Dans l’Iliade et l’Odyssée, Achille n’est jamais cité sans que son nom soit
aussitôt suivi de l’ « épithète homérique » : « aux pieds légers » ; chez
Homère, dont les héros devaient être facilement reconnus par l’auditoire de
ses épopées, l’Aurore a toujours « des doigts de rose » (c’est d’ailleurs
très beau !), Andromaque est la femme « aux bras blancs », tandis qu’Ulysse
est toujours présenté comme « l’homme aux mille ruses ».
Les « journalistes » de nos grands médias macronisés, médéfisés,
euro-formatés, laurento-bergisés, anglo-fascinés, américano-béats et
Cac-quarantés n’ont certes pas le talent d’Homère, il s’en faut de beaucoup.
Mais eux aussi ne savent pas prononcer le mot « Inde » sans parler aussitôt
de « la plus grande démocratie du monde », ou « Grande-Bretagne » sans
ajouter « la mère de la démocratie parlementaire ». De même qu’à leurs yeux,
Cuba, le Venezuela, la Syrie, la Chine, la Russie, la Biélorussie et autres
Etats extérieurs à la « Communauté internationale », n’ont pas de «
gouvernement » mais seulement un « régime » (dictatorial, totalitaire, etc.)
indigne que l’on discute pacifiquement avec lui. Ainsi les « commentaires
journalistiques » sont-ils placés d’emblée, avec la meilleure bonne
conscience du monde (car le propre des sots est de confondre évidence
rationnelle et préjugé grossier), sur les rails inoxydables du verbiage
anticommuniste, contre-révolutionnaire et néocolonial, pour ne pas dire
raciste.
Qu’importe alors qu’Israël massacre et ampute par balles des milliers de
jeunes Gazaouis puisqu’elle est, à tout jamais et quoi qu’elle fasse, une «
grande démocratie » (pour qui ?).
Qu’importe que la Syrie soit déchiquetée depuis près de dix ans par de
barbares égorgeurs intégristes puisque l’armée régulière reposant sur la
conscription a pour chef Assad-Le-Boucher (bizarrement, on ne dit jamais «
Ben Salman l’Equarrisseur » quand on désigne le maître féodal de l’Arabie
saoudite, allié de l’Oncle Sam et suspect d’avoir commandité le dépeçage
d’un opposant dans des locaux diplomatiques).
Qu’importe que dans l’Inde actuelle, l’extrême droite hindouiste cultive la
haine violente, voire le lynchage du musulman, qu’importe qu’elle abolisse
l’autonomie du Cachemire et qu’elle fourre les communistes indiens en taule
puisque par nature, par essence, par décret anticommuniste (pour l’opposer à
la « Chine communiste »), elle est intrinsèquement « la plus grande
démocratie du monde ».
Qu’importe que la France officielle ait, avec Sarkozy, mis la Libye (donc le
Mali) à feu et à sang, que la police de Castaner ait éborgné des dizaines
de Gilets jaunes, qu’elle ait de facto empêché le défilé du 1er Mai 2019,
qu’elle se soit comportée comme elle l’a fait de Nantes et à Nice, qu’elle ait
confisqué toute la messagerie interne de la France insoumise, puisqu’on vous
l’assure à toute occasion : « la France est le pays des droits de l’homme ».
Un grand pays où « le peuple est souverain » comme chacun l’a constaté quand
le Non à la constitution européenne du peuple français (29 mai 2005) s’est
magiquement mué en un Oui parlementaire au Traité de Lisbonne qui n’était
que le résumé de feu le TCE !
Qu’importe enfin que les caciques conservateurs et travaillistes du
Parlement de Westminster sabotent à n’en plus finir le vote populaire en
faveur du Brexit, que celui-ci soit « négocié » comme le voulait Theresa
May, ou « sans accord » comme y incline l’actuel Premier Ministre : il est
vrai qu’en la matière, la bourgeoisie faite média (mettez ensuite le sigle
que vous voulez : TF1, France 2, BFM, RMC, RTL, C News, Le Monde, Télérama,
France Inter, Libé, le Figaro) est un peu gênée car son anglolâtrie
ordinaire (« la mère de toutes les démocraties », l’enviable « pragmatisme
britannique », etc.) se heurte pour le coup à son devoir le plus impérieux
(et impérial !) : défendre avec zèle la sacro-sainte « construction »
européenne chère à Macron et à Ste-Angela.
Bref, chers lecteurs de ce billet, avant de former VOTRE jugement sur les
titres de l’actualité, il serait prudent de se munir d’un appareil à
décrypter cette novlangue médiatique bien moins épique mais combien plus
dangereuse (car à travers elle se jouent la guerre ou la paix entre les
peuples) que les épithètes stéréotypées de l’Iliade : et cet appareil plus
simple à manier que l’on ne croit s’appelle tout bonnement le POINT DE VUE
DE CLASSE : « qui, QUELLE CLASSE, me parle par la bouche de ce « journaliste
? » ; et pour obtenir de moi quel genre de consentement frelaté ?
En un mot, pour qui, pour quelle classe, et contre qui, contre quelle autre
classe ? Ces « grandes démocraties » fonctionnent-elles, elles qui
massacrent les Palestiniens, qui déclenchent des guerres meurtrières de
l’Ukraine au Mali, et qui détruisent méthodiquement (« démocratiquement » ?)
la souveraineté des nations, les acquis des travailleurs et les bases de
la paix mondiale ?
Effectivement le combat pour l’émancipation d’un peuple commence par se réapproprier sa langue. C’est le combat pour reprendre le contrôle du sens des mots et des concepts. La lutte de classe se déroule aussi au sein de la langue que l’on utilise. Cela l’ennemi l’a compris et nous devons donc lancer la contre-attaque aussi sur ce front.