Kayla Popuchet est une jeune communiste américaine d’origine péruvienne de 23 ans qui a accepté en entretien autour de son trajet politique et militant. L’entretien qui suit est une transcription traduite de la conversation tenue en ligne le 4 mai 2021
KPG : Kayla, quelles sont aujourd’hui tes affiliations politiques ?
Kayla : Plusieurs choses, bon… Je suis candidate du Parti des Communistes USA. En tant que parti marxiste-léniniste, nous adhérons à la dictature du prolétariat, nous n’avons aucun problème à soutenir l’Union Soviétique, Lénine, Staline… Nous sommes avant tout marxistes-léninistes et nous voulons perpétuer la tradition du Parti Communiste USA des années vingt, de 1919… J’ai également initié l’organisation d’un collectif de Péruviens de la diaspora qui vivent en dehors du Pérou dans le monde anglophone. Nous faisons beaucoup de traductions de divers médias sur ce qui se passe au Pérou. Nous traduisons en anglais l’information pour les Péruviens ici aux États Unis et nous faisons des levées de fonds pour les organisateurs politiques, les militants au Pérou afin de les aider… Par exemple, 1 dollars US est équivalent à 3 soles péruviens ; par conséquent, les fonds que nous levons en dollars, en livres, en Euro peuvent avoir un impact signifiant pour ces mouvements. Je suis également membre de l’Alliance Noire pour la Paix qui s’adressent aux gens de descendance africaine dont je fais partie du coté de mon père. Beaucoup de gens en Amérique du Sud sont de descendance africaine. On oublie un peu ça… Voilà les quelques activités dans lesquelles je suis impliquée… sur quoi mon intérêt se porte.
KPG : Quand es-tu devenue militante… active politiquement ?
Kayla : Je dirai que ça a commencé quand j’avais 15 ans. Au départ, j’étais féministe. J’allais à l’école, je me trimbalais et j’étais souvent harcelée par des hommes plus âgés. Cela me rendait super inconfortable. Je ne sais plus bien comment c’est arrivé… j’ai lu cet article sur le harcèlement de rue et il décrivait exactement mon expérience, ce genre de sentiment où tu te sens super mal dans ta peau… Un sentiment d’être en danger. J’ai réalisé que c’est juste une expression de la violence contre les femmes mais bon, je n’avais que 15 ans… je faisais des recherches sur Google et évidemment, je ne tombais que sur un féminisme bourgeois, libéral… sur des gens comme Elizabeth K. Stanton, la déclaration des droits de la femme à Seneca Falls en1848 ; ce genre de féminisme spécifique qui est encouragé par l’État bourgeois. Ça a pris du temps pour arriver là où je suis. En 2013, je devais avoir 15 ou 16 ans quand Trayvon Martin a été tué. Il n’avait qu’un an ou deux de plus que moi et la grand-mère du gars qui l’a tué était Péruvienne. Ça a été un coup pour la communauté péruvienne, « Oh ! Georges Zimmerman est part-péruvien et il a tué Trayvon Martin… »; ensuite, un an plus tard, Éric Gardner a été tué à New York, c’est là où je vivais et où je vis toujours d’ailleurs… et ça, ça a été un truc vraiment énorme pendant mon adolescence. J’ai commencé alors à faire des liens… comment le racisme fonctionne… et comment des identités s’intègrent mais ce n’était pas une analyse de classe. Je ne suis pas arrivée à une analyse de classe avant 17 ans, en fait juste avant d’avoir 18 ans… Oui ! en 2015. Mes amis m’ont parlé de Bernie Sanders et c’était vraiment la première fois que j’ai commencé à chercher des alternatives au capitalisme. Autant j’étais démocrate, super-libérale mais je n’étais pas socialiste… Socialisme ? Oh ! Non, surtout pas ! C’est dingue, je n’avais que 15 ou 16 ans et je ne connaissais rien. J’ai donc exploré le monde de Bernie Sanders et ai découvert cette idée de socialisme démocratique… en fait de social-démocratie mais au moins, ça a été une introduction à une alternative vers autre chose. Et ça c’est important ; c’est à l’âge de 17 ans que j’ai vu mon arrière-grand-père pour la dernière fois. Lui était au Pérou, il a vécu toute sa vie au Pérou, bien qu’il ait dû quitter le pays pendant certaines périodes… pendant les dictatures d’Alan Garcia et d’Alberto Fujimori parce que mon arrière-grand-père était communiste, il était un journaliste communiste. Je ne pense pas que les gens connaissent son nom, Carlos Gustavo Gomez. Il a écrit un livre sur la création d’un Bidonville appelé Via del Salvador à Lima qu’il a facilité. C’était un bidonville mais c’était le premier bidonville collectiviste organisé par des communistes, des socialistes, des progressistes… C’est marrant mais Sentiero Luminoso… en fait non, ce n’est pas marrant, Sentiero Luminoso avait assassiné un… ce groupe attaquait les gens de la Via del Salvador ; en fait pour eux, tous ceux qui n’étaient pas « Sentiero Luminoso » étaient considérés comme des révisionnistes. Ils harcelaient tout le monde, même Maria Elena Moyano [ndlt, militante féministe afro-péruvienne importante assassinée par Sentiero Luminoso] … Bon, assez dit là-dessus ! C’était en 2016 ou 2017 ? Non ! Non ! c’était en 2014 ou 2015 que mon arrière-grand-père et moi avons discuter en face à face pour la dernière fois. Je passais mon temps dans son bureau, j’ai vraiment beaucoup de chance d’avoir eu mon arrière-grand-père pour toutes ces années… donc dans son bureau il avait une photo de Fidel Castro avec Che Guevara et une autre photo de Che avec l’inscription « Commandante ! » Lui et moi discutions nos idées … et il me disait, « le communisme, ça marche », Et moi je lui répondais, « Papa Carlos, tu ne comprends pas, comment peux-tu dire que le communisme marche ? Tu ne vois pas les gens à Cuba qui souffrent de la faim ? Ne vois-tu pas la brutalité de la dictature [cubaine], l’effondrement de l’Union Soviétique ? Il me regardait en disant « Mija, tu ne sais pas de quoi tu parles ! » « J’ai appris ça a l’école, je pense que je sais de quoi je parle » je lui répondais [Rires]. C’est marrant parce que mon arrière-grand-père connaissait Che, il lui avait parlé, il avait travaillé avec Fidel ; il écrivait des articles sur eux qui étaient publiés au Pérou. Mais moi, je lui disais, « Je sais parce que j’ai été à l’école à New York City ; je sais de quoi je parle » ! [Rires] Nous débattions… Ensuite donc je me suis tournée vers Bernie Sanders, tu vois, politiquement je parlais beaucoup même si je ne savais pas de quoi je parlais. Je parlais vraiment beaucoup [Rires]. Mais le truc c’est que quand tu parles beaucoup, tu dois expliquer tes idées, surtout quand tu viens de la gauche, les gens veulent toujours te défier. Il a fallu que j’apprenne à défendre mes idées politiques. Pour ça, il fallait que je lise beaucoup plus. L’une des choses que mon arrière-grand-père m’a permis de digérer, c’est que l’Union Soviétique, ce n’était pas si mal que ça, que Cuba n’était pas si mal ça non plus. Comment est-ce que je pouvais être une socialiste… et j’étais le genre de socialiste qui considère que les pays scandinaves sont des exemples. Mais ces autres pays socialistes, pourquoi sont-ils si mauvais ? Je ne suis pas sûre pourquoi mais