Samedi 19 octobre, ce sont près de 3000 personnes qui ont défilé en ordre dispersé à Belfort pour protester contre le plan de licenciements et de liquidation de l’usine General Electric de production de turbines à gaz. En ordre dispersé, car suivant le régime Macron, la CFE-CGC appuyée par SUD voulaient profiter de cette manifestation pour soutenir le plan de licenciement négocié par General Electric, tandis que la CGT est mobilisée pour empêcher la fermeture de l’usine et préserver tous les emplois.
Le coup de com’ pour faire avaliser les licenciements
Initialement, et en violation des engagements pris devant le ministre de l’économie d’alors, Emmanuel Macron, General Electric avait annoncé la fermeture de l’usine et la suppression de 792 emplois. Et ce alors que la multinationale s’était engagée à créer des emplois en France.
Loin de faire appliquer les engagements de GE, Macron et son ministre de l’économie se sont félicités que suite à la mobilisation des syndicalistes et des travailleurs CGT de l’usine, GE réduise le nombre de suppression de postes. Devant la mobilisation monstre des belfortains et l’occupation de l’usine par la CGT, le patronat de GE mettait effectivement le régime Macron dans une position particulièrement intenable devant l’opinion publique.
On se doute bien que le dialogue entre le régime Macron et la direction France de GE, occupée par un ancien conseiller de Macron qui s’était alors occupé du bradage de Alstom à GE, n’a pas dû générer beaucoup de désaccord et d’éclat de voix…
Macron impose un marché de dupe avec l’aide de la CFE CGC et Sud
C’est pourquoi après un simulacre d’intervention de Bercy, GE a proposé de sursoir pour quelques mois à la fermeture de l’usine. Proposant un plan de licenciements de 485 emplois immédiatement sur les 792 emplois de l’usine.
Un marché de dupe auquel SUD et la CFE CGC se sont employés à souscrire. Un marché de dupe dénoncé par la CGT.
Ce plan a tout d’un marché de dupe:
- il laisse sur le carreau près de 500 ouvriers ;
- il ne produit aucun engagement sur la pérennisation de l’usine et du site à court terme, dont la délocalisation ne devra pas intervenir dans les 12 prochains mois. La production sera ensuite délocalisée en Hongrie ;
- GE promet d’ici 2023 de créer 200 emplois dans l’aéronautique. Mais l’accord ne comprend aucun engagement concret et est conditionné à une aide de l’Etat et de la collectivité locale ;
- la collectivité doit acheter au prix fort (1 millions d’euros) un bâtiment à GE ;
- qui plus est, les 300 emplois conservés le sont en échange de 12 millions de mesures de réduction des salaires imposés aux ouvriers de GE;
- suspension des versements et abandon de plans d’épargne et retraites complémentaires (2.5 millions d’euros)
- augmentation du temps de travail de 100 € par an et la suppression de 11 jours de RTT
- suspension du jour de solidarité, et du 4e jour d’ancienneté pour les cadres
- gel des salaires durant trois ans
Observons que 12 millions d’euros par an, c’est les salaires de 278 employés rémunérés 2600€ brut mensuel sur la même période. De fait, l’accord proposé par GE, c’est tout simplement de faire financer par les ouvriers de GE la conservation sur une durée d’un an des 300 emplois conservés.
Pour défendre les ouvriers, nationaliser
In fine, GE obtient ce qu’elle souhaitait : la délocalisation de la production des turbines à gaz. Sans ligne de production, avec des équipes d’ingénierie et de vente réduites, avec seulement des ateliers de réparation et un engagement qui ne porte que sur moins de 3 ans, il y a malheureusement fort à parier que ce premier plan de licenciements n’est pas le dernier. Il est le résultat d’une méthode à piéger ceux qui suivent les pseudo syndicalistes d’accompagnement : étape 1 annoncer une mesure scandaleuse ; étape 2 faire mine de négocier si les salariés se mobilisent ; étape 3 faire valider une mesure un peu moins scandaleuse correspondant à l’objectif initial.
Il est à constater que c’est bien la mobilisation, y compris par la grève avec occupation d’usine lancée par la CGT qui a permis de conserver pour un temps 307 emplois.
Pour autant et alors que ces sites de production sont stratégiques pour la France, l’enjeu n’est pas de négocier la fermeture morceaux après morceaux. L’enjeu est de conserver et de développer l’usine. Bien évidemment, cela ne peut passer par le dépeçage d’Alstom lancé par General Electric avec le concours de Macron et sous la contrainte de l’Union Européenne.
Cela nécessite au contraire de nationaliser l’ensemble des activités de l’ex Alstom. Une nationalisation malheureusement interdite par l’Union Européenne, UE qui favorise au contraire la fermeture des usines, leurs délocalisations et le dumping social.
JBC pour www.initiative-communiste.Fr
Les explications de la CGT GE auprès de Troi3, journal local
Cyril Caritey et Karim Matoug expliquent cette position et détaillent comment l’organisation syndicale compte peser dans les prochaines semaines. Entretien croisé.
Quelle analyse porte la CGT au lendemain du levé des piquets de grève et de la signature, par deux organisations syndicales (CFE-CGC et Sud Industrie), d’accords-cadres sur les négociations relatives à la restructuration des turbines à gaz à General Electric Belfort ?
