Sollicité par Denis Collin, Georges Gastaud a répondu à ses questions pour le Collectif National pour la souveraineté et la justice sociale
Comment apprécies-tu l’état dans lequel se trouve la République, son évolution depuis deux années de pouvoir macronien notamment sur les plans politique, social, démocratique ?
Réponse de Georges Gastaud[1]
En 2017, le PRCF a catégoriquement refusé le chantage de la fausse gauche sommant les démocrates de voter pour Macron-Thatcher pour, prétendument, « faire barrage au fascisme ». Pour autant nous n’avons pas banalisé le vote lepéniste ; entre les deux tours, nous avons milité pour qu’un maximum d’ouvriers ayant voté FN au 1er tour (notamment dans le Nord) se reprenne et s’abstienne au second. Nous n’en sommes que plus à l’aise pour qualifier le pouvoir macronien de fascisant. Parce que Macron est missionné pour précipiter l’« ajustement structurel » européen de la France, parce que sa mission de classe est de broyer les acquis du CNR, les services publics, le « produire en France » (euro-fusions, délocalisations, CETA…), la souveraineté nationale (« souveraineté européenne »), la République une et indivisible héritée de la Révolution jacobine, et même la langue de la nation (basculement insidieux au tout-anglais prescrit par les traités transatlantiques), ce pouvoir ne peut qu’humilier et violenter en permanence le monde du travail, socle de la nation républicaine. Constater que le macronisme est fascisant ne signifie pas prétendre qu’il serait d’ores et déjà « fasciste » : ce serait en effet confondre l’acte et la puissance. Le concept de fascisation a été précisé par l’Internationale communiste lors de son congrès de 1935 dominé par Dimitrov et Thorez : par fascisation, on entend un processus de pourrissement interne de la démocratie bourgeoise qui se produit quand, la crise systémique du mode de production capitaliste s’aggravant, l’oligarchie bourgeoise se heurte à une indépassable crise de sa légitimité « démocratique ». Or c’est le cas aujourd’hui : Macron ne peut même plus aller tranquillement au théâtre ou au Puy-en-Velay. Quant au jaunâtre Laurent Berger, ce chien de garde de plus en plus méprisé de l’euro-macronisme, il se fait chambrer dans ses propres locaux ! Quand l’hégémonie culturelle – que Gramsci définissait comme le « consentement cuirassé de coercition »-, en vient à se fissurer de la sorte, quand « ceux d’en haut ne peuvent plus gouverner comme avant » tandis que « ceux d’en bas ne veulent plus être gouvernés comme avant » (Lénine), alors s’ouvre une période prérévolutionnaire qui, selon la manière dont elle est pertinemment traitée ou pas par les forces d’avant-garde, peut se développer en crise révolutionnaire effective ou, si les révolutionnaires ne sont pas à la hauteur de la situation, tourner à la pire réaction, au fascisme conçu comme la dictature terroriste des éléments les plus rétrogrades du capital financier. Par ailleurs, il faudrait être aveugle pour ne pas voir que cette fascisation est aujourd’hui une euro-fascisation qui accompagne la guerre de classe continentale que l’UE mène sans trêve contre les acquis sociaux et les souverainetés populaires : le socle idéologique de cette euro-fascisation même plus rampante est cimenté par l’anticommunisme et par l’antisoviétisme à retardement, lesquels infectent la conscience sociale dès les bancs du collège. Il serait suicidaire pour elles que les forces démocratiques françaises abandonnent majoritairement les communistes de l’Est – et tôt ou tard, ceux d’ici ! – à la vindicte de cette UE revancharde, désireuse d’araser l’héritage de 1945 (où, selon le mot de De Gaulle, « la Russie soviétique a joué le rôle principal dans notre libération »). C’est ainsi que les eurodéputés (de Bardella à Glucksmann Fils en passant par Jadot et par les LR !) ont voté une résolution honteuse qui renvoie dos à dos le Troisième Reich et l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques. De tels amalgames visent à banaliser les nazis, qui paradent de Kiev à Vilnius, tout en criminalisant le communisme (et à travers eux, toutes les forces anticapitalistes) sur l’ensemble du sous-continent. On ne peut donc dissocier la résistance à la libéral-fascisation macroniste, le refus de banaliser l’ultra-droite et la dénonciation d’un projet euro-atlantique qui est, de A à Z, antinomique des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité qu’est censée honorer la République française.