mon développement politique a commencé quand j’ai compris les réussites de ces autres pays socialistes et aussi je réfléchissais sur les critiques que des marxistes me faisaient à l’époque. Ça m’a fait réaliser que si des gens qui sont encore plus à gauche que moi me critiquent, peut-être, faudrait-il que je réfléchisse un peu plus à ce que je dis. J’ai commencé à étudier un peu plus mais je pense que j’ai commencé à prendre le communisme au sérieux lorsque j’ai commencé à étudier l’impérialisme et quand j’ai réfléchi sur la situation de ma famille, comment ma famille s’est retrouvée aux États Unis, pourquoi il a fallu quitter le Pérou, comment l’impérialisme fonctionne au Pérou … et tu vois, comprendre l’histoire du Pérou, comprendre la relation entre… d’abord, pourquoi ma famille a dû quitter le pays et venir ici ? J’ai toujours de la famille là-bas ; seule une partie spécifique de la famille, en lien avec mon arrière-grand-père a dû partir… Donc étudier l’impérialisme m’a amenée vers le léninisme. J’ai quitté le parti des Socialistes Démocratiques d’Amérique et j’ai cherché un parti communiste. J’ai fini par tomber… Oui, bon ! À l’époque, si j’étais intéressée, ce n’était vraiment qu’une aspiration, je n’étais pas marxiste mais… je voulais être marxiste, je voulais étudier le marxisme. Il y a ici deux grands partis et d’autres… mais le trotskisme est vraiment important, en fait ici en Occident et surtout ici aux États Unis… je suis donc tombée sur un parti qui, je l’ai réalisé plus tard, était un parti trotskiste ; ils avaient des positions très semblables a celles que j’avais… sur Cuba, sur la RPDC, sur le Venezuela, sur la révolution hongroise, des gros trucs quoi… J’ai donc adhéré à l’un de ces groupes trotskistes et c’était parfait pour moi. Ils avaient un programme pour postulants pendant lequel, pour 6 mois, j’ai beaucoup étudié, une formation trotskiste mais ça a été une bonne éducation. Beaucoup de lectures mais aussi beaucoup de travail, tu dois prouver que tu veux vraiment être un membre du parti. J’ai organisé des rassemblements, toutes sortes de choses, j’ai créé des forums, j’avais de l’expérience… J’ai oublié de te le dire, quand j’avais 17 ans, je travaillais dans un restaurant comme aide-serveur et j’ai obtenu un internat dans cette entreprise à but non lucratif pour organiser les locataires dans leurs logements pour se protéger des propriétaires… donc par là j’ai acquis une expérience utile en organisation. J’ai fait ça pendant 2 ou 3 ans, alors quand j’ai adhéré à ce groupe trotskiste, je savais déjà comment faciliter des réunions, organiser des distributions de tracts, obtenir des signatures, j’étais remontée à fond… et comme je travaillais au restaurant, j’avais beaucoup de temps pour lire, lire, lire et militer autant que possible. C’était une bonne expérience. J’étais avec ce groupe pour à peu près un an, un an et demi. Mais il y avait des contradictions dans le parti, des contradictions idéologiques et je suis une personne très loyale, quand je fais quelque chose, je le fais à fond. Même si j’avais des désaccords sur ceci ou cela avec le parti, j’ai continué à me battre pour le parti en essayant d’avoir des discussions mais ce que j’ai réalisé plus tard et c’est fondamental dans le marxisme léninisme, s’il y un désaccord idéologique, c’est difficile de progresser. C’est difficile de travailler quand ce n’est plus ton idéologie. J’ai fini par quitter le parti.
KPG Quelles étaient les points sensibles pour toi avec ce groupe ?
