Que se passe-t-il à Hong Kong ? Quelques éléments d’analyse et d’explication avec ces deux articles de notre camarade Mourad, parus sur le site internet des JRCF.
Épisode 1 : Hong Kong : c’est à la guerre contre la Chine que l’on nous prépare
(Cette première partie est consacrée au traitement médiatique qui fut accordé par la presse occidentale aux récents événements hongkongais. Une seconde partie sera consacrée aux enjeux de ces manifestations).
Dans La Fabrique du consentement : de la propagande médiatique en démocratie, Herman et Chomsky nous offrent des clés essentielles afin de comprendre la manipulation de l’information à l’époque contemporaine. On y comprend que la presse libre et le laisser-faire participent d’une propagande qui ne dit pas son nom. Dans ce modèle, ce sont le pouvoir et l’argent qui sélectionnent l’information au bénéfice de la classe dominante. La propagande d’État, si souvent pointée du doigt lorsque sont évoqués les États autoritaires passés et présents, se révèle totalement impuissante face à un tel modèle de traitement de l’information et de manipulation de l’opinion. Cela est d’autant plus vrai à l’âge d’Internet, réseau qui se révèle loin d’être protégé de toute influence.
Les récents événements qui ont eu lieu à Hong Kong sont particulièrement révélateurs de ce processus de fabrication du consentement. L’ensemble des acteurs qui contribuent à façonner l’opinion dans nos sociétés ont tenu un discours à propos des manifestations dont nous n’aurons pas besoin de remettre la sincérité en question. Mais dans une société dominée par les puissances d’argent, le discours dominant ne peut être qu’un discours intéressé, et dans le cas de Hong Kong, un discours malhonnête.
Il est évident que l’on nous prépare à la guerre. Probablement pas (encore) une guerre faite de napalm ou de bombes nucléaires, mais une guerre comme on aime la mener en ce début du XXIe siècle : une « guerre non-conventionnelle ». Cette pratique guerrière insidieuse, qui recouvre différents champs d’action, est déjà mise à l’œuvre dans de nombreux conflits, et les événements de Hong Kong ainsi que leur traitement médiatique en possèdent les caractéristiques.
Il serait épuisant de critiquer l’ensemble des mensonges proférés par nos faiseurs d’opinion. Mais on peut considérer que cette vidéo du journal Le Monde, journal pourtant considéré comme « objectif » et plutôt situé à gauche, révèle parfaitement l’ambiance générale. Visionnée près de 200.000 fois sur YouTube (ce qui est considérable pour ce genre de contenu) et massivement soutenue par des « likes » et des commentaires positifs, cette vidéo ne peut qu’inspirer de la crainte aux communistes et aux anti-impérialistes de ce monde.
Que nous raconte donc Le Monde dans sa vidéo ?
Petit détail, anecdotique mais malsain : la forme de la vidéo en elle-même est orientée et malhonnête. Pourquoi les colonialistes britanniques bénéficieraient-ils d’un arrière-plan musical chaleureux, presque héroïque, tandis que les dirigeants chinois se voient réserver les mêmes tonalités musicales que le requin des Dents de la mer ou que le méchant dans James Bond ? De la même manière, les dirigeants britanniques sont visuellement présentés sous un jour favorable tandis que les Chinois semblent prêts à déclarer la guerre. Jamais Margaret Thatcher n’a eu l’air aussi sympathique que dans le contexte colonial !
S’agissant du script de la vidéo, nous remarquons que Le Monde ne consacre qu’une vingtaine de secondes (sur plus de sept minutes de vidéo) à expliquer ce en quoi consiste la loi qui fut à l’origine de ces manifestations. Le rôle premier de la presse n’est-il pas d’informer ? Apparemment, Le Monde préfère étaler son opinion contre Pékin plutôt que d’expliquer au visionneur quels sont les tenants et les aboutissants de la situation.
Et durant ces 20 secondes, rien n’est expliqué, ou presque. Le Monde présuppose que c’est Pékin qui pilote le projet dans le but de réprimer l’opposition politique, et ne juge pas nécessaire d’évoquer la présence grouillante de criminels ou encore d’espions sur le sol de Hong Kong. Le point de vue du gouvernement de Hong Kong n’est pas évoqué. Le sinologue interviewé par Le Monde suppose que ce projet de loi traduit la volonté de Pékin de réduire la liberté d’expression des Hongkongais, et c’est son bon droit de le penser. Mais Le Monde pourrait au moins préciser que d’un point de vue strictement juridique, la loi exclut tout crime politique et comprend de nombreux garde-fous. Mais non ! Le Monde nous dit que le projet de loi devrait permettre à Hong Kong d’extrader « plus facilement » des opposants politiques vers Pékin, et ce en « toute légalité », ce qui est factuellement faux. Une telle extradition demeurerait profondément illégale. Le Monde veut nous faire croire que Hong Kong, aujourd’hui incapable d’extrader légalement un fugitif, en viendrait subitement à s’en prendre à des réfugiés politiques, et ce en toute légalité ? Cela n’a rien d’évident, ni même rien de probable, contrairement à ce que suppose Le Monde. Même la presse hongkongaise n’évoque pas le projet de loi en ces termes !
Le Monde n’hésite pas avec les grands nombres: 1 million de Hongkongais auraient marché contre Carrie Lam. Il s’agit là d’estimations données par les organisateurs de la manifestation. La police de Hong Kong, quant à elle, estime que cette marche n’a mobilisé que 240.000 personnes. Pourquoi ce chiffre n’est-il pas mentionné ? Un décompte scientifique effectué par IA a pourtant récemment révélé un chiffre plus proche de ceux que donnent la police de Hong Kong. Le Monde n’hésitait cependant pas à reprendre systématiquement les chiffres donnés par le ministère de l’Intérieur sans en préciser l’origine quand il s’agissait de vidéos sur les Gilets jaunes ! Et pourquoi n’a t-on pas entendu parler des manifestations de soutien à la police ? Un soutien à la police et au gouvernement exprimé par ceux qui ont connu la colonisation, et qui fut plus prononcé que ce qu’on a pu voir avec nos maigres Foulards rouges français. Il est par ailleurs comique de voir que l’article de l’Express (ici) se consacre en bonne partie à critiquer le comportement de ces manifestants pro-police, tandis que le même Express n’hésitait pas à banaliser le saccage du Parlement et des symboles chinois ainsi que l’usage du drapeau colonial. Selon l’Express, ces saccages sont une preuve de « civisme« .
