Alexandra Bellea-Noury avril 2021 –
Initiative communiste relaie cet article transmis par une camarade et journaliste roumaine au sujet de la réalité de la « transition écologique » en Roumanie. Si le titre laisse entendre une condamnation globale de la Roumanie de Ceausescu que le Pôle de Renaissance communiste en France (PRCF) ne partage pas – après tout, Ceausescu réussit à développer massivement le potentiel industriel d’un pays ruiné par la guerre et le régime fasciste d’Antonescu -, le propos de cet article, qui ne parle pas de l’ancien dirigeant communiste démontre magistralement la supercherie de la « transition écologique » à la sauce européiste. Une Roumanie détruite pas trois décennies de « thérapie de choc libérale » et par son intégration en 2007 à « l’Union européenne » qui, en moins de quinze ans, réussit à démanteler tout le travail accompli sous la démocratie populaire roumaine.
Plus que jamais, l’UE détruit les bases de la richesse industrielle des pays la composant pour les livrer aux spéculateurs et vautours capitalistes en tout genre au nom d’un prétendu « développement durable » ; faut-il pourtant rappeler que le conseiller environnement de l’UE est le fonds d’investissement Black Rock ?
Faut-il ici souligner que les mêmes diktats européens produisent les mêmes effets, du ravage d’EDF par le plan Hercule ainsi que celui de la centrale de Gardanne en France à celui de CE Oltenia en Roumanie?
Pour s’en sortir, il faut en sortir : Frexit progressiste, et vite !
Pour avoir une idée sur comment la transition verte (Green Deal) est menée dans le terrain, cela vaut la peine de faire un détour en Roumanie, l’un des pays actuellement les plus ambitieux dans ce domaine.
Le Green Deal est un document programmatique qui a été créé par la Commission Européenne fin 2019 puis voté par le Parlement européen début 2020. Chose moins connue, le projet date de 2008 et est issu des cercles autour du Prince Charles d’Angleterre (1). Le plan prévoit de faire une révolution industrielle en neutralisant les activités économiques émettrices de CO2 à travers des taxes et des certificats « carbone » et de subventionner et d’impulser financièrement les activités économiques écologiques. Le but est de réduire en 2030 les émissions de carbone de l’UE de 55 % par rapport à 1990 et d’atteindre les « 0 % » d’émissions de carbone en 2050. Un énorme changement au niveau financier est également prévu, avec une taxonomie des activités économiques à la clé, car les banques et les spéculateurs parieront de plus en plus sur le vert et de moins en moins sur ce qui est productif. Depuis cette décision historique, une marche forcée vers la neutralité climatique a été engagée et l’agenda de l’UE est serré. La première région à être impactée sera le Sud-Ouest de la Roumanie, l’Olténie qui deviendra une vitrine du Green Deal pas si belle à voir.
La Roumanie est déjà en train de se dépeupler à une grande vitesse : de 23 millions de personnes en 1989, elle est arrivée en 2021 à 19 millions, dont 4 millions travaillent à l’étranger. Les villes les plus touchées sont celles liées à l’exploitation du charbon. Une étude de l’UE montre que cette région du Sud-Ouest, notamment le département de Gorj, est une des régions les plus vulnérables face au Green Deal. Si le plan décarbonisation de l’économie est mené à bien et les centrales à charbon sont fermées, ceci risque de balayer les 380 000 habitants du département de Gorj.
Ce problème ne semble pas être d’une grande importance pour l’Union européenne, car la Commissaire pour la compétition, Margrethe Vestager, a lancé en février 2021 une enquête approfondie sur les aides d’État fournies par la Roumanie à Complexul Energetic Oltenia (CE Oltenia), le deuxième producteur d’électricité du pays et l’opérateur de plusieurs centrales thermiques à lignite local et des mines, situé dans Gorj. L’aide d’État est venue dans une situation d’urgence, car la compagnie doit obligatoirement payer ses certificats d’émissions de carbone jusqu’à fin avril. Dans le cas contraire, sa faillite sera provoquée par les amendes trop importantes pour pouvoir être payées.
Cette compagnie détenue en majorité par l’État assure en moyenne 22-24% de l’électricité du pays et pendant les périodes de grande sécheresse ou froid elle va jusqu’à 35%. Le Gouvernement roumain explique dans le décret d’octroi de l’aide financière, que sans CE Oltenia le réseau national d’électricité ne sera pas physiquement capable d’importer l’énergie nécessaire, et que sa fermeture mettra en danger la sécurité énergétique du pays. L’autre grande préoccupation du Gouvernement est le caractère mono-industriel du département de Gorj, siège de la compagnie, qui emploie dans ses multiples thermocentrales et mines 12 000 personnes. La fermeture de CE Oltenia équivaut à une mort économique subite.
