Après 2 ans de négociations dans le cadre de l’article 50, l’accord obtenu par Theresa May se révèle inacceptable. Massivement rejeté par la Chambre des communes le 15 janvier, cet accord a motivé une motion de censure contre le gouvernement (la première depuis 26 ans), motion rejetée à seulement 19 voix de différence. Une quantité considérable d’articles législatifs doit encore être amendée alors que le Royaume-Uni est censé quitter l’Union européenne le 29 mars prochain. Les débats parlementaires du 29 janvier n’ont rien changé à la situation : l’impasse demeure.
Sous le joug de l’euro, le Royaume-Uni reste en situation de faiblesse face à la Commission européenne et à la BCE. Dans ces conditions, l’inflexibilité revendiquée par les deux parties rend peu probable une prolongation des négociations. Suite au rejet de la motion de censure déposée par le Parti travailliste, la convocation d’élections générales anticipées paraît toute aussi improbable.
La perspective d’une sortie sans accord et sans période de transition effraie la bourgeoisie qui souhaite préserver des liens étroits avec l’UE. L’Union européenne elle-même serait bouleversée par une sortie brutale. Si les députés britanniques ont rejeté cette issue en principe, le no deal demeure une arme de négociation contre l’Union européenne. Contrairement à ce que la propagande catastrophiste peut laisser penser, une sortie sans accord serait sans doute la meilleure issue envisageable pour les travailleurs britanniques. En effet, les parlementaires néo-thatcheriens n’ont jamais voulu d’un Brexit véritable. Le résultat du référendum de 2016 était très inattendu par l’establishment britannique. Ainsi, mieux vaut un no deal qu’un deal à la lumière des ambitions bourgeoises. Mais on peut imaginer que les parlementaires anglais feront tout pour éviter un tel scénario.
Le plus grand enjeu est celui d’un second référendum, option largement favorisée par l’UE et les gouvernements européistes. Labour et Tories, peu soucieux des revendications du peuple britannique qui a clairement exprimé vouloir sortir de l’Union européenne en 2016, sont prêts à nier la souveraineté populaire et à provoquer de graves troubles sociaux (et la répression qui les accompagne) pour rester dans l’UE.
La logique, nous la connaissons bien : elle fut déjà appliquée en 2005 et 2008 en France, aux Pays-Bas et en Irlande quant au traité de Lisbonne. Il s’agit d’apprendre aux peuples, ces masses ignorantes, à bien voter (c’est-à-dire voter conformément aux intérêts bourgeois). Pourquoi n’a t-on pas eu droit à un deuxième vote pour le traité de Maastricht (approuvé avec une faible majorité de 51%) ?
Malgré la propagande, il est probable qu’un nouveau référendum (consultatif, comme le premier, mais lourd de conséquences) aboutisse aux mêmes résultats. Mais de toute façon, pas besoin de l’approbation des peuples ! Comme le disait Donald Tusk, président du Conseil européen, « le référendum en Irlande ne disqualifie pas le traité de Lisbonne. L’Europe trouvera un moyen de le faire entrer en vigueur ».
Une nouvelle fois, l’Union européenne a révélé son aspect dictatorial. Ainsi, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker décrit clairement cet accord comme « le seul possible ». En écho à ces propos, Theresay May fait la même analyse. La situation semble gelée.
Le fait est que l’Union européenne n’a pas mené les négociations dans le but d’obtenir une solution satisfaisante et équitable. L’objectif affiché est de punir le Royaume-Uni, tout comme fut punie la Grèce. Il est alors nécessaire pour l’Union européenne de ne pas répondre aux attentes de la bourgeoisie britannique et de créer une catastrophe économique artificielle.
Mais la catastrophe économique annoncée est très largement fantasmée et sert avant tout les intérêts de la propagande pro-remain. Déjà, le patronat anglais blâme le Brexit pour les difficultés économiques du pays. Alors que leurs profits ne cessent d’augmenter, les patrons du secteur automobile (JLR, Bentley, Aston Martin), rejettent la faute sur le Brexit lorsque Jaguar-Land Rover annonce le licenciement de plus de 6.000 employés.
Cette propagande n’est pas étrangère au FMI, aux gouvernements français et allemand ou à la Commission européenne qui n’ont cessé de mettre en garde le peuple britannique, imbécile sans aucune connaissance économique, de la catastrophe à venir. Ces institutions ne devraient-elles pas respecter le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et le principe de non-ingérence dans les affaires d’une nation souveraine ?