Les manifestants hongkongais sont dépeints par notre presse comme profondément pacifiques, aucune mention n’est faite des violences graves commises contre les policiers, sans parler des dégradations. Pourquoi alors avoir tant insisté sur la violence des Gilets jaunes ? Et faute de violences policières suffisamment « choc » à Hong Kong, nos médias tentent de diaboliser l’usage de gaz lacrymogènes. Ridicule, quand on sait l’usage que l’on a fait de ces gaz en France durant les dernières années, notre police n’ayant pas hésité à en asperger des militants écologistes pacifiques et statiques en pleine canicule. De la même façon, on entendait bien peu parler des victimes mutilées par la police française.
Et lorsque fut révélé le visage sombre de ces manifestations et que le Parlement fut saccagé avant que le drapeau colonial britannique n’y remplace celui de Hong Kong, nos médias ont massivement relayé la thèse complotiste prétendant que derrière les casseurs de Hong Kong se cacheraient des agents de Pékin. Il aurait peut être été plus significatif d’évoquer les centaines de milliers de dollars fournis chaque année par Washingtonaux démocrates hongkongais (on parlera de tout ça dans un prochain article) ou encore des visites rendues par ces mêmes démocrates à Washington ?
Quand il s’agit d’un véritable mouvement spontané des travailleurs contre Macron et le capital, nos médias n’expriment pas la même sympathie que pour la petite bourgeoise de Hong Kong soutenue par l’administration Trump. Même la presse modérée hongkongaise condamne la presse occidentale pour avoir glorifié les émeutes et les saccages !
Pour compenser sa brièveté lorsqu’il s’agit d’expliquer les détails de la situation à Hong Kong, Le Monde procède à quelques petits rappels historiques afin que nous puissions véritablement comprendre la situation.
Les guerres de l’opium ? Le Monde ne semble pas connaître. Le Monde préfère parler de « deux guerres consécutives » entre « Britanniques et Chinois », à l’issue desquelles la Grande-Bretagne aurait pris possession de Hongkong. Que de détails et d’honnêteté ! Rien n’est dit sur la véritable nature de ces guerres menées PAR les Britanniques AUX Chinois afin de remplir les poches des impérialistes anglais. Comment ne pas évoquer la manière dont les Britanniques se sont approprié les territoires, c’est-à-dire par des traités inégaux obtenus par la force. De plus, les Anglais ont -ils seulement pris Hong Kong ? Les puissances impérialistes n’ont pas cessé de dépecer le territoire chinois, qui ne retrouva son intégrité (encore incomplète) qu’après la victoire de l’Armée populaire de libération. Ces guerres ont saccagé et ruiné la Chine à un tel point que le « siècle de la honte » demeure au cœur du sentiment national chinois. Nous ne nous ferons pas les amis du peuple chinois en occultant les moments parmi les plus sombres de leur histoire.
Le Monde résume le règne britannique sur Hong Kong, long de plus de 150 ans, en ces seuls termes : « explosion de l’économie » et « démocratie libérale ». En plus d’être factuellement faux, cela est absolument immonde. Inconsciemment, Le Monde légitime la colonisation, l’idée que l’homme blanc (ou plutôt le capitaliste) a apporté la civilisation et la prospérité aux peuples indigènes. Rien n’est dit sur la réalité de la colonisation, sur le racisme, la ségrégation, l’exploitation féroce et la violence infligée aux populations locales. Il serait également bon de rappeler que Hong Kong est restée jusqu’en 1997 une autocratie dirigée par un gouverneur nommé par la Reine, que l’administration coloniale y fut toujours largement dominée par des expatriés Britanniques, que les progrès démocratiques y ont eu lieu après la déclaration conjointe (une fois la rétrocession inévitable) et que ceux-ci s’expliquent avant tout par des facteurs géopolitiques. Non, les Britanniques n’ont pas fait cadeau de la démocratie à Hong Kong, qui ne fut jamais aussi démocratique sous souveraineté britannique qu’elle ne le fut sous souveraineté chinoise. Hong Kong était une colonie dont le but était de servir les intérêts de la couronne.
Le Monde omet que ce n’est pas Hong Kong qui est cédé aux Britanniques pour 99 ans en 1898, mais les Nouveaux Territoires, soit une extension du territoire cédé aux Anglais. Les Britanniques espéraient bien pouvoir garder Hong Kong à perpétuité, comme cela est stipulé dans le traité inégal de Nankin signé en 1842. Mais Le Monde laisse supposer que les négociations pour la rétrocession qui ont eu lieu dans les années 1980 furent évidentes. Or, les Britanniques n’envisageaient pas de rendre Hong Kong, et ce même après le début des négociations. Ce n’est pas le respect du traité qui a poussé les Britanniques à rendre Hong Kong, mais la nouvelle situation géopolitique et l’inflexibilité de Deng Xiaoping. L’option militaire, quant à elle, ne fut exclue que parce que les Britanniques ne pouvaient pas faire face à l’Armée populaire de libération.
En faisant cette erreur vis-à-vis de la compréhension des traités, Le Monde nous offre la preuve de sa mauvaise foi. Si Hong Kong devait être rendu légalement en 1997, pourquoi les Chinois auraient-ils eu besoin d’obtenir un compromis auprès de la puissance coloniale ? Autrement dit, les colonialistes souillent la Chine, lui soutirent des territoires, et imposent illégalement la condition de leur rémission. Et Le Monde ne voit là aucune injustice. Aucune remarque n’est faite. La perpétuation de l’empreinte coloniale durant 50 années supplémentaires, menaçant immédiatement les intérêts de la Chine, semble être une décision des plus banales. Cela devrait au moins susciter un questionnement. Quoiqu’au final, ce fut peut être une bonne chose que les Britanniques aient imposé aux Chinois la préservation du merveilleux mode de vie qu’ils avaient introduit à Hong Kong…
Le Monde présente le principe « un pays, deux systèmes » comme étant une initiative britannique, alors que ce principe a été formulé par les Chinois. Les dirigeants du Parti communiste n’étaient pas des brutes dont les ambitions auraient été contenues par le talent diplomatique de Thatcher. Une intégration forcée de Hong Kong n’aurait abouti à rien pour la Chine. Au contraire, les Chinois ont fait la preuve de leur sens de la realpolitik et on su défendre leurs intérêts économiques et diplomatiques en énonçant le principe « un pays, deux systèmes », principe totalement étranger aux nations occidentales.