Un marché pas si libre
Le principal problème de CE Oltenia est le système de droits d’émission de carbone institué en 2005 à la suite du sommet pour le climat de Kyoto de 1997. Si un marché européen a été organisé, où les entreprises « vertueuses» du point de vue climatique vendent leurs certificats et les autres les achètent, celui-ci est loin d’être libre, car le nombre de certificats est fixé par l’UE et il se rétrécit. Ainsi, les gros émetteurs, comme les anciennes centrales à charbon des pays de l’Est sont petit à petit financièrement « asphyxiés ». Si les prix étaient au début de 3 ou 7 Euros la tonne de carbone émis, ils sont arrivés à l’heure actuelle à 44 EUR/t. Ainsi CE Oltenia est en train d’acheter ce mois-ci les droits « carbone » à la dernière minute pour ses 7,1 millions de tonnes de carbone émis à un prix exorbitant. La date limite est le 30 avril et si la compagnie ne les achète pas, la faillite sera assurée par les 100 EUR d’amende à payer pour chaque tonne de carbone émise.
On peut remarquer que l’Union Européenne a une étrange vision de la « concurrence libre». D’un côté, elle a créé ce marché des droits d’émission de carbone, artificiellement contrôlée par ses directives. Ce marché est juteux pour les riches et coule les pauvres qui polluent plus. De l’autre côté, elle prend des initiatives pour empêcher les États d’intervenir pour aider les compagnies mises en difficulté par le jeu des certificats-carbone, au nom du principe du « marché libre ».
Même si CE Oltenia survit le 30 avril, et c’est ce qu’elle fera probablement grâce à l’aide d’État, la compagnie et ses employés devront passer par un « programme de restructuration”. Le gouvernement libéral roumain, très collaborateur, après avoir octroyé à CE Oltenia une autre aide d’urgence l’année dernière, a dû proposer sous pression européenne un plan de restructuration, sous peine de se retrouver devant la Cour de justice de l’UE. Le Gouvernement a annoncé fin mars « la plus grande mesure de décarbonisation du secteur productif de Roumanie. La capacité installée, basée sur du lignite, baissera de 3570 MW en 2021 à 660 MW en 2027, une réduction de 82% en 6 ans ». Ceci inclut la fermeture de toutes les unités de production, sauf 2 et des mines associées avec au moins 10 000 pertes d’emplois.
Et que met-on met à la place ? En compensation, le plan prévoit sur papier la construction de centrales à gaz et des sources d’énergie renouvelable, mais il reste très vague. Comme le critère de jugement pour les projets d’infrastructure est pour les investisseurs uniquement celui financier, le futur s’annonce compliqué. Dans le cadre de la nouvelle taxonomie européenne qui fera la différence entre les activités décarbonées, donc intéressantes pour les banques et les activités carbonées, donc intéressantes, le gaz a de grandes chances d’entrer dans la deuxième catégorie.
Le même type de raisonnement financier a également bloqué l’alternative nucléaire qui se dessinait à l’horizon. La centrale nucléaire de Cernavoda, sur le cours du Danube, devrait être élargie par les unités 3 et 4, mais les investisseurs européens ne font pas la queue pour ce projet jugé pas assez intéressant. En même temps, les partenaires stratégiques américains ont bloqué le mémorandum fait par les Roumains en 2013 avec les Chinois, sur des critères géopolitiques. Donc la seule solution qui a le vent en poupe, ce sont les énergies renouvelables, peu denses et intermittentes et surtout extrêmement lucratives du point de vue financier, car bien subventionnées. La presse roumaine annonce déjà 6 milliards d’euros engagés dans ce type de projets.
Une transition pas si juste
L’UE a annoncé en janvier 2020 un fonds pour une « transition juste » en valeur de 17,5 milliards EUR pour 2021-2027. Ce plan devrait financer la transition économique des régions les plus touchées par le Green Deal dans l’UE. Le ministère des Investissements et des Projets européens roumain annonce moins d’un milliard de ce fonds pour les 6 départements roumains visés. L’idée c’est de financer des activités écologiques comme le tourisme ou les énergies renouvelables. La somme et le calendrier nous laissent songeurs, si l’on sait par exemple que la centrale de gaz en chantier à Landivisiau, dans le Finistère, ne produira que 440 MW et coûtera 450 millions EUR. Cela veut dire que la transition juste offrira à toute la Roumanie quelque chose équivalent à deux centrales de Landivisiau.