La bourgeoisie ne s’attendait pas à ce que le peuple britannique vote en faveur de la sortie de l’Union européenne. C’est-à-dire que ce qui a motivé le Brexit n’a pas grand-chose à voir avec les aspirations bourgeoises. Le fait est que les villes ouvrières, les ports et les campagnes ont voté contre les politiques austéritaires et pour la souveraineté populaire. L’intérêt des travailleurs est donc profondément opposé à ce que représente l’Union européenne. Mais sans organisation cohérente, sans parti et syndicat de lutte, les travailleurs ont remis leurs revendications aux mains d’une bourgeoisie traîtresse. Si les débats qui animent le parlement de Westminster paraissent passionnés, les issues envisagées sont en réalité peu nombreuses et convergent dans un même sens. Mettre en lumière les débats parlementaires masque l’opposition véritable entre la souveraineté du parlement au mains des élites du pays, et la souveraineté du peuple britannique.
Si la grande bourgeoisie se prononce ouvertement pour le remain, les parlementaires « pro-brexit » cachent bien leur jeu. Faisant semblant d’honorer le choix du peuple britannique, ils optent pour un Brexit qui n’en porte que le nom. Il s’agirait d’un Brexit lite, préservant autant que possible des liens étroits avec l’UE. L’objectif est de conserver les « avantages » procurés par la zone de libre-échange et la libre-circulation de la main-d’œuvre. Il ne s’agit pas d’élucubrations : tout ceci est expliqué clairement dans la doctrine de Chequers dévoilée par le gouvernement britannique en juillet 2018.
Le Labour, principal parti d’opposition aux Tories, ne se révèle pas moins traître. Ainsi, les travaillistes énonçaient comme condition de leur adhésion au Brexit en 2016 les dispositions suivantes :
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Accès libre des entreprises du Royaume-Uni au marché de l’UE.
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Pas de recul face à la législation européenne du droit du travail.
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Garanties pour sauvegarder les consommateurs et l’environnement.
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Exigence pour que le Royaume-Uni remplace les investissements perdus par l’UE.
Certes, le Royaume-Uni néo-thatchérien n’a pas besoin de l’UE afin d’offrir une situation peu rassurante pour les droits des travailleurs. C’est ainsi que les syndicats et partis progressistes britanniques croient souvent en une certaine protection des travailleurs offerte par l’UE. Or le dumping social, la liquidation des droits, les libéralisations ne sont pas des risques mais des réalités quotidiennes en restant sous le joug de la dictature de l’Union européenne. Et les ouvriers britanniques ne s’y sont pas trompés : ils ont massivement voté pour le Brexit.
Après avoir retourné sa veste, le Labour a adopté une posture davantage favorable au Brexit. Mais une grande partie de ses membres et de son électorat pousse le Parti travailliste à conserver une position ambiguë. Ainsi, John MacDonnell, l’actuel chancelier travailliste de l’Échiquier du cabinet fantôme, a clairement affirmé que le Labour serait en faveur d’un second référendum au cas où les élections législatives anticipées ne se tiendraient pas. Ces dernières étant peu probables, un récent amendement proposé par le Labour appuyait encore la demande d’un nouveau référendum.
Ainsi, derrière des débats violents en apparence, les intérêts convergent. Dans les mains du parlement britannique, le Brexit n’est en réalité plus qu’une idée abandonné.
Dans toute l’Europe, nous assistons à un même phénomène. En Hongrie, en Pologne, en Italie, en Belgique, en Allemagne et en France, les aspirations populaires grondent (et souvent en gilet jaune). Les revendications se ressemblent : souveraineté nationale et et politique anti-austéritaire. Toutes ont un même dénominateur commun : l’Union européenne, qui attise de plus en plus les colères populaires contre elle. La prise de conscience d’intérêts communs par les peuples dans leur lutte contre l’Union européenne nous offre de grandes perspectives internationalistes, bien plus grandes que le maintien dans une machine d’oppression aux mains du grand capital. L’Union européenne s’affirme comme le premier adversaire de la souveraineté nationale : les peuples lui rendent la pareille.
Dans ces pays, les « populismes de droite » (que nous désignons sans hésitation sous le nom de fascisme) ont le vent en poupe. Ces partis fascistes agissent comme un tampon pour le capitalisme en crise. Le capital se déguise sous l’allure d’un parti d’opposition populaire. Sans jamais contrarier les intérêts bourgeois, les fascistes récupèrent les revendications des travailleurs et exacerbent les sentiments xénophobes ainsi que le nationalisme paneuropéen. Mais une fois au pouvoir, ils oublient vite leur « euroscepticisme » et s’attellent à apaiser les marchés financiers. Si ces mouvements populistes n’envisagent jamais véritablement une rupture avec l’UE, ils s’appuient sur l’aspiration sincère des travailleurs à recouvrir leur souveraineté.