Quelle analyse fais-tu du mouvement de grève qui vient d’agiter la France ? Comment apprécies-tu la mobilisation comme celle des GJ ?
G. Gastaud – Tout d’abord, à l’heure où j’écris, ce mouvement ne cesse de rebondir et de changer de formes sans que la colère populaire ne “refroidisse” en rien : ports bloqués, centrales nucléaires à l’arrêt avec piquets de grève, facs et milieux de la culture en ébullition… Avec le PRCF, j’ai appelé dès octobre 2018 à soutenir les Gilets jaunes (et j’ai moi-même revêtu ce gilet sur un rond-point de Lens) en saluant cette pré-insurrection populaire qui émane principalement du prolétariat le plus précarisée et des TPME et qui porte d’opportunes références à la Révolution française (drapeau tricolore, Marseillaise, bonnet phrygien, assimilation de Macron à Louis XVI, etc.). Le mouvement de défense des retraites par répartition qui a suivi a contribué à réactiver le lien entre mouvement social et CNR, sachant que tous les acquis que nous défendons contre la submersion euro-libérale, retraites solidaires, statuts, Sécu, code du travail, nationalisations, conventions collectives nationales, éducation NATIONALE de qualité pour tous, etc., sont inséparables de l’action des ministres communistes de 1945, ces parias des manuels scolaires qui glorifient l’UE et réécrivent l’histoire à l’usage des collégiens.
La force du mouvement actuel, c’est d’être géré démocratiquement « en bas » et à l’inter-pro et de se battre pour le retrait du projet gouvernemental en refusant d’amender la contre-réforme. Sa faiblesse tient surtout au refus des états-majors syndicaux confédéraux à dénoncer ces chevaux de Trois de l’UE et du grand patronat que sont, à l’intérieur du mouvement ouvrier, la CFDT et la Confédération européenne des syndicats, présidée elle aussi par L. Berger. Grave faiblesse aussi que le refus des centrales syndicales, y compris parmi celles qui soutiennent la lutte, de remonter, par-delà Macron, aux « recommandations » européennes qui dictent à la France la feuille de route de sa dissolution sociale et nationale. Comme la casse du Code du travail et la privatisation de la SNCF, le régime unique de retraite est un diktat de Bruxelles visant à « faire des milliards d’économie », Macron et Philippe se chargeant, avec l’aide secourable de la CFDT, de fournir l’habillage « équitable » de la contre-réforme. Or comment peut-on vaincre un ennemi que l’on refuse de nommer complètement ? Plus grave encore, faute de dénoncer l’UE, on obstrue la perspective politique, qui passe non seulement par la démission de Macron, mais par le Frexit progressiste dans une perspective anti-oligarchique. Or, sans alternative politique lui faisant face de manière cohérente, nul pouvoir bourgeois n’a jamais lâché un fifrelin aux travailleurs. Si les ouvriers en grève ont gagné en 1936, c’est qu’il y avait le Front populaire antifasciste à l’arrière-plan des occupations d’usine. Si en 1945 le grand patronat compromis avec Vichy a « lâché » pas mal d’acquis, c’est qu’il avait peur d’un PCF obtenant 29% des voix, d’une CGT de cinq millions d’adhérents… et d’une Armée rouge qui venait de prendre Berlin par ses seules forces : cela a clairement été froidement confessé par Denis Kessler, alors numéro 2 du MEDEF, dans un édito tristement fameux de « Challenges » (novembre 2007). Souvenons-nous aussi qu’aux législatives de 1967, De Gaulle n’avait sauvé sa majorité parlementaire que d’une voix ; à gauche, le PCF pesait alors 22,7% des suffrages, il combattait l’OTAN et la « construction » européenne et les statuts du Parti faisaient encore référence à la dictature du prolétariat. Quant à la Gauche « démocrate et socialiste » de Mitterrand, elle ne pesait que 17% des voix à la veille de mai 68… On peut discuter pour savoir si une telle perspective « unitaire » n’était pas illusoire étant donné le parcours très douteux d’un Mitterrand, mais, à tort ou à raison, elle fonctionnait comme un levier pour les mobilisations sociales et elle surplombait la tête des dominants comme une épée de Damoclès… Mais aujourd’hui, qu’avons-nous en guise d’alternative visible ? De vagues parlotes municipales entre Fabien Roussel, qui refuse de sortir de l’UE, des Verts euro-béats et un PS discrédité et… acquis à la retraite à points ! Or le peuple français a déjà « payé pour voir » entre 1997 et 2002, quand sévissait le gouvernement social-privatiseur des Jospin, Voynet et autre M.-G. Buffet ! Et surtout, le lepénisme peut désormais servir de recours ultra-répressif au capital, à l’instar de Salvini en Italie ou de l’AFD en RFA. Il urge donc de rendre visible une alternative unitaire, centrée sur le mouvement ouvrier, 100% antifasciste et anti-UE. Sans cela, impossible d’offrir un débouché politique aux luttes et de fissurer le « bloc à bloc » annoncé des duellistes-duettistes Le Pen et Macron. Le programme d’une véritable alternative ? Frexit progressiste antifasciste, anti-impérialiste et anti-oligarchique pour reconstruire la République indépendante, sociale, populaire, démocratique, pacifique et écologiste. Sans crainte non plus, pour nous communistes, de remettre au cœur de la problématique le socialisme pour la France sur fond d’Europe des luttes non pas dans, mais contre l’UE !