Cette « transition juste » laisse plutôt l’impression d’une thérapie de choc. L’UE laisse aux gouvernements et aux communautés locales seulement quelques mois pour définir des projets de reconstitution du tissu économique, qui normalement devraient prendre de bonnes années. Voyons ce qu’en pensent les gens du terrain. Dans une émission de la radio locale de Gorj « Radio Infinit », le président de l’association « Pas cu pas alaturi de voi » (« Pas à pas à vos cotés »), Nicolae Ivanisi, qui suit le dossier de près, considère que ce plan de transition juste va tellement vite, qu’aux gens sur le terrain il est impossible de dresser un projet sérieux, mais que derrière il y a de grands investisseurs, qui eux, sont biens prêts. Ceci réduit au minimum les chances de la population locale de profiter de cet argent qui retournera aux grands groupes européens. On ne peut que donner raison à M. Ivanisi quand on voit « L’initiative pour les régions charbonnières en transition » de l’UE censée accompagner sur le terrain certains territoires dans la transition, alors que son secrétariat est assuré par Ecorys, une boite privée de consulting et une ONG, Climate strategies, spécialiste de la finance verte.(2)
L’activiste roumain dénonce également la participation des associations écologistes, comme Greenpeace ou Bankwatch, qui jouent plutôt un rôle de policiers au service de l’UE et de ses intérêts économiques que celui de défenseurs du climat. Ces associations, dont la deuxième est financée par le gouvernement allemand, surveillent et portent plainte après plainte contre le gouvernement roumain au nom du « marché libre ». Bankwatch ensemble avec Neuer Weg, une association locale régionaliste qui préfère le Prince Charles en Transylvanie à la place du président roumain, ont bloqué en instance le projet d’une hydrocentrale sur la rivière Jiu, presque terminée, destinée à alimenter 100 000 personnes en électricité. (3)
Et les gens dans tout ça?
La population est la première victime de ces jeux économiques et géopolitiques peints en vert. CE Oltenia embauche 12 000 personnes et dans le département de Gorj pratiquement tout le monde y travaille. Il faut mentionner qu’il n’y a pas que CE Oltenia qui est dans cette situation de quasi-faillite, mais c’est le cas de plusieurs fournisseurs d’électricité et des centrales de chauffage partout dans le pays. Les familles, les écoles, les hôpitaux l’industrie risquent des pannes d’électricité et des pannes de chauffage, comme c’est déjà arrivé récemment dans la ville de Deva restée sans chauffage central. (4)
Que feront les gens privés de leur emploi ? La moyenne d’âge des employés de CE Oltenia est de 50 ans, ce sont des gens physiquement cassés par le travail dur. On leur offrira probablement des cours de requalification pour devenir serveurs ou coiffeurs dans on ne sait pas quelle boîte privée. 10 000 emplois n’arrivent pas tous seuls. Ce qui se passera est ce que l’on a déjà vu dans la région d’à côté, celle de Valea Jiului, déjà touchée par la fermeture des mines : le dépeuplement. Les gens en état de travailler vivent du travail saisonnier effectué en Europe Occidentale dans des conditions qui avoisinent l’esclavage : dortoirs surchargés, douches trop rares et froides, travail de nuit, heures supplémentaires non payées avec des gens qui s’évanouissent de fatigue dans les champs.(5)
La mobilisation
Les syndicalistes de CE Oltenia dénoncent depuis des années les conditions de plus en plus dures de travail dans les mines et les thermocentrales, dans le contexte de l’étouffement par les certificats carbone et des économies qui sont faites sur le dos des travailleurs. Manu Tomescu, un leader syndical de la centrale de Rovinari parle d’un « génocide social ». Certains syndicalistes organisent depuis 11 semaines l’occupation de la place de la préfecture à Targu Jiu, le chef-lieu du département de Gorj. Ils sont même allés à Bucarest pour faire la grève de la faim car ils souhaitent que le parlement adopte une loi qui leur permette d’entrer dans la catégorie de « travail dans des conditions de pénibilité » et de sortir plus vite à la retraite.
Puisque les grévistes roumains de la faim ont enfilé des gilets jaunes, un comité de gilets jaunes français, nommé les « Gilets jaunes constituants » ont lancé le 17 avril une déclaration filmée devant l’ambassade de Roumanie à Paris pour montrer leur solidarité et la voie à suivre: une mobilisation de masse contre la cause du problème: le système financier international anti-humain. Dans leur déclaration les Gilets jaunes soulignaient le besoin de récupérer la souveraineté nationale face à la finance folle : « Face à l’ennemi, nous devons organiser un Front Uni des peuples contre l’oligarchie. Nous devons réaffirmer le droit au développement économique de chaque peuple en redonnant à chacun sa souveraineté monétaire, c’est-à-dire le contrôle citoyen sur la planche à billets pour pouvoir orienter l’argent vers le bien commun : l’hôpital, l’école, l’infrastructure vitale. » (6)
La Roumanie, comme toute l’Europe, n’a pas besoin d’un Green Deal financier et malthusien, mais d’un vrai New Deal créant des emplois productifs et une infrastructure d’énergie sûre et abondante. En effet, un vrai projet de transition économique serait basé sur des sources d’énergie pilotables et denses, comme la fission nucléaire et plus tard la fusion nucléaire. Le critère humaniste dans le choix énergétique devrait être la puissance par unité de masse et de surface, non pas la réduction des émissions de CO2.
(1) Notamment Tony Juniper, l’un des auteurs du rapport « A Green New Deal » de 2008 est de la plume du Prince Charles. Un autre proche du prince engagé pour pousser le Green Deal en Grande-Bretagne est Jonathan Porritt, ancien dirigeant de la « Green Party », un malthusien déclaré.