Débat – LA CANDIDATURE ROUSSEL MINEE PAR LA MUTATION EURO-REFORMISTE – 20 janvier 2022 – Par Georges Gastaud, auteur du « nouveau défi léniniste » (Delga, 2017).
RENEGATS, SAISON I
Il y avait déjà eu Robert Hue, ancien secrétaire national du PCF, et son acolyte Jean-Claude Gayssot, ex-ministre « communiste » de Lionel Jospin, appelant tous deux à voter Macron dès le premier tour de la présidentielle de 2017. Mais il est vrai que ces médiocres personnages sont presque aussi méprisés chez nous que ne l’est Gorbatchev sur tout le territoire de l’ex-URSS qu’il a livrée clés en main aux prédations du capital.
DEFECTIONS, SAISON II
Il y avait déjà aussi Marie-George Buffet, l’ex-secrétaire nationale du PCF (ce poste porte malheur au PCF mutant!) et ancienne ministre heureuse de Jospin, ne s’est pas contentée d’avoir cautionné durant cinq ans l’euro-privatisation galopante du secteur public, les bombardements impérialistes sur Belgrade et la mise en place de l’euro, soutien désormais à tous coups Mélenchon contre le candidat de son propre parti, Fabien Roussel. Aimable Marie-George qui savonne la planche de son successeur Place du Colonel Fabien. Cette défection au sommet ne suffisant pas, on aussi la députée Elsa Faucillon (93), dont le copinage politique sans rivage avec Mélenchon et Clémentine Autain marque sans nul doute son grand respect pour ses camarades de parti, pour leurs décisions de congrès… Et pour les électeurs de Seine-St-Denis qui l’ont élue sous l’étiquette du PCF !
LÂCHAGES, LE GRAND REBOND
Mais Fabien Roussel n’est pas au bout de ses peines puisque voilà maintenant qu’un autre député, M. Sébastien Jumel, le maire « communiste » de Dieppe, aussitôt escorté par le nouveau maire de Stains (PCF 93 lui aussi), apporte son soutien public à Mélenchon en poignardant dans le dos le candidat officiel de son parti.
DERIVES PLURIDECENNALES
Rien de tout cela n’est surprenant tant la maison PCF est délabrée, minée du dedans par 46 années* de dérives révisionnistes, anti-léninistes, antisoviétiques, « eurocommunistes » (= toujours plus d’euro, toujours moins de communisme!), d’abandon des pratiques de classe, d’électoralisme à courte vue, de délaissement des « prolos » sacrifiés aux bobos à la Ian Brossat, d’arrimage inconditionnel au PS dans toutes les élections (municipales, départementales, régionales, législatives…). Quand ce n’est pas d’appel à voter Macron au second tour de la présidentielle (pour « faire barrage à l’extrême droite »: un joli barrage comme chacun le voit, avec une extrême droite de plus en plus haute qui, avec Ciotti, a dominé la primaire des « Républicains »): toutes ces dérives renégates étant sans cesse vendues aux militants, souvent trop confiants, comme autant de « novations », de « mutations », de « refondations », voire de « métamorphoses » salutaires… Soit dit en passant, quand le parti « communiste » en titre dérive à ce point vers la social-démocratie, faut-il s’étonner que le PS, qui ne demandait que cela, dérive vers la droite néolibérale tandis que la droite ex-gaulliste s’entiche de la pire réaction?
STOPPER L’EURO-DERIVE DE JEAN-LUC MELENCHON OU L’ACCOMPAGNER?
A noter que ces défections de « grands élus communistes » désertant le frêle esquif rouge pâle de Roussel pour rallier le Titanic rose vif de Mélenchon surviennent à une époque où Jean-Luc Mélenchon lui-même a clairement rompu avec l’ « indépendantisme français » qu’il revendiquait en 2017 pour dériver vers la social-démocratie classique dont se réclame à bas bruit la nouvelle « union populaire » : Jean-Luc Mélenchon a en effet a exclu et diabolisé son aile « souverainiste »; il est désormais la « prise de guerre » revendiquée des européistes à la C. Autain (finie l’époque où Jean-Luc Mélenchon déclarait « l’UE on la change ou on la quitte! », proposant le Frexit progressiste comme un plan B, donc comme une option au moins possible), des indigénistes à la Danielle Obono (il justifie désormais la segmentation « à l’américaine » des résistances populaires alors que nous avons tant besoin de « tous ensemble »!), des anglomanes à la Manon Aubry (lui qui traitait naguère le tout-anglais invasif de « langue de l’occupant », confond désormais l’anglo-colonisation linguistique de la France avec une « créolisation » heureuse!) et des écolos-bobos (l’ « union populaire » met l’accent sur le démontage total et rapide du nucléaire civil français; mise à mort d’EDF et abandon d’un levier indispensable pour réindustrialiser la France). Mais tous ces glissements politiques ne peuvent que répugner à l’électorat ouvrier massivement euro-critique (80% des ouvriers ont voté non à l’euro-constitution en 2005, et 65% des employés!) sans pour autant capter l’électorat, d’ailleurs fondant, de Yannick Jadot (la « belle gauche » des centres-villes métropolitains revotera Macron sans états d’âme), sans parler de l’électorat vestigial du PS en voie d’évaporation.
