Par Fadi Kassem, secrétaire national du Pôle de Renaissance communiste en France (PRCF)
« Union populaire » et situation concrète de la France : le grand écart
La sortie du livre-programme « L’Avenir en commun » le jeudi 18 novembre 2021 a suscité une importante mobilisation des membres de l’« Union populaire », ex-France insoumise dont le nouveau nom est significatif du changement de ligne par rapport à la campagne de 2017. A cette époque, le Pôle de Renaissance communiste en France (PRCF) avait décidé, à l’unanimité de son Comité central, de soutenir de manière critique la candidature Mélenchon : critique, car il subsistait des points de divergence stratégiques et tactiques – à commencer par la question de l’Union européenne (UE) ; mais soutien actif et loyal malgré tout, car Jean-Luc Mélenchon portait alors une perspective dialectique clairement énoncée, à savoir : « l’UE, on la change ou on la quitte ! » – dialectique qui lui valut d’ailleurs d’être « accusé » de pousser à la sortie de l’UE par l’idiot politique (in)utile Benoît Hamon. A l’époque, ce choix était le seul possible pour empêcher une situation désastreuse pour le peuple de France – et ce choix fut judicieux pour contrer le mensonger « Rassemblement national ». Cinq ans plus tard, et même si les responsables de l’Union populaire affirment que le programme « L’Avenir en commun », actualisé, existait déjà en 2017, la situation a doublement changé – sauf pour tel ex-membre du PRCF qui s’imagine que, puisque Mélenchon a déjà fait 19,5% en 2017, il suffit de voter de la même manière : ça permet de ne pas parler politique ni des sujets qui fâchent, tout en bloguant chez soi tranquillement.
D’une part, l’alarmante fascisation, la dissolution galopante de la République une et indivisible, le démantèlement des services publics, la destruction des conquêtes sociales de 1945, l’arasement des libertés publiques, le basculement précipité du pays au tout-anglais managérial, et tout simplement la dislocation en marche de la France, ont atteint des proportions effarantes à la suite des coups de boutoir répétés de la Macronie, fidèle exécutrice des desiderata du MEDEF et de Bruxelles, Berlin, Francfort et Washington. Plus les jours passent, plus s’affirme la violence de l’oligarchie euro-atlantique, qui a déjà matraqué, éborgné et gazé les gilets jaunes, les syndicalistes de combat, les travailleurs, retraités, lycéens et étudiants en lutte, etc. En somme, chaque jour qui passe démontre l’utopie des contes de fées que sont le « dialogue social », la « réorientation sociale de la construction européenne », l’« Europe de la paix », etc. Et chaque jour qui passe démontre le divorce consommé entre la grande majorité des travailleurs et des citoyens de France (85% des ouvriers et des jeunes n’ont pas voté aux départementales et régionales en juin 2021 !) et les forces politiques établies, l’ex-France insoumise, balayée régulièrement lors des scrutins successifs depuis le catastrophique score aux élections européennes de juin 2019, ne faisant pas exception. D’autre part, et malgré la bipolarisation idéologique, sociale et politique, « L’Avenir en commun » actualisé marque un tournant social-démocrate euro-compatible, au-delà des déclamations sur la « désobéissance » (et non plus l’insoumission) vis-à-vis de l’UE.
Pinaillage sémantique ? « Politique politicienne » ? Les dernières sorties de Jean-Luc Mélenchon et la lecture du livre-programme permettent d’en avoir le cœur net.
