Notre système de santé serait-il a ce points délabré suite aux coups qui lui ont été portés par les politiques successives de déconstruction de l’hôpital public, qu’il nous faille faire appel, nous 6ème puissance économique mondiale, à un petit pays comme Cuba, certes compétent, pour résoudre nos problèmes de santé ?
Les catastrophes ont pour conséquence de révéler toutes sortes de comportements : tant de la part des individus que des États. La pandémie de Covid-19 n’échappe pas à la règle : elle déclenche des gestes de solidarité, mais aussi des comportements égoïstes. Au niveau des États, la solidarité se traduit par des aides en personnels et matériels envoyés par certains pays, mieux équipés et organisés, à d’autres en situation de détresse, mais à l’inverse des réactions négatives émergent aussi, comme des replis nationaux, des vols ou des détournements de matériel de santé, au détriment de tel ou tel État. Pire encore, certains États privent de secours, tout ou partie de leur population, pour des raisons idéologiques ou politiques. Ce qui apparait alors, en toile de fond de notre société mondialisée, c’est la loi de la jungle.
La France, tout comme d’autres pays, a été prise au dépourvu par cette pandémie, au point que cette puissance mondiale n’a pas été en mesure de gérer la crise par ses seuls moyens : faiblesses à l’échelon décisionnel, manque de personnels et de certains matériels de santé. Gênant pour un pays qui se proclame « mère des arts, des armes et des lois » ! Est-ce pour cela que les grands médias de formatage ont été particulièrement discrets sur l’envoi de personnel médical cubain pour combler certains déserts médicaux aux Antilles françaises, en Guyane ou à Saint Pierre et Miquelon ? Il est vrai que Cuba jouit chez nos « élites« d’une réputation sulfureuse, inspirée par nos « amis américains » : il s’avère donc utile, en la circonstance, de rétablir un certains nombre de faits sur le système de santé cubain.
Cuba frappé par la pandémie de coronavirus
Au 14 avril 2020, Cuba comptait, pour une population de 11,28 millions d’habitants : 818 cas confirmés de COVID19 (+ 48 de la veille), 8 malades en état critique, 7 en état grave, 24 décès (+ 3) et 151 guéris (+16) (1).
Il s’agit de données prises à un instant T, certes comparaison n’est pas raison, mais il peut être intéressant pour alimenter la réflexion, de rapprocher ces données de celles de la France qui compte 6 fois plus d’habitants.
Au 18 avril 2020, la France comptait pour une population de 66,99 millions d’habitants (en 2019) (2) : 111 821 cas confirmés, 30 639 hospitalisations, 19 323 décès, 35 983 retours à domicile.
Un tel écart pose la question du pourquoi des performances du système de santé cubain ?
En 2017 Cuba comptait 7,7 médecins pour 1000 habitants (3). soit le ratio le plus élevé du monde, supérieur à celui des nations les plus développées. Le système de santé est public, c’est un monopole d’État. Il est considéré comme l’un des plus efficaces et des moins chers du monde.
Un système de santé basé sur la prévention.
Des médecins de famille, installés au plus près des habitants, en constituent la base. Ces médecins se déplacent chez les patients et non l’inverse : le patient est vu dans son environnement, ce qui améliore la qualité du diagnostic et des soins et y ajoute une dimension sociale : les personnes vulnérables et marginales ne sont pas laissées pour compte. L’attention aux catégories les plus fragiles constitue même une des priorités du système de santé. L’ensemble des prestations liées à la santé est gratuit pour les Cubains.
Un système de formation des personnels de santé mondialement reconnu
En 2017, 14 685 médecins et techniciens de santé ont obtenu leur diplôme à Cuba. Parmi eux 920 provenaient de 79 pays, dont 25 des États Unis (Cuba a formé au cours des années près de 170 médecins US, issus de milieux défavorisés).
Depuis 1959, ce sont 165 920 médecins qui ont été formés à Cuba, dont 33 973 médecins étrangers provenant de 129 pays.
