Entretien avec Albert Papadacci de la CGT Korian (Groupe d’EHPAD). Chef de cuisine dans un Ehpad du groupe Korian, syndicaliste lanceur d’alerte, Albert Papadacci est attaqué en justice par son employeur, le groupe privé d' »établissements hospitaliers pour personnes âgées dépendantes » en raison de son témoignage dans le reportage diffusé le 18 novembre 2020, sur France 3, de l’émission Covid-19 : que se passe-t-il vraiment dans les Ehpad ?
Ce 11 mars 2021, la CGT organisait un rassemblement devant le Palais de justice de Paris pour le soutenir. Une délégation du PRCF Île de France était présente. Albert Papadacci a accepté de répondre aux questions d’Initiative Communiste pour expliquer les raisons de la lutte des salariés de Korian et leurs revendications.
Initiative Communiste : Pourriez-vous expliquer les raisons qui ont amené les salariés des EHPAD du groupe Korian à se mettre en lutte ?
Albert Papadacci : La CGT est présente depuis longtemps dans le groupe Korian (17 syndicats) et situe son action dans un ensemble de revendications parmi lesquelles l’augmentation du personnel formé ainsi que l’augmentation des salaires tout en l’inscrivant dans les luttes nationales des personnels de santé comme des travailleurs en général.
En mars 2020, personne ne sait vraiment évaluer l’impact de la pandémie. Pour autant, le 28/02/2020, le directeur général de Korian déclare que Korian est prêt à l’affronter, « qu’il ne faut pas arrêter l’économie européenne pour ça » et « qu’on allait tous mourir en bonne santé ». La stratégie de Korian consiste alors à plaider la « transparence » devant le CSEC et à affirmer que le matériel garantissant la sécurité sanitaire des personnels et des résidents sera mis à leur disposition.
À cette époque déjà, ayant conscience des restrictions budgétaires auxquelles sont soumis les directeurs d’établissements KORIAN, la CGT accueille ces déclarations avec scepticisme.
Le 24/03/2020, le directeur général de Korian affirme que l’ensemble des matériels sanitaires est disponible dans les établissements. Après vérification et recoupement des informations venant de tous les établissements, je constate que c’est faux et publie un communiqué.
Initiative Communiste : À partir de ce moment, comment s’est organisée la lutte ?
Albert Papadacci : Nous avons bien constaté que le matériel arrivait petit à petit. Mais il est certain que sa distribution n’a commencé que lorsque l’État a déclaré qu’il rembourserait le surcoût d’exploitation que représentait son achat pour le groupe. Cette mesure a immédiatement été contestée par la CGT qui a rappelé que l’employeur doit prendre des mesures nécessaires pour assurer la sécurité et la santé physique des salariés, et en fonction de la situation et des instructions des pouvoirs publics et que son coût n’avait pas à être assumé par la collectivité.
L’épidémie s’aggravant, les personnels comme les résidents sont de plus en plus touchés par la maladie : bientôt, une première plainte est déposée par une journaliste mettant en cause la gestion de Korian dans un Ehpad du groupe dans lequel est décédée sa grand-mère des suites de la COVID-19. La direction de Korian, en fait de « transparence », choisit d’entamer une fuite en avant dans la dissimulation en exhortant les salariés à se taire à propos de leurs conditions de travail et des conditions de vie des résidents. C’est alors que, constatant que le directeur général de la santé Jérôme Salomon omettait systématiquement de citer les chiffres de décès en EHPAD, j’ai entamé, la mort dans l’âme, leur décompte macabre en contactant chaque jour mes collègues dans les établissements du groupe. Lorsque Korian s’est fendu d’un communiqué annonçant que trois cents résidents étaient décédés des suites de la COVID-19, j’en étais déjà à six cents ! Mes chiffres ont été relayés dans un article de « Libération » et la direction de Korian, après avoir contesté leur bien-fondé, les a repris à son compte et contribué à asseoir la légitimité de la CGT comme garante des intérêts des salariés comme de ceux de ses résidents.
Initiative Communiste : Le groupe n’a pas fait un geste pour ses salariés pour reconnaître les efforts auxquels ils ont consenti pour garantir la santé des résidents ?
