Situation : Des communes asphyxiées dans une France décomposée
En 2020, la France est composée de moins de 35.000 communes, soit une réduction de plus de 1.700 communes depuis l’adoption des funestes lois MAPTAM (Modernisation de l’Action publique territoriale et d’affirmation des métropoles) en janvier 2014 et NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République) en août 2015.
Si la question de la fusion et de la recomposition communales peut se poser (à elle seule, la France concentre 40% des communes de l’ensemble des pays membres de l’UE, et plus de la moitié des communes compte moins de 500 habitants), la politique des euro-gouvernements successifs débouche, de fait, sur l’« évaporation » (Édouard Balladur) des communes et la décomposition de la France.
Les enquêtes réalisées par le Centre de la vie politique française (Cevipof) ces dernières années montrent le désarroi et l’« évaporation » progressive des communes, dont témoigne un certain nombre de chiffres :
- Si le taux d’abandon des maires en 2020 a été moins fort qu’annoncé, près de la moitié des maires ne souhaitait pas se représenter à l’automne 2018. Le taux d’abandon est plus prononcé dans les communes de moins de 3.500 habitants (souvent autour de 30%) et pour les communes moyennes de 10.000 à 30.000 habitants.
- Plus du 1/3 des maires estime ne plus disposer des moyens financiers nécessaires pour mener à bien leurs missions. Il en résulte des démissions croissantes « subies » ou « fortement contraintes » de la part de nombreux maires.
- Près de 80% des maires estiment que l’intercommunalité a une forte influence sur leur commune – autrement dit, l’actuelle « intercommunalité », en réalité supra-communale, assèche la vie démocratique et détruit la souveraineté des communes.
- Près de 7 maires sur 10 rejettent « la réorganisation des services déconcentrés de l’État » (ce chiffre étant plus élevé pour les communes de moins de 10.000 habitants) et 75% s’opposent à la loi NOTRe. Cela se traduit concrètement par la disparition des services publics de proximité (17% des maires réduisent ces services face à la moindre dotation de la part de l’État) et une plus grande concentration à l’échelle supra-communale, euro-métropolitaine et euro-régionale.
- Enfin, les communes (surtout rurales) voient leurs dotations financières diminuer, ce qui débouche parfois sur des situations rocambolesques : en 2015, Patrick Jacques, maire de Montmachoux (Seine-et-Marne) dont la dotation financière avait diminué de 5.000 euros, repeignait lui-même les ralentisseurs de la commune. Ce constat surpasse les étiquettes politiques, comme le montre cet article de France Info en 2020 : « Pierre-Emmanuel Begny (DVD), élu en 2014 déplore le manque de moyens pour les maires et un rôle lourd à assumer au quotidien. « D’un côté, vous êtes responsable de tout ou presque, et de l’autre, avec la baisse des dotations notamment, vous n’avez pas les moyens ». Le boulot de maire ne le fait plus rêver : « Je pars en ayant le sentiment d’avoir fait le job : le boulot de maire est difficile, mais je n’ai pas de regrets. »
Les départements souffrent également, comme le signalait Christian Favier, sénateur communiste et président du conseil départemental du Val-de-Marne depuis mars 2015 :
« Pour le Val-de-Marne en 2016, la perte de DGF [Dotation globale de fonctionnement] sera de 63 millions d’euros, le reste à charge des allocations de solidarité sera de 105,7 millions d’euros, et la perte de recettes de CVAE [Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises] s’élèverait à 100 millions d’euros, soit un manque total de recettes de 269 millions d’euros, soit 20% du budget de fonctionnement de notre Département.
Une telle asphyxie financière va signifier à très court terme par exemple l’impossibilité de payer le RSA, mais aussi la disparition de tout un ensemble de prestations utiles à l’activité et au pouvoir d’achat, et un très grave recul de l’investissement public. »
Explication : Une structure administrative européiste féodalisant les communes et dissolvant le triptyque commune-département-État-nation
Pour comprendre et expliquer les difficultés des communes et des départements, il faut tout d’abord en finir avec la « légende noire » de la centralisation jacobine héritée de la Révolution française, accusée par le « girondiniste » Michel Onfray d’avoir « colonisé les provinces » et créé une « dictature totalitaire ». En effet, les communes, nées au Moyen Âge de l’émancipation des bourgeois (notables en tête) vis-à-vis des seigneurs, de l’Église et du roi, sont en réalité confortées et gagnent en autonomie sous la Révolution, après avoir été placées sous la tutelle directe de l’Intendant général du royaume de France. En opposant communes « libres » du Moyen Âge et « totalitarisme jacobin » de 1793, les nostalgiques « girondinistes » et antijacobins primaires produisent un énorme contresens historique, dont les conséquences se traduisent aujourd’hui par la désintégration et la balkanisation du territoire national.