L’ADIEU AU PROLETARIAT ET A L’ « INDEPENDANTISME FRANCAIS » DE Jean-Luc Mélenchon
Bref, l’argument selon lequel le ralliement à Jean-Luc Mélenchon, le grand « insoumis » qui peut aller au second tour et battre Macron (???), vaut bien le manquement le plus grossier à la loyauté de parti, est d’une extrême fragilité. D’abord parce que Mélenchon est de moins en moins… insoumis et que s’il parvenait (très improbablement) au second tour en dépassant 15% des voix, il lui faudrait pour tenter de gagner, parachever ses largages idéologiques, mais surtout parce qu’en France, la gauche, quelle qu’elle soit, et encore moins celle qui se dit « radicale », n’a jamais gagné une élection majeure sans s’adresser d’abord à la classe ouvrière tout en assumant haut et fort l’avenir de la Nation. Ainsi procédaient Cachin, Sémard, Thorez, Duclos, Frachon, Croizat, Marcel Paul, voire encore, de manière inconséquente voire biaisée, Georges Marchais. Et c’est parce qu’en 2017, alors que le pré-candidat « communiste » André Chassaigne, président des députés communistes, rejetait toute perspective de Frexit et donc, sur un point capital, se situait à la droite de Mélenchon tout en flirtant avec le « socialiste » Hamon, et aussi parce que « Mélenchon 2017 » se réclamait de l’ « indépendantisme français », évoquait l’hypothèse d’un Frexit de gauche (le plan B) et portait encore un universalisme populaire hérité de Robespierre et de la Commune, que le PRCF lui avait alors apporté un soutien critique. Soutien qu’il n’y a pas eu lieu de regretter puisque Mélenchon a alors frôlé le second tour et que son socle de voix (vite gaspillé par ses erreurs et dérives) fut d’un grand secours pour les luttes consécutives à l’élection de Macron. Mais aujourd’hui, la liste des dérives de Jean-Luc Mélenchon est devenue impressionnante, Mélenchon n’accepte même plus, comme il l’avait fait en juillet 2016, de dialoguer avec le PRCF, et ce serait manquer à nos obligations à l’égard du peuple que de taire ces dérives graves, qui mènent tout droit au fiasco, en oubliant que le Jean-Luc Mélenchon euro-compatible de 2022 n’est plus à ce jour le Jean-Luc Mélenchon combatif de 2017.
INCONTOURNABLE: UN NOUVEAU CONGRES DE TOURS
Du reste, faut-il rappeler que le PRCF est totalement indépendant du PCF, qu’il considère, faits à l’appui, que ce dernier n’est plus redressable tant est irrémédiable sa perte d’identité depuis 1976/77 (abandon de la dictature du prolétariat, adoption d’une conception réformiste de la marche au socialisme, abandon du camp socialiste en difficulté, acceptation de l’élection au suffrage universel du parlement européen…). Notre perspective franchement communiste est celle d’un nouveau congrès de Tours regroupant les vrais communistes de toutes les organisations (et nul ne saurait être communiste en refusant le marxisme-léninisme et en acceptant en son principe, sinon en ses modalités, la funeste « construction européenne »…) tout en les séparant des euro-réformistes et des euro-gauchistes desdites organisations. En outre, sur le plan éthique, et contrairement aux Buffet, Focillon, Jumel, etc. qui utilisent l’étiquette PCF quand ça les arrange et qui la renient quand ça les dérange, nous n’avons aucune obligation morale et politique envers le PCF actuel. Je le dis d’autant plus fort que nombre d’entre nous avons loyalement servi le PCF durant des décennies malgré les désaccords, et que nous l’avons quitté dans la clarté quand la somme des désaccords est devenue plus importante que celle des points d’accord (sans compter ceux d’entre nous qui ont subi de sérieuses violences symboliques… ou physiques de la part de l’appareil mutant).
LA CHARRUE AVANT LES BOEUFS
Pour autant, les piteuses défections que subit en cascade la candidature Roussel interrogent sur cette candidature elle-même. Dès le lancement de cette candidature soi-disant « identitaire », le PRCF a démontré que Roussel et ses partisans, y compris hélas ceux de ses soutiens qui, très minoritairement, se réclament de Lénine, mettaient la charrue de l’électoralisme bourgeois avant les boeufs de la renaissance communiste. Non une candidature politiquement confuse à une élection bourgeoise, surtout à une élection aussi piégée que celle-ci, ne peut véritablement aider à régler les problèmes existentiels d’une organisation en plein chaos idéologique et organisationnel telle que l’est le PCF mutant. Celui-ci est en effet arrimé électoralement au PS (ou aux insoumis: ça dépend des « circos »), iil a largement décroché du syndicalisme de classe, s’est démarxisé et coupé du prolétariat, il est fragmenté en tendances rivales, tuteuré par le Parti de la Gauche Européenne (pro-euro et grossièrement antisoviétique). Ce PCF chaotique compte, jusque dans son état-major protéiforme, des Pierre Laurent socialo-dépendants et des Buffet mélencho-complaisante. Quant à Chassaigne: ce sympathique député rad-soc à l’ancienne vient encore de déclarer que, lorsqu’il visite une entreprise en difficulté, il n’y va « jamais le drapeau rouge en tête », mais « pour y rencontrer le chef d’entreprise »… Dès lors, comment les travailleurs feraient-ils confiance à une boutique pareille, où, le centralisme démocratique ayant été aboli (ce dont se félicite Roussel!), rien ne garantit aux exploités qu’elle tiendrait ses promesses une fois parvenue au pouvoir?