Mais la seule énonciation du principe n’a pas suffi à obtenir un compromis avec les Britanniques, qui, faute de pouvoir maintenir leur joug sur la colonie, auraient préféré l’indépendance de Hong Kong. Et les émouvants passages de la vidéo du Monde, durant lesquels Margaret Thatcher et le prince Charles nous font part de leur amour pour Hong Kong, ne masquent pas la réalité de la situation. Les Britanniques n’ont rendu Hong Kong que parce que la nouvelle situation internationale ne leur permettait plus de maintenir leur emprise coloniale. Après qu’ont été écartées les tentatives britanniques d’élaborer la quasi-indépendance de Hong Kong afin qu’ils puissent y préserver leur influence, un compromis fut obtenu.
Les Chinois concèdent aux Britanniques un délai de 50 années durant lesquelles le système hongkongais doit être préservé. Mais ce qui pourrait être un véritable délai de transition se transforme pour l’Occident en un moyen de pression diplomatique permettant de figer Hong Kong dans le temps. S’il ne s’agit ni d’une période de transition, ni de l’indépendance de Hong Kong, de quoi s’agit-il ? Quel est l’intérêt de cette préservation acharnée que les Occidentaux et leurs relais Hongkongais revendiquent ? Leurs intérêts économiques sont pourtant bien gardés à Hong Kong. L’année 2047 signifie t-elle l’absorption brutale de Hong Kong après 50 années de pourrissement ? Si oui, quel était l’intérêt de ces 50 années ? On comprend bien aujourd’hui qu’il ne s’agit là pas d’une période de transition, mais de la perpétuation de l’empreinte coloniale et du capitalisme qui servent très efficacement les intérêts de la lutte contre la Chine. En ce sens, les tentatives d’intégration de Hong Kong à la Chine continentale que l’on prête au Parti communiste de Chine paraissent des plus logiques.
Selon Le Monde, Pékin « n’hésiterait plus à trahir sa promesse » en s’immisçant dans les affaires de Hong Kong depuis une dizaine d’années. Qu’est ce qui permet d’affirmer cela ? Le développement des infrastructures ? L’immigration de Chinois du continent vers Hong Kong ? L’apprentissage du mandarin à Hong Kong ? L’interdiction des partis ouvertement anti-Pékin ? Comme stipulé par la déclaration, le territoire dispose d’une autonomie considérable. Le capitalisme est préservé à Hong Kong, comme le sont les élites, la monnaie, le système politique, la langue officielle (anglais et cantonnais), la conduite, les symboles coloniaux, la culture occidentalisée, la législation, etc.
Il faut reconnaître à nos faiseurs d’opinion qu’ils ne prennent pas la peine de masquer les revendications des démocrates hongkongais, revendications qu’ils n’hésitent d’ailleurs pas à cautionner. Velléités indépendantistes et volonté de faire chuter le gouvernement semblent être des revendications évidentes. Mais ce n’est pas le pseudo discours démocratique qui incitera la Chine à laisser des adversaires du PCC et les alliés de Trump se hisser à la tête du gouvernement de Hong Kong. Doit on rappeler que la promesse faite aux Britanniques n’est pas celle de l’indépendance de Hong Kong, mais celle de la préservation de son système économique et social ainsi que de son mode de vie ? Hong Kong dépend économiquement de la Chine et n’est même pas autosuffisante en eau. Son destin est intégré dans la Chine. Il va falloir s’y faire.
La population souffre de cet accord, qui freine le développement économique de Hong Kong. Le Monde le dit lui-même : Hong Kong n’incarne plus que 3 % du PIB chinois. Oui, Hong Kong continue de se développer et la réduction du poids de la ville dans l’économie chinoise s’explique également par l’immense écart de développement initial. Mais Hong Kong ne vit plus de la commande impériale. À l’heure où les échanges se font directement entre États, Hong Kong ne brille plus autant de sa situation privilégiée pour accéder au marché chinois. Les villes chinoises dépassent désormais Hong Kong et leur dynamique est prometteuse. Le laisser-faire qui sert trop souvent à expliquer le succès de Hong Kong n’est qu’un mythe. L’économie de Hong Kong fut toujours déterminée par des facteurs géopolitiques. Cela ne veut pas dire que le statut particulier de la ville ne fera pas son succès économique futur. Mais son avenir est désormais pleinement intégré à l’avenir de la Chine.
Bref, les images de nos démocrates hongkongais et les musiques sensationnelles accompagnent les propos graves qu’énoncent l’expert de la Chine interviewé par le journal. Le Monde masque à peine son ambition de faire passer les Britanniques pour les « gentils » et les Chinois pour les « méchants ». En 1997, la Chine redressée retrouve sa souveraineté sur un territoire colonisé, et cela mérite un traitement honnête. Mais nos faiseurs d’opinion veulent que nous soyons les ennemis du peuple chinois. Le manque de rigueur et d’honnêteté dont font preuve nos journalistes lorsqu’il s’agit de parler des rogue states n’est pas anodin. On nous prépare à accepter les manœuvres hostiles contre ces pays. C’est la même logique qui a touché le Venezuela, l’Ukraine, la Syrie, et tant d’autres pays qui ont été des victimes brutales de l’impérialisme. Le monde occidental serait trop heureux de voir la Chine faire une erreur à Hong Kong afin de pouvoir lui imposer des sanctions. Pourtant, ce n’est pas la Chine, leader mondial de la lutte contre la pauvreté et le réchauffement climatique, qui est le danger de ce monde.