1) Le lien indéfectible entre affirmation des communes et construction de la nation
Signalons d’abord le lien consubstantiel entre l’affirmation des communes et celle de la nation française dès le Moyen Âge. En effet, face à la triple opposition féodo-vassalique évoquée ci-dessus, et comme le signale Georges Gastaud dans Marxisme et Universalisme, « la stratégie des Capétiens notamment depuis Bouvines et Philippe Auguste, a consisté à s’allier avec la bourgeoisie communaliste (maintenue en position dominée) contre les grands feudataires pour unifier le royaume de France ; il faut ensuite saisir le « fil bleu » de cette histoire (le régime bourgeois issu de 1789 et préparé dès 1358 par l’insurrection parisienne d’Étienne Marcel) ». Parallèlement, comme l’indiquent les historiens Denis Menjot et Patrick Boucheron (La ville médiévale, 2011), « l’émancipation des villes face aux pouvoirs seigneuriaux n’était possible que dans la mesure où les communautés urbaines se dotaient d’institutions et d’instruments d’action et de gestion, capables de soutenir une lutte contre des adversaires qui disposaient, quant à eux, d’atouts considérables ». Cela nécessite donc une alliance non dénuée d’ambiguïtés (le roi doit ménager a minima l’Église et l’aristocratie pour conserver son pouvoir de plus en plus ultra concentré) et de rivalités.
Si le Moyen Âge joue un rôle central dans l’affirmation des communes, la Révolution française marque un tournant majeur dans l’affirmation des communes démocratiques. Ainsi, le décret du 14 décembre 1789 substitue les communes aux structures de l’Ancien Régime (échevinats, consulats, etc.), avec des mesures témoignant de la vitalité démocratique des communes : maire élu directement, assemblées par arrondissements et quartiers, Bureau municipal renouvelé chaque année, Conseil général de la commune contrôlant les finances et votant les textes importants, procureur représentant la commune (la plus importante étant la commune insurrectionnelle de Paris de 1793-1794), nombreux pouvoirs municipaux auxquels s’ajoutent les fonctions « propres à l’administration générale de l’État », débouchant sur la réaffirmation du nécessaire lien entre l’État central et les communes. De la même manière, les départements créés par le décret de 1790 remplacent les provinces féodales qui servaient les intérêts des aristocrates et des seigneurs qui profitaient de la faiblesse du pouvoir royal au Moyen Âge, puis de leur entente avec un monarque au pouvoir ultra-centralisé, pour exercer leur domination totale sur les masses et les classes populaires.
Dans son discours du 10 mai 1793, Robespierre promeut la liberté communale : « laissez aux communes le pouvoir de régler elles-mêmes leurs propres affaires en tout ce qui ne tient pas essentiellement à l’administration générale de la République ; en un mot, rendez à la liberté individuelle tout ce qui n’appartient pas naturellement à l’autorité publique, et vous aurez laissé d’autant moins de prise à l’ambition et à l’arbitraire ». Il démontre parfaitement la grossièreté caricaturale et mensongère des assertions des antijacobins (de fait, d’authentiques contre-révolutionnaires) primaires, non choqués de voir se reconstituer des féodalités locales.
