Sans naïveté excessive, le critique cinématographique d‘Initiative Communiste est allé voir ce qui se présente comme une œuvre culturelle. Il est toutefois rappelé ici que cette sortie très médiatisée s’inscrit avant tout dans une campagne politique et diplomatique anti-russe et anticommuniste. Pour sa part, et comme l’a démontré l’historiographie de référence – notamment les travaux de Weathcroft, Tauger ou Himka (lire ici), le PRCF se positionne clairement contre la thèse de l’Holodomor, c’est-à-dire contre l’idée de la famine génocidaire organisée par Staline pour détruire les nationalistes ukrainiens. Ses positions globales sur le contexte historique de cette époque ont fait l’objet d’un document politique public [1] dont nous fournissons le lien…
[1] https://www.initiative-communiste.fr/archive/debat-sur-lurss-a-lepoque-de-staline/
CHOISIR L’OMBRE ?
« Retour à la normale » de l’antisoviétisme avec cette « ombre de Staline » congelée dans les placards pendant la crise sanitaire, de la réalisatrice polonaise Agnieszka Holland.
De Staline, on ne voit que le portrait. Son ombre s’étale au milieu du film et des couleurs blanches et brunes adoptées pour reconstituer la situation effectivement tragique de plusieurs régions de l’Ukraine en ce printemps 1933…. Le plus souvent A. Holland a le sens de l’image tirée d’une culture que l’on sent plutôt classique. Le contraste entre les sphères journalistico-diplomatico-mondaines de Moscou et la plaine enneigée où des loups pacifiques (!!!???) se promènent au milieu de diverses horreurs aurait pu donner lieu à une dérive poétique glaçante à la Larissa Chepitko (2).
Armé de candeur naïve et de sobriété, un joli minet frais émoulu d’un Sciences-Po britannique séduit, un peu brutalement, une de ses consœurs, trompe des Russes ivrognes pour, armé seulement d’un Leïca, s’aventurer illégalement et sans bottes dans la blanche steppe. Ce nouvel « héros positif » reste totalement impuissant face au drame historique. Arrêté puis libéré à la suite d’un miracle peu crédible, il finit par vendre ses souvenirs à Hearst, un magnat de la presse américaine qui fera ensuite (ou aura déjà fait) preuve de tendresse pour Hitler. Il aura auparavant rencontré George Orwell, enfermant ce dernier dans les seules controverses de leur époque. Parabole qui pourrait présenter de l’intérêt, sa « Ferme des animaux » étant largement citée. Elle est ainsi réduite à un outil de propagande conjoncturelle.
Les contradictions du personnage principal formaient un sujet en or pour superposer le drame politique et l’aventure personnelle. En attardant sa caméra sur les milieux politiques de l’époque tout en multipliant les allusions au « conflit Est-Ouest » d’après-guerre, voire aux différends diplomatico-rocambolesques actuels entre Londres et Moscou, la réalisatrice finit par brouiller les pistes. Tout à son souci propagandiste, le film passe à côté d’une belle problématique artistique. L’argumentation politique est facile à démonter, à la lumière de l’histoire…. sauf à laisser entendre que la construction d’une alliance anti-hitlérienne était une erreur. Malheureusement, dans un film ouvertement subventionné par l’État ukrainien actuel, fasciste, A.Holland laisse planer le doute à ce sujet. Elle laisse entendre que l’Occident dispose d’un droit d’intervention humanitaire sans limites. Elle oppose dos à dos, Londres et Moscou, village gallois et plaine ukrainienne. Jusqu’à quel point le cinéma peut-il user des raccourcis et des contrastes d’images pour imposer des thèses politiques à la mode en spéculant sur une légitime émotion? Constitue-t-il un bon outil pour la réflexion sur les logiques étatiques, le développement d’inégalités, les proximités entre la presse et le pouvoir ?
Quant à Staline, il s’en sort plutôt bien. Son rôle personnel dans les questions agricoles n’est jamais évoqué. Laisser entendre que l’admiration dont il a fait l’objet et la fascination qu’il exerce encore souvent, bien au-delà des milieux communistes, serait due à la seule corruption matérielle ne résiste évidemment pas à l’examen.
Commission Culture du PRCF, 26 juin 2020
2. Larissa Chepitko : réalisatrice soviétique ayant reçu l’Ours d’or du festival de Berlin-ouest pour « L’ascension » (1977)
NDLR Le film Mr Johns – L’ombre de Staline est financé notamment par le gouvernement ukrainien.