Pour finir, ce serait commettre une erreur que de ne pas faire le lien entre le scandale suscité par loi d’extradition et l’affaire Assange. Alors même que l’Occident s’oppose fermement à Hong Kong, un journaliste australien risque la torture et l’emprisonnement à vie aux États-Unis, où il pourrait être extradé par la justice anglaise. Le tout dans le silence complice des gouvernements européens. De quoi est-il coupable ? D’avoir révélé des crimes de guerre étasuniens. Quelques années plus tôt, Edward Snowden, réfugié à Hong Kong, risquait à tout moment d’être extradé par les autorités de Hong Kong, encore une fois sous pression américaine, et s’il n’y était pas tout simplement kidnappé par les États-Unis. Les pays européens ont alors fait entendre leur volonté de préserver la démocratie et la liberté en refusant d’accueillir le réfugié. Ce sera finalement la Russie qui acceptera d’accueillir Snowden… Son crime ? Avoir révélé les écoutes massives et illégales commises par les États-Unis d’Amérique et le Royaume-Uni dans le monde entier. L’État de droit si cher aux Occidentaux n’empêche pas à nos gouvernements d’agir dans l’illégalité la plus totale lorsque les intérêts bourgeois sont menacés. Et ne pratique t-on pas la torture à Guantanamo ?
Nos médias se sont démarqués par leur attentisme ou par leurs calomnies à l’encontre de nos lanceurs d’alertes et réfugiés politiques. Le thème de l’extradition ne semble révolter l’establishment que lorsque c’est un adversaire de l’OTAN qui est désigné… En attendant, ceux qui ont saccagé Hong Kong vont désormais être soumis à la Rule of Law qu’ils aiment tant. La presse va-t-elle nous oser nous parler d’arrestations arbitraires ?
Si l’on pouvait s’attendre à ce que les manœuvres occidentales contre la Chine soient dénoncées par le camp se réclamant du progressisme, de l’anti-impérialisme et de l’internationalisme, nous sommes attristés de constater que nos chers sociaux-démocrates, trotskistes et anarchistes font (encore une fois) le jeu des puissances impérialistes. Ils sont tellement obsédés par leur haine de la République populaire de Chine qu’ils ne se rendent même pas compte de leur social-chauvinisme. Les mêmes qui ont appelé à l’intervention en Syrie, qui n’ont jamais été capables de prononcer le moindre soutien au Venezuela bolivarien, mais qui n’ont pas hésité à qualifier le mouvement des Gilets jaunes de « réactionnaire », appellent aujourd’hui de tout leur cœur à soutenir les forces « pro-démocrates » opposées à Pékin, le plus souvent sans aucun recul critique. Et oui, car ce qui compte c’est la « spontanéité »…
Épisode 2 : Hong Kong : l’opposition « démocratique », alliée du capitalisme atlantiste
Dans un précédent article, nous avons traité du rapport intéressé qu’entretiennent les médias mainstream avec les manifestations de Hong Kong. Il faudrait être borgne pour ne pas comprendre que la bourgeoisie occidentale voit dans les événements hongkongais un moyen de faire valoir ses intérêts. En conséquence, le discours et les analyses offerts par ceux qui possèdent la presse occidentale se révèlent profondément biaisés. C’est pour cette raison que nous allons tenter, dans le présent article, de donner quelques pistes de réflexions à propos de ce qui se joue à Hong Kong.
Précisons tout de suite que nous allons volontairement éviter toutes les spéculations portant sur les « magouilles » politiques chinoises. Ce qui se passe au sein des gouvernements chinois et hongkongais, ainsi que ce qui se joue entre les deux, nous est franchement impossible à déterminer avec certitude. Les « experts » font trop facilement des suppositions et des prédictions qui, bien souvent, reflètent un point de vue erroné et eurocentriste, mais n’apportent que des réponses incertaines.
L’extradition vers la République populaire de Chine : une aberration ?
Il peut cependant être intéressant de revenir, dans un premier temps, sur le projet de loi en tant que tel. Si une analyse juridique ne suffira pas pour expliquer la situation, cela permettra au moins d’éclaircir quelques points. Nous allons tenter de savoir si c’est le projet de loi en tant que tel qui a suscité autant d’émoi à Hong Kong.
Commençons par préciser qu’il existe un véritable problème juridique à Hong Kong. Et cela n’est pas seulement l’avis de Pékin. La difficulté à agir en justice au sein de de la région administrative spéciale est un élément clé que les gouvernements et les ONG connaissent bien, et savent mettre au service de leurs intérêts. Ainsi, Hong Kong est connu comme étant un refuge pour les criminels étrangers (bien que la criminalité sur le sol même de Hong Kong soit désormais très faible) ainsi qu’un nid d’espions. Ce n’est pas sans raison si tant de films de gangsters se déroulent à Hong Kong.
Reprenons le cas qui a servi de prétexte à Carrie Lam afin de promouvoir son projet de loi. Chan Tong-kai, citoyen de Hong Kong, a assassiné une jeune femme, hongkongaise elle aussi, sur le sol de Taïwan. La norme juridique veut alors que ce soit à la juridiction de Taïwan de traiter l’affaire. Cependant, Chan est entre-temps retourné sur le territoire de Hong Kong. Comme aucun traité d’extradition n’existe entre Taïwan et Hong Kong, il est impossible pour les autorités hongkongaises d’extrader légalement le fugitif vers Taïwan. Mais il leur est également impossible de le juger pour son crime. En théorie, le criminel n’a pas à être inquiété pour son crime.
Cette affaire a bien évidemment servi à toucher émotionnellement la population de Hong Kong. Mais ce cas témoigne bel et bien de l’existence d’un vide juridique absurde dont les conséquences portent directement atteinte aux intérêts de Pékin. En effet, un bon nombre de fugitifs réfugiés à Hong Kong sont en tort avec les autorités chinoises. Cette situation, qui fut tolérée par la Chine pendant de nombreuses années, l’est cependant de moins en moins. Si l’initiative de ce projet de loi fut effectivement prise par le gouvernement de Hong Kong, Pékin y est en principe plutôt favorable. Cela pourrait notamment être une occasion de sanctionner la criminalité économique, afin de remettre la main sur les milliards de dollars volés à la nation chinoise et d’en éviter le détournement futur. Nombre de fortunes chinoises et hongkongaises n’ont pas été honnêtement construites, et Pékin n’est pas toujours tendre avec les fortunes chinoises, contrairement à ce que l’on entend souvent dire. De plus, Xi Jinping a fait de la lutte contre la corruption au sein du Parti une priorité. Or, Hong Kong se révèle être un refuge pour les cadres corrompus…
Quoiqu’on en dise, une telle situation est problématique. N’oublions pas que Hong Kong se trouve sur le sol de la République populaire de Chine. On comprend que l’État chinois souhaite faire respecter l’ordre sur un territoire dont il est le souverain. Pourtant, la presse occidentale évoque rarement de tels enjeux, qui sont probablement plus importants que la lutte contre les dissidents politiques. En effet, Hong Kong demeure une place financière stratégique pour la Chine continentale, et on imagine mal le gouvernement chinois procéder à des manœuvres hasardeuses et inefficaces consistant à museler certains droits et libertés, alors que ce sont ces mêmes droits et libertés qui garantissent à Hong Kong son statut de hub financier.