Concluons en disant que, quel que soit les résultats revendicatifs obtenus au total, les Gilets jaunes et le mouvement pour les retraites auront additionné leurs impacts pour délégitimer le pouvoir macroniste. Même si celui-ci est soutenu minoritairement par tout ce que notre pays compte de néo-versaillais, la crise politique, potentiellement prérévolutionnaire, est là et bien là. Même si la vindicte de classe frappe les militants de l’avant-garde sociale, le mouvement populaire ne désarmera pas et les leçons de l’hiver 2020 ne seront pas oubliées.
Quel est à ton avis le point de départ de la crise républicaine ? Hollande, Sarkozy, etc. ? Comment expliques-tu que l’alternance n’a rien changé et que la situation s’est toujours aggravée ?
Georges Gastaud – Sarkozy, Hollande et Macron n’ont fait qu’aggraver tour à tour la crise hégémonique : ses racines plongent profondément dans un système capitaliste obsolète qui flirte avec ce que j’ai appelé l’exterminisme. Car structurellement, le capitalisme, dont Marx disait déjà qu’il ne produit la richesse qu’en épuisant la Terre et le travailleur, n’amène plus que des régressions. De ce fait, le « réformisme » et la social-démocratie entrent eux aussi en crise : le capital n’ayant plus de « grain à moudre » maintenant qu’il n’y a plus de camp socialiste mondial, le capitalisme revient sur les compromis antérieurs et, sur le plan international, il se permet toutes les agressions, de la Palestine enterrée par Trump à Cuba harcelée comme jamais. Il faut aussi dénoncer les traités européens qui fournissent à la fois, de manière totalitaire, les règles du « jeu démocratique » et le résultat programmé dudit « jeu » : on choisit entre les bruns, les roses, les bleus, les rouges pâles, les verts pomme et les bleus marine, à la fin c’est toujours la dictatoriale Europe de Berlin qui gagne ! C’est ce qu’avouait Juncker quand il disait qu’« il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens » , lesquels prescrivent toujours plus d’austérité, de privatisations, de dépenses militaires écrasantes et de traités transatlantiques étouffants. Il faut donc inverser et renverser le propos de Juncker : il n’y aura plus de démocratie possible en Europe et en France, y compris d’un point de vue formel, sans rupture, y compris unilatérale, avec les traités européens. Plus que jamais vaut la phrase de Jaurès : « l’émancipation nationale est le socle de l’émancipation sociale ». A condition de faire valoir la réciproque, car les nationalistes qui agitent le drapeau national tout en bâillonnant les communistes et les luttes sociales (comme le fait Kaczynski à Varsovie) n’apportent même pas l’indépendance : ils renforcent seulement la fascisation dans le cadre de l’UE en terrorisant les « allogènes », en piétinant les droits des femmes et en ménageant l’ennemi principal de chaque nation : ses propres oligarques capitalistes.
Quelles sont les mesures indispensables qui devraient être prises demain dans le cadre d’un changement de pouvoir ?