Albert Papadacci : La directrice générale du groupe a promis que le dévouement et l’abnégation dont les personnels ont fait preuve pendant le pic de la crise épidémique seraient récompensés par l’obtention d’une prime de mille euros que le groupe s’engageait à verser à brève échéance. La semaine suivante, le ministre de la Santé Olivier Véran s’engageait au nom de l’État, à verser une prime de mille euros aux personnels des Ehpad dont les sites se trouvaient en zones vertes (faible circulation du virus) et une prime de mille cinq cents euros à ceux dont les sites étaient situés en zones rouges (forte circulation du virus). Pour donner suite à cette annonce, la direction générale du groupe n’a rien trouvé de mieux à faire que de retirer la prime qu’elle avait prévue de verser aux salariés dont les sites étaient situés en zone rouge et s’est contentée de verser une compensation de cinq cents euros à ceux dont les sites étaient situés en zone verte. Lors du pic de la crise, les salariés ont certes travaillé pour préserver la santé des résidents. Néanmoins, ce n’est pas pour autant que leur travail a cessé d’être profitable pour les actionnaires du groupe. À vrai dire, le versement de cette prime de mille euros était bien la moindre des choses compte tenu des conditions de travail lors de cette période. Il est inadmissible que la prime de mille euros initialement prévue pour reconnaître le travail des salariés ne soit finalement pas versée sous prétexte que l’État choisit d’en verser une lui aussi. Depuis cette annonce, la CGT n’a eu de cesse de réclamer le versement de cette prime et plus de trois cents salariés se sont joints à son appel devant le siège du groupe le 16/06/2020 pour l’appuyer.
Initiative Communiste : Comment réagit Korian aux initiatives de la CGT ?
Albert Papadacci : Ils essayent de nous faire taire par tous les moyens. Lorsque j’ai interpellé les élu.es du comité d’entreprise (CEE) européen sur la plainte dont je faisais l’objet, le directeur des ressources humaines « Europe » a déclaré qu’il était scandaleux et déloyal qu’un membre du CEE interpelle ses homologues sur ses problèmes personnels avec la direction. J’ai répliqué qu’il était inadmissible de vouloir contrôler mes communications surtout dans la mesure où cette affaire était une affaire syndicale qui, à ce titre, concerne le CEE !
La plainte qu’ils ont déposée contre moi n’est qu’un autre symptôme de leur volonté de museler les salariés et de se débarrasser de la CGT.
Initiative Communiste : Pour quelle raisons le groupe Korian a-t-il porté plainte contre toi ?
Albert Papadacci : Lors de mon passage dans l’émission du 18 novembre 2020 sur France 3 « Covid-19 : que se passe-t-il vraiment dans les EHPAD ? », j’ai énuméré les fautes dont s’était rendu coupable Korian dans la gestion de la crise sanitaire pendant la période de mars à juin 2020. Dans cette émission étaient dénoncés tous les problèmes que la CGT fait remonter depuis des mois sur les conditions de travail, le manque de matériel, la priorité à l’économie au détriment des salariés. Depuis le début de la pandémie, la CGT Korian alerte sur la situation et sur la gestion de crise économique et capitalistique menée par Korian. La CGT en appelle d’ailleurs à la jurisprudence et aux « poursuites-bâillons » qui ont pu être engagées envers les lanceurs d’alerte, les journalistes ou les syndicalistes.
Initiative Communiste : Comment la CGT envisage-t-elle la riposte ?
Albert Papadacci : Le 11/03/2020, à 12h00, sur le parvis du tribunal (75017 Paris), la CGT appelle toutes celles et ceux pour qui « liberté syndicale » et « liberté d’expression » ne sont pas des vains mots à venir soutenir.
La CGT a souhaité faire de cette convocation un temps fort revendicatif pour la défense de nos libertés fondamentales. Il est purement scandaleux que dans un pays, qui s’enorgueillit d’être « la patrie des droits de l’homme », on s’attaque ainsi à des militants syndicaux, dont le seul tort est d’exprimer publiquement des revendications. Trop de syndicalistes, de salariés, de citoyen.nes, sont victimes d’agissements liberticides de la part d’entreprises et de l’État qui se donnent tous les droits ! La CGT dénonce ce nouvel acte de force. La liberté d’expression comme la liberté syndicale ne peuvent être remises en cause. Tout militant syndical, salarié est ainsi en droit de critiquer tant l’organisation de l’entreprise que les propos, les décisions ou les méthodes qui lui paraissent inappropriés.