UE : de l’insoumission franche sous menace de Frexit (2017) à la « désobéissance » respectueuse du carcan européen (2021)
L’euro-compatibilité du discours sur l’Union populaire n’est pas une nouveauté. Au printemps 2019, Libération se réjouissait que « Sur l’Europe, finie la sortie d’une menace », notant alors au sujet de la stratégie de Mélenchon de 2017 : « Il est persuadé que la France sera « retenue par la manche dans le couloir » par tout le continent, que rien ne pourra se faire sans elle et que face à la menace d’un « Frexit », la renégociation profonde des traités sera inévitable. Une stratégie payante chez les insoumis. Les militants et sympathisants applaudissent. Tous partants pour la baston. Sauf que Mélenchon a besoin d’un cercle plus large pour accéder au pouvoir et le slogan « l’Europe, on la change ou on la quitte » effraie une grande partie d’électeurs, notamment de gauche. Résultat : à quelques semaines du premier tour de la présidentielle, en pleine ascension dans les sondages, le tribun tente de rassurer les nouveaux venus, les curieux : lors de ses prises de parole, la sortie de l’Europe n’est plus évoquée. Mais pour ne pas perdre certains souverainistes venus aussi à lui, il entretient une légère ambiguïté sur ce sujet. »[1] Déjà à l’époque, comme l’avait analysé le PRCF et alors que le candidat FI était « en pleine ascension dans les sondages », Mélenchon avait sabordé, sous la pression de ses désastreux conseillers européistes, la stratégie qui lui aurait permis d’accéder au second tour, délaissant la conquête du vote populaire et patriotique pour celle d’un vote eurobéat cher aux catégories sociales supérieures. Et la cassure s’aggrave, au point que Challenges signale à l’automne 2020 que « Sur des positions plus eurosceptiques que leurs concurrents, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen se voient contraints par l’attachement très fort de leurs électeurs à l’euro. »[2] Mais quel « électorat » ? Celui de 2017, dont une large partie opte clairement pour l’abstention massive ? Celui de 2019-2021, réduit à peau de chagrin et euro-compatible ?
L’abandon du projet de sortie de l’UE est le cas le plus illustratif du changement de tonalité, confirmé par Mélenchon lui-même – confirmant ainsi la nette inflexion illustrée par l’éviction, dès 2017, des insoumis souverainistes et par l’ascension dans la FI de Manon Aubry qui estimait que « Schuman construisait l’Europe sur la solidarité de fait »[3] : belle « solidarité » en effet que celle qui, sur la base de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier » (CECA) promue par Schuman et Monnet, a abouti à l’éradication du charbon et de l’acier français avec, à la clé, le chômage de masse pour la Lorraine et le Nord-Pas-de-Calais. Interrogé le 14 novembre 2021 au sujet du « produire en France » – dont la paternité n’incombe pas au sieur Montebourg, n’en déplaise à ce dernier, mais au PRCF qui colla des milliers d’affiches sur ce thème en 2007 –, Mélenchon pose le problème de l’UE et du protectionnisme :
« Comment vous faites alors que c’est interdit pas les traités européens ? IN-TER-DIT ! » La solution ? : « Il faut sortir de ces traités en général mais au moins sur ce point-là. » Et de préciser : « J’ai changé de tactique par rapport à l’Europe. Si vous en faites un problème global, on n’arrivera jamais à discuter. Si vous le prenez à partir de ce qui compte à mes yeux, la volonté populaire : que veulent les gens ? Supposons qu’ils votent pour moi, ils disent ! « Mélenchon vous allez faire du protectionnisme raisonné ! », « très bien, à vos ordres, je le ferai ! » Qu’est-ce que je ferai ? J’irai à l’Europe et leur dirai : « là, il y a protectionnisme raisonné, opt-out » [bravo pour le respect de notre langue, soit dit en passant], c’est-à-dire le traité européen ne s’applique plus en France. Autrefois, d’autres pays l’ont fait, et encore aujourd’hui d’autre pays le font : il y en a qui n’ont pas l’euro, il y en a qui n’appliquent pas telle ou telle directive. Donc moi, j’annonce que je n’appliquerai plus aucune directive contradictoire au programme sur lequel les gens m’auront élu. Comme ça, on sort de la guerre de religions et on rentre dans quelque chose de bien précis. »[4]