Georges Gastaud – Au PRCF nous résumons les choses par l’expression quatre sorties. Sous peine d’« y rester » définitivement, la France doit sortir de l’euro, ce dispositif austéritaire continental fait monnaie unique, de l’UE, ce carcan supranational dominé par Berlin, de l’OTAN, cette machine à mondialiser les guerres yanquis et à encercler la Russie, toutes choses que nous inscrivons dans la visée révolutionnaire d’une rupture avec le capitalisme. Au positif, il faut reconstruire les outils de la souveraineté nationale en tous domaines, monétaire, budgétaire, commercial, industriel, agricole, linguistique et culturel, militaire, diplomatique ; nationaliser les banques et les autres secteurs-clés de l’économie (avec des pouvoirs d’intervention étendus pour les travailleurs), étendre comme jamais les droits démocratiques, retisser des coopérations internationales tous azimuts et d’Etat à Etat de manière à ébrécher la « concurrence libre et non faussée » du Traité de Maastricht. Dans le cadre de cette souveraineté nationale et populaire en reconstruction, il faut stopper toutes les contre-réformes, les euro-privatisations, les euro-fusions et les délocalisations, réduire les inégalités sociales, augmenter les petits et moyens salaires directs et indirects, reconstruire les services publics, l’école laïque et la protection sociale. Pas une minute à perdre non plus pour entreprendre sans ménagements la dé-fascisation des appareils d’Etat répressifs et la démocratisation des appareils idéologiques d’Etat : sans quoi nous subirons à coup sûr le sort d’Allende ou au mieux, celui d’Evo Morales. En un mot, il faut mettre en pratique le mot d’ordre du CNR : « mettre le monde du travail au centre de la vie nationale ». Cela suppose d’affronter jusqu’au bout le grand capital dont le cœur de stratégie est la « construction » euro-atlantique ; c’est déjà ce qu’exposait en détail le manifeste du MEDEF intitulé BESOIN D’AIRE (2012). Dans le cadre de cet affrontement de classes qu’est la reconquête de l’indépendance nationale, la question « Qui l’emportera ? du grand capital ou de la classe travailleuse ? », ne manquera pas de se poser. C’est pourquoi, en tant que marxistes, nous ne séparons pas la question de l’indépendance nationale de la question du socialisme et d’une vraie démocratie populaire pour notre pays. Sont objectivement complémentaires l’émergence d’un rassemblement populaire majoritaire (ouvert à toutes les forces patriotico-républicaines mais centré sur le monde du travail), la reconstruction d’un parti communiste de combat (qu’a détruit la « mutation » du PCF), d’un syndicalisme de classe en pleine résurgence et d’une gauche antifasciste, patriotique et populaire refusant à la fois l’UE, Le Pen et tous ceux qui les cautionnent : c’est nécessaire pour que le rassemblement anti-UE ne se déporte pas vers le nationalisme réactionnaire et pour que les travailleurs salariés, c’est-à-dire 90% de la population active, restent le centre de gravité du Frexit progressiste. Sans cela, il n’y aura ni Frexit ni progressisme social.
Comment sauver ce qui peut l’être et rétablir ce qui doit l’être, tant sur le plan social que démocratique, qui fonde la république sociale ?
Lénine, qui n’avait rien contre telle ou telle réforme améliorant le sort immédiat des travailleurs, précisait toutefois qu’en régime capitaliste, les réformes sont la retombée des luttes révolutionnaires. Aujourd’hui le réformisme traditionnel ne produit plus que des contre-réformes : logique, car lorsque les ex-communistes rallient la contre-révolution paneuropéenne travestie en « bouleversements démocratiques à l’Est », les « réformistes » d’hier, type CFDT, se muent en contre-réformistes avérés, en dames patronnesses des euro-régressions ! Car au fond, l’UE de Maastricht est à la Révolution d’Octobre provisoirement défaite ce que l’Europe de Metternich fut à la Révolution française momentanément battue par les forces de Restauration : une Sainte-Alliance continentale. Désormais, non seulement pour obtenir des avancées, mais pour simplement préserver les conquis et libertés existants, il faut briser les chaînes de l’UE, et ce faisant, ébranler le dispositif continental de la domination capitaliste : quelle erreur, typique de l’euro-trotskisme et de son internationalisme abstrait que de croire que le retrait français, par la gauche, du carcan européen, aboutirait au « repli national » alors que le Frexit progressiste pourrait au contraire enclencher un nouveau Printemps des peuples continental ! Il ne s’agit pas de dire « le socialisme mondial sinon rien » en cachant sous un verbe gauchisant une forme de complaisance avec l’Empire européen en gestation (en quoi du reste le supranationalisme serait-il moins grave, docteur, que le nationalisme traditionnel ?) ! En un mot, il faut mesurer la portée dialectique de la devise de Rimbaud : « il faut être résolument moderne : tenir le pas gagné ».