Et pourtant, on entend souvent dire que la loi serait un arsenal visant à faire taire les voix contestataires. Si cela est une crainte sincère exprimée par de nombreux Hongkongais, la réalité juridique se révèle moins évidente. Hong Kong est réputé pour son attachement à la Rule of Law, et ce projet de loi n’échappe pas à la règle. On verrait mal Hong Kong, qui n’a jamais extradé personne vers la Chine (alors que la Chine a rendu plus d’une centaine de fugitifs à Hong Kong), s’en prendre subitement à des réfugiés politiques, alors même que le PCC témoigne de son attachement pour le principe « un pays, deux systèmes ». Ainsi, la loi est agrémentée de garde-fous censés garantir l’indépendance, la crédibilité et l’intégrité de la justice hongkongaise. Ces garde-fous ont été renforcés après que le gouvernement a eu révisé la loi pour répondre à la pression populaire. Une extradition ne pourrait pas se produire juste « comme ça » à Hong Kong, elle serait le fruit d’un processus long, complexe et rigoureux, soumis au regard du public et de la presse. De plus, de nombreux juristes ont contribué au débat en proposant diverses idées d’amendements, preuve que le débat à Hong Kong n’est pas figé sur la main de l’arbitraire pékinois.
Le projet de loi parait mesuré en de nombreux aspects, et offre une marge de manoeuvre plus étroite qu’un véritable traité d’extradition. Nous pensons qu’il serait exagéré de considérer que c’est la loi en elle-même qui est la raison profonde de ces manifestations, et cela même si le gouvernement Carrie Lam fut particulièrement incompétent quand il s’agissait de la promouvoir. On pourrait alors penser que c’est le simple fait d’avoir un partenariat juridique avec la Chine continentale qui pose problème.
Ainsi, le sujet des droits de l’homme est régulièrement mis en avant afin de repousser tout partenariat juridique avec la Chine. Pourtant Hong Kong possède des traités d’extradition avec des pays tels que les Philippines, l’Indonésie, ou encore la Malaisie. Cibles faciles dont les abus concernant les droits de l’homme sont régulièrement dénoncés par de nombreuses ONG. Mais on peut également citer de plus gros poissons, plus hégémoniques mais pas moins dangereux, tels que les États-Unis, Israël (seulement assistance légale mutuelle dans ce cas) ou encore l’Australie. Les États-Unis violent régulièrement les droits de l’homme sur leur propre sol et sur les sols étrangers, et sont sans aucun doute la nation la plus belliciste de la planète et la plus meurtrière de l’histoire récente. Son fidèle allié israélien est régulièrement dénoncé comme étant l’État le plus condamné du monde par l’ONU. L’Australie n’est pas moins perverse, comme en témoignent ses camps remplis de migrants détenus par milliers dans des conditions inhumaines. Et pourtant, des traités d’extradition avec de tels pays ne suscitent que peu d’émoi.
Peut-être alors que le soucis porte précisément sur le respect de l’État de droit et du droit d’extradition en Chine. Pourquoi alors Hong Kong traite- t-elle d’extradition avec les Philippines, qui ont obtenu un score de 0.47 selon le WJP Rule of Law Index 2019 (soit moins que la Chine qui obtient 0.49, tandis que Hong Kong se place 16e mondial avec un score de 0.77), avec l’Indonésie (0.52), le Sri Lanka (0.52) ou encore la Malaisie (0.55) ? Et nous ne pouvons pas non plus épargner d’autres pays qui, s’ils bénéficient d’un meilleur score en terme de respect pour l’État de droit, se sont fait remarquer pour leurs tendances à l’extraterritorialité. Ainsi, les E-U pourchassent-ils illégalement des journalistes et des lanceurs d’alertes que l’ONU appelle pourtant à protéger, et n’hésitent-ils pas pour cela à faire pression sur les pays de l’ensemble du globe. Il est d’ailleurs probable que Hong Kong aurait été obligé d’extrader Snowden pour répondre aux pressions américaines si le lanceur d’alerte n’avait pas eu le temps de fuir vers la Russie. De plus, les E-U disposent d’un camp de torture situé hors de tout champ légal, où sont extradés illégalement (selon les propres termes de l’état-major américain) des centaines de ressortissants étrangers. On pourrait également parler de la Corée du Sud, qui n’hésite pas à kidnapper des ressortissants nord-coréens sur le sol chinois, afin de les placer dans des camps de détention illégaux, et cela avec la complicité de la CIA. Et rappelons que Hong Kong ne négocie même pas de traité d’extradition avec la Chine. Le projet de loi porté par Carrie Lam consiste à autoriser, au cas-par-cas, des extraditions avec des pays ne disposant pas de tels traités avec Hong Kong, dont la Chine, Taïwan et Macao…
Pourquoi alors Hong Kong ne pourrait-elle pas permettre l’extradition vers la Chine, alors même que Hong Kong est un territoire chinois et que l’intérêt national de la Chine est menacé ? On sait pourtant que les Chinois possèdent des traités d’extradition avec de terribles puissances totalitaires telles que l’Iran, la Russie, ou encore… la France, l’Italie, le Portugal, l’Espagne ou le Brésil. En réalité, la Chine sait modérer ses relations diplomatiques et dispose d’une législation répondant aux standards internationaux afin de permettre la signature de traités d’extradition.