Remarquable « changement de tactique ». « Discuter » ? Mais avec qui ? Ursula von der Leyen, l’ordolibérale présidente allemande de l’UE proposée par Angela Merkel ? Christine Lagarde, ancienne ministre sarkozyste de l’Economie puis patronne du FMI désormais à la tête de la Banque centrale européenne (BCE) indépendante et qui décide et applique les imbéciles et dogmatiques « critères de stabilité et de convergence » de Maastricht ? Les pays du nord de l’Europe, favorables au « Pacte budgétaire européen » (que le soi-disant « socialiste » Hollande avait promis de renégocier en janvier 2012…), y compris la sacro-sainte social-démocratie suédoise ? Qui peut croire un instant qu’il sera possible de « discuter » avec des thuriféraires de l’ordre établi, qui ne cessent d’appliquer les traités tels qu’ils sont depuis les années 1950 ?! Et ce, alors que l’UNANIMITE des Etats membres ET des Parlements nationaux est requise pour modifier la moindre virgule du moindre traité…
La « volonté populaire » ? Mais que pèse-t-elle face au pouvoir totalitaire de l’UE qui n’a que faire de la « volonté populaire », comme l’illustra l’écrasement de la Grèce et comme l’a prouvé le mépris par l’UE et par ses gouvernements vassalisés de tous les référendums défavorables à l’UE (dont le référendum français de 2005) ? Ce qu’affirma avec une franchise rare l’ancien président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker lors de l’arrivée au pouvoir de Syriza en janvier 2015 (« Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens »), puis en décembre 2019 en déclarant que « la politique n’est pas en charge du bonheur des peuples »[5] Et que pèse concrètement la « volonté populaire » quand on ne contrôle ni la monnaie, ni le budget, ni les lois, comme le pressentit Pierre Mendès France dans son discours du 18 janvier 1957 contre les traités de Rome : « L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, soit le recours à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit la délégation de ces pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique, car au nom d’une saine économie on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement « une politique », au sens le plus large du mot, nationale et internationale. »[6] ?
« Le traité européen ne s’applique plus en France » ? Mais comment croire à une telle fable tout en restant dans l’UE alors que le « gouvernement des juges » européistes, faisant jouer la jurisprudence et comptant sur la Troïka maudite Commission-UE-FMI (au sujet duquel les propositions de l’Union populaire sont tout aussi candides) pour veiller à son exécution par les Etats membres, a consacré la primauté du droit communautaire sur le droit national via les arrêts Costa (1964), Cassis de Dijon (1979) et Viking et Laval (2007)[7] ? Sans parler du Conseil constitutionnel « français » présidé par Laurent Fabius qui s’est déclaré incompétent pour contrôler la constitutionnalité des transpositions en droit français des directives européennes (plus de 70% des textes votés par le Parlement français coopérant à sa propre mise en tutelle !).
Mais « d’autres pays l’on fait, et encore aujourd’hui d’autre pays le font : il y en a qui n’ont pas l’euro ». ENORMITE ! Eh oui, des pays comme le Danemark ou la Suède n’ont pas l’euro parce que le traité de Maastricht n’y pas été ratifié ! Ce n’est pas le cas de la France qui a ratifié ledit traité avec, à l’époque, le soutien du sénateur socialiste de l’Essonne Jean-Luc Mélenchon – qui s’en est par la suite repenti en s’opposant à tous les traités européistes après sa faute de 1992. Mais en acceptant la perte de la souveraineté monétaire et son attribution à une BCE indépendante, la France est condamnée à passer sous les fourches caudines du traité non modifiable de Maastricht… ou à en finir une bonne fois pour toute avec l’« eurostéritaire ».
