand parti prolétarien doté d’une théorie révolutionnaire. Et sans un tel parti, les soviets auraient été ÉCRASÉS par Kérenski et par sa garde blanche, ils n’auraient pas pu prendre le pouvoir le 8 novembre 1917, ils n’auraient pas pu gagner la guerre civile, construire le socialisme à marche forcée (compte tenu de l’encerclement impérialiste et fasciste qui enserrait l’URSS) et battre l’envahisseur hitlérien pour le plus grand bien du mouvement ouvrier et progressiste mondial. Donc, la spontanéité des masses n’est nullement niée par les léninistes, il suffit de relire L’État et la Révolution pour s’en convaincre. Mais la spontanéité ne suffit pas, il faut AUSSI la compréhension scientifique du « moment actuel » et des conditions du passage révolutionnaire du capitalisme au socialisme, y compris des étapes qui y mènent (par exemple à notre époque, un véritable Frexit progressiste), pour que la spontanéité populaire ne soit pas écrasée le jour venu par les classes dominantes (comme le furent les insurrections ouvrières de juin 1848 ou de la Commune de Paris), ou dévoyée à l’avantage de tel ou tel mouvement bourgeois, voire de tel mouvement fascisant (voir les vampires à la Wauquiez qui tournent autour du mouvement des gilets jaunes).
C’est pourquoi les militants du PRCF n’ont jamais redouté, bien au contraire, la démocratie populaire de base, les AG interpro, y compris quand c’est nécessaire et que les confédés ne font pas leur travail, les coordinations de grévistes en lutte où les décisions sont prises en bas, où les délégués sont élus et révocables à tout moment, où la majorité qui a voté la grève fait démocratiquement respecter son vote par des piquets de lutte. C’est dans ce cadre que le parti d’avant-garde, dont les militants participent aux actions à égalité avec les autres lutteurs, et qui sont aux premiers rangs pour donner et prendre les coups, gagnent la confiance de leurs camarades non pas parce qu’ils s’autoproclament les chefs, mais parce qu’ils portent les meilleures propositions, celles qui font avancer tout le mouvement populaire et qui lui apportent la victoire. Mais à l’inverse, ne sanctifions pas l’instinct, le refus total de s’organiser, de discuter, d’élaborer, de « faire de la politique ». Si nous en sommes là en France, avec un second tour présidentiel opposant le nationalisme fascisant à l’euro-fédéralisme patronal, ce n’est certainement pas parce qu’il y a eu « trop » d’avant-garde. C’est à l’inverse parce que, suite à la débandade théorique et organisationnelle du PCF (l’ainsi-dite « mutation »), suite à son ralliement piteux à l’anti-léninisme et à l’ « eurocommunisme », la fracture idéologique n’a cessé de se creuser dans notre pays ; c’en est au point que nombre de travailleurs combatifs ne savent plus distinguer leur droite de leur gauche, n même nommer l’ennemi de classe et qu’ils s’en prennent globalement aux « taxes » ou à « l’Etat », au risque de s’opposer aux chômeurs, aux assurés sociaux ou aux fonctionnaires au lieu de cibler les capitalistes qui les exploitent, l’UE qui détruit leur pays, et le gouvernement à son service. Pour nous communistes, participer aux mouvement sociaux, défendre leur indépendance de classe contre les récupérateurs fascistes, et travailler à reconstruire le parti de combat, le syndicalisme rouge, la théorie marxiste abandonnée par les uns et dogmatisée par les autres, procède d’un seul et même combat. Si des « politiques » sont mal à l’aise aujourd’hui, ce ne sont donc pas les léninistes, ce sont les actuels dirigeants confédéraux euro-formatés et macro-domestiqués qui n’ont mené que des demi-luttes, qui les ont toutes conduites à l’échec depuis 2003, qui ont cautionné sans fin le « dialogue social » bidon et qui, forts d’un tel « palmarès » de faillite, dénigrent les prolétaires en gilets jaunes, alors qu’il faudrait fraternellement travailler avec eux pour que, par eux-mêmes, ils virent les pêcheurs en eaux troubles de l’ultra-droite. Et que, le jour venu, ils coiffent le véritable bonnet rouge, qui n’est pas celui du MEDEF breton, mais celui d’une nouvelle Révolution française scellant les retrouvailles de l’avant-garde militante et du mouvement des masses populaires qui sont le vrai sujet de l’histoire !