Certains diront alors que se saisir de ces revendications, c’est faire le jeu du populisme, voire du nationalisme. C’est en réalité tout le contraire.
Lénine le disait clairement : « on ne vainc pas avec une avant-garde seule« . L’enjeu pour un parti véritablement communiste est de fournir aux masses révolutionnaires un outil révolutionnaire. Pour arriver à cette fin, le Parti doit être récupéré par les travailleurs. Tout l’enjeu est alors de se rendre audible auprès d’eux. Il est alors nécessaire de répondre de façon claire à leurs revendications concrètes.
Il est indéniable que le Brexit fut en partie motivé par des sentiments xénophobes. Mais face à cela, peut-on se contenter de professions de foi solidaires ? Ne devrait on pas, avec une ambition internationaliste véritable, dénoncer les flux de migration chaotiques provoqués par l’exploitation capitaliste et la guerre impérialiste, et qui sont favorisés par l’Union européenne ? Nous ne pouvons nous contenter d’un non-dit. Nous devons tenir une position claire et responsable.
S’enfermer dans des postures réformistes ou gauchistes ne nous mènera nulle part. Le discours euro-constructif relève d’une analyse profondément erronée. Le discours prétendant surpasser l’Union européenne (bien que constatant son caractère profondément réactionnaire) pour faire le socialisme tout de suite, dédaignant les aspirations anti-européistes, est inaudible. Pire encore, le discours analysant l’UE comme une machine de guerre capitaliste et impérialiste mais souhaitant y demeurer par soucis d’internationalisme s’oppose frontalement aux intérêts des travailleurs et des peuples.
Ce manque de positions claires et orientées vers les revendications concrètes des travailleurs implique deux conséquences graves. Premièrement, cela laisse l’Union européenne conforter les gouvernements bourgeois dans leur entreprise de casse des acquis sociaux, poussant ainsi des centaines de milliers de personnes vers la misère et faisant le terreau du fascisme. Deuxièmement, ce vide politique laisse la place aux partis fascistes, qui peuvent alors se construire en tant que partis d’opposition.
Ce fut le cas en Angleterre. Le Labour, initialement opposé au Brexit, conserve une position plus qu’ambiguë qui ne laisse transparaître aucune perspective réjouissante. Le Trade Union Congress qui fédère les syndicats britanniques et regroupe près de 6 millions d’adhérents, intégré dans la Confédération européenne des syndicats au même titre que la CGT, n’a quant à lui jamais cessé de combattre le Brexit.
Comment peut-on espérer convaincre les travailleurs en défiant ou en négligeant leur volonté et leur intérêt ?
Nos camarades du Worker’s Party of Britain tiennent à ce propos une position salutaire :
« Nous sommes maintenant en présence d’une nouvelle force constituée de nationalistes bourgeois et de socialistes internationalistes qui luttent pour la démocratie et l’indépendance de la Grande-Bretagne contre les libéraux mondialistes. Les mondialistes représentent la libre circulation du capital, du travail, des biens et des services ; libre circulation tellement nécessaires au néolibéralisme qu’est le pilier de l’UE.
« Les nationalistes bourgeois n’ont pas de base solide et cohérente et manquent de soutien populaire. Ils ont des difficultés à abandonner le cadre néolibéral et l’austérité qui lui est associée pour retrouver la version dix-huitièmiste du laisser faire le capitalisme qui leur est chère. »
« Il est nécessaire de réaffirmer les conceptions de la classe ouvrière sur l’internationalisme, le patriotisme, le socialisme et la nation. Nous aimons la Grande-Bretagne et son peuple, comme ceux de toutes les autres nations, nous haïssons le capitalisme. La démocratie et le pouvoir de la majorité sont les plus grandes armes contre le capitalisme. Nous devons gagner la bataille pour la démocratie en Grande-Bretagne et construire une nation indépendante. »
Nos camarades du Communist Party of Great Birtain (Marxist-Leninist), qui soutiennent notre initiative de Tour de France du Frexit, donnent même à la sortie de l’Union européenne un sens profondément anti-impérialiste, affaiblissant à la fois le l’impérialisme britannique et l’impérialisme européen.
L’Union européenne s’effondre. L’enjeu pour les progressistes est alors de saisir l’instant révolutionnaire et de barrer la voie aux fascistes. Ainsi, pour faire face aux Le Pen, Orban, Wildeers, Farage, Salvini et Cie, nous devons impérativement faire front face à l’Union européenne. Comme nos camarades à l’international, revendiquons clairement la sortie de l’Union européenne : Frexit progressiste, antifasciste et internationaliste !
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