Dans cet article, notre camarade Aymeric Monville interprète comme autant de symptômes du rapport historique à la Nation et aux Lumières l’éclatante découverte due à Champollion et celle, non moins éclatante mais à peine mentionnée ici et là, de l’archéologue François Desset.
Un Français, l’archéologue François Desset, a récemment percé le secret de l’élamite linéaire, une des dernières écritures qui restaient non déchiffrées, comme le sont d’ailleurs toujours celle de la vallée de l’Indus ou encore le linéaire A.
Mais la prouesse ne s’arrête pas là. En plus de montrer le lien de continuité entre le proto-élamite et l’élamite linéaire, M. Desset a prouvé que le proto-élamite iranien n’est pas un dérivé de son contemporain, le proto-cunéiforme mésopotamien, mais bien un système d’écriture orignal contemporain, inventé en parallèle à celui-ci.
Proto-cunéiforme et proto-élamite sont donc deux sœurs, apparues dans deux régions différentes (les tablettes d’Uruk et de Tal-i-Malyan sont contemporaines ; -3300 / – 3100) au sein d’un espace commun, de la Syrie à l’Iran en passant par l’Irak actuels, connaissant déjà des tablettes numériques et numéro-logogrammatiques utilisées entre 3500 et 3000 avant notre ère. Il n’y a donc pas de primauté d’une sous-aire géographique sur une autre. Pour résumer, l’écriture n’a pas seulement été inventée à Sumer, mais aussi et en même temps à Elam.
L’élamite linéaire, que François Desset propose de rebaptiser, conformément à la prononciation locale, « hatamtite linéaire » est un alpha-syllabaire de 69 signes, dépourvu de logogrammes contrairement au sumérien et à l’akkadien. Quarante inscriptions sont à présent connues. Après ses conférences, la publication des travaux de M. Desset est attendue pour 2021.
Auparavant, d’autres Français s’étaient illustrés dans ce type de découvertes renversantes. Notamment en perçant, après la découverte d’Ougarit en 1928, les mystères de l’ougaritique, langue écrite en cunéiforme mais constituée très étonnamment d’un alphabet, ou plutôt abjad, c’est-à-dire alphabet uniquement consonantique, ce qui est fréquent dans les langues sémitiques.
Et bien sûr on pourrait remonter à Champollion ou, plus loin encore, à l’abbé Barthélémy qui déchiffra les alphabet palmyrénien et phénicien.
Sans chauvinisme déplacé, d’autant qu’il y a eu également une coopération internationale, force est de constater que Massimo Vidale, le protohistorien organisateur de la conférence de Padoue où François Desset a fait part de ses conclusions, n’a pas hésité à y voir la confirmation d’une particularité et d’une excellence nationale :
« La France, par ce nouveau décryptage, maintient sa primauté dans le « craquage » des anciens systèmes d’écritures perdus ! » (Sciences et Avenir).
Dans ces conditions, on pourrait tout de même se demander pourquoi ni « nos » dirigeants ni « nos » médias ne parlent pas davantage de cette découverte à laquelle n’ont été consacrés que quelques articulets. Et si ce silence n’est pas dû à une forme de masochisme national ou à tout le moins d’absence totale de fierté patriotique. Il n’y aurait pas à chercher très loin les raisons très concrètes de ce profil bas : il suffit de penser à notre actuelle double soumission :
- Celle à l’Alliance atlantique au plan militaire, qui va, entre autres exemples révélateurs, jusqu’à nous imposer par exemple une russophobie et une sinophobie (et pourquoi pas, en l’occurrence, une iranophobie ?) gratuites, laïques et obligatoires, et des vaccins uniquement occidentaux.
- Celle à l’UE sous commandement allemand, qui faute de nous imposer la langue de l’occupant entre 1940 et 1944, nous oblige à parler une autre langue d’origine germanique, alors que – et c’est un comble ! – le Royaume-Uni vient précisément de quitter l’Union européenne. Rappelons que pour le regretté Umberto Eco, la langue de l’Europe est, ou devrait être, la traduction.