Quelques jours plus tard, dans un entretien, Jean-Luc Mélenchon confirme son virage – aux effets électoraux pourtant déjà dramatiques : « En 2017, nous avions essayé de montrer qu’une marge de négociations existait, avec l’idée de plan A/plan B. Je préfère le dire, je ne suis pas « frexiter » [encore le globish !]. Mais je ne vais pas pour autant avaler tout le catéchisme eurobéat. Notre programme sera appliqué de la première à la dernière page. Sur tout ce qui est en contradiction avec un traité européen, la France demandera la clause d’« opt-out », comme le faisaient à une époque certains Etats sur la législation sociale européenne. Cela provoquera un grand trouble, mais personne ne pourra dire aux Français « Allez-vous-en ! » Les Allemands défendent leurs intérêts. Nous défendrons les nôtres et, à la fin, tout le monde finira bien par s’entendre. »[8]
« Tout le monde finira bien par s’entendre ». Mais qui désigne ce « tout le monde » ? L’Allemagne ordolibérale et ses alliés et satellites ? La BCE ? La Commission européenne ? La Cour de justice de l’UE ? Les forces bancaires et financières ? Les ex-pays socialistes de l’Est, tous courtisans des Etats-Unis, tous néo-colonisés par Berlin et ralliés à l’OTAN, et dont l’opposition à tout ce qui rappelle, de près ou de loin, le socialisme frise la frénésie ? Qui peut sincèrement croire que les « négociations » n’aboutiront pas à de nouvelles capitulations face aux « réalités », comme le décidèrent les soi-disant « socialistes » français, et leurs chefs de file Delors et Mitterrand, en 1983 ?
Et de fait, la partie consacrée à « l’Europe » dans le livre-programme se signale par sa brièveté, au point d’être le plus court de l’ensemble (quatre pages !), et par son absence de mesures-clés pourtant présentes dans tous les autres chapitres. Un chapitre indigent à la fois dans l’analyse, la tactique et les moyens de pression, dont le plus saugrenu vise à « déclencher la mobilisation citoyenne avec nos alliés politiques et la société civile en Europe pour augmenter l’autorité de nos points de vue » (p. 135) : un charabia qui ne risque pas de faire trembler la Troïka. D’autant que, hélas, la direction de l’Union populaire, pas plus d’ailleurs que celle du PCF-PGE, ne fait rien pour combattre l’interdiction en cours des partis communistes dans nombre de pays de l’UE, et que les partis sociaux-démocrates européens, sans parler de la Confédération européenne des syndicats (CES) présidée par Laurent Berger (le très jaunâtre et très euro-soumis patron de la CFDT), sont depuis toujours des piliers du « social-libéralisme ». Pire encore : en appelant à « désobéir aux règles bloquantes chaque fois que c’est nécessaire » (p. 134), « L’Avenir en commun » renonce de fait à la reconquête de la souveraineté nationale et populaire au profit de l’UE.
… qui consacre la soumission aux forces du Capital
Admettons même que, par un improbable alignement de planètes, la « désobéissance » fonctionne dans un premier temps. « Désobéir » pour appliquer le programme, fort bien. Mais avec quels moyens concrets si le contrôle du peuple souverain n’est pas garanti en France même ? Or de ce point de vue, la partie consacrée aux questions bancaires et financières est tout autant utopique. En refusant de sortir du carcan de l’euro tout en affirmant que « la monnaie doit aussi être un bien commun créé et géré démocratiquement » (p. 95), « L’Avenir en commun » se heurte à une contradiction fondamentale : l’impossible création monétaire qui serait indispensable, au moins dans un premier temps, au financement d’une politique sociale française. Cette situation est aggravée par le refus de sortir de l’UE dont les traités consacrent, dès l’origine, la « concurrence libre et non faussée », interdisant ainsi de « socialiser des banques généralistes » (p. 95) ; ce que l’ultradroitier Alain Madelin résuma à sa façon en approuvant, lui aussi, le traité de Maastricht : « Le traité de Maastricht agit comme une assurance-vie contre le retour à l’expérience socialiste pure et dure ». Or, rien n’est réellement envisagé pour bloquer les capitaux, mesure indispensable pour éviter les fuites massives similaires à celles de 1936 ou de 1982 – de surcroît, alors que la « totale liberté de circulation » des capitaux et le « marché unique européen » sont désormais totalement achevés depuis 1993. Pourtant, des mesures drastiques sont indispensables comme la reconquête de la souveraineté monétaire, la nationalisation de l’ensemble du secteur bancaire et financier et, par là-même, la rupture avec une UE qui INTERDIT les nationalisations, lesquelles seraient une « concurrence déloyale et faussée ». Au contraire : « L’Avenir en commun » veut « exiger de l’Union européenne que la Banque centrale européenne (BCE) transforme la part de dette des Etats qu’elle possède en dettes perpétuelles à taux nul » (p. 97) ; autant demander au géôlier de libérer tous les détenus et de leur apporter des fleurs… Les tenants de l’Union populaire rétorqueront que pour « mettre au pas la finance », il est prévu de « contrôler les mouvements de capitaux » (p. 94). Mais comment faire alors que la « totale liberté de circulation » est l’alpha et l’oméga principiel de l’architecture européiste ? En « exigeant » une telle mesure auprès des banques dont la nationalisation n’est nullement envisagée – l’une des mesures importantes consistant à « séparer les banques d’affaires et de détail » (p. 94). De telles annonces sont clairement en-deçà du programme commun de la gauche de 1972 !
