Source: Le site de Marianne
De la période qui sépare la Fronde jusqu’à la révolution de 1789, l’historien Jean Nicolas a étudié des centaines d’émeutes populaires. Ce qu’elles peuvent nous enseigner sur la crise économique et sociale actuelle est que la rébellion est une vraie exception française. La rentrée sera chaude ?
Il suffisait de lire les archives de justice comme l’historien Jean Nicolas durant une quarantaine d’années. Elles regorgent de micro-émeutes débordant la réalité, débouchant sur des modes de protestation de plus en plus construits. Jean Nicolas en a étudié mille huit cent entre 1661 et 1789, mais il estime en avoir laissé de côté un bon millier. « Ces archives, d’une richesse incroyable, mais très mal classées, proviennent de la police, de la maréchaussée, de la justice ou encore des recours des procureurs et des mémoires défensifs des avocats », explicite le spécialiste à IDEE A JOUR.
« La rébellion n’est pas contre le pouvoir, elle est une protestation contre un pouvoir qui franchit ses limites,
précise t-il. Ensuite, elle peut changer de nature, d’affectivité et déboucher vers une remise en cause radicale de ce pouvoir, c’est-à-dire la révolution. La France rébellionnaire est une réalité vivante et profonde, elle constitue même un mode collectif qui a fait du heurt et de la rupture le principe même du changement dans ce pays. » Une exception française en somme dont on peut fixer l’extrait de naissance vers les années 1660, entre la Fronde et la révolution de 1789. Auparavant, existaient les jacqueries, les croquants, les va-nu-pieds, fort nombreux, fort actifs. Mais ils constituaient autant de mouvements « conservateurs », pré-libertariens, tournés contre cette autorité monarchique en train de se consolider et qui empiétait notamment fiscalement sur leurs droits traditionnels. Après la Fronde, la rébellion change sensiblement de nature.
Des historiens allemands, comparant cette période, se sont dit surpris par l’intensité et de la multiplication des mouvements rébellionnaires à la française. « C’est une époque sous tension. Le régime monarchique est le règne de l’intranquillité par excellence, contrairement à ce que l’on imagine aujourd’hui, décrit Jean Nicolas. Les gens vivent dans une forme permanente d’anxiété. Ils ont le souci de survivre. La mendicité et l’errance s’étendent. Les peurs de l’époque sont celles de la précarisation, de l’échec des ambitions individuelles, notamment des petits clercs qui n’est pas sans rappeler la crise actuelle de l’université. Les salariés non qualifiés, cette armée des hommes de peine, suscitent également beaucoup d’inquiétude. »
« J’avoue que j’ai tremblé toutes les fois que j’ai vu la portion basse de ce peuple en émotion ! » écrira en 1788, le chroniqueur Restif de la Bretonne. Les élites de 2009 se comportent comme les élites de 1789
Les ancêtres des « Conti » et autres licenciés protestataires qui ont défrayé la chronique sociale du premier semestre 2009 se croisent dans des conflits pour le pain, la grève à la fabrique, le refus de droits seigneuriaux, les taxes sur le sel et le tabac. Eclatant un peu partout par dizaines, mais encore de basse intensité, « ces mouvements cellulaires » auront fini par cristalliser en phénomène politique.
Par exemple, cette affaire locale élémentaire. Des paysans, protestant contre les droits seigneuriaux abusifs, arrachent les insignes du seigneur de son ban à l’église. Traînés en justice, ils vont alors quérir les services d’un célèbre avocat. Ce ténor de Grenoble lui va se référer à Montesquieu et aux Lumières devant les juges. Ce phénomène de protestation devient politique, ce que refusent de voir la majorité des grandes élites.
Scène de la Grande Peur, « ADN de la rébellion à la française » selon l’historien Jean Nicolas
« L’ADN de la Grande rébellion historique qui a revêtu un caractère historique fabuleux a été la Grande Peur », marque t-il. L’attaque et le brûlage des châteaux dûs à la panique et à la rumeur d’un complot aristocratique auront constitué dans leur désorganisation, l’événement clé débouchant sur l’abolition des privilèges et la déclaration des droits de l’homme et du citoyen (juillet-août 1789).
« Sans gauchir la réalité, nous sommes avec ces rébellions, au vif du sujet. Il ne s’agissait plus de pain, plus d’octroi et de barrières douanières, mais au cœur du problème, la contestation du privilège. » En 2009, cette question égalitaire devant les situations revient sur le devant de la scène française et dans les débats, mais elle ne l’avait jamais vraiment quitté selon Jean Nicolas. « L’historien qui a étudié le grand aveuglement des élites de 1789 ne peut s’empêcher tout de même « de faire un rapprochement avec le comportement de nos élites financières et bancaires contemporaines en temps de crise ».
Repères:
La rébellion française (1661-1789), de Jean Nicolas,
Folio histoire, 1064 pages, 12,10 €.