Par Georges Gastaud
« Ne jamais jouer avec le mot d’ordre d’insurrection »
Lénine
« Il faut considérer l’insurrection comme un art »
Marx
Révolté contre l’injustice sociale et indigné par le traitement chaotique apporté à l’épidémie par le régime Macron, le chanteur Francis Lalanne, par ailleurs sympathisant des Gilets jaunes, multiplie les appels tonitruants à renverser Macron, seul moyen à ses yeux pour que les grands principes républicains revivent dans notre pays. Communistes, nous sommes sensibles à cette problématique de radicale insoumission fondée sur l’idée, toujours révolutionnaire, que « seul le peuple est souverain ». Du reste, le PRCF n’a pas attendu de telles harangues pour, le premier, dès mai 2007, rappeler, à l’encontre de Sarkozy et de ses forfaitures répétées, le préambule de la Constitution républicaine de l’An I qui proclamait, à l’inspiration de Robespierre :
« QUAND LE GOUVERNEMENT VIOLE LES DROITS DU PEUPLE, L’INSURRECTION EST POUR LE PEUPLE ET POUR TOUTE FRACTION DU PEUPLE, LE PLUS SACRÉ DES DROITS ET LE PLUS INDISPENSABLE DES DEVOIRS ».
POUR UNE FRONDE DES « GODILLOTS »?
Cependant, lorsqu’il appelle le Parlement à renverser Macron, Lalanne est pour le moins naïf : l’écrasante majorité de godillots macronistes qui a été portée au Parlement dans le sillage de la présidentielle et sous le parrainage de Macron (avec, rappelons-le, 44% seulement des inscrits se déplaçant pour voter…) doit tout au président en place. En effet, le dispositif institutionnel typiquement bonapartiste du « quinquennat » soumet mécaniquement, en raison du primat de l’élection présidentielle sur les législatives et du fait de la quasi-synchronie des mandatures présidentielle et législative, le pouvoir législatif à l’exécutif et non l’inverse ; et ces messieurs-dames d’ « En marche! » ont autant de chances de renverser Macron qu’il existe de probabilités à ce que la Chambre des Lords renverse la Reine d’Angleterre et sa dynastie !
POUR UN PUTSCH « DÉMOCRATIQUE » ?
En revanche, quand F. Lalanne en appelle à l’armée pour renverser Macron et rétablir la démocratie, on se demande ce qui l’emporte chez lui de la naïveté ou de l’irresponsabilité. Comment une armée de métier structurellement coupée du peuple, formatée dans la haine du gréviste, du « coco » et du manifestant de gauche, principalement utilisée désormais non pour prémunir le territoire national d’une invasion (les régiments frontaliers de l’Est ont été pour l’essentiel dissouts par Sarkozy et l’armée actuelle est placée sous la tutelle de l’OTAN), mais pour maintenir l’ordre néocolonial en Afrique, pourrait-elle offrir au peuple la démocratie en paquet-cadeau à l’issue de ce qu’il faudrait bien appeler, un coup d’État militaire ? Rappelons que les deux dernières fois que l’Armée néocoloniale d’Afrique du Nord a menacé de renverser le pouvoir civil en France (1958 et 1962), cela s’est traduit soit par un coup d’État instaurant le pouvoir personnel du chef de l’État (ce qu’on appelle la « Cinquième République »), soit, en 1962, par une tentative de putsch fasciste mené par les ultras de l’Algérie française ; ce putsch militaire, qui faisait suite à celui de 1958, n’a été bloqué in extremis que par l’autorité du Général de Gaulle, sommant les militaires de « rentrer dans leur devoir », et par la réaction fermement républicaine et courageusement insoumise des appelés communistes membres du contingent d’Algérie. Bref, en appelant l’armée à prendre le pouvoir pour déposer Macron, F. Lalanne flirte à son insu avec l’extrême droite, laquelle ne cesse de titiller l’armée sur les réseaux sociaux pour la presser de renverser Macron : le but poursuivi par ces « anti-macronistes »-là n’étant évidemment pas de « rétablir la démocratie » et de relancer le progrès social, mais bien d’instaurer une dictature militaire de droite qui serait encore pire et encore plus sanglante pour le peuple que le très répressif régime actuel. En réalité, loin d’attendre que l’armée actuelle rétablisse la démocratie, il faudra à l’inverse qu’un grand mouvement populaire impose, le jour venu, la démocratisation radicale de la police, de l’armée et de l’ensemble de la vie politique; ce qui impliquerait, soit dit en passant, la mise en place d’une « Armée nouvelle » (selon le mot de Jean Jaurès) donnant des droits citoyens importants aux futurs soldats-citoyens et liant en profondeur les forces armées à la nation laborieuse.
L’INSURRECTION POPULAIRE ? CERTES, MAIS POUR ALLER OÙ ?