Le même biais « social »-réformiste se retrouve à l’échelle mondiale, en témoigne la sidérante « mesure-clé » suivante : « Porter au sein du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque mondiale et de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) des propositions de rupture avec le néolibéralisme international » (p. 143). « Porter des propositions de rupture » : auprès de qui ? pour convaincre qui ? En dehors de Fabien Roussel, subjugué par la politique budgétaire du nouveau président américain, l’étrangleur de Cuba et du Venezuela, au point de se réjouir que « Biden pourrait prendre sa carte au PCF », qui peut sérieusement penser que les Etats-Unis, qui ont le droit de veto au FMI, écouteraient un instant la moindre proposition de la « gauche radicale » française ? Et qui peut croire que les GAFAM – Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft –, les mastodontes bancaires et les multinationales, très influents auprès des institutions financières internationales (IFI), cèderaient tout à coup aux demandes de l’Union populaire ?
« Ni Frexit, ni Europe du Capital » = Europe du Capital
Si nombre de mesures de « L’Avenir en commun » sont (très) positives pour nombre de citoyens et de travailleurs et si Jean-Luc Mélenchon est le seul candidat médiatique à avoir un programme bien ficelé, celui-ci se heurte à l’éternel dilemme soulevé par François Mitterrand lorsque celui-ci opta pour le « tournant de la rigueur » en mars 1983 : « la construction européenne ou la justice sociale ». C’est ce qu’établit, documents à l’appui, l’enquête publiée par Aquilino Morelle, ancien conseiller socialiste de Hollande qui montre bien que les « socialistes » Delors et Mitterrand avaient d’avance sacrifié leur programme social à leur rêve d’Europe fédérale. Au prix de contorsions et de grands écarts, Mélenchon croit éviter « la guerre de religions » sur l’Europe. Or, il ne fait que s’incliner devant la guerre des classes menée par l’euro-oligarchie de France, courbant l’échine devant les desiderata du MEDEF, de Zemmour et Le Pen aux faux « socialistes » et « syndicalistes » comme Laurent Berger et même, hélas, comme Philippe Martinez, dont l’hostilité au Frexit n’a d’égale que l’absence de tout plan d’action revendicatif susceptible de trouver la campagne présidentielle entre candidats euro-compatibles. En refusant par avance de renverser la table comme dans le cadre de la stratégie de 2017, Mélenchon se destine à un avenir à la Syriza ou à une euro-mutation digne de celle du PCF-PGE, dont le chef de file d’alors Pierre Laurent (toujours président du Conseil national du PCF) a constamment soutenu Alexis Tsipras, le destructeur de la gauche « radicale » en Grèce.