Parmi les 34 écoles de médecine cubaines, l’ELAM (Escuela Latinoamericana de Medicina), l’une des plus grandes écoles de médecine du monde, qui se revendique une vocation à la fois scientifique et sociale « école de science et de conscience », avait formé depuis sa création en 1998 plus de 28 500 médecins étrangers (données 2017). La formation, à l’origine entièrement gratuite pour tous, est devenue payante en raison des difficultés économiques du pays, mais elle reste tout à fait abordable et les étudiants les moins fortunés peuvent bénéficier de bourses payées par Cuba et / ou divers États…
Selon Ban Ki-moon, l’ancien secrétaire général des Nations Unies (2007/2016), l’ELAM serait l’école de médecine « la plus avancée au monde ».
Un potentiel de recherche et une industrie du médicament remarquables
Cuba dispose du premier centre de biotechnologie au monde, fort de plus de 20.000 employés, dont les recherches ont abouti à la création de nouveaux médicaments, diffusés dans le monde entier, pour le traitement de maladies cardiaques, de cancers de la peau, des poumons, du sein, de la prostate, des ischémies cérébrales, etc.
L’industrie pharmaceutique cubaine permet non seulement de traiter les habitants, mais elle exporte aussi ses médicaments vers plus de 50 pays dont l’UE. Sur 881 médicaments prescrits à Cuba en 2015, 560 étaient fabriqués dans le pays, 8 vaccins sur 13 destinés aux enfants cubains étaient produits à Cuba et les 5 derniers sont en cours d’élaboration. A la même époque 91 produits biotechnologiques dont 33 vaccins contre les maladies infectieuses étaient à la disposition du service de santé, dont des produits oncologiques, des médicaments cardiovasculaires, etc.
Des médicaments emblématiques, comme l’Heberprot-P destiné à éviter l’amputation du pied en cas de diabète, ou un vaccin contre la méningite cérébro-spinale B & C, ou un anticorps monoclonal destiné à la lutte contre le cancer, sont vendus dans près d’une trentaine de pays…
A ces performances en matière de recherche et de production de médicaments, il faut ajouter la considérable expérience clinique, acquise tant dans le domaine des épidémies que dans celui de la médecine de catastrophes, suite aux nombreuses missions humanitaires effectuées à l’étranger depuis plus de 50 ans.
Une situation de crise gérée au plus près
Le président Miguel Diaz-Canel et ses ministres en réunion de travail « coronavirus » (Photo Estudios Revolutions)
Chaque après midi, une réunion animée par le Président de la République, Miguel Diaz-Canel Bermùdez, le Premier Ministre, Manuel Marrero Cruz et le Ministre de la Santé publique, José Angel Portal Miranda, fait le point de la situation et le cas échéant, définit les dispositions à prendre. Ces réunions assurent le suivi du plan approuvé par le Gouvernement cubain pour la prévention et le contrôle du nouveau coronavirus sur l’île. La pandémie avait été prise en compte très en amont, et de nombreuses mesures avaient déjà été définies lors d’une phase dite « pré-épidémique ». C’est ainsi que, selon une déclaration du président Diaz-Canel, datée du 7 avril, tous les lieux où existe une transmission locale ont été mis en quarantaine.
Selon le chef de l’État cubain, le service de santé est en ordre de marche et la recherche sur un futur vaccin avance : « Je sais que beaucoup de personnes sont confiants dans la mise à disposition prochaine d’un vaccin et qu’ainsi le problème sera résolu » , mais il explique que pour le moment : « la première chose avec laquelle nous devons nous vacciner, c’est avec ce dont nous disposons : la discipline, la coopération et la solidarité. C’est cela le vaccin du moment et c’est ce qui peut nous conduire au succès face à la pandémie. Et nous allons aussi nous vacciner contre la désinformation et la névrose qui peuvent générer les fausses nouvelles qui circulent sur les réseaux avec une vision apocalyptique ».[…] « Nous, nous voulons affirmer, une fois de plus, que notre pays dispose d’un puissant réseau de moyens publics de communication sociale, qui en ces jours a démontré son professionnalisme, sa passion et son absolu engagement au métier de l’information et au devoir de soulager les angoisses logiques de notre population en ce moment ».[…] « Il faut informer de façon détaillée sur la situation réelle de santé de chacun. Sauvons-nous tous en sauvant la vérité. Avec la vérité, nous pouvons sauver. Et ne le faisons pas seulement pour la seule santé de chacun, faisons-le pour la santé de ceux qui nous entourent et parce que les milliers d’hommes et de femmes qui travaillent et prennent des risques chaque jour pour maintenir la vie du pays et accélérer la fin de la pandémie ».
