Dans une motion adoptée le 30 septembre 2020 par son secrétariat national, le PRCF a pris position en soutien aux travailleurs de Nouvelle Calédonie. La motion, cosignée par G. Gastaud, secrétaire national, F. Kassem, secrétaire national adjoint et animateur de la commission des relations politiques intérieures, A. Monville, secrétaire de la commission internationale du PRCF et G. de Staërck, secrétaire de la commission J.R.C.F., exprime notamment :
En application des accords de Nouméa entre la France et les différentes parties calédoniennes, et même si cette procédure de consultations populaires à répétition est très atypique, un nouveau référendum sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, que le FLNKS souhaite rebaptiser Kanaky, se tiendra le 4 octobre 2020 sur toutes les îles de l’Archipel.
(..) La question de principe de la décolonisation de ce territoire d’outremer ne fait évidemment pas question, au regard de l’exploitation et des humiliations dont sont victimes les populations locales, les travailleurs en tête. Il est en revanche nécessaire de discuter de deux sujets majeurs pour l’avenir des populations et des travailleurs de Nouvelle-Calédonie : d’une part, la forme de décolonisation, posant la question de la sortie formelle ou pas de la République française ; d’autre part, l’orientation ou pas de l’indépendance kanake vers le socialisme.
Car si sortie il y a, il faut s’interroger sur les conditions d’une telle sortie pour la viabilité économique du territoire, pour son indépendance réelle par rapport aux puissances impérialistes de la région autres que l’impérialisme français, mais aussi pour les garanties démocratiques à apporter à l’ensemble des populations non kanakes – natifs descendants de métropolitains, mais aussi populations ouvrières d’origines vietnamienne, franco-réunionnaise, malgache ou indienne travaillant dans l’extraction du nickel, et dont bon nombre vote jusqu’ici pour le maintien dans la République française.
En outre, certaines personnalités de l’archipel, dont le fils de feu Jean-Marie Tjibaou, président-fondateur du FLNKS, ont publié dans Le Monde une tribune, affirmant vouloir sortir d’une confrontation « binaire » entre Caldoches et Mélanésiens et portent l’idée d’une société calédonienne « métissée », considérant que le colonialisme et donc le processus de décolonisation lui-même n’ont plus les formes qu’ils pouvaient prendre dans les années 1980. Ils rappellent qu’à la suite des accords de Nouméa de 1998, résultats de la lutte et des sacrifices du peuple kanak, des milliards d’euros ont été injectés par la métropole dans les îles où les Kanaks sont majoritaires, que le droit coutumier kanak y a même été officiellement restauré aux dépens de la loi française. Ils constatent aussi que cette manne financière métropolitaine destinée à contenir l’indépendantisme kanak a moins produit du développement et de l’égalité que de l’assistanat massif et de la désorientation générale, sans nuire aux intérêts des forces impérialistes de France.
Tous ces sujets doivent naturellement faire l’objet d’une discussion entre progressistes. (…)
Le PRCF ne manquera pas à ses devoirs patriotiques et internationalistes, lesquels sont à la fois de…
- soutenir les forces progressistes et anticoloniales historiques de l’Archipel (principalement le FLNKS),
- être attentif aux droits des minorités travailleuses autres que kanakes résidant et travaillant en Calédonie (les prolétaires du Nickel notamment viennent de tout l’Océan pacifique et indien) en cas d' »indépendance kanake »,
- ménager les relations futures entre une Kanaky indépendante et une France nouvelle en marche vers le socialisme, de manière à faire face alors en même temps aux contre-attaques des forces impérialistes, notamment étatsuniennes et assimilées, qui sont de plus en plus présentes dans le Pacifique
- et ne pas poser aux donneurs de leçons « transpacifique » alors que nous, militants du Pôle, sommes à des dizaines de milliers de km de Nouméa et que nous n’avons pas d’organisation communiste locale en capacité de nous conseiller. Au passage, on mesure à nouveau le grave déficit permanent qu’est pour le camp anti-impérialiste mondial, l’absence d’une Internationale communiste implantée mondialement.
La victoire du « Non » au référendum du 4 octobre, c’est-à-dire le maintien de la Nouvelle Calédonie dans la République française, ferait encore plus obligation au pouvoir français de traiter tous les Kanaks en citoyens français d’égale dignité, ce qui signifie ; développer massivement et égalitairement l’accès à l’éducation, aux soins, aux services publics, aux formations techniques et industrielles, avec, pour base économique du développement de l’Archipel, la nationalisation du nickel et sa gestion démocratique avec une forte représentation kanak dans l’administration et retour principal des revenus du nickel vers le développement productif de l’Archipel et non vers les coffres-forts des monopoles capitalistes.