Si la ligne euro-gauchie de l’Union populaire ne représente clairement pas une solution pour les millions de travailleurs et de citoyens qui ne votent plus, que dire des candidatures euro-« communiste » de Fabien Roussel et euro-« trotskistes » de Philippe Poutou, de Nathalie Arthaud et d’Anasse Kazib ! Désireux de « réorienter la construction européenne » et hostile au Frexit progressiste, Fabien Roussel aligne les mesures au gré du vent (qui souffle trop à droite), et bien entendu aux pires incohérences et platitudes crasses à l’image de ce passage de son livre Ma France : « La démocratie, c’est d’ailleurs l’enjeu de cette élection. A qui allons-nous prendre le pouvoir ? Bien sûr, j’en ai déjà parlé, il y a l’UE, cette institution qui prend tellement de place dans les choix de chaque pays. Il ne s’agit pas pour nous d’agiter le spectre d’une sortie de l’UE en 2022. Un Frexit n’apporterait pas d’alternatives à la France. Lorsque l’on fait face à une pandémie, on a plutôt intérêt à coopérer, à travailler ensemble plutôt qu’à fermer les frontières à toute relation économique, humaine ou scientifique ». C’est bien connu : avant l’UE, la « coopération » et le « travail ensemble » sur des bases souveraines, réciproques et équitables (à défaut d’égales) n’existaient pas. Avec Fabien Roussevelt, faute de Frexit progressiste, on mange du « SMIC européen », qui adviendra après que l’humanité aura colonisé la planète Mars.
Quant à Anasse Kazib, le « marxiste » médiatique qui intervient dans la réactionnaire émission « Les Grandes Gueules » sur RMC et se vante de n’avoir aucun drapeau tricolore dans ses meetings, son programme constitue un cadeau magnifique pour le MEDEF. S’il a tout à fait raison d’indiquer que « la bourgeoisie ne défend jamais « la patrie » : elle défend la propriété privée, ses privilèges et ses profits », il oublie (ou méconnaît, plus certainement) l’analyse de Marx et Engels : « on a reproché aux communistes de vouloir abolir la patrie, la nationalité. Les ouvriers n’ont pas de patrie. Comme le prolétariat doit d’abord conquérir la domination politique, s’ériger en classe nationale[9], se constituer lui-même en nation, il est encore par-là national, bien que nullement au sens où l’entend la bourgeoisie. »[10] Chez Marx et Engels, ni négation du fait national – bien défini par la suite par Lénine, Staline, Thorez et Politzer –, ni fétichisme nationaliste auquel les trotskistes, adeptes du sans-frontiérisme que revendique le manifeste « Besoin d’Aire » publié par le MEDEF en février 2012, veulent toujours ramener la question nationale. Et comme toujours, la frontière est assimilée à un « mur » ou à des « barbelés », oubliant que les pays socialistes durent (et surent) affronter les attaques répétées des forces impérialistes et anticommunistes (anticommunisme que véhicule Kazib en dénigrant caricaturalement l’URSS). Oubliant surtout qu’il n’y a jamais eu autant de frontières mortifères dans le monde que depuis que le modèle « libéral » de la « concurrence libre et non faussée » chère à l’UE et à l’OMC a pris barre sur le monde, de la Manche à la Méditerranée et du Mur que construit la Pologne (avec l’argent de l’UE) à celui qu’érige l’impérialisme yankee aux frontières du Mexique.
Quelle solution reste-t-il donc à Kazib ? « Face à l’Europe du capital qui n’a à offrir que davantage de misères et de tragédies sociales pour le monde du travail et pour les peuples, nous revendiquons le combat pour des gouvernements ouvriers, dans la perspective d’instaurer les États-Unis socialistes d’Europe, la seule perspective viable et rationnelle pour sortir de l’impasse et du faux dilemme « rupture avec l’UE » ou « Europe du capital » telle qu’elle existe. »[11] Copier-coller de Trotski, négation de la situation concrète, utopie de la constitution de gouvernements ouvriers partout en même temps en Europe : le « ni Frexit, ni Europe du Capital » profite à l’UE du Capital. Mais pour les trotskistes, l’UE n’a, dans le fond, aucune importance puisque seule compte la lutte des classes sur le seul plan économique, reléguant les aspects politiques, juridiques, militaires, etc., aux orties. Comme si la (dé)« construction européenne » n’avait aucune influence sur les travailleurs, ce que proclama Lutte ouvrière en appelant à… l’abstention lors du référendum de 1992 sur le traité de Maastricht ; voici les passages les plus « savoureux » – sauf pour les millions d’ouvriers qui furent privés d’emploi au nom de ce faux internationalisme destructif du « produire en France » –, dont on peut constater les effets mortifères trente ans après[12] :