Sans que le confinement soit total, de nombreuses mesures concernant la suspension des ventes de boissons alcoolisées à consommer dans les bars et restaurants et le maintien de la vente à emporter, la fermeture de certaines activités professionnelles non indispensables, la réorganisation des transports urbains, ont été prises de façon pragmatique , au plus près des informations émanant du terrain.
Malgré une forte mobilisation de la société civile, des incivilités et des conduites à risque sont encore constatées, le chef de l’État a invité les autorités provinciales à agir avec plus de fermeté à l’encontre des contrevenants.
Comment le système de santé cubain peut-il maintenir ses qualités dans un contexte économique défavorable ?
La chute de l’aide soviétique en 1991 et le renforcement concomitant de l’embargo américain, ont frappé durement le pays qui disposait de peu de ressources naturelles exportables. L’assouplissement de l’embargo US, esquissé sous la présidence Obama, a été à nouveau durci sous le mandat du président-voyou Trump, malgré les exhortations de l’ONU et de nombreuses organisations internationales.
La pandémie frappe Cuba alors que les sanctions contre son économie ont été aggravées par l’entrée en vigueur, quelque mois auparavant, en mai 2019, du titre 3 de la loi US « Helms-Burton », qui dans la pratique menace de poursuites toute personne « faisant des affaires avec Cuba » ! Ces dispositions ont augmenté les difficultés éprouvées par Cuba à obtenir les équipements et les matières premières indispensables à son service de santé et à son industrie pharmaceutique.
Un exemple : le rachat récent par la firme US « Vyaire Medical Inc » des fabricants suisses « imt Medical « et « Acutronic », qui fournissaient Cuba en respirateurs artificiels et équipements électroniques, a été suivi par la suspension de toute relation commerciale avec l’importateur cubain Medicuba.
Par ailleurs, récemment, un don de fournitures médicales, respirateurs, masques, kits de tests, destinés à combattre le Covid-19, offerts par le fondateur de l’entreprise chinoise Alibaba, n’a pu atteindre Cuba, la compagnie colombienne Avianca, qui compte un important actionnaire américain, aurait refusé de transporter ce don de peur de subir des sanctions.
Cuba se trouve donc en situation de se fournir en biens et matières premières « plus loin, plus cher », alors que ses recettes, notamment en raison de l’arrêt du tourisme, important fournisseurs de devises, ont baissé sous l’effet de la pandémie.
La qualité de la médecine cubaine, source de devises
En 2017 plus de 50 000 professionnels de santé cubains, dont 25 000 médecins, travaillent dans une soixantaine de pays du monde, (24 pays d’Amérique latine et des Caraïbes, 27 d’Afrique subsaharienne, 7 d’Asie orientale et du Pacifique, deux du Moyen Orient et d’Afrique de l’Est, ainsi qu’en Russie et au Portugal).
Cette aide médicale internationale constitue de loin la première source de revenus en devises de Cuba. Ainsi l’exportation de biens et de services médicaux, éducatifs et sportifs représentait (8,2 milliards de dollars), devant le tourisme (2,5 mds), ou l’envoi d’argent depuis l’étranger (2,5 mds).