Kayla : C’était assez compliqué. Il y avait des gens qui dirigeaient le parti et qui employaient d’autres cadres du parti et s’il y avait des désaccords idéologiques, ces cadres n’étaient pas payés, certains se sont fait virer… quelqu’un a déménagé chez une autre personne, là il y a eu des désagréments sur les groupes à but non lucratif ; cette personne s’est faite expulser du logement… plein de trucs comme ça… Je me suis dit, bon, qu’est-ce qui se passe, pourquoi y a-t-il de tels problèmes ? Donc il y avait tout cela et le parti n’adhérait pas au centralisme démocratique et ça c’était la racine de tous les problèmes. Le parti n’avait pas ce centralisme démocratique. Ça, c’est mon interprétation mais si tu mets une graine dans du ciment, elle ne se transformera jamais en fleur ; il faut mettre la graine dans de la terre ; c’est la raison pour laquelle le parti gagnerait des membres pour en perdre 200, gagnerait 300 membres pour en perdre 150. C’était constamment comme ça. Ce n’était pas un parti marxiste-léniniste, c’était un parti trotskiste qui n’adhérait pas au centralisme démocratique, qui n’avait pas de constitution, c’était plutôt, « nous somme communistes, nous soutenons tous les pays socialistes, et nous voulons la révolution ! » C’est bien tout ça mais il n’y avait pas une structure marxiste-léniniste suffisante qui permette de se développer de manière significative, avec des positions et des protocoles clairs pour être sûr que ces disputes n’enflent pas. J’ai compris cela quand j’ai réalisé que d’autres personnes au sein du parti avaient les mêmes critiques, des gens avec qui je n’avais jamais parlé et qui vivaient à des milliers de kilomètres. Nous sommes arrivés à la même conclusion : nous avons besoin de centralisme démocratique et le parti n’en voulait pas. C’était une impasse. Ça, pour moi c’était le point sensible. Je ne suis pas une léniniste experte dans ce genre de chose mais quand tu sais que cela a été un problème au sein d’un parti pour 40 ans, on peut alors se poser des questions [Rires]. Après presque 2 ans, je suis partie en 2019. Ça a pris 2 ans avant que je ne rejoigne un autre parti. Là, j’ai passé mon temps, entre autres, à développer des relations avec des gens un peu partout dans le monde. À ce moment-là, j’allais à l’université Laguardia et j’ai réussi à « me fourvoyer » pour obtenir une bourse auprès du Centre Pulitzer pour étudier les Afro-vénézuéliens et leurs relations au gouvernement. Il m’a fallu alors trouver des contacts avec des groupes au Venezuela. Quand j’étais dans le groupe trotskiste, j’avais organisé une manif quand il y avait eu cette tentative d’assassinat de Nicolas Maduro et à ce moment-là, des Vénézuéliens qui supportaient Maduro sont venus, même si des opposants étaient venus également. Je suis restée en contact avec ces Vénézuéliens de gauche et je leur ai parlé de mon projet en leur demandant de me mettre en relation avec des groupes, au Venezuela. J’ai eu de la chance car ils ont été super réceptifs et ont mis leurs contacts à ma disposition. J’étais en communication avec plein de gens au Venezuela du Parti Communiste au Parti Socialiste Unifié ou Venezuela Afro Rouge, je bavardais avec tout le monde. En plus, j’avais un ami, qui est maintenant retourné au Chili pour rejoindre le Parti Communiste – Action Prolétaire. Nous avons beaucoup appris ensemble. Quand j’ai quitté le parti trotskiste, j’étais pas mal coincée dans du gauchisme, un gauchisme venu d’un peu partout, venu du tiers-mondisme prêchant que les travailleurs blancs au sein du centre impérial seraient toujours du côté du capital ou qu’on ne peut pas travailler avec les masses populaires parce qu’elles n’ont pas les positions correctes que nous avons… Plein de choses qui n’avaient aucun sens mais bon, je me croyais marxiste-léniniste simplement parce que je voyais les pays socialistes dans le monde d’une certaine manière, mais vraiment j’avais beaucoup à apprendre. J’ai donc passé ces deux années en contact avec des communistes et des socialistes vénézuéliens, cet ami communiste chilien et plus tard des communistes péruviens et j’ai compris que mes idées tiers-mondistes n’étaient pas… Ce qui m’a frappé, au moment des élections primaires, alors que Bernie Sanders, Joe Biden et Kamala Harris se battaient pour la nomination présidentielle, ce gars vénézuélien me dit, « nous espérons vraiment que Bernie Sanders gagne » … Quoi ? Je ne pouvais pas comprendre, pourquoi voudrais-tu qu’il gagne ? C’est un impérialiste, à mon avis je lui ai dit, le système politique américain en entier doit être détruit. Ce à quoi il m’a répondu, au moins il [Sanders] aiderait la classe ouvrière, il réduirait les conditions de souffrance des travailleurs. Il me disait : « De tous les candidats, nous espérons qu’il sera élu » et moi, je ne pouvais pas, mais alors pas du tout, comprendre une telle position. Comment pouvaient-ils s’inquiéter des travailleurs américains. En fait, ces Vénézuéliens s’inquiétaient pour les travailleurs américains bien plus que je ne m’inquiétais moi-même pour ces travailleurs. J’étais là, vertueuse et bien-pensante de gauche, soi-disant progressiste, la meilleure amie du tiers-monde, mais vraiment… [Rires] comme Che Guevara disait, il était envieux des Nord-américains parce que nous affrontons la plus grande bataille, celle au cœur du monstre… si tu veux t’allier au Tiers Monde, il faut se battre pour la révolution au sein du centre impérial où il faut aimer le peuple. Il a fallu que j’apprenne cela, c’est venu plus tard.