INDEPENDANCE(S)!
Le grand PCF de Thorez-Duclos-Frachon était au contraire le porteur de l’indépendance de classe du prolétariat, ce que symbolisait le drapeau rouge frappé des « outils »; il était aussi un parti patriotique qui défendait l’indépendance du pays, d’abord contre le Reich nazi, ensuite contre l’Europe atlantique, et c’est ce que signifiait l’attachement du PCF au drapeau tricolore de 1789 et des maquis FTP. Le PCF actuel n’est plus, ni pour l’indépendance française puisque, à aucun prix il ne veut quitter l’euro et l’UE (qu’il prétend « réorienter dans un sens progressiste »: proba = 0), ni pour l’indépendance politique de classe des ouvriers; en effet, il dépend financièrement de l’Etat (sans les subsides directs ou indirects duquel l’Huma et les permanents n’iraient pas loin); idéologiquement il est enchaîné à enchaîné à l’UE (par l’entremise de la Gauche Européenne coprésidée par Pierre Laurent). Et ses élus dépendent pour la plupart soit du PS (aucun député PCF ne peut se passer du PS au second tour) ou des insoumis (si LFI présente un insoumis face à Jumel ou à Focillon, il et elle perdront leur siège adoré!).
LARGUER LES REFORMISTES, S’UNIR AUX PROLETAIRES!
Comme nous l’avons démontré en détail dans le Spécial Congrès de Tours d’Etincelles (2020), il faut donc, sous des formes actuaisées, mais avec un contenu de principe analogue, un nouveau Congrès de Tours en France: il est en effet aussi indécent de penser en 2022 que l’on puisse reconstruire un Parti de combat en cohabitant avec les Laurent, Chassaigne, Jumel, Buffet et Cie, qu’il eût été sot de de penser en 1920 qu’on pourrait construire un parti de classe en coexistant avec Blum, Jouhaux ou Renaudel. Pire encore, il est absurde d’avoir amorcé la campagne Roussel sur la seule idée qu’il suffirait de mettre en avant l’étiquette communiste (« PCF is back » comme disait Roussel), que le contenu politique (déterminant pour des marxistes!) se décanterait par la suite au gré des rapports de forces (comme certains s’imaginent qu’on peut amender l’UE au gré des rapports de forces alors qu’elle est conçue de A à Z pour les figer à l’avantage du capital), et que… l’on verrait ensuite! Eh bien on a vu: vu une campagne Roussel hésitante et tanguante où le candidat godille en permanence entre des positionnements à la Marchais, des positions franchement bobos (« sorties » contre les kolkhozes, contre le centralisme démocratique, contre le Frexit, flirt avec l’anglais « tendency ») et des positionnements franchement beaufs (notamment l’appui de Roussel à la fascisante manif policière dénonçant les juges sur le parvis du Parlement!). Positionnements sur lesquels le candidat croit devoir renchérir à coups de camembert pour masquer le vide de sa stratégie politique (rien sur le socialisme, et surtout, en pleine marche à la guerre impérialisme potentiellement mondiale, équilibrisme illisible sur le « conflit de haute intensité » qui vient entre le bloc euro-atlantique conduit par Biden (qu’a encensé Roussel!) et l’axe russo-chinois), et pour obtenir la bénédiction de Polony… Sans pour autant « accrocher » l’électorat décisif: la classe ouvrière de l’industrie, des transports, des chantiers et de l’énergie.
RENAISSANCE(S)
Le verrouillage institutionnel de cette élection étant ce qu’il est (médias bétonnés, maires surveillés par les communautés d’agglo et par les partis institutionnels, argent de l’Etat, de l’UE et du patronat n’arrosant que les partis établis ou les créatures de Bolloré…), il ne pourra pas y avoir de candidature rouge et tricolore officielle à cette élection malgré la campagne dynamique de Fadi Kassem. La bataille pour l’Alternative rouge et tricolore n’en continuera pas moins car c’est avant tout en bas, dans la construction du tous ensemble contre la Bande des Quatre Affreux (Macron/MEDEF/UE/extrême droite), voire dans la radicale délégitimation populaire d’un système qui viole Marianne en accélérant la marche, sous pilotage berlinois, vers « l’Etat fédéral européen », et surtout, c’est dans la reconstruction d’un parti communiste de combat, que se jouent à la fois la renaissance du communisme français avec celle d’une République souveraine, populaire et démocratique en marche vers le socialisme.