Karim Matoug – Hier (lundi, NDLR), il y avait une séance de signatures pour les organisations syndicales, qui concernait un accord-cadre. Nous confirmons que la CGT n’a pas apposé sa signature, mais nous participerons aux discussions qui seront organisées dans les six prochaines semaines. Même si nous n’avons pas signé cet accord-cadre, c’est une obligation pour la direction de convoquer toutes les organisations syndicales dans ces réunions. Nous ne balayons pas le nouveau projet, nous disons qu’il n’est pas suffisant par rapport aux enjeux et à l’avenir de la turbine à gaz à Belfort. Nous avons une position ferme, autour de trois points, qui sont encore à bagarrer. Et c’est pour cela que nous n’avons pas voulu nous enfermer dans un accord-cadre. Ces points sont la délocalisation en Hongrie de la ligne stator-combustion, l’augmentation du temps de travail et les 5 % de productivité que la direction veut mettre en place. Nous parler de 5 % de hausse de productivité avec 173 personnes qui quitteront l’entreprise, cela nous paraît insensé. L’augmentation du temps de travail, contrairement à ce qui est dit dans la presse, ne concerne que les salariés qui travaillent d’équipe, et à 98 % des ouvriers. Sur cet état, nous avons fait des propositions à la direction. Et nous les referons quand nous serons dans les discussions. Notre proposition repose sur le volontariat. C’est au gens de dire s’ils préfèrent travailler 2 heures supplémentaires par semaine ou conserver leurs RTT. Mais qu’on laisse le choix aux salariés.
Comment percevez-vous dans les accords-cadres que la CGT n’a pas signés, que pour la première fois depuis plusieurs années, on évoque une cohérence industrielle sur Belfort ? Même si rien n’est encore garanti…
Karim Matoug – Je peux faire un historique des promesses de General Electric : l’usine d’impression 3D à Bourogne ; les fabrications 60 Hz ; Les 1 000 emplois… Je peux vous parler de beaucoup de choses que GE a mis sur la table et qui ne sont jamais arrivées. Nous ne donnons pas de chèque en blanc à la direction. Et sur le projet industriel, nous avons des choses à amener. Nous voulons donner un avenir aux turbines à gaz. Aujourd’hui, nous n’avons pas les données suffisantes pour savoir s’il y a un avenir à la turbine à gaz à Belfort. Nous le verrons en fonction de la cartographie des effectifs de l’entreprise. Car si nous n’avons plus de commerciaux, cela sera difficile d’aller chercher des contrats.
La CGT ne signe pas les accords-cadres, à la différence de Sud Industrie et de la CFE-CGC. Pourtant, vous insistez sur l’intérêt de l’intersyndicale ?
Cyril Caritey – Cela fait 4 mois qu’il y a des discussions, des échanges avec les représentants des différents secteurs d’activité, des différentes catégories salariales. Nous avons tous compris qu’il y avait un point commun : préserver l’emploi. Cela passait par l’unité. Elle a été réfléchie, travaillée dans les modes d’action. Il y a eu des actions juridiques. Puis les modes d’action se sont durcis quand on s’est approché de la ligne de crête. Chacun a pris ses responsabilités. La CFE-CGC et Sud sont allés dans des réunions avec le gouvernement pour essayer de faire évoluer les choses ; la CGT y a été associée mercredi dernier. Puis, elle a durci le ton avec les salariés, car elle savait que si elle ne durcissait pas le ton, il n’y aurait aucun moyen pour faire évoluer les choses. Il y a encore du travail devant nous. Le projet est toujours là, avec l’idée de faire vivre la turbine à gaz à Belfort. Patrick Mafféïs s’est engagé à être là (il est responsable Europe des opérations industrielles, NDLR). Nous on dit qu’il va falloir faire vivre Belfort. Mais ce ne sera pas sans des commerciaux. Ce ne sera pas sans le sourcing. Il faut une nomenclature et une architecture à l’entreprise pour avancer.
Hier, vous avez organisé une assemblée générale dans les ateliers. Qu’en est-il ressorti ?
Cyril Caritey – Elle a eu le mérite de rassembler le personnel. Il y a eu beaucoup de débats. Je prends un exemple. Ce matin (mardi, NDLR), des gens du bâtiment 38, des ingénieurs, des cadres, des techniciens, nous disaient : « Bravo pour ce que vous faites la CGT. Bravo les organisations syndicales. » Maintenant, la direction fait face à deux fronts. Pour conserver l’outil de travail, il va falloir remonter au créneau pour lui dire : « Tenez vos engagements. »
Vous avez levé les piquets de grève. Quelles contreparties avez-vous obtenu ?
Cyril Caritey – On a demandé de participer aux discussions, ce qu’envisageait déjà la direction. Elle paiera, sous certaines modalités, le défraiement de nos heures de grève.
Vous continuez de véhiculer l’idée d’une unité de l’intersyndicale. On a pourtant entendu beaucoup de velléité à l’égard de vos collègues de la CFE-CGC ou de Sud Industrie la semaine dernière. La CGT joue-t-elle sa propre partition et vise-t-elle déjà les prochaines élections syndicales ?
Cyril Caritey – Non. Déjà, les élections ne sont que dans deux ans. Ensuite, on ne va pas commencer à faire des calculs d’apothicaires. Très sincèrement, ce qui a guidé nos interventions, c’est l’intérêt général. Tout le monde s’aperçoit, aussi bien Philippe Petitcolin (CFE-CGC), Francis Fontana (Sud Industrie) que la CGT, que ce n’est pas la même bagarre que quand on négocie une augmentation salariale. Tout le monde à mesurer les enjeux. Tout le monde à mesurer qu’il fallait prendre ses responsabilités. On diverge sur la forme, mais si le fond est partagé, il n’y a aucun souci pour la CGT.