La victoire du « Oui » ferait symétriquement obligation aux Kanaks et à toutes les communautés de l’île de se comporter fraternellement dans la nouvelle situation, de dépasser à marche forcée les clivages « ethniques » hérités du passé au profit d’une citoyenneté commune assumant toute la diversité culturelle de l’Archipel, de tout faire en somme pour que l’ensemble des populations « noires », « blanches », « jaunes » et « métissées », construisent ensemble une Kanaky nouvelle, libre et socialiste, cultivant des liens fraternels, pacifiques avec le peuple de l’ex-métropole comme avec tous les pays de la région, avec le souci de ne pas tomber de Charybde en Scylla en acceptant la mainmise d’un nouvel impérialisme (néo-zélandais, australien, états-unien ou autre) qu’il faudrait inévitablement combattre.
Le PRCF, dont les précurseurs et fondateurs étaient très engagés dans le soutien à la lutte pour une indépendance kanake et socialiste (la cellule de Lens du PCF qui a lancé le processus de formation de la Coordination communiste du PCF en 1991 s’appelait cellule Eloi Machoro…), est par principe anticolonialiste. Comme tel, il ne peut manquer de reconnaître les torts et les humiliations sans nom que les Kanaks, c’est-à-dire la population mélanésienne indigène, ont subis du fait de la colonisation française et de l’attitude méprisante à leur encontre d’une majorité de « Caldoches » (1). Il faut cependant aussi constater que les précédents référendums organisés depuis les années 1980 ont tous rejeté l’indépendance kanake, mais chaque fois avec des résultats électoraux en hausse pour le camp indépendantiste conduit par le FLNKS.
Dans ces conditions, le PRCF, qui se bat pour le droit à l’autodétermination et à l’indépendance de toutes les nations, et qui fait de ce principe pour la France même un moteur de sa politique de Frexit progressiste, comprend et partage l’aspiration indépendantiste forte des Kanaks et d’autres Calédoniens à transformer l’Archipel en un véritable pays. Dès lors, et même si nous comprenons aussi les progressistes antiracistes qui considèrent les Kanaks comme des Français à part entière et qui les invitent à bien réfléchir avant de « nous quitter », il appelle en conséquence les éléments non kanaks de la population à faire preuve d’esprit d’ouverture par rapport à cette aspiration.
Sans « donner de consignes » proprement dites, le PRCF soutient le travail des militants qui appellent à voter « Oui » lors du référendum. Le conseil de principe traditionnellement donné par l’Internationale communiste consiste en effet à demander aux communistes du pays colonisateur ou ex-colonisateur de soutenir l’émancipation des colonisés. Cela doit incliner naturellement les communistes français, et même les progressistes « caldoches » politiquement conscients, à voter « Oui » le 4 octobre. Mais le conseil léniniste, c’est aussi, à l’usage des militants progressistes et communistes des pays dominés qui combattent durement l’impérialisme « métropolitain », de donner un sens internationaliste à leur lutte anticoloniale ; donc de ne jamais cultiver la haine et le ressentiment à l’encontre du peuple de la métropole et de ses descendants locaux POUR PEU que ceux-ci abandonnent leurs complexes de supériorité ridicules et archaïques.
Nous sommes certains qu’une Kanaky socialiste et se référant au Che comme le faisait Machoro, saurait écarter tous les préjugés raciaux hérités de la période de domination « caldoche », qu’elle saurait tendre la main à tous les prolétaires et à tous les paysans du pays, qu’ils soient kanaks, « caldoches », venus de l’ex-métropole pour travailler le nickel comme ingénieurs ou techniciens, ainsi qu’à tous les travailleurs « non indigènes » du pays (en l’occurrence, travailleurs vietnamiens, franco-réunionnais, indiens, malgaches, etc.) qui contribuent à la production de richesses dans leur pays. C’est à ce prix que l’indépendance constituerait un tremplin, et non un frein, pour une Kanaky véritablement libre, fraternelle et socialiste.
(1). Les liens fraternels entre Kanaks opprimés et militants ouvriers français persécutés date de la répression qui suivit la mort de la Commune ; cette solidarité entre Kanaks et Communards a même été célébrée par la grande Louise Michel, figure de proue de la Commune exilée en Nouvelle-Calédonie sur ordre d’Adolphe Thiers…