Regarder dans le rétroviseur permet, à l’aune du chemin parcouru par les uns et les autres, de corriger le tir pour l’avenir. C’est bien l’objet du très sérieux travail de recherche que publie en cette rentrée l’universitaire spécialiste des mouvements syndicaux, Stéphane Sirot, en analysant la trajectoire de dirigeants de différentes centrales syndicales ces dernières années, pour mieux éclairer ce que cela nous apprend des évolutions de certaines composantes du mouvement syndical. Celles et ceux qui voient le syndicalisme avant tout comme un contre-pouvoir devraient en sortir davantage confortés que les promoteurs les plus assidus du partenariat social.
Que l’on ne s’y méprenne pas, ce travail est à l’exact opposé d’un brûlot antisyndical, dénigrant en tenant du statu quo de l’exploitation capitaliste, l’engagement et l’organisation syndicale en général, les syndicalistes en particulier, au prétexte justement de certaines trajectoires ou comportements dévoyés de certains dirigeants en collusion avec le patronat . Tout d’abord, car c’est une documentation et une analyse factuelle dressant un panorama objectif de la trajectoire particulière des différents dirigeants des centrales syndicales. Surtout, car cette analyse objective distingue justement ce qu’est l’engagement syndical des centaines de milliers de militants, un engagement collectif au service de la classe des travailleurs, de certaines trajectoires de certaines de ces personnalités du syndicalisme institutionnalisé si souvent si loin de cette lutte de classe et de masse.
L’avant propos que nous donnons à lire ci après l’illustre.
Ce travail, qui est s’inscrit dans la suite du travail reconnu du spécialiste incontesté des luttes sociales et du mouvement syndical en France qu’est Stéphane Sirot, gagne donc à être lu et diffusé par l’ensemble des syndicalistes qui, comme il y invite, « croient encore que celui-ci demeure un instrument essentiel et incontournable de la conquête du progrès social «
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Bon de commande B 8 Stéphane sirot
Le présent opus était en gestation depuis longtemps. Au regard du devenir
Avant propos
d’après-mandat des derniers secrétaires généraux des principales centrales, tel que
répercuté quelquefois non sans complaisance par les médias, la réalité concrète de
la dimension de contre-pouvoir du syndicalisme m’a paru de plus en plus
hypothétique, tout au moins dans ses récentes incarnations nationales.
Parallèlement, j’ai pu constater comme tout un chacun que ces dernières années,
l’hégémonie des grandes confédérations de travailleurs sur les mobilisations sociales
a eu tendance à se déliter, l’épisode des Gilets jaunes étant évidemment le plus
spectaculaire en la matière. Or, de mon point de vue, la prise de distance
manifestement croissante d’une partie des milieux populaires vis-à-vis des syndicats
n’est pas sans aucun lien avec l’image offerte par la reconversion des figures
dirigeantes les plus connues du grand public, qui peut les faire apparaître d’instinct
comme participant d’une vaste sphère institutionnelle, elle-même de plus en plus
massivement honnie.
Ces ressentis citoyens se télescopaient avec mon interprétation d’historien
des transformations de longue durée du syndicalisme français. Ne pouvait donc que
naître l’envie de prendre une mesure plus précise du degré d’assimilation à l’ordre
dominant des responsables de plus haut niveau, par définition les plus repérables et,
le cas échéant, de mettre en exergue la diversité de leurs rapports à l’engagement,
d’une centrale à une autre. Ce qui, pour moi, n’a rien d’anecdotique, dans la mesure
où ces cadres nationaux sont issus d’un processus de sélection à l’intérieur de leurs
organisations et représentent ainsi bien davantage qu’eux-mêmes. Or, leur
cheminement fait écho, tout en jouant le rôle de miroir grossissant, à des évolutions
et des conceptions parfois communes, mais aussi clairement différenciées du
syndicalisme et peut parfois interroger a posteriori sur la construction du sens de leur
positionnement dans l’exercice de leur mandat.
Toutefois, avant d’aller plus loin, le lecteur ne doit pas se méprendre sur les
intentions de l’auteur. Il n’est pas ici question de jeter le discrédit ou de dénoncer
quiconque et, d’ailleurs, ne seront nommément cités pour l’essentiel que les cas
connus de tous. Il s’agit encore moins de nourrir les préventions à l’égard du fait
syndical. Je connais personnellement l’investissement des militants de terrain, que je
rencontre notamment quand je suis invité à venir débattre avec eux. Leurs
convictions m’impressionnent souvent, les sacrifices qu’ils consentent volontiers
forcent toujours mon respect. J’ai aussi admiré et j’admire encore d’anciens
dirigeants qu’il m’a été offert de côtoyer. Ainsi le regretté Pierre Delplanque, qui a
oeuvré aux côtés de Marcel Paul pour le bien commun et en parfait désintéressement
personnel, Roger Silvain, figure de la CGT Renault-Billancourt, engagé jusqu’à son
dernier souffle, ou encore François Duteil, qui sait faire partie de cette brochure et
dont la cohérence du parcours personnel aussi bien que la constance et la finesse
intellectuelle lui valent mon indéfectible fidélité. Sans parler de Georges Séguy, avec
qui j’ai eu la chance de pouvoir échanger un peu, bien trop vite à mon goût, et que je
regardais comme le monument historique qu’il était.
Bref, si certains esprits se sentent pour les uns heurtés ou fort marris, pour les
autres confortés par les constations qui suivent, celles-ci ne résultent pas de ma
volonté et ne sont que le fruit des choix opérés par les acteurs concernés. À chacun,
donc, d’en tirer les enseignements personnels ou collectifs qu’il voudra, le présent et
l’avenir du syndicalisme étant évolutifs et appartenant à celles et ceux, dont je ne me
cache pas de faire partie, qui croient encore que celui-ci demeure un instrument
essentiel et incontournable de la conquête du progrès social.