- « Lutte Ouvrière est pour l’unification complète de l’Europe, de l’ensemble de l’Europe d’un bout à l’autre du continent, pour la suppression de toutes les frontières. » ;
- « Les marxistes ont toujours considéré que l’unification de l’Europe, même sur une base bourgeoise, serait un progrès » ; tant pis si Lénine démontra parfaitement dans « Du mot d’ordre des Etats-Unis d’Europe » le 23 août 1915 que « les Etats-Unis d’Europe sont, en régime capitaliste, ou bien impossibles ou bien réactionnaire»[13] ;
- « Un abandon de souveraineté de la part d’États n’implique pas leur disparition. Même les plus acharnés des partisans de l’Europe parmi les différentes forces bourgeoises n’en défendent pas l’idée. » ; tant pis si Macron défend la « souveraineté européenne », le « saut fédéral européen » et son corollaire « pacte girondin » ;
- « Ce n’est certainement pas aux révolutionnaires de combattre l’idée de la supranationalité bourgeoise au nom du nationalisme bourgeois » : toujours la même fausse « dialectique » sur la question nationale ;
- La plus belle des perles : « L’Europe bourgeoise qui se dessine n’est en elle-même ni un bien ni un mal pour les travailleurs» : demandez à tous les travailleurs, surtout en Grèce, ce qu’ils pensent de « l’Europe bourgeoise » …
Il n’y pas d’« alternative » à l’Alternative Rouge et Tricolore !
Mélenchon, Roussel, Kazib/Arthaud : trois approches prétendument en « rupture » avec l’ordre établi mais hostiles à l’indispensable et fondamentale rupture avec l’Europe du Capital que combattait Lénine et que fustigeait Jean Jaurès dont se revendiquent Mélenchon et Roussel : « Tant que le prolétariat international ne sera pas assez organisé pour amener l’Europe à l’état d’unité, l’Europe ne pourra être unifiée que par une sorte de césarisme monstrueux, par un saint empire capitaliste qui écraserait à la fois les fiertés nationales et les revendications prolétariennes. Nous ne voulons pas d’une domesticité internationale. Nous voulons l’Internationale de la liberté, de la justice et du droit ouvrier. »[14] Autrement dit, l’Europe qui écrase à la fois le drapeau rouge des « revendications prolétariennes » ET le drapeau tricolore de la « fierté nationale ». Mais cette association des drapeaux rouge et tricolore contre l’Europe du Capital, elle est exclue :
- par Jean-Luc Mélenchon qui, déjà en 2017, se passait du drapeau rouge que le PRCF ajoutait à sa campagne, tout en rendant impuissant le drapeau tricolore ;
- par Fabien Roussel qui, derrière des discours de façade pour « voir flotter ensemble le drapeau bleu blanc rouge de la France au côté du drapeau rouge du mouvement ouvrier »[15], prête allégeance au drapeau de l’UE du Capital et, par là-même, rosit le drapeau rouge et efface le drapeau tricolore ;
- par Anasse Kazib et Nathalie Arthaud qui, en bons euro-trotskistes, portent le seul drapeau rouge dissout dans l’UE du Capital et versent dans l’antipatriotisme primaire qu’illustra pitoyablement Trotski dans « L’avenir des armées de Hitler » au printemps 1940 : « Les soldats de Hitler sont des ouvriers et des paysans allemands » ; « Les soldats allemands, c’est‑à‑dire les ouvriers et les paysans, auront, dans la majorité des cas, plus de sympathie pour les peuples vaincus que pour leur propre caste dirigeante. »[16] Par bonheur, l’Armée rouge ouvrière et paysanne a écrasé impitoyablement ces sympathiques envahisseurs fascistes !