Pour cela, il convient de forger l’alliance anti-oligarchique des couches populaires et des couches moyennes ; c’est ce que nous nommons le F.R.A.P.P.E. : Front de Résistance Antifasciste, Patriotique, Populaire et Ecologiste. Cela suppose d’unir les deux drapeaux issus de la Révolution française, le drapeau tricolore de la souveraineté nationale, et le drapeau rouge que brandirent les ouvriers en grève contre la loi Le Chapelier en 1792 : ils inscrivirent alors sur cet étendard arraché à l’ennemi les mots fameux : « loi martiale du peuple souverain », formule concrète de ce que Marx appellera plus tard dictature du prolétariat. C’est pourquoi il faut oser affronter un certain gauchisme culturel qui oppose la Marseillaise à l’Internationale et qui, ce faisant, offre sur un plateau l’hymne national aux lepénistes tout en interdisant aux prolétaires de « devenir la nation » comme les y invitait déjà le Manifeste communiste. Il faut aussi lier les luttes sociales à celles du monde de la culture, en un mot les renationaliser pour les universaliser. C’est ce qu’ont commencé à faire les Chœurs de Radio France en entonnant dans la rue la Marseillaise de Berlioz ou le Va Pensiero du Risorgimento. Le monde du travail ne doit se laisser dominer, ni par l’union des euro-gauches petite-bourgeoises pilotées par le PS, ni par une prétendue « union des patriotes des deux rives » qui, faute de cibler le grand capital, la fascisation (qui ne se limite pas à Le Pen mais l’inclut en tant qu’aile marchante) et l’impérialisme français (d’autant plus toxique en Afrique qu’il est plus collabo dans l’Hexagone !), ne peut que banaliser le bloc euro-nationaliste en gestation autour d’un Dupont-Aignan qui fait jonction avec le clan Le Pen. Les travailleurs immigrés victimes des guerres impérialistes ne sauraient servir de monnaie d’échange à une telle « union des patriotes » ; car si le prolétariat doit devenir le cœur du front patriotique et populaire, il lui faut unir toute la classe travailleuse, française et immigrée, affronter sans ménagement la fascisation (qui cible en priorité les syndicalistes de lutte) et tendre la main aux autres travailleurs d’Europe, ainsi qu’aux peuples africains combattant le néocolonialisme français : ce que ne pourra ni ne voudra évidemment faire un nationalisme aux relents néo-mussoliniens de type Salvini. Car ce nationalisme réactionnaire est la flanc-garde de l’euro-mondialisation néolibérale, le symétrique national-populiste de l’union des euro-gauches. Si difficile que ce soit, il faut qu’advienne une gauche patriotique et populaire, non pas comme la force exclusive du rassemblement antimonopoliste, mais comme son fer de lance progressiste. L’urgence est à conjurer de la sorte le « bloc contre bloc » menaçant formé par l’étau politique que forment ensemble et concurremment l’euro-thatchérien Macron et la nébuleuse néo-versaillaise des Le Pen, Dupont-Aignan et Cie, ces périls mortels pour les syndicats et les libertés.
Serais-tu partisan de t’engager dans l’organisation d’« États généraux de la République » nationalement et localement pour faire le point et prendre les décisions qui permettraient d’agir ensemble, tout en permettant à chacun de garder ses spécificités.
Il faut certes encourager
tout ce qui peut fédérer les patriotes républicains et progressistes, briser le
duopole Macron-Le Pen, ouvrir une perspective 100% anti-Maastricht et anti-UE,
éventer les pièges idéologiquement symétriques d’une union des gauches
euro-compatibles et d’un « rassemblement des patriotes deux rives ».
Rien ne doit conduire à banaliser les faux patriotes lepénistes qui, sans
rompre avec l’UE, ne pourront qu’accélérer la chasse aux sorcières et la
répression. Surtout, il faut ancrer la perspective patriotique et progressiste dans
ce qui constitue le cœur des résistances citoyennes : les luttes du monde
du travail, des jeunes et des forces de la culture.
[1] Philosophe, secrétaire national du Pôle de Renaissance Communiste en France (PRCF). Derniers livres parus : Le nouveau défi léniniste, Delga 2017, et Lumières communes, traité de philosophie générale en cinq tomes, nouvelle édition, 2020.