L’exportation du savoir faire médical est non seulement une source primordiale de devises pour Cuba, mais aussi un instrument de sa diplomatie dans le concert des nations. C’est Fidel Castro qui a inauguré cette politique de coopération médicale internationale. Les prestations sont payantes autant que possible, (elles sont facturées dans près de la moitié des pays bénéficiaires), mais elles peuvent aussi être gratuites lorsque le pays bénéficiaire se trouve en situation d’insolvabilité (Haïti, Algérie, Venezuela, Pakistan, Nicaragua, etc.). Dans certains cas les malades ne pouvant être soignés sur place sont transportés à Cuba.
Dans le cadre de la pandémie Covid-19, des médecins cubains sont d’abord intervenus en Chine, au Venezuela et au Nicaragua.
Le 15 mars, le secrétaire d’État brésilien à la Santé, João Gabbardo, a demandé à Cuba de renvoyer les médecins qui avaient été expulsés pour empêcher le système de santé du pays de s’effondrer, alors qu’il luttait contre une pandémie en expansion.
Le 21 mars un premier groupe de 52 médecins, infirmiers + 1 logisticien est arrivé en Italie, tandis que le 30 mars une équipe de 39 médecins et infirmiers cubains débarquait dans la principauté d’Andorre.
Début avril 2020, 38 pays bénéficiaient ainsi du soutien médical de Cuba.
Pour la France de l’Outre-mer, suite à l’intervention d’une vingtaine de députés, soutenue par de nombreuses pressions émanant des départements ultra marins, un décret a été publié le mercredi 1er avril au journal officiel. Il autorise plusieurs territoires ultramarins à recruter des médecins, dentistes, sages-femmes et pharmaciens ayant des diplômes hors Union européenne, pour faire face à des déserts médicaux en outre-mer, mais aussi pour lutter contre l’épidémie de Coronavirus. Pour la sénatrice martiniquaise Catherine Conconne, la Martinique manque surtout d’ophtalmologues, de néphrologues, ou encore d’épidémiologistes mais : « nous n’avons pas de problème sur les services de réanimation, la Martinique compte près de 80 lits de réanimation et « pour le moment seulement 12 sont occupés ».
L’Outre-mer est pour le moment moins touché que l’hexagone par le Covid-19 : selon Annick Girardin la ministre des Outre-mer, 666 cas étaient détectés au 31 mars 2020.
On ne peut que regretter la lenteur des décisions des autorités françaises qui répondent enfin à une demande exprimée depuis de long mois. Ici encore ce qui est révélé par la pandémie du Covid-19 ce sont les difficultés de la gouvernance du système de santé français à prendre les décisions en temps et en heure.
Notre système de santé serait-il a ce points délabré, suite aux coups qui lui ont été portés par les politiques successives de déconstruction de l’hôpital public, qu’il nous faille faire appel, nous 6ème puissance économique mondiale, à un petit pays, certes compétent et expérimenté, pour résoudre nos problèmes de santé ? A contrario, Cuba démontre que malgré la forte pression économique exercée par son puissant voisin américain, il est possible de développer un service public de santé de haute qualité médicale et sociale, en dehors des préceptes de la doctrine néo libérale qui inspire nos dirigeants.
Beaucoup de questions restent cependant posées sur la nature de l’État cubain. Pour certains il s’agit encore et toujours d’une dictature (c’est ce que persiste à proclamer la propagande américaine), pour d’autres, avec la nouvelle constitution adoptée par référendum en 2019 avec 86% des suffrages, Cuba se situe dans le rang des démocraties. L’accusation d’esclavagisme est parfois portée contre le système d’envoi des personnels médicaux cubains à l’étranger, mais elle semble surtout proférée par des organisations ou des États inféodés aux USA où Trump continue obstinément une guerre larvée contre Cuba. Cela demande à être éclairci et expliqué à l’opinion…
Hubert Reys pour le Clairon de l’Atax le 19/04/2020
repris de : le-clairon-nouveau.fr
https://le-clairon-nouveau.fr/wordpress/blog/2020/04/23/coronavirus-cachez-ce-cuba-que-je-ne-saurais-voir/