Si l’on compare avec l’époque de Champollion, ce n’est pas la découverte de M. Desset qui est moindre, c’est le contexte de sa réception auprès public qui n’est pas à la hauteur.
Certes, l’époque n’est plus au patriotisme échevelé, comme lorsque Champollion, fils de la Révolution (il était né en 1790), a dix ans lors du retour d’Egypte. La pierre de Rosette avait été finalement emmenée au British Museum par la perfide Albion, mais il put travailler sur copie et perça le mystère de l’écriture égyptienne en 1822.
Mais surtout derrière Champollion, il y a les Lumières, la lutte contre l’obscurantisme. Après l’élimination de l’écriture hiéroglyphique liée à la fermeture des temples païens par Théodose vers 380, le savant français fit parler ces siècles qui se contentaient de nous contempler. De plus, tous les témoignages grecs (Hérodote, Diodore de Sicile notamment) voyaient dans les hiéroglyphes une écriture métaphorique, symbolique, excluant par là une approche syllabique, phonétique, bien plus humaine, pratique, accessible. En effet, ce sont aussi ces préjugés plus ou moins ésotériques que Champollion a balayés. Le bonheur était bien une idée neuve en Europe, et pour le monde entier.
Derrière Champollion, il y a aussi ce que Bachelard aurait appelé « la cité scientifique », les 175 savants emmenés en Egypte par Bonaparte. Et derrière cet engagement scientifique, et sans nier le poids de l’impérialisme français, il y a une démarche opposée à celle que Bonaparte avait sans doute en tête lorsqu’il qualifiait l’Angleterre de « nation de boutiquiers ». Il est bien évidemment que nous ne voulons pas souligner par là un appât du gain excessif chez nos voisins d’Outre-Manche et qui nous serait étranger, mais le fait que le monde anglo-saxon a été – parlons sans ambages – le support d’un certain ethos capitaliste imposé aujourd’hui au monde entier comme un véritable lit de Procuste.
Enfin, derrière le nom de « Champollion », et cela restera pour les siècles de siècles, il y a le dévoilement de toute écriture sacrée. Instrument de légitimation du pouvoir qu’on exerce sur le peuple, permettant de se réserver le monopole du savoir, l’écriture est avant tout liée à l’imposition d’une société de classe. L’écriture est née dans la lignée de la comptabilité, du prélèvement d’impôts, des cités-États et elle imposa un gouffre entre ceux qui la pratiquaient et les autres. Mais comme la langue d’Esope qui est la meilleure et la pire des choses, l’histoire de l’écriture a ceci de dialectique qu’elle est aussi celle de sa longue marche vers la démocratisation : vers l’alphabet, vers l’utilisation de divers démotiques, vers la réforme des caractères chinois sous la Chine communiste, etc. Et qui dit démocratisation dit aussi déchiffrement.
Quoi de plus beau, donc, que l’humanité puisse lire son histoire comme à livre ouvert ?
Et cela participe à la beauté de la chose que ce soit un Français qui ait renouvelé ce geste et cette geste, et ce jusqu’à élargir le berceau de l’écriture à deux régions (l’Irak et l’Iran) qui furent si longtemps en guerre. Pourquoi est-ce important que ce soit un Français ? Car c’est un représentant de la langue qui, pour des raisons historiques, est, par son prestige et sa diffusion internationale, y compris à l’ONU, l’une des plus en mesure de porter un démenti à la domination présentée comme « naturelle » du tout-anglais. « Tout-anglais » avec lequel je ne confonds bien sûr pas la langue de Shakespeare et de Billie Holiday, mais ce dont il s’agit c’est bien de lutter « contre la pensée unique » imposée par une langue unique, pour reprendre le titre éponyme d’un livre incontournable de Claude Hagège.
Donc sans chauvinisme et sans cocoricos déplacés, mais en prenant conscience des enjeux symboliques importantissimes en matière linguistique, saluons non seulement cette récente découverte de l’élamite linéaire pour l’humanité tout entière mais aussi ce que cela peut signifier objectivement pour nous que cette découverte ait été portée par un Français.
Aymeric Monville, février 2021
Sources :
Conférence de M. François Desset
Numéro de Science et avenir, 7 décembre 2020