Donc ces liens ont été importants mais surtout il m’a fallu lire, mais alors lire vraiment beaucoup. Je ne voulais pas juste rejoindre un parti communiste et le quitter à nouveau. Je ne voulais pas répéter ça. Je voulais être certaine de ne pas faire la même chose. J’avais rejoint ce parti trotskiste quand je n’avais que 18, 19 ans je suis partie quand j’avais 21 ans. Je ne voulais vraiment pas refaire la même chose. Je voulais être certaine que le prochain parti auquel j’adhèrerai serait le bon parti. Pendant que je passais mon temps à lire et à étudier, j’examinai aussi les autres partis. Quelle était leur idéologie ? Quelle était leur position par rapport au centralisme démocratique ? J’ai découvert alors le Parti Communiste Chilien – Action Prolétaire. J’ai lu leur constitution parce que la constitution d’un Parti Communiste constitue un texte en lui-même ; c’est un texte politique qui explique la structure du parti en terme vraiment marxistes- léninistes. J’ai commencé à étudier la Troisième Internationale et à comprendre ce que ça veut dire d’être vraiment marxiste-léniniste ; non seulement de soutenir les pays socialistes mais d’être léniniste. J’ai examiné plusieurs partis américains et c’est comme ça que j’ai découvert le Parti des Communistes USA, sa constitution, les 8 points de solidarité… Il m’a semblé que c’était un parti qui pratiquait vraiment le marxisme-léninisme et bien que ce soit un nouveau parti, parce qu’ils sont vraiment marxistes-léninistes et pratiquent le centralisme démocratique, je pense que le parti grossira. Peut-être y aura-t-il un front uni avec d’autres partis mais j’ai vraiment eu le sentiment que c’était le parti auquel je voulais adhérer. Depuis, ça a été vraiment super, j’ai tellement appris. Il a fallu que je postule à nouveau pour devenir membre. Au Parti des Communistes USA, Il faut prendre des cours, 2 fois par semaine, pendant lesquels nous étudions des textes ensemble ; nous les discutons. Bref, c’est une véritable école… elle est ouverte au public et cela demande du travail mais du travail au sein du parti aussi. Depuis le début, ça a été un long parcours, un parcours laborieux mais je continue de faire mon chemin. Bon, ça a été une manière un peu longue pour moi de t’expliquer comment je suis passé de féministe, « mon corps, mon choix » à « travailleurs de tous les pays unissez-vous ».
KPG Lorsque tu regardes tous les partis de gauche, socialistes, communistes aux États-Unis ; comment anticipes-tu le développement d’un mouvement révolutionnaire ?