Pour compléter d’un point de vue historique et scientifique la question de la « Famine en Ukraine de 1933 » nous vous proposons :
- l’article d’Annie Lacroix-Riz paru sur Initiative Communiste le 11 avril 2017
L’ukraine bandero-maïdaniste et l’université française – par Annie Lacroix-Riz
- le livre de l’historien américain Mark B. TAUGER, dont les Éditions DELGA ont publié les travaux et dont Annie Lacroix-Riz parle dans ses conférences :
Famine et transformation agricole en URSS
Mark B. TAUGER, né en 1954, est spécialisé dans l’histoire de la Russie, de l’URSS et dans l’histoire de l’agriculture. Il est professeur associé à l’université de Virginie- Occidentale. Il a passé son Ph.D. (doctorat de recherche) en 1991 à l’université de Californie, à Los Angeles. Ses travaux portent notamment sur la famine soviétique de 1933, mais aussi sur l’ensemble du contexte agricole russe puis soviétique.
- la vidéo de la conférence d’Annie Lacroix-Riz de 2014
La campagne internationale sur “La famine en Ukraine”, de 1933 à nos jours
Bertrand BRISSET, essayiste, a publié 2 commentaires sous la vidéo d’Annie Lacroix-Riz que nous reproduisons, ci-après.
Bertrand Brisset Il y a 4 ans
L’intervenante est réellement passionnante. Certes, elle ne cache pas son engagement communiste ce qui peut expliquer parfois un certain manque de recul ici ou là et, peut-être aussi, une certaine « verve » dans son discours. Ceci dit, elle reste avant tout une vraie chercheuse universitaire digne de ce nom, avançant de manière scientifique sur l’élaboration de son travail et libre dans ses pensées car allant, évidemment, à l’encontre de la doxa en matière historique de l’Ukraine.
Je reviendrai simplement sur son analyse concernant le Vatican pendant la période du IIIe Reich et son rôle après-guerre dans la fuite des dignitaires nazis, notamment en Amérique du Sud. C’est évidemment une réalité mais il faut distinguer les hauts responsables à l’époque de l’Église catholique d’avec ses simples serviteurs, autrement dit, les curés, qui, eux, confrontés directement à l’abomination nazie ont payé un lourd tribut. N’oublions pas que le IIIe Reich avait pour but (non avoué mais réel), de supplanter à l’Église catholique le culte des anciens païens germaniques, autrement dit, de la faire disparaître purement et simplement! N’oublions pas non plus que ces fameux curés ont été les premiers à entrer en résistance, notamment en cachant des juifs, et ont personnellement payé un très lourd tribut d’exécutions et de déportations. Il faut donc faire le distinguo entre le curé de base et le Vatican. Ceci-dit, Annie Lacroix-Riz ne parle bien que du Vatican et de lui-seul. Il était néanmoins nécessaire d’établir cette différence historique.
Concernant la base de son travail sur la disette (famine si vous préférez) qui toucha l’Europe du sud-est au début des années trente, il est évident depuis très longtemps maintenant qu’il y a une totale récupération politique, d’abord anti-soviétique initiale, puis anti-russe plus récente qui va à l’encontre des réalités. Annie Lacroix-Riz ouvre d’ailleurs une parenthèse, certainement militante communiste, mais pas dénuée d’intérêt, en précisant bien qu’une famine engendrée par des problèmes climatiques (sécheresse, inondation…) dans un pays non-communiste sera notifiée comme « catastrophe naturelle » alors qu’une même famine engendrée pour les mêmes raisons mais dans un pays communiste sera notifiée comme « catastrophe politique ». Elle a tout a fait raison de faire cette parenthèse car, si on reprend la disette de 1932 soi-disant attribuée aux Soviétiques « pour organiser le génocide du peuple ukrainien », on omet deux facteurs essentiels qui sont les suivants:
1/ la famine ne dura que le temps des mauvaises récoltes dues à une suite de sécheresses et d’inondations successives mais s’arrêta lorsque les cultures furent à nouveau abondantes, soit, à partir de 1933. Si l’idée stalinienne avait réellement été de génocider le peuple ukrainien, il aurait de lui-même organisé la famine sur plusieurs années et, ce, indépendamment des conditions écologiques météorologiques. On voit bien que ça n’a pas été le cas.
2/ cette fameuse famine trop souvent attribuée à la seule Ukraine toucha en fait toutes les régions sud de l’URSS et pas seulement l’Ukraine, ceci aussi est une réalité historique. Il s’agit donc bel et bien en 1931/1932 de conditions météorologiques particulières comme il en est souvent arrivé dans le passé dans ces régions du globe et non d’une volonté politique.