L’opposition démocratique, relais occidental sur le sol chinois
On comprend donc que ce qui pose véritablement problème à nos opposants hongkongais, c’est le simple fait d’entretenir des relations avec la Chine qui dépassent la nécessaire coopération économique. Dans la continuité de la guerre froide, c’est une logique de bloc qui est à l’œuvre. En effet, si l’élite économique de Hong Kong est un allié de circonstance de Pékin et si une part significative de la population de Hong Kong est patriote, la région administrative spéciale s’apparente en de nombreux aspects davantage au monde occidental qu’au monde chinois. En effet, la ville mondiale est un regroupement de divers intérêts capitalistes. Au moment où la Chine s’est ouverte sur le monde, la stratégie phare de Thatcher était d’utiliser Hong Kong afin de propager le libre-échange et la démocratie en République populaire de Chine. Une raison supplémentaire qui explique un tel attachement à ces 50 années de « deux systèmes » sans « un pays ». Si cela fut effectivement le cas, l’inspiration hongkongaise en Chine n’a pas suffi à déstabiliser le gouvernement communiste. Mais l’Occident espère encore que les grandes métropoles chinoises succombent à la tentation de la démocratie libérale…
À ce titre, on comprend que ces manifestations s’opposent frontalement à Pékin et au socialisme. Sinon, il nous serait difficile de saisir pourquoi un projet de loi, mesuré, amendé, et aujourd’hui considéré comme « mort » par l’exécutif, aurait suscité une mobilisation qui persiste encore aujourd’hui.
Commençons par ce qui est le plus évident et le moins sujet à contentieux, à savoir l’organisation et l’orchestration de ces manifestations. À cet égard, notre précédente analyse, qui démontrait la bienveillance intéressée dont ont fait preuve nos médias envers l’opposition démocratique hongkongaise, aurait dû nous mettre la puce à l’oreille.
À l’origine du mouvement contre la loi d’extradition, on retrouve un ensemble d’acteurs coalisés au sein du Front civil des droits de l’homme. Ce sont eux qui ont fait la promotion, organisé et donné les décomptes des manifestations. Parmi eux, on compte des partis et organisations se revendiquant du libéralisme démocratique, de la social-démocratie, de la démocratie chrétienne, du syndicalisme jaune, de la liberté de la presse ou encore du féminisme libéral.
Ceux qui ont prêté attention aux situations vénézuéliennes, ukrainiennes ou arabo-musulmanes durant les dernières années se doutent déjà que derrière l’appellation de « démocrate » se cachent des groupes porteurs de la conception occidentale du régime démocratique. Comme c’est souvent le cas, les intérêts occidentaux suivent. Et bien sûr, cela n’étonnera personne d’apprendre que ces groupes n’ont aucune affinité avec le gouvernement chinois, encore moins avec le socialisme.
À Hong Kong, l’opposition qui inonde les rues ne consiste donc pas seulement en un soulèvement populaire spontané contre une loi considérée comme étant liberticide. Est à l’œuvre un ensemble d’acteurs qui sont radicalement opposés à la politique menée par le Parti communiste de Chine et qui savent tirer profit de la situation actuelle ainsi que des erreurs de Carrie Lam. De plus, le point de tension n’est peut être pas tant le projet porté par Carrie Lam, mais plutôt la question du statut de Hong Kong par rapport à la Chine continentale. Ainsi, les revendications sont celles du maintien du statu quo de 1997, de l’autodétermination, de l’indépendance, voire du retour à la souveraineté britannique…
On pourrait dresser les portraits des quelques figures préférées des médias. Si les manifestants hongkongais ne se reconnaissent pas nécessairement en de tels leaders, leur proximité revendicative nous impose de ne pas tomber dans l’idéalisme spontanéiste, qui hisserait un mur entre les principales figures de ces manifestations, et les centaines de milliers de Hongkongais descendus dans la rues.
Le chouchou des médias est indéniablement Joshua Wong. Il est le secrétaire général de Demosisto, parti politique démocrate-libéral se prononçant pour l’auto-détermination de Hong Kong face à l’oppression du Parti communiste, et dont les membres comptent également Agnès Chow et Nathan Law. Admirateur du colonialiste-impérialiste Liu Xiaobo et du grossier millionnaire Ai Weiwei, il souhaite cependant prendre ses distances avec Nelson Mandela. Héros de Netflix, il est acclamé par la presse libérale d’Occident. Joshua Wong n’a bien sûr pas hésité à se précipiter vers Washington, accompagné de Benny Tai et de Martin Lee, pour y recevoir une récompense de la Freedom House, organisation financée par le département d’État américain. Sans surprise, cette organisation se retrouve derrière une myriade d’opérations de « regime change » manigancées depuis le « monde libre ».
Dans un autre genre, évoquons Anson Chan, portrait-type de ces élites embrigadées par l’administration britannique au début des années 1990. Figure majeure de la pan-démocratie, elle se rend régulièrement à Washington pour s’entretenir avec le département d’État américain. Et l’administration Trump ne lui donne pas froid aux yeux : accompagnée de Martin Lee, elle a récemment rendu visite à Mike Pence.
Parmi les plus « à gauche », on retrouve Leung Kwok-hung, plus connu sous le nom de « Long Hair ». Remarquable de par sa chevelure et ses t-shirts Che Guevara (connaît-il les opinions de ce dernier ?), cet ancien trotskiste cache mal ses aspirations social-démocrates. Il s’est récemment fait remarquer pour avoir inventé une affaire de corruption, qu’il a reconnu lui-même comme étant totalement fausse. Ainsi, un agent de Pékin lui aurait proposé 100.000.000$ afin d’acheter sa voix électorale… Allié fidèle du camp pan-démocratique, il est un opposant de Pékin, et ses idées n’ont bien sûr rien de révolutionnaire.