Finissant son appel par l’exhortation qu’il aurait dû placer en premier, Lalanne en appelle enfin à l’insurrection populaire. Voilà qui est plus logique car, le peuple étant la principale victime du régime oligarchique actuel, c’est à lui qu’il revient de chasser les potentats qui usurpent les charges publiques pour servir le grand capital et soumettre notre pays à la dictature supranationale de l’UE, une prison des peuples dont Lalanne, hélas, ne pipe mot. C’est ce type de soulèvement authentiquement populaire et républicain qu’ont accompli ou tenté d’accomplir nos ancêtres le 14 juillet 1789, le 10 août 1792 et lors des insurrections de 1830 (« Trois Glorieuses »), de 1848 (« Printemps des peuples ») et de 1871 (Commune), sans oublier les grands mouvements populaires du XXème siècle : 1936 (Front populaire), 1944 (insurrection patriotique parisienne dirigée par les communistes Tollet et Rol-Tanguy) ou grande grève prolétarienne et étudiante de mai 1968.
DE LA RÉVOLTE À LA RÉVOLUTION: construire l’organisation, porter une alternative programmatique!
Mais pour en arriver à une telle insurrection générale, et pour qu’en outre, cette insurrection s’oriente vers le progrès social et vers la souveraineté populaire et non pas vers une dictature réactionnaire menée par quelque « caudillo », il faut ORGANISER la classe ouvrière et UNIR le peuple autour du monde du travail. Car sans trêve ni repos, les médias du gouvernement et du capital, mais aussi les « grandes gueules » d’extrême droite qui accaparent les réseaux sociaux à coups de fausses nouvelles alarmistes, ne cessent de désorienter et de fractionner le peuple travailleur de France en opposant les vieux aux jeunes, les femmes aux hommes « en général », les fonctionnaires aux salariés du privé, les actifs aux chômeurs, les Français « de souche » à ceux « issus de l’immigration », les « chrétiens » aux « musulmans », les « néo-ruraux » aux urbains, etc. Et pour fédérer notre peuple et le rendre à nouveau irrésistible, il faut certes rappeler le droit républicain fondamental à l’insurrection – comme, rappelons-le, le PRCF l’a fait sans crainte dès mai 2007 face au Macron de l’époque (un certain Sarkozy…) –, mais encore et surtout réorganiser concrètement, méthodiquement, « invisiblement », une avant-garde marxiste-léniniste ancrée dans le monde du travail, soutenir le syndicalisme de classe et de lutte, oeuvrer au « tous ensemble en même temps », déployer une « Convergence Nationale des Résistances » apte à unir la nation laborieuse sur un projet tout à la fois républicain, antifasciste, patriotique, populaire, écologiste et internationaliste: sur ce qu’on peut résumer d’un mot en parlant d’alternative rouge et tricolore.
L’appel de Francis Lalanne est cependant salutaire en ceci qu’il témoigne de l’exaspération qui monte dans notre pays, et particulièrement dans sa jeunesse. Lalanne exprime à sa manière la force des aspirations républicaines, démocratiques et patriotiques qui animent en profondeur notre peuple ; mais sa harangue confuse révèle aussi, « en creux », par sa confusion même, la nécessité absolue d’un travail de fond, invisible, inlassable, rigoureux, « bolchevique » en un mot, qu’il faut poursuivre et approfondir d’une manière méthodique et disciplinée pour que les proclamations vagues, purement sentimentales, et par certains aspects, irresponsables, se transforment en mots d’ordre clairs, justes et percutants. Renverser le pouvoir, chasser les usurpateurs de la souveraineté populaire et les destructeurs du progrès social n’a jamais effarouché les vrais révolutionnaires et de ce point de vue, nous nous opposerions, faut-il le dire, à toute tentative de criminaliser l’appel de F. Lalanne ; encore faut-il savoir s’il s’agit de mettre en place un pouvoir populaire rétablissant la souveraineté nationale et marchant au socialisme ou s’il s’agit de remplacer la Macronie par un autre despotisme, encore plus brutal et sanglant et oeuvrant toujours in fine pour la même oligarchie capitaliste.
Et c’est à ce travail patient mais résolu d’explication et d’organisation que le PRCF convie les travailleurs, les jeunes et les citoyens les plus conscients en les appelant à rejoindre les militants franchement communistes et 100% républicains, antifascistes et anti-Maastricht que nous sommes. A ce prix, la « tempête sociale » craintivement annoncée par l’ex-premier ministre Edouard Philippe, pourra à la fois « virer Macron », mettre l’ultra droite à la raison et ouvrir la voie à unenouvelle Révolution française menant au socialisme-communisme dans notre pays.
Ce crétin cherchant par tous les moyens à faire parler de lui et appelant à l’aide le général de Villiers ne mérite même pas qu’on cite son nom!