Le problème, c’est que le IIIe Reich, à l’époque, ainsi que les plus anti-soviétiques, notamment anglo-saxons, se sont appuyés sur une fausse idée qu’ils ont eux-même véhiculée comme quoi cette disette avait été organisée par Staline lui-même et n’avait touché que l’Ukraine. Mensonge d’actualité à l’époque transformé en mensonge historique par là-suite et, plus grave encore, en doxa médiatique et universitaire ressortant – comme par hasard!!! – en doxa anti-russe au moment même où le duo Mendvedev / Poutine redresse la Russie post-soviétique (enfin, surtout post eltsinienne!) et revient sur le devant de la scène comme grande puissance internationale!
Enfin, le dernier point majeur exprimé par Annie Lacroix-Riz, c’est effectivement de faire le lien entre l’impérialisme occidental vis-à-vis des riches terres de l’Est, les champs pétrolifères du Caucase ainsi que le contrôle de la Mer noire (porte d’accès aux « mers chaudes ») qui est très ancien! L’arrivée d’Hitler au pouvoir n’est qu’une suite de cette histoire qui date de bien plus longtemps! Dans mon livre de la collection « l’Histoire racontée… » intitulé « La Roumanie dans la Grande guerre – mutations spatiales européennes de 1919 » j’avançais déjà le fait que nous sommes trop obnubilés par la guerre des tranchées à l’Ouest entre la France et l’Allemagne, car l’enjeu initial de la 1ère Guerre mondiale était bel et bien l’Europe de l’Est ainsi que l’Afrique via le Détroit des Dardanelles, via aussi l’allié turc (de l’Allemagne à l’époque), enfin, le contrôle de la Mer noire par les puissances des forces de l’Axe.
Contrôle des Dardanelles, extension à l’Est, isolement de la Russie, allié turc dans l’OTAN… Cela ne vous rappelle rien? Mais c’est exactement ce que nous avons aujourd’hui même avec le « Maïdan » organisé par la CIA en s’appuyant sur les groupuscules néo-nazis qui ont toujours été « cul et chemise » avec l’Occident depuis 1945 ainsi que le soutien aux organisations terroristes contre la Syrie de Bachar al-Assad ! Je dénonce moi-même ce « plan » depuis 2013 et cette intervention d’Annie Lacroix-Riz apporte effectivement de l’eau à mon moulin!
Bertrand Brisset Il y a 4 ans
Pour compléter ma réponse, j’exposerai simplement ma connaissance du terrain sud de l’ex-URSS, notamment Moldavie. Ancienne province roumaine intégrée à l’URSS en 1945, elle a une frontière avec l’Ukraine et est aussi composée de très riches terres fertiles nommées « terres noires » ou « tchernozium ». Ce sont des terres très fécondes pour l’agriculture qui ressemblent aux fameuses terres du Middle west américain. Ces terres moldaves sont la continuité des terres ukrainiennes au sud et on comprend dès lors la raison de leur convoitise par les puissances occidentales depuis des siècles (et pas seulement par Hitler mais bien avant encore!). Le problème de ces régions c’est, qu’effectivement, ces terres nourricières doivent conjuguer avec une météorologie compliquée. Proche de la Mer noire, le climat n’en est pas moins continental et, effectivement, les sécheresses sont fréquentes tout autant que les pluies diluviennes. Le paradoxe, c’est qu’en Moldavie (ou même en Georgie de l’autre côté de la Mer noire), on peut, à la fois, produire le meilleur vin du monde et à la fois perdre toutes ses récoltes, c’est valable pour de nombreuses régions du sud de l’ex-URSS! Cela n’a rien à voir avec la politique, fut-elle stalinienne en 1932 !
Enfin, le fleuve Dniestr qui débouche sur la Mer noire a toujours été un lieu de passage autant que de conquêtes et, ce, dès les vikings Varègues (qui fondèrent la « Rus' » primitive).
Je vous invite à poursuivre l’écoute de la conférence d’Annie Lacroix-Riz par la lecture de ces deux ouvrages directement issus de ma collection « L’Histoire racontée… », à savoir l’ouvrage de l’universitaire Inna Brisset « Transnistrie – Le poids des Empires » qui éclaircira la vision des enjeux géo-politiques de la Mer noire à travers les âges ainsi que des riches terres l’entourant. L’autre ouvrage, « La Roumanie dans la Grande guerre – mutations spatiales européennes de 1919« dans lequel j’aborde personnellement l’enjeu géopolitique allemand d’extension à l’est bien avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Vous trouverez les références sur Google ou sur ma page personnelle Facebook.