Kayla – Je pense qu’il faudra à un moment un front uni car l’idéologie libérale actuellement a vraiment un impact énorme dans ce pays, même sur la gauche. C’est pourquoi ces mouvements trotskistes, maoïstes…Eh ! il y a même un mouvement maoïste dans les États du Sud ici aux États Unis. Et il y aussi les anarchistes ; l’anarchisme es vraiment fort aux États-Unis … C’est enraciné dans le radicalisme petit-bourgeois… aussi dans les universités, la Nouvelle Gauche a séduit bien des militants et des gens du peuple et a participé à l’élimination du marxisme de la scène politique. C’est presque une mauvaise blague. Voici ce que je pense, ce que j’imagine qui va se passer, nous avons besoin de patriotisme, de patriotisme révolutionnaire. C’est ce dont nous avons besoin aux États-Unis. Il nous faut plonger au sein des masses populaires. Il nous faut refuser le marxisme universitaire, ce libéralisme qui sort de l’université en prétendant être marxiste alors que ça n’est pas du tout du marxisme. Rien ne viendra de l’Université. Il nous faut être avec les masses populaires. Qu’est-ce que cela veut dire ? Il faut s’impliquer au niveau organisationnel avec le peuple. Par exemple je suis en train de créer une organisation pour les gens venus d’Europe de l’Est. Je ne suis pas toute seule bien sûr et je ne parle pas ces langues, juste un peu de russe. Mon mari vient de Biélorussie et nous allons ensemble dans les quartiers où ces gens vivent. Nous essayons d’organiser les progressistes dans ces quartiers. Et pour les nouveaux immigrants qui viennent de Biélorussie ou d’Ukraine, surtout pour les Ukrainiens, il y a une manière de les recruter en parlant d’’impérialisme, en leur expliquant les raisons qui ont nécessité leur départ d’Ukraine. C’est plus difficile avec ceux qui ont immigré à l’époque de l’Union soviétique ; c’est une population assez unique… C’est juste un exemple. Autre chose, dans mon quartier, Il y a pas mal de soupes populaires qui aident des familles entières, des familles d’Amérique centrale, du Mexique et autres. Nous avons créé des liens avec ces familles et avons organisé un mouvement panaméricain, principalement avec des populations hispanique-latines et progressistes. Nous essayons de les intégrer au mouvement… et comme je suis d’Amérique du Sud, bien sûr, c’est beaucoup plus facile pour moi. Ce que je veux dire, c’est qu’il faut s’impliquer auprès du peuple. C’est un autre problème avec la gauche américaine, c’est son nihilisme, son nihilisme vis-à-vis de la classe ouvrière qu’ils sont perpétuellement en train de juger du haut leur tour d’ivoire, se croyant supérieurs, accusant la classe ouvrière d’être trop réactionnaire pour comprendre les choses, etc. Avant, moi-même, j’étais comme ça…les ouvriers de race blanche étaient trop racistes pour être recrutés, ce genre de truc. Ça n’a aucun sens.
Il n’y a rien de plus révolutionnaire que de pouvoir travailler avec n’importe quel groupe ethnique et autres… et ça, ça se reflète par exemple dans ce qui s’est passé entre 2016 et 2020. Trump a eu du succès avec tous les groupes au-delà des hommes blancs. Trump a eu plus de succès avec les Hispaniques, les femmes, les hommes et les femmes noires, etc., non pas parce qu’il n’est pas raciste mais parce qu’il a réussi à toucher quelque chose chez le peuple. Avec le peuple, il a prétendu être populiste. Il n’était pas du tout nihiliste. Il a réussi à parler au peuple d’une perspective populiste. Il n’a pas dit « détruisons l’Amérique », il n’a pas dit « brûlons le drapeau ! » etc. Évidemment il n’est pas révolutionnaire mais il a offert au peuple ce que Michael Parenti appelle le super patriotisme. C’est ce que les nazis ont offert au peuple [allemand], c’est-à-dire de quoi être fier. La gauche américaine doit comprendre la réalité de ce pays et la possibilité du fascisme mais elle doit aussi comprendre que cela implique également la possibilité réelle du socialisme. La gauche doit cesser d’être cette anomalie bizarre depuis les années 60. Elle se doit d’utiliser ce qui a marché… comme d’organiser un front uni contre le fascisme, d’offrir le patriotisme révolutionnaire du mouvement aux masses populaires.
Il faut être impliqué et engagé avec divers groupes de la communauté civile. Il faut être impliqué au niveau du fonctionnement social comme participer, par exemple, à la planification urbaine des écoles. Il faut être impliqué ! À New York, il y a plein de mouvements sociaux, au niveau du logement, au niveau des transports en commun, au niveau de l’accès à la nourriture, etc. À New York, bien sûr, les problèmes de logement et les inégalités sociales sont un problème énorme. Il y a un potentiel révolutionnaire parmi ceux qui sont victimes de ces inégalités de logement. Par exemple nous aidons les gens à se protéger contre les expulsions. Ces gens-là comprennent la lutte des classes contre les propriétaires immobiliers. Ils comprennent l’injustice de bosser toute l’année, de payer des impôts, de payer un loyer à des propriétaires qui possèdent des bâtiments entiers, des bâtiments qui souvent sont pratiquement délabrés. C’est comme ça que je vois le futur… Nous devons faire beaucoup d’éducation politique. Il nous faut sortir de l’Université, sortir des rencontres privées, des groupes de lecture auto-organisés et aller vers le peuple. La manif du 1er mai, j’y étais, bien sûr… mais il n’y avait que des communistes et ils étaient entre eux et continuaient de se raconter… toujours la même histoire. Où étaient les ouvriers ? Où étaient les travailleurs ? C’est devenu une fête et c’est tout ! Mais ce n’était pas comme ça avant. Le 1er mai 2002, il y avait un million de gens dans la rue. Que s’est-il passé ? que s’est-il passé ? La gauche se doit d’avoir une relation avec les masses populaires.
