C’est un pan bien connu des syndicalistes qui l’ont vécu mais désormais occulté, l’histoire de la fracturation du mouvement syndical sous l’influence de l’impérialisme dominant au sortir de la Seconde guerre mondiale. L’historienne Annie Lacroix-Riz s’est penchée comme toujours à travers un minutieux travail d’analyse des archives et de recoupement des sources sur ce qui s’est passé durant les 10 années de la période 1939-1949.
Des travaux d’un enjeu non seulement historique mais totalement contemporain : au moment où certains théorisent une soi-disant coalition des mouvements syndicaux sous le timbre d’un « syndicalisme rassemblé » qui a vu la CGT intégrer la Confédération Européenne des Syndicats/CSI et son secrétaire général Martinez s’inféoder à Berger de la CFDT, ces recherches viennent rappeler qui et pourquoi.
Le résultat de ces recherches : Scissions syndicales, réformisme et impérialismes dominants vient de paraître aux Éditions Delga (Paris, 335 p.) Un ouvrage qui gagne à être mis entre les mains de tous les syndicalistes.
L’unité a assuré, depuis la fondation du syndicalisme, la puissance et la cohésion de la classe ouvrière et des salariés. Elle fut la cible permanente du patronat national et de l’État à son service, secondés, à l’ère impérialiste, par leurs homologues allemands et américains : ces derniers, investisseurs de capitaux à l’étranger, avaient aussi besoin d’écraser les salaires, donc d’abattre la résistance ouvrière en en divisant les forces. Le camp patronal, unifié lui, trouva d’emblée d’efficaces alliés contre les syndicalistes combatifs dans les éléments réformistes, majoritaires dans les pays du « Centre » impérialiste. L’intervention étrangère se développa pendant les années 1930, où le Reich allemand organisa, y compris parmi les salariés, la non-résistance à son invasion puis à son exploitation directe des ressources des pays visés. Elle se déploya pendant la guerre, où les États-Unis préparèrent leur installation définitive en Europe en tout domaine, sphère syndicale incluse. L’immixtion de cette super-puissance, considérablement renforcée par le deuxième conflit mondial, emprunta partout des formes similaires. Une gigantesque corruption du syndicalisme « modéré » en assura précocement puis en consolida, via les dollars du Plan Marshall, le succès : témoignent ici d’une situation générale les exemples français, britannique et allemand. Avant-coureur d’une tutelle globale, le contrôle du syndicalisme, dans chaque pays et au niveau international, constituait la condition sine qua non d’une exploitation maximale des salariés européens. La transformation spectaculaire en loups garous, via la propagande et la répression de « Guerre froide », des militants les plus combatifs, fort appréciés des salariés, surtout depuis la guerre, facilita et accéléra la réalisation de cet objectif.
Annie LACROIX-RIZ, professeur émérite d’Histoire contemporaine à l’université Paris VII-Denis Diderot, a notamment publié : Aux origines du carcan européen, 1900-1960. La France sous influence allemande et américaine, Paris, Delga-Le temps des cerises, 2016, Industriels et banquiers français sous l’Occupation, Paris, Armand Colin, 2013, Les élites françaises, 1940-1944. De la collaboration avec l’Allemagne à l’alliance américaine, Paris, Armand Colin, 2016, et La Non-épuration en France de 1943 aux années 1950, Paris, Armand Colin, 2019.
Table des matières :
- Préface, 5
- La défaite de 1940 : l’interprétation de Marc Bloch et ses suites, 15
- La scission de 1947 (1943-1947), 55
- Autour d’Irving Brown : l’AFL, le Free Trade Union Committee, le département d’État et la scission syndicale française (1944-1947), 97
- Recension de l’ouvrage de Peter Weiler : British Labor and the Cold War, 157
- La reconstitution du syndicalisme ouest-allemand : stratégies occidentales et triomphe américain 1945-1949, 175
- 1947-1948 : Du Kominform au coup de Prague : L’Occident eut-il peur des Soviets et du communisme?, 269
Index nominum, 327