Initiative Communiste : La gauche de la gauche semble en crise avec, d’un côté, une France Insoumise en évidentes difficultés, et de l’autre un PCF qui peine à sortir de ses illusions euroconstructives et de son arrimage à l’union de la gauche. Comment ne pas en rester au constat ?
Georges Gastaud – Il ne sert à rien d’éreinter la F.I. en lui reprochant de ne pas être un vrai PC et d’être centrée davantage sur les couches moyennes que sur la classe ouvrière. Venant des dirigeants du PCF, ce reproche ressemble à celui d’un chirurgien repu et affalé dans un fauteuil et qui narguerait un secouriste amateur délivrant maladroitement des soins intensifs à un accidenté… Si vous voulez que la F.I. devienne une France FRANCHEMENT insoumise à l’UE, MM. les dirigeants anciens ou nouveaux du PCF, redevenez franchement communistes, émancipez-vous à 100% du PS et de ses restes, claquez la porte de cet indécent PGE qui, contre monnaie sonnante et trébuchante vous force à défendre l’euro et le mythe social-impérialiste de l’Europe sociale !
Quant à l’équipe en réalité quadri-céphale (Roussel, Laurent, Chassaigne… et Ian Brossat, l’adjoint d’Anne Hidalgo) qui va diriger le PCF, c’est au pied du mur, comme on dit, qu’on verra le maçon. On nous serine ici et là que la ligne du PCF sera plus révolutionnaire, ce qui certes, ne serait pas un exploit : pourtant, nous avons lu de près le texte alternatif proposé et nous n’y avons rien vu de clair politiquement ; au contraire, sur la rupture avec l’UE, sur le léninisme, sur l’héritage communiste, sur la nécessité d’en finir avec la ruineuse union de la gauche, sur l’objectif du socialisme et des nationalisations, c’est statu quo, et Pierre Laurent n’aura pas à se faire violence pour rester ans le saint des saints. Fabien Roussel va donc partager le pouvoir avec Pierre Laurent comme Mme Buffet l’avait partagé naguère avec Robert Hue, devenu petit soldat du macronisme, comme l’ex-ministre « communiste » Gayssot. Soit ! Cependant, des milliers de communistes encore membres du PCF se sont battus pour ce changement de direction et ils en espèrent sincèrement un salutaire « coup de pied dans la fourmilière ». Or Fabien Roussel lui-même avoue que le changement de tête ne garantit pas le changement de cap, et c’est d’autant plus sensible que, dans mon département du Pas-de-Calais où les dirigeants se proclament « communistes identitaires » et ont soutenu le « texte alternatif », le secrétaire départemental du PCF appelle déjà à l’union derrière le PS à Arras et à Lens, les capitales politiques du département. Joli changement… vers la droite en vérité puisque jusqu’ici les communistes lensois* avaient toujours eu le courage de présenter leur liste en affrontant à la fois la droite, le FN et le PS maastrichtien. D’ailleurs, lors de la dernière fête fédérale du Pas-de-Calais, le mot « PCF » ne figurait pas sur les affiches sobrement intitulées « fêtes de l’humain d’abord ». Est-ce cela la réaffirmation annoncée de l’identité communiste ?
Eh bien nous disons ceci à nos camarades communistes membres du PCF : maintenant, camarades, que le changement de la tête d’affiche est opéré, et si vous tenez à nous démontrer, à nous les centaines de milliers de communistes français que le PCF a quittés depuis des décennies, que risquez-vous si, sortant le nez du congrès et de l’introspection, vous venez avec nous à la porte des usines et des grandes surfaces pour diffuser un tract commun appelant à chasser Macron et à sortir de l’UE pour rouvrir à notre peuple la voie du pouvoir des travailleurs, classe laborieuse en tête ?
C’est au pied du mur qu’on voit le maçon et c’est dos au mur qu’on voudrait bien voir le Macron. Alors, tout à gagner et rien à perdre pour les travailleurs et pour les vrais communistes si ensemble, nous engageons auprès des masses, et d’abord, auprès des OUVRIERS, une grande campagne pour le Frexit progressiste. Et tant pis si cela n’agrée pas à l’adjoint « communiste » de Mme Hidalgo qui est censé représenter le « communisme » aux européennes, car on ne peut servir deux maîtres à la fois, le peuple en colère, et le social-libéralisme parisien, complètement euro-béat et totalement discrédité.