KPG Et le problème ethnique, « raciaux », etc. ?
Kayla J’envisage l’avenir avec la chute du capitalisme par un mouvement multinational, multiethnique de travailleurs. Après, nous aurons alors des discussions. C’est un processus, plus tard, nous aurons des discussions sur les problèmes de race, de nationalités différentes… comme ils l’ont fait en Union soviétique. Mais nous ne sommes pas au point d’avoir ces discussions. Il y a ces gens qui sont à gauche et qui disent : nous devons détruire l’Amérique, nous allons balkaniser le pays avec des petites nations fragmentées qui pourront décider d’être socialistes ou non. À mon avis, il n’y aura jamais de mouvement révolutionnaire de cette manière… à mon avis, ce que la Bolivie a fait est un très bon modèle qui peut être appliqué à toutes les Amériques : plurinational et multiethnique. Je pense que nous devons vraiment étudier et comprendre le processus entrepris par l’Union soviétique. Non pas seulement parce que c’était le premier État de travailleurs mais parce ce que leur situation ressemble le plus à la situation des États-Unis. C’était un empire, il avait un nationalisme chauviniste ; il y avait un empereur (nous avons une oligarchie bourgeoise), une grande diversité culturelle avec des petites nations qui avaient subi une oppression nationale ethnique pendant des siècles. L’URSS était un État multiethnique, multinational et multilinguistique organisé en une confédération d’États qui travaillaient ensemble pour la solidarité mutuelle. La Bolivie est aussi un État multinational et multiethnique. C’est le futur des Amériques, pour les Amériques mais aussi pour les États-Unis parce que les États-Unis ne sont pas exceptionnels. La situation au Pérou est très similaire. Il y a une similarité historique aux Amériques par rapport à cette question ethnique et multiethnique. L’histoire du Pérou est très similaire à celle des États-Unis : des indigènes vivaient là, des colons sont arrivés et ont commencé à les exploiter sinon à les décimer. Bien sûr il y a des différences objectives entre les pays d’Amérique du Sud et les États-Unis qui sont arrivés à un niveau impérialiste bien au-delà des autres pays des Amériques. Selon Jose Carlos Mariategui, il y a une grande différence entre le Canada, les États-Unis et l’Amérique du Sud. Les Britanniques ont beaucoup plus investi en matière industrielle aux États-Unis en comparaison aux investissements européens en Amérique du Sud. J. C. Mariategui va vraiment dans les détails économiques pour expliquer pourquoi le Pérou est de telle manière, le Brésil de telle manière et les États-Unis de leur manière.
Nous devons être impliqués en tant que marxistes-léninistes à tous les niveaux de la lutte, y compris par rapport à la question nationale, par rapport à la question ethnique, par rapport au racisme, par rapport à la question des femmes parce que si nous ne le sommes pas, d’autres forces le seront à notre place. Ce sont des luttes qui sont très importantes pour le peuple, des luttes qui résonnent vraiment avec beaucoup de gens. Les Noirs américains n’ont peut-être pas encore de conscience de classe mais ils ont vraiment conscience du statut racial et cela implique l’aspect de classe.
Pour moi, être marxiste-léniniste, après le patriotisme révolutionnaire, c’est être internationaliste. Il faut soutenir la lutte internationale de la classe ouvrière. Nous devons être ensemble. Il n’y a pas de communisme sans internationalisme.
KPG Eh bien, arrêtons-nous là-dessus. Je te remercie vivement de cet entretien et te souhaite à toi et aux camarades une bonne continuation dans toutes vos luttes…
Kayla Merci !