NON, MONSIEUR JOFFRIN, KANT NE ROULAIT PAS EN MEGHAN !
Dans son édito de Libé daté du 13 janvier, M. Laurent Joffrin sollicite… Kant pour défendre la monarchie britannique à la dérive.
Avec beaucoup de hauteur de vue… apparente, l’éditorialiste favori de la gauche bobo écrit notamment : « Rappel : les peuples de la terre – on peut le regretter – sont regroupés en Etats-nations. On peut soupirer devant cet état de fait, rêver d’une vaste organisation de la fraternité humaine – «Imagine there’s no country…», chantait John Lennon – comparable à la République universelle imaginée jadis par Emmanuel Kant. Mais cette utopie, commune au rocker de Liverpool et au philosophe de Königsberg, n’est pas advenue. Pour le meilleur et pour le pire, les nations existent ».
Monsieur Joffrin, il est faux que Kant ait jamais rêvé d’une République universelle hors sol et parfaitement dénationalisée. C’est plutôt là le rêve d’un eurocrate contemporain, comme il y en a tant pour peupler les colonnes de Libé. Kant a explicitement condamné comme la pire forme d’oppression l’idée d’un Etat mondial (on dirait aujourd’hui « globalitaire ») et il a non moins explicitement proposé, dans son Projet de paix perpétuelle, une fédération d’Etats souverains préservant la paix. Et il a aussi, par anticolonialisme avant la lettre, LIMITE le droit cosmopolite. Mais pour cela, tous ces acteurs de la future « paix perpétuelle » doivent tous commencer par s’abstenir…
· de toute ingérence dans les affaires d’autrui (cf les « articles préliminaires au Projet de paix perpétuelle »).
· de toute guerre pouvant mener à l’extermination de l’une des parties belligérantes ou, a fortiori, à l’extermination de toute l’espèce humaine, unique sujet connu du droit. Il n’y a pas de droit à détruire le droit, ni à éliminer les partenaires futurs d’un prochain traité de paix
Bref, c’est à contresens que Kant est pris pour le précurseur du cosmopolitisme néolibéral actuel et qu’il est présumé déplorer l’existence des Etats-Nations. Libé, qui a applaudi à l’élimination de Kadaffi, ainsi qu’à toutes les ingérences de l’Occident dans les pays de l’Est et du Sud, qui a soutenu les traités supranationaux européens qui nient la souveraineté politique et économique de nos pays, qui applaudissait dans les années 70/80 les fulminations d’un André Glucksmann « préférant succomber avec son enfant dans un échange de Pershing et de SS 20 plutôt qu’imaginer (le petit Raphaël) entraîné vers une Sibérie planétaire », n’a donc aucun titre à invoquer Kant. En un mot, Kant n’était pas cosmopolite mais INTERNATIONALISTE.
Quant à Méghan et aux Windsor, puisqu’il les aime tant, nous les abandonnons bien volontiers au patron de Libé.
Pauvre Jean-Paul Sartre. Ce philosophe largement anticapitaliste et anti-impérialiste a jadis financé ce journal dans l’après-68. Mais contrairement à Joffrin, Sartre avait lu Kant, ce grand défenseur de la République française révolutionnaire. …
Georges Gastaud, ancien professeur de philosophie en Classes préparatoires aux grandes écoles scientifiques. Lens.