Quant aux groupes se revendiquant du socialisme véritable ou du communisme, on a beau avoir cherché mais on a du mal à les nommer. On peut citer Left21, mais il ne s’agit que d’un groupuscule trotskiste. Il faut reconnaître que la gauche « sociale » est virtuellement inexistante à Hong Kong. La conscience de classe prolétarienne ainsi que son expression politique le sont tout autant…
L’organisateur de la manifestation, le Civil Human Rights Front, comprend des groupes directement financés par la National Endowment for Democracy. Petit rappel : financée par le département d’État américain et par des grandes entreprises, la NED apporte soutiens financiers et conseils à des partis politiques, des syndicats, des médias, des entreprises ou des organisations civiques traditionnellement guidés par la CIA. La NED remplit en réalité le même travail que la CIA, avec la (très) mauvaise image en moins. L’ancien directeur de la CIA William Colby déclarait à propos de la NED « qu’il n’est pas nécessaire de faire appel à des méthodes clandestines. Nombre de programmes qui étaient menés en sous main, peuvent désormais l’être au grand jour, et par voie de conséquence, sans controverse« . L’ancien président de la NED Carl Geshamn déclarait « qu’il serait terrible pour les groupes démocratiques dans le monde d’être perçus comme étant financés par la CIA« . Un des fondateurs de la NED, Allen Weinstein, expliquait au Washington Post que « bien des choses que la NED fait maintenant étaient faites clandestinement par la CIA 25 ans auparavant ».
Et la NED ne cache pas sa présence à Hong Kong, où ses soutiens financiers se révèlent plus importants qu’ailleurs dans le monde. Cela équivaut à plusieurs centaines de milliers de dollars par an, sans compter les dépenses à destination de la Chine continentale. À Hong Kong, la NED agit par l’intermédiaire de 3 partenaires. Le Solidarity Center et le National Democratic Institute for International Affairs, qui sont des organisations dépendantes de la NED, agissent dans les milieux du syndicalisme, de la libéral-démocratie et de la social-démocratie. Le Hong Kong Human Rights Monitor est également directement financé par la NED. Ces 3 partenaires reçoivent chaque année des centaines de milliers d’euros qu’ils utilisent pour soutenir et financer divers projets et groupements, en particulier les « pan-démocrates », et cela depuis 1994.
On sait que le NDI et le SC assument leurs relations avec la Hong Kong Journalist Association, le Civic Party, le Labour Party et le Democratic Party, qui sont des acteurs majeurs de la pandémocratie hongkongaise. On ne sait cependant pas si ces relations se traduisent par des financements, que la NED et ses sous-organisations ne sont pas obligées de dévoiler. Il est cependant prouvé que la Hong Kong Confederation of Trade Unions, lié au Labour Party, a reçu au moins 540.000$ entre 2007 et 2014. Or, toutes ces organisations comptent parmi les principaux membres du Civil Human Rights Front à l’origine de ces manifestations. Ainsi, les organisateurs ne peuvent pas ne pas être au courant des liens entre la NED et ces organisations.
Il nous est également nécessaire de relever les ingérences diplomatiques, qui sont très révélatrices. Les gouvernements occidentaux n’ont pas cessé de témoigner leur soutien envers les manifestations de Hong Kong. Il est particulièrement choquant de voir les Américains ou pire, les Britanniques, s’ingérer aussi ouvertement dans les affaires chinoises. Des attaques diplomatiques auxquelles Pékin répond sévèrement.
Mais cela suffit-il à expliquer le succès de ces manifestations ? Ce sont des centaines de milliers de personnes, issues de toutes les classes sociales, qui sont mobilisées dans les rues. On ne saurait tout rejeter sur le dos d’une opposition politique bien organisée, d’une promotion solidement élaborée ou encore d’ingérences étrangères incessantes. Il y a bel et bien un élément spontané dans ces manifestations hongkongaises.
La Chine et ses contradictions : l’enjeu de l’identité hongkongaise
Nous n’allons cependant pas trop mettre en avant les problématiques sociales, pour la simple et bonne raison que les mots d’ordre qui apparaissent le plus dans les manifestations relèvent de questions démocratiques et identitaires. En revanche, on doit prendre en compte le fait que ces masses révoltées contre l’establishment ne peuvent qu’être stimulées par de véritables problématiques sociales. Alors que la Chine continentale met en place un plan d’éradication de la pauvreté rurale et urbaine, le gouvernement hongkongais n’entreprend que de faibles mesures afin de contrer la misère sociale. Et la situation va mal pour les travailleurs de Hong Kong. Les salaires peuvent être très bas, la sécurité sociale est minimale, les pauvres ne bénéficient pas de la croissance économique et les inégalités atteignent des sommets. Les femmes, les enfants, les vieux et les minorités ethniques connaissent une situation particulièrement difficile. Les prix du logement battent des records. La mobilité intergénérationnelle diminue. Ceux qui sont nés après 1980 ont l’impression que la situation ne fait que s’empirer et que Hong Kong ne bénéficie pas assez du développement chinois.
Mais la place de Hong Kong dans la mondialisation économique en tant que hub financier et ville mondiale n’offre qu’une faible marge de manoeuvre à qui veut changer les choses. D’autant plus que les Hongkongais tiennent au respect la déclaration conjointe de 1984, qui stipule que « les systèmes économique et social actuels de Hong Kong resteront inchangés de même que son mode de vie », ce qui est également de l’avis de la quasi-totalité des acteurs internationaux (dont probablement la Chine), qui tiennent aux privilèges économiques offerts par Hong Kong.
Mais dans une société où la conscience de classe prolétarienne ainsi que sa traduction politique sont virtuellement inexistantes, et où le soutien d’un gouvernement communiste à une élite capitaliste brouille les repères, le tumulte social ne peut que se retourner contre l’establishment au pouvoir, à savoir la fraction de la bourgeoisie alliée à Pékin.
Cela n’empêche pas les revendications sociales de se faire timides face aux revendications démocratiques et identitaires au sein de nos manifestations. L’idéologie dominante d’une société est souvent celle de sa classe dominante, et la situation particulière des Hongkongais dans le monde et dans l’histoire font qu’une part significative de la population rejette absolument la Chine et le socialisme, auxquels sont préférés l’Occident libéral et démocratique ainsi que le capitalisme. En effet, l’identité hongkongais s’est formée en opposition à la Chine continentale, et ce parfois de manière artificielle.
Hong Kong fut depuis le milieu du XIXe siècle un refuge pour des centaines de milliers de paysans chinois appauvris, mais aussi pour les classes sociales dépossédées (seigneurs de guerre, bourgeoisie, mafias) ainsi que leurs laquais. Dans la seconde moitié du XXe siècle, alors que la Chine traverse une période troublée, Hong Kong connaît un boom économique et les élites hongkongaises se voient progressivement attribuer un certain rôle économique. Les révoltes et les émeutes populaires, violemment réprimées, ont obligé l’autocratie coloniale à entreprendre une série de réformes sociales. Après la déclaration conjointe de 1984, la rétrocession devient inévitable, et la politique étrangère britannique pousse l’administration à entreprendre des réformes démocratiques afin de renforcer les velléités indépendantistes hongkongaises. Dans les années 1990, l’intégration des Hongkongais au sein de l’administration coloniale renforce ces sentiments identitaires.
Le capitalisme à Hong Kong est l’un des plus sauvages de la planète. Les Hongkongais sont imbibés par l’idéologie de leur classe dominante, elle-même imbibée par les influences coloniales et occidentales. Ils ont été éduqués par les programmes britanniques, et les plus jeunes ont pu refuser l’histoire patriotique chinoise. Ils ont accès à une presse libre, et plus important encore, les étudiants et les classes moyennes parlent couramment anglais et ont librement accès à Internet, c’est-à-dire à un immense flux d’informations essentiellement produites par le monde occidental et anglo-saxon. Ce que les Occidentaux perçoivent de la Chine et du socialisme (un portrait immensément négatif), de nombreux Hongkongais le perçoivent tout autant, si ce n’est davantage. On comprend donc qu’une part significative de la population de Hong Kong ne s’apparente pas à la Chine continentale et ne souhaite pas s’y assimiler. Il suffit de consulter sur YouTube le premier « Hong Kong vlog » filmé par un voyageur occidental pour comprendre qu’il vaut mieux éviter de s’adresser à un Hongkongais en le qualifiant de « Chinois »…
Tous les éléments que nous avons accumulé nous permettent de comprendre que ces manifestations ne peuvent en aucun cas se révéler bénéfiques pour la cause des travailleurs de Hong Kong et de Chine continentale. Les orchestrateurs de ces manifestations sont en quasi-totalité des opposants assumés de Pékin, quand ils ne sont pas directement soutenus par des dollars et des conseils américains. Ils seront les principaux gagnants de cette situation. La spontanéité du mouvement (et rappelons que la spontanéité est davantage une faiblesse qu’elle n’est une force) ne révèle pas une base sociale qui contredirait les intérêts de ces groupements libéraux anti-socialistes et anti-Pékin. D’un point de vue socialiste, les appels à soutenir ces manifestations ne sont que des appels aventuristes qui préfèrent la très très improbable hypothèse du soulèvement spontané et socialiste des travailleurs de Hong Kong ET de Chine plutôt que la préservation de l’intégrité territoriale de la République populaire de Chine face aux attaques impérialistes et bourgeoises.
La période de 50 ans définie par le Déclaration conjointe doit être une transition permettant à Pékin de répondre aux défis politiques, nationaux et économiques qui se jouent à Hong Kong, afin que la RAS et sa population puissent un jour être pleinement intégrées dans la République populaire de Chine. Le principe « un pays, deux systèmes » sera préservé, mais cela ne veut pas dire répondre aux injonctions de l’impérialisme occidental ou de la petite-bourgeoisie hongkongaise à figer Hong Kong dans le temps afin d’en faire un avant-poste de la lutte contre la Chine.
Contre l’impérialisme, pour la démocratie
Quant à nous, communistes hors de Chine, nous devons réaffirmer un anti-impérialisme véritable. Il est bien triste de constater que le disque rayé de la « démocratie » bourgeoise fonctionne toujours aussi bien, et ce après l’Irak, la Libye, la Syrie, le Venezuela, l’Ukraine, etc.
Nous, communistes, aimons et nous battons pour la démocratie. Mais cela ne veut pas dire adhérer au discours naïf et trompeur qui permet de légitimer qu’un businessman milliardaire soit à la tête de la première puissance mondiale, qu’un banquier d’affaires soit à la tête de notre France, et que les forces diplomatiques, économiques et militaires de nos nations contribuent à des manœuvres hostiles contre des États souverains considérés comme rivaux par nos dirigeants.
L’Occident veut se servir de Hong Kong pour propager la démocratie à travers la Chine continentale, mais les Chinois n’ont pas le même rapport que nous à la démocratie. Les contextes sont très différents, mais il nous serait compliqué de prouver que nos institutions démocratiques sont plus efficaces que les leurs quand il s’agit de permettre le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. La conception libérale de la démocratie leur fut historiquement apportée par des ingérences étrangères et des actions militaires. Encore aujourd’hui, le « mouvement démocratique chinois » représente une force séditieuse, opposée au gouvernement et au socialisme, et soutenue directement par l’Occident capitaliste. Cela est parfaitement démontré par la figure de Liu Xiaobo, immense symbole du « mouvement démocratique chinois », prix Nobel de la paix en 2010, et héros chinois du monde bourgeois-libéral. Soutien inconditionnel des aventures guerrières américaines au Vietnam, en Corée ou en Irak, Liu est l’homme-lige de l’Occident. Chantre du colonialisme, Liu Xiaobo a déclaré que « s’il a fallu 100 de colonisation à Hong Kong pour être ce qu’elle est, alors il faut 300 ans de colonisation à la Chine pour devenir comme Hong Kong mais je ne suis pas sûr que 300 ans suffiraient ». Se revendiquant lui-même « pro-western » et « pro-US », il considère que « la modernisation est synonyme d’occidentalisation totale » et que « choisir de vivre signifie choisir le mode de vie occidental. La différence entre le mode de gouvernement occidental et le mode de gouvernement chinois, c’est la même que celle entre l’humain et le non humain, il n’y a pas de compromis. L’occidentalisation est le choix non pas de la nation mais de la race humaine ». Malheureusement, Liu Xiobo est plus proche de la règle que de l’exception au sein du « mouvement démocratique chinois ».
La démocratie est un mot d’ordre puissant, un argument d’autorité qu’il nous paraît impossible de contester. Si nous y sommes profondément attachés, il est de notre de devoir de nous désolidariser complètement de la mascarade atlantiste, qui transforme un principe honorable en arme de guerre. Sinon, le discours démocratique ne restera qu’un discours de façade, eurocentriste, chauvin et belliciste.