2) Les communes face au triple étau de la décentralisation féodale, de l’ultracentralisation macroniste et de l’euro-austérité supranational
En réalité, les difficultés des communes et des départements résultent moins des « effets pervers » de la centralisation que de la décentralisation(dont le « pacte girondin » macroniste est, pour le moment, l’aboutissement suprême) assouvissant les communes et départements à un pouvoir concentré entre les mains d’une oligarchie euro-capitaliste qui vide l’État de son caractère « central » au nom de la « souveraineté européenne ». Cette politique appliquée par les euro-gouvernements successifs se traduit par :
- Une « intercommunalité » consistant en une supra-communalité avec obligation des communes d’intégrer une structure faussement « intercommunale » ;
- La dépossession progressive des communes de leurs compétences et pouvoirs au profit des « établissements publics de coopération intercommunale » (EPCI) concentrant de plus en plus de compétences (comme la gestion de l’eau et de l’assainissement), ce qui profite avant tout aux principales communes dominant les EPCI et aux « métropoles » à l’instar du projet de « Grand Paris ».
- La dépendance financière envers l’État qui réduit le montant des dotations financières et fragilise les capacités de « fiscalité propre » (l’autonomie financière est accordée aux collectivités territoriales en 1982) des communes avec la suppression – loin d’être compensée – de la taxe professionnelle en 2010 et de la taxe d’habitation en 2020.
- Parallèlement,la privatisation croissante des services comme les cantines scolaires, les crèches, la gestion des personnels administratifs et techniques, les transports, etc.
- À cela s’ajoute la disparition programmée des départements, condamnés à la fusion au sein d’établissements publics interdépartementaux (EPI, comme celui « associant » les Yvelines et les Hauts-de-Seine) et à leur remplacement par les « euro-régions » issues de la loi NOTRe de 2015, reconstituant de fait les grandes baronnies féodales dont le nom rappelle parfois les anciennes provinces médiévales (Occitanie).
Cette politique de décentralisation s’accompagne de l’affirmation d’un double pouvoir ultra concentré et antidémocratique :
- D’une part, l’attribution considérable de compétences aux préfets, dont la fonction – légitime – de représentant de l’État est progressivement transformée en une fonction d’exercice du pouvoir : le décret du 8 avril 2020 donne le pouvoir de déroger à une norme réglementaire nationale pour des domaines majeurs comme l’aménagement du territoire, l’urbanisme ou l’environnement. Cette vision macroniste « néolibérale » marque un retour à la période vichyste, lorsque les préfets ont accaparé les pouvoirs des conseils généraux et municipaux à l’automne 1940 ; il en résulte la sanctuarisation de l’état d’urgence permanent en remplacement de la loi unique et égale pour tous.
- D’autre part, le pouvoir fédéraliste et austéritaire de l’UE est accru, à travers la consécration des « euro-régions », « euro-départements » et « euro-métropoles » qui dérogent de plus en plus au cadre national uni (la « Communauté européenne d’Alsace » et l’« euro-département » de Moselle en sont les plus récents exemples, d’autant plus que l’amendement LREM du 12 juillet 2018 introduit le « droit à la différenciation des territoires » dans le premier article de la Constitution. Par ailleurs, le Comité européen des régions (CER) confère une influence essentielle aux euro-régions et aux euro-métropoles dans la définition d’un « aménagement européiste des territoires », ce qui affaiblit sévèrement les communes, les départements et les États-nations.
3) Une France balkanisée et démantelée par un ordre européiste contre-révolutionnaire
De fait, on insiste à une contre-révolution européiste se traduisant par la balkanisation de la France en euro-territoires différenciés – y compris juridiquement – et la dissolution de la République une et indivisible héritée de la Révolution française du fait du remplacement du triptyque communes-département-État-nation centralisateur par un triptyque associant les euro-regroupements locaux (supra-communalités et euro-métropoles), les euro-régions et l’UE supranationale qui a confisqué les souverainetés monétaire, budgétaire, législative, juridique et, de facto, linguistique, politique, économique et diplomatico-militaire (à travers l’OTAN).
En outre, elle ouvre la voie à la réaffirmation des régionalismes indépendantistes, à l’image de la proclamation d’indépendance de la Savoie le 4 octobre 2020 et des revendications pour que soit ratifiée la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. Ce dernier texte, signé – mais non (encore) ratifié – par Chirac et le gouvernement Jospin en 2000, est une bombe à retardement pour l’unité et l’indivisibilité de la République car :
- Il désétablirait le français comme langue commune de tou(te)s les citoyen(ne)s, tout en permettant à l’anglais de devenir de facto la « langue des affaires » (Seillière) et l’outil de « communication » privilégié des collectivités territoriales (notamment les régions) qui développent un « marketing » basé sur des nominations en anglais.