En somme, trois voies (plus ou moins) divergentes sur le fond, mais se rejoignant par leur refus commun du Frexit, même progressiste, et par conséquent condamnées à l’échec auprès des travailleurs et des citoyens. C’est pourquoi seule l’Alternative Rouge et Tricolore proposée par le PRCF est en mesure de porter les « nouveaux Jours heureux » dont nous avons urgemment besoin. Ce combat, il est porté par les militants franchement communistes et franchement insoumis du PRCF malgré la censure médiatique, et par tous ceux, communistes ou non-communistes qui veulent aider à construire le Front Antifasciste, Patriotique et Populaire indispensable pour sortir de l’euro, de l’UE, de l’OTAN fauteuse de guerre impérialiste et du pourrissant système capitaliste. Et pour cause : en attaquant frontalement le MEDEF-CAC 40, la Macronie et ses satellites, l’extrême droite réactionnaire et fascisante, les instances de l’UE du Capital, le PRCF propose le seul programme de rupture radicale avec l’ordre établi, en assumant clairement l’affrontement de classes que le camp du Capital mène de plus en plus durement.
Plus de demi-mesure, ni de compromis : militons pour un FREXIT PROGRESSISTE et pour une France Franchement Insoumise (FFI) à l’UE !
Post scriptum : cet article a été achevé la veille du passage de Jean-Luc Mélenchon dans l’émission politique de BFM-TV le jeudi 25 novembre 2021. Ce soir-là, en 2h40 d’émission, PAS UNE SEULE FOIS N’A ETE EVOQUEE L’UE ! Venant de la part des propagandistes aux ordres de BFM, rien de plus naturel ; mais venant de la part de celui qui avait fait de la ligne « l’UE, on la change ou on la quitte ! » l’axe cardinal de son programme en 2017, démontre la rupture avec l’insoumission engagée par l’Union populaire…
[1] https://www.liberation.fr/france/2019/04/23/melenchon-sur-l-europe-fini-la-menace-d-une-sortie_1722973/
[2] https://www.challenges.fr/politique/2022-melenchon-et-le-pen-pieges-par-l-europeanisation-croissante-de-leur-electorat_739896
[3] https://twitter.com/manonaubryfr/status/1259065243914903555
[4] https://www.francetvinfo.fr/replay-magazine/france-3/dimanche-en-politique/dimanche-en-politique-du-dimanche-14-novembre-2021_4823107.html
[5] https://www.initiative-communiste.fr/articles/europe-capital/egoisme-de-loligarchie-corrompue-ou-bonheur-des-peuples-il-faut-definitivement-choisir-quand-juncker-passe-aux-aveux/
[6] https://www.cvce.eu/obj/discours_de_pierre_mendes_france_sur_les_risques_du_marche_commun_paris_18_janvier_1957-fr-c81bfdc2-20a9-4eaa-82ec-c2117fa1f3c2.html
[7] https://www.initiative-communiste.fr/articles/europe-capital/mesure-n1-sortir-de-lue-pour-proclamer-la-superiorite-des-lois-francaises-sur-les-directives-europeennes/
[8] https://www.20minutes.fr/politique/3174627-20211117-exclusif-presidentielle-2022-assume-volonte-rupture-systeme-neoliberal-dit-jean-luc-melenchon-20-minutes
[9] L’édition anglaise de 1888 affine l’expression en parlant de la « classe dirigeante de la nation ».
[10] Friedrich Engels et Karl Marx, Manifeste du Parti communiste, Paris : Flammarion, 1998, p. 99.
[11] https://www.revolutionpermanente.fr/Anasse-Kazib-2022-decouvrez-le-programme-de-la-campagne?fbclid=IwAR1C2qn98vhJgHrZ6Uu1kxwfAn3gVa68ON0qKHi1rxjyr_biI49R4lDLp60
[12] https://mensuel.lutte-ouvriere.org/documents/archives/la-revue-lutte-de-classe/serie-1986-1993-trilingue/l-europe-des-bourgeois-et-la-farce
[13] https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1915/08/vil19150823.htm
[14] http://www.gauchemip.org/spip.php?article4931
[15] https://www.initiative-communiste.fr/articles/prcf/voir-flotter-ensemble-le-drapeau-bleu-blanc-rouge-de-la-france-au-cote-du-drapeau-rouge-du-mouvement-ouvrier-et-en-finir-avec-celui-de-lunion-europeenne/
[16] https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1940/00/lt19400000.htm