- Il briserait l’unicité de la citoyenneté française en établissant des « groupes de locuteurs » disposant de droits spéciaux – d’autant plus dans le cadre du scélérat « droit à la différenciation des territoires » ; or la citoyenneté et la souveraineté ne se partagent pas, y compris pour les élections municipales
- Il ferait sauter tous les services publics d’État nationaux puisque dans les faits, il faudrait être corse, picard ou alsacien et parler le patois du cru pour être nommé à tel endroit.
Les conséquences sont également désastreuses pour la vie démocratique : la dictature euro-austéritaire se répercute au niveau national, avec l’« évaporation » des communes et départements au profit de nouvelles féodalités décentralisées et fortement liées aux caprices d’un pouvoir ultra-concentré exercé non par l’État-nation, mais par un despote et son équipe de laquais – et ceci a commencé avant Macron, qui représente actuellement le stade suprême de l’autoritarisme euro-capitaliste et réactionnaire – concentrant désormais tous les pouvoirs au sein d’un « Conseil de Défense » effaçant, de fait, la représentation démocratique.
Solutions : Des communes émancipées, des départements régénérés, l’unité et l’indivisibilité de la République réaffirmées
Il est vital d’en finir avec la décentralisation et son corollaire, la concentration des pouvoirs au sein de structures supra– (donc anti-) démocratiques telles que les EPCI, les euro-métropoles, les euro-régions, etc. Cela nécessite bien entendu de sortir de l’UE, cette entité supranationale qui impose un nouvel ordre administratif et territorial totalement aux antipodes de la structure héritée de la Révolution française et basée sur la liberté des communes, l’égalité des départements et l’unité et l’indivisibilité de la République.
À l’inverse doit s’affirmer un triple mouvement assurant un fonctionnement à la fois unitaire et démocratique du triptyque communes-départements-État central, basé sur :
- L’autonomie démocratique des communes et des départements dans la décision et l’application des politiques impliquant des enjeux uniquement locaux ;
- Le contrôle démocratique des élus municipaux et départementaux par les citoyens ;
- La centralisation démocratique à l’échelon administratif supérieur, subordonnant donc les communes aux départements et les départements à l’État qui est chargé de garantir l’unité et l’indivisibilité de la République dans tous les domaines.
Afin que fonctionne ce triptyque, il est notamment proposé de :
1) Réaffirmer l’unité et l’indivisibilité de la République
- Abroger les modifications constitutionnelles stipulant que la France est une République décentralisée et qu’il existe un « droit à la différenciation des territoires ».
- Supprimer toutes les mesures prises à la suite de cette modification.
- Réaffirmer la République une et indivisible par l’unité et l’égalité absolues de la loi.
- Retirer la signature de la France de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires pour réaffirmer le français comme seule langue officielle de la République une et indivisible.
2) Redonner le pouvoir aux départements
- Abroger le statut administratif de la Région, le statut particulier de la Corse, de l’Alsace-Moselle et des « régions d’outre-mer », et les prérogatives du Conseil régional.
- Réintégrer dans la fonction publique d’État les personnels transférés aux régions.
- Déléguer aux conseils départementaux, élus démocratiquement, les missions de stricte application des lois et d’exécution des politiques nationales dans les départements.
- Permettre la coopération interdépartementale sur des bases de solidarité et d’égalité.
3) Favoriser l’émancipation démocratiques des communes
- Abroger les lois ayant instauré des coopérations supra- et intercommunales contraintes au profit d’une intercommunalité librement consentie.
- Instaurer le droit pour les communes de se retirer des contrats de pays et des EPCI.
- Faire renaître les communes disparues sous prétexte de « développement urbain ».
- Étendre les compétences et les moyens d’agir des communes en matière économique, de contrôle des opérations foncières, de l’environnement, de gestion des eaux, etc.
- Constitutionnaliser les conseils de quartiers et d’arrondissements disposant du pouvoir de contrôle sur les élus municipaux, et les conseils communaux disposant du pouvoir de contrôle sur les élus départementaux.
- Constitutionnaliser le référendum d’initiative citoyenne (RIC) à l’échelle communale pour des sujets afférant à